II
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Thèmes et variations
Il est impossible de savoir quand la notion de sacré s’est inscrite dans l’esprit humain. Sans doute fait-elle partie de la nature même de l’être, issue du sentiment qu’il existe ailleurs quelque chose qui dépasse l’entendement. C’est pourquoi le sacré fait peur : il est du domaine de l’invisible et cache des secrets qui peuvent être redoutables. Qu’on le veuille ou non, il y a fatalement un jeu de mots entre sacré et secret. Il est donc interdit, et son accès passe pour être réservé à ceux qui peuvent l’éprouver par une expérience personnelle, le prêtre, le sorcier, le mage ou le chamane, de toute façon un être humain exceptionnel. D’où la nécessité, pour le commun des mortels, de recourir aux services d’un « inspiré ». C’est, pour toute société, comme le dit Mircea Éliade, « la certitude que les humains ne sont pas seuls dans un monde étranger, entourés par les démons et les forces du mal. À part les dieux auxquels on adresse des prières et offre des sacrifices, il existe des “spécialistes du sacré”, des hommes capables de voir les esprits, de monter au Ciel et de rencontrer les dieux, de descendre aux Enfers et de combattre les démons, la maladie et la mort{46} ».
Il faut également tenir compte de l’insatisfaction permanente des êtres humains : ils sentent la présence de cet espace sacré autour d’eux mais sont incapables de le percevoir. Pour ce faire, ils s’adressent donc aux prêtres et à toute personne revêtue du pouvoir de franchir des limites interdites pour que ceux-ci leur décrivent ensuite ce qu’ils ont vu et entendu lors de leurs voyages réels ou supposés de l’autre côté de la frontière. Dans toutes les civilisations, il y a toujours eu des « visionnaires », officiels ou non, capables d’accomplir cette fonction nécessaire à l’équilