Garonne à la menthe
La bouteille de menthe à l’eau enrobée dans un linge humide. On la cachait au fond du panier, à l’ombre, quand on partait pour la Garonne. Il y avait d’abord tout le trajet à pied dans la chaleur de l’été. La ferme des Forno passée, on traversait le canal émeraude au pont tournant. Alors, on pénétrait au pays de Garonne. La route se faisait chemin d’herbe blonde entre les peupliers. L’odeur un peu fade de la terre légère et des feuilles tombées laissait bientôt place à ce mélange autrement fort de menthe sauvage et de vase à demi séchée qui m’annonçait avec délice et crainte le bord de l’eau. Bientôt on apercevait le grand platane, où le campement s’installait. En contrebas, la plage de galets descendant au fleuve. Il y avait du courant. On racontait toujours l’anecdote mythique de mon frère traversant la Garonne et dérivant longtemps vers la berge opposée. L’employé du bac avait dit à mon grand-père que son petit-fils avait failli se noyer. Quant à mon frère, il haussait les épaules et prétendait qu’il avait attendu seulement de trouver une portion de rive sans roncier.
J’étais bien loin de ces exploits. L’eau m’attirait et m’effrayait. Mon père m’apprenait à nager la brasse : une... deux... trois-quatre ! Mes exploits natatoires s’étaient limités bien vite à l’acquisition d’un masque et d’un tuba, et à l’impression d’effectuer un acte héroïque en mettant la tête sous l’eau pour regarder les alevins filer vers la rive. Mais tous ces ébrouements assez pitoyables, ces marches douloureuses sur les galets glissants et frais, puis craquelés de terre et brûlants, en remontant vers le platane, ne semblaient programmés que pour donner son prix au verre de menthe à l’eau. Le bord de la Garonne sentait la menthe sauvage, et j’y buvais la menthe Cusenier. La ration de sirop était assez généreuse, et quelques volutes foncées dérivaient au fond du verre. En haut, le vert plus léger prenait au soleil la couleur parfaite de l’été immobile. Menthe à l’eau ! Toutes les soifs d’été gardent pour moi ce dégradé de verts montant des profondeurs troublantes de l’eau sombre vers la lumière étale, la sérénité, dans la fatigue conciliante du plaisir-terreur accompli.