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À l’instant où Denny se plie en deux, sa perruque se détache et dégringole dans la boue et le crottin de cheval, et il y a deux cents touristes japonais qui gloussent et font presse pour avoir son crâne rasé sur bande vidéo.

J’y vais de mon « désolé », et je ramasse la perruque. Elle n’est plus très blanche et elle sent mauvais dans la mesure, aucun doute là-dessus, où il y a bien un million de chiens et de poulets qui se soulagent la vessie ici tous les jours.

Comme il est plié en deux, sa lavallière lui pend dans la figure et l’aveugle. « Coco, dit Denny, dis-moi ce qui se passe. »

Me voici, moi, cheville ouvrière de l’Amérique coloniale à ses tout débuts.

Les conneries débiles qu’on peut faire pour le fric.

Depuis le bord de la place carrée, Sa Seigneurie Charlie, le gouverneur de la colonie, nous observe, debout, les bras croisés, les pieds plantés à environ trois mètres d’écart. Les laitières transportent des seaux de lait. Les cordonniers martèlent les chaussures. Le forgeron tape sur le même morceau de métal en faisant semblant comme tous les autres de ne pas regarder Denny, plié en deux au milieu de la place carrée, qui se fait une nouvelle fois clouer au pilori.

« Ils m’ont chopé en train de mâcher du chewing-gum, Coco », dit Denny à mes pieds.

Comme il est plié à angle droit, son nez se met à dégouliner, et il renifle.

« Naturellement, dit-il et renifle-t-il, Sa Seigneurie va manger le morceau cette fois au conseil des échevins. »

La moitié supérieure du pilori en bois bascule et se referme pour le maintenir au niveau du cou, et je l’abaisse délicatement en veillant à ne pas lui pincer la peau.

Je dis : « Désolé, Coco, faut que ce soit fait dans les règles. »

Ensuite, je m’occupe du cadenas. Et finalement, j’extrais un morceau de chiffon de ma poche de gilet.

Une petite goutte de morve transparente pendouille au bout du nez de Denny, et donc je colle le chiffon tout contre et je dis : « Souffle, Coco. »

Denny me souffle un long mollard qui lui secoue les fosses nasales et que je sens s’éclater dans le bout de toile.

Le chiffon est plutôt pas mal dégueu et déjà plein, mais tout ce que je pourrais lui proposer en contrepartie se limite à des lingettes pour le visage, toutes propres, et je serais le suivant sur la liste pour infraction à la discipline. Il y a une quantité à peu près innombrable de manières de foirer, ici.

Sur l’arrière de sa tête, quelqu’un lui a feutré : « Suce-moi », à l’encre rouge, aussi je secoue sa perruque emmerdaillée et essaie d’en couvrir l’inscription, sauf que la perruque en question est détrempée et pleine d’une eau marron dégueu qui lui dégouline sur les côtés rasés de son crâne pour finir par dégoutter du bout de son nez.

« Je suis banni, à coup sûr », dit-il et renifle-t-il.

Denny a froid, il se met à trembler et dit : « Coco, je sens comme de l’air… je crois que ma chemise est sortie de mes hauts-de-chausses dans le dos. »

Il a raison, et les touristes lui mitraillent la raie des fesses sous tous les angles. Le gouverneur de la colonie reluque tout ça sans en perdre une miette, et les touristes continuent à caméscoper alors que je me saisis de la culotte de Denny à la taille et que je la remonte bien à sa place.

Denny dit : « Ce qui est bien dans le fait d’être au pilori, c’est que j’ai réussi à rester sobre pendant trois semaines. »

Il dit : « Au moins comme ça, je ne peux pas aller aux cabinets toutes les demi-heures et, tu sais, paludier Popaul. »

Et je dis : « Fais gaffe à ces trucs de continence, Coco. Tu risques d’exploser. »

Je prends sa main gauche et je la verrouille en position, puis sa main droite. Denny a passé tellement de temps cet été au pilori qu’il a des anneaux blancs autour des poignets et du cou, là où il ne reçoit jamais le soleil.

« Lundi, fit-il. J’ai oublié. J’ai mis mon bracelet-montre. »

La perruque glisse encore une fois et atterrit comme une gifle mouillée dans la boue. Sa lavallière trempée de morve et de merde lui bat au visage. Tous les Japonais gloussent comme s’il s’agissait entre nous d’un gag longuement répété.

Le gouverneur de la colonie ne nous quitte pas des yeux, Denny et moi, toujours à l’affût du plus petit détail anachronique, historiquement parlant, afin de pouvoir faire pression sur le conseil des échevins et nous bannir dans le monde sauvage, nous virer, tout simplement, un coup de botte dans le train, au-delà de la porte de la ville et laisser ainsi les sauvages cribler de flèches et massacrer nos miches au chômage.

« Mardi, dit Denny à mes chaussures, Sa Seigneurie a vu que j’avais du beurre de cacao sur les lèvres. »

Chaque fois que je ramasse cette stupide perruque, elle pèse un peu plus. Cette fois-ci, je la claque un bon coup contre le bord de ma chaussure avant de l’étaler sur le « Suce-moi ».

« Ce matin », dit et renifle Denny.

Il crache un peu de bouillasse marron qui lui est entrée dans la bouche.

« Avant le déjeuner, Gente Dame Landson m’a surpris en train de fumer une cigarette derrière la salle de réunion. Et après ça, alors que je suis ici, plié à l’équerre, y a un minot, un petit merdaillon de cours moyen qui me chope la perruque et qui m’écrit cette saloperie sur la tête. »

À l’aide de mon chiffon à morve, j’essuie la plus grosse partie du foutoir qu’il a sur les yeux et la bouche.

Quelques poulets, noir et blanc, des poulets sans yeux, ou avec une seule patte, ces poulets difformes s’approchent pour picorer les boucles luisantes de mes chaussures. Le forgeron continue à taper sur son bout de métal, deux coups rapides puis trois coups lents, encore et encore, dont tout le monde sait que c’est la ligne de basse d’une vieille chanson de Radiohead qu’il aime bien. Bien entendu, il est complètement dans les vapes, déchiré à l’ecstasy.

Une petite laitière que je connais, prénommée Ursula, accroche mon regard, et j’agite le poing devant mon bas-ventre, signe voulant dire branlette en langage universel. Rougissant sous son chapeau blanc amidonné, Ursula sort une main toute pâlotte de la poche de son tablier et m’offre un doigt d’honneur. Ensuite, elle part branler quelques vaches qui ont bien de la chance, tout l’après-midi. Il y a ça, et puis je sais que le policier du roi la tripote parce qu’un jour il m’a laissé sentir ses doigts.

Même ici, même avec tout ce crottin, on sent la fumée de joint qu’elle dégage comme un brouillard.

Traire les vaches, baratter la crème, il n’y a pas à se tromper, on sait que les laitières doivent être très douées pour la veuve poignet.

« Gente Dame Landson est une salope, j’apprends à Denny. Le mec qui fait le pasteur me dit qu’elle lui a refilé un herpès pas piqué des hannetons. »

Ouais, c’est une Yankee au sang bleu de neuf à dix-sept heures, mais derrière son dos, tout le monde sait qu’elle est allée au lycée de Springburg où l’équipe de football tout entière la connaissait sous le sobriquet de « Miss Lamprini, la Poire vaginale ».

Cette fois-ci, la perruque dégueu reste en place. Le gouverneur de la colonie arrête de nous reluquer de son œil noir et entre à l’intérieur de la maison de l’Octroi. Les touristes poursuivent leur visite vers d’autres occasions de photos. Il se met à pleuvoir.

« C’est bon, Coco, dit Denny. T’es pas obligé de rester là. »

Y a pas à dire, c’est rien de plus qu’une nouvelle journée merdique au dix-huitième siècle.

Vous avez une boucle d’oreille, vous allez en prison. Vous vous teignez les cheveux. Vous vous faites percer le nez. Vous mettez du déodorant. Allez directement en prison. Ne passez pas par la case départ. En ramassant que dalle au passage.

Sa Seigneurie le Gouverneur fait ployer l’échine à Denny au moins deux fois par semaine. Pour avoir chiqué du tabac, mis de l’eau de toilette, s’être rasé le crâne.

Personne, dans les années 1730, ne portait de barbiche, dira Sa Gouvernance à Denny en lui faisant la leçon.

Et Denny ne manquera pas de lui rétorquer aussi sec : « Peut-être que si. Les colons vraiment cool. »

Et retour de Denny au pilori.

La plaisanterie qui nous lie tous les deux, c’est que Denny et moi sommes codépendants depuis 1734. C’est vrai qu’on remonte à si loin dans le passé. Depuis notre rencontre lors d’une réunion de sexooliques. Denny m’a montré une petite annonce dans un journal, et nous nous sommes présentés tous les deux à l’entretien pour le même poste.

Par pure curiosité, lors de l’entretien, j’ai demandé s’ils avaient déjà engagé la pute du village.

Le conseil des échevins se contente de me regarder. Le comité de recrutement, même là où personne ne peut le voir de visu, les six vieux mecs qui le composent portent tous des fausses perruques coloniales. Ils rédigent tout à l’encre avec des plumes d’oiseau.

Celui du milieu, le gouverneur de la colonie, soupire. Il se recule sur son siège pour pouvoir me voir à travers ses lunettes à monture métallique.

« Dunsboro la Coloniale, dit-il, n’a pas de pute de village. »

Alors je dis : « Et un idiot du village ? »

Le gouverneur secoue la tête, non.

« Un pickpocket ? »

Non.

Un bourreau ?

Certainement pas.

C’est là le pire problème des musées d’histoire vivante. Ils laissent toujours le meilleur de côté. Comme le typhus. Et l’opium. Et les lettres écarlates. Et les pécheurs traités comme des pestiférés. Et les sorcières qu’on brûle.

« Vous avez été prévenu, dit le gouverneur, que tous les aspects de votre comportement et de votre apparence doivent correspondre exactement à la période d’histoire officielle qui est la nôtre. »

Mon boulot, c’est que je suis censé être un serviteur irlandais sous contrat. Pour six dollars l’heure, c’est d’un réalisme incroyable.

La première semaine que j’ai passée ici, une fille s’est fait jeter pour avoir fredonné une chanson de Erasure en barattant son beurre. C’est exactement comme : ouais, Erasure, c’est déjà de l’histoire ancienne, mais c’est pas suffisamment historique. Même un truc aussi antique que les Beach Boys peut vous attirer des ennuis. À croire que ces mecs ne pensent pas un instant que leurs perruques poudrées, culottes et chaussures à boucles puissent être rétro.

Sa Seigneurie, elle interdit les tatouages. Les anneaux de nez doivent rester dans votre casier pendant que vous travaillez. Vous ne pouvez pas mâcher de chewing-gum. Vous ne pouvez pas siffloter de chanson des Beatles.

« La moindre infraction au personnage que vous incarnez, dit-il, et vous serez puni. »

Puni ?

« Vous serez libre de partir, dit-il. Ou vous pouvez passer deux heures au pilori. »

Le pilori ?

« Sur la place publique du village », dit-il.

Il parle de bondage. De sadisme. De jeu de rôles et d’humiliation publique. Le gouverneur en personne, il vous oblige à porter des bas et des hauts-de-chausses courts et serrés en lainage, sans dessous, et il appelle ça authentique. C’est bien lui qui veut voir les femmes pliées à l’équerre au pilori uniquement parce qu’elles ont mis du vernis à ongles. C’est soit ça, ou alors, vous vous retrouvez viré, sans allocation chômage, rien. Et pour couronner le tout, de mauvaises références. Et pour sûr que personne n’a envie de voir figurer sur son CV qu’il a été un fabricant de chandelles merdique.

Étant mecs, célibataires, âgés de vingt-cinq ans, au dix-huitième siècle, les choix qui s’offraient à nous étaient plutôt limités. Apprenti. Valet de pied. Fossoyeur. Tonnelier, enfin, quelque chose de ce tonneau-là. Cureur de chaussures, pareil, même tonneau. Ramoneur. Fermier. À la minute où ils ont parlé de crieur, Denny a dit : « Ouais. Okay. Ça, je peux le faire. C’est vrai, j’ai passé la moitié de ma vie à crier et à chialer. »

Sa Seigneurie regarde Denny et dit : « Ces lunettes que vous avez sur le nez, en avez-vous besoin ?

— Uniquement pour voir », répond Denny.

J’ai accepté le boulot parce qu’il y a bien pire que de travailler avec votre meilleur ami.

Meilleur ami comme qui dirait.

Malgré tout, on pourrait croire que ce serait plus drôle que ça n’est, un boulot marrant en compagnie de tous ces gus modèle troupe d’art dramatique amateur et théâtre municipal. Mais pas cette chiourme de régressions à l’état primitif. Cette clique de puritains hypocrites.

Si seulement. Si seulement le conseil des échevins de cette bonne vieille ville du temps jadis savait que Maîtresse Plain, la couturière, est une fêlée de la piquouze. Le meunier se cuisine des cristaux de méthédrine. L’aubergiste fourgue de l’acide aux cargaisons d’adolescents morts d’ennui qui débarquent par bus entiers, traînés là lors de voyages scolaires organisés. Ces gamins s’asseyent, absolument fascinés, et ils regardent de tous leurs yeux Maîtresse Halloway qui carde la laine et la file en écheveaux, tout en leur offrant un cours sur la reproduction des moutons en dégustant des galettes de maïs au haschich. Tous ces gens-là, le potier sous méthadone, le souffleur de verre sous Percodan[4], et le bijoutier qui s’enfile ses Vicodin ils ont trouvé leur petite niche. Le garçon d’écurie qui cache ses écouteurs sous un tricorne, il est branché au Spécial K[5] et il tressaute au rythme de sa petite rave très personnelle, tous ces clowns, c’est rien qu’une troupe de hippies cramés qui refourguent leurs conneries agraires, mais bon, d’accord, c’est qu’une opinion, et c’est la mienne.

Même le fermier Reldon possède son petit carré d’herbe de première, derrière les maïs, les haricots grimpants et le tas d’ordures. Sauf qu’il appelle ça du chanvre.

La seule petite chose à être drôle à Dunsboro la Coloniale, c’est peut-être qu’elle est trop authentique, mais pour toutes les mauvaises raisons. Toute cette clique de paumés et de fêlés de la casquette qui se planquent ici parce qu’ils sont incapables de faire leur trou dans le monde de la vraie vie, avec un vrai boulot – n’est-ce pas cette raison-là qui nous a fait quitter l’Angleterre en tout premier lieu ? Afin d’établir notre propre réalité de substitution. Les Pères pèlerins n’étaient-ils pas les déjantés de leur époque, pour tout dire ? Il est certain qu’au lieu de simplement vouloir croire en une forme différente de l’amour de Dieu, les perdants avec lesquels je travaille veulent finir sauvés par l’exercice de comportements compulsifs obsessionnels.

Ou bien par le biais de petits jeux de pouvoir ou d’humiliation. Témoin Sa Seigneurie Charlie derrière ses rideaux en dentelle : rien d’autre qu’un ex-étudiant raté, option art dramatique. Ici, c’est lui la loi, à surveiller celui ou celle qui se retrouve à l’équerre au pilori, en tiraillant sur la laisse de son chien d’une main gantée de blanc. Il est sûr que ce n’est pas une chose qu’on vous enseigne en cours d’histoire, mais à l’époque des colonies, l’individu qui se retrouvait cloué au pilori, abandonné de tous, la nuit, n’était rien d’autre qu’un gibier facile que tout un chacun pouvait se farcir à loisir. Homme ou femme, quiconque se retrouvait plié en eux, la tête dans les bois, n’avait aucun moyen de savoir qui était en train de le ramoner par-derrière, et c’est là la seule et unique raison pour laquelle personne ne voulait jamais finir là à moins d’avoir un membre de sa famille ou un ami qui restait sur place tout le temps à surveiller les arrières du pilori. Pour le protéger. Pour veiller sur ses miches, au sens propre.

« Coco, dit Denny. C’est ma culotte. Encore une fois. »

Et donc je la lui remonte.

La pluie a mouillé la chemise de Denny, qui colle à son dos maigre comme une deuxième peau, de sorte que les os de ses épaules et la crête de son échine sont visibles, plus blancs encore que le coton non javellisé. La boue remonte sur le dessus de ses sabots en bois et se déverse à l’intérieur. Même avec mon chapeau sur la tête, ma veste est trempée, et, à cause de l’humidité, coquette et ses deux copines, toutes ratatinées à l’entre-deux de mes hauts-de-chausses en laine, commencent à me démanger. Même les poulets difformes ont fermé leur caquet pour se trouver un coin au sec.

« Coco », dit Denny, et il renifle. « Sérieux, t’es pas obligé de rester. »

Des souvenirs qui me restent du cours de diagnostic clinique, si je ne me trompe, la pâleur de Denny pourrait signifier des tumeurs au foie.

Voir aussi : Leucémie.

Voir aussi : Œdème pulmonaire.

La pluie tombe plus fort, les nuages tellement sombres que les lampes commencent à s’allumer à l’intérieur des maisons. La fumée qui sort des cheminées descend et se pose sur nous. Les touristes vont tous se retrouver dans la taverne à boire de la bière blonde australienne dans des chopes en étain fabriquées en Indonésie. Dans la boutique du menuisier, l’ébéniste sera en train de sniffer de la colle, un sac en papier sur le nez, en compagnie du forgeron et de la sage-femme, pendant que celle-ci délirera sur le rôle vedette qu’elle veut tenir dans le groupe qu’ils rêvent tous de former mais ne feront jamais.

Nous sommes tous pris au piège. C’est toujours 1734. Tous autant que nous sommes, nous sommes coincés dans la même capsule temporelle, cette même capsule que celle des programmes télévisés où les mêmes individus se retrouvent échoués sur la même île déserte trente saisons durant, sans jamais vieillir ni s’échapper. Simplement le maquillage devient plus épais. D’une certaine façon, un peu sinistre, qui fait froid dans le dos, ces shows sont peut-être un peu trop authentiques.

D’une certaine façon un peu sinistre, qui fait froid dans le dos, je peux me voir, moi, debout, là, pour le restant de mon existence. L’idée est réconfortante, Denny et moi en train de nous plaindre des mêmes conneries, à jamais. En convalescence, à jamais. Bien sûr que je monte la garde, mais s’il faut vraiment de l’authenticité garantie, je préfère voir Denny cloué au pilori que de le laisser accepter le bannissement en me laissant à la traîne tout seul.

Je suis moins un bon ami que le docteur qui veut vous remettre l’échine en place toutes les semaines.

Ou le fourgue qui vous vend de l’héroïne.

« Parasite » n’est pas vraiment le mot qui convienne, mais c’est le premier qui vient à l’esprit.

La perruque de Denny redégringole par terre, en faisant flop. Les mots « Suce-moi » saignent de rouge sous la pluie et coulent roses derrière ses oreilles bleuies par le froid, et dégoulinent roses autour de ses yeux et sur ses joues, et dégouttent roses dans la boue.

Tout ce qu’on entend, c’est la pluie, l’eau qui tombe et frappe les flaques, les toits en chaume, nous-mêmes, une érosion en marche.

Je suis moins un bon ami que le sauveur qui veut que vous l’adoriez à jamais.

Denny éternue, une nouvelle fois, et libère, au sortir de ses narines, un long serpentin de morve jaunâtre qui atterrit sur la perruque dans la boue, et il dit : « Coco, ne me remets pas cette carpette dégueulasse sur la tête, tu veux bien ? »

Et il renifle. Puis tousse, et ses lunettes glissent de sa figure pour tomber dans le foutoir.

Décharge nasale signifie Rubéole.

Voir aussi : Coqueluche.

Voir aussi : Pneumonie.

Ses lunettes me rappellent le Dr Marshall, et je raconte à Denny comme quoi il y a une nouvelle fille dans ma vie, une doctoresse, une vraie de vrai, et c’est du sérieux, elle vaut le coup de queue.

Et Denny dit : « T’en es toujours à ta quatrième étape ? T’as pas avancé ? T’as besoin d’un coup de main pour t’aider à te souvenir des trucs que tu dois noter dans ton calepin ? »

L’histoire intégrale et sans concessions de mon addiction sexuelle. Oh, ouais, ça ! Jusqu’au plus petit détail le plus minable, merdique et lèche-cul.

Et je dis : « Tout en modération, Coco. Même la convalescence. Pas d’excès. »

Je suis moins un bon ami que le parent qui ne veut jamais que vous grandissiez vraiment.

Et le nez face au sol, Denny dit : « Ça aide de se souvenir de la première fois. Pour tout. »

Il dit : « La première fois où je me suis branlé, j’ai cru que c’était moi qui inventais la branlette. J’ai baissé les yeux sur ma main toute gluante de foutre et j’ai pensé en moi-même : Ça, c’est un truc qui me rendra riche. »

La première fois pour tout. L’inventaire incomplet de mes crimes. Rien qu’un nouvel incomplet, un de plus, dans ma vie pleine d’incomplets.

Et toujours le nez face au sol, aveugle à tout le reste du monde, la boue exceptée, Denny dit : « Coco, t’es toujours là ? »

Et je lui recolle le bout de chiffon sur le nez en lui disant : « Souffle. »

 

Choke
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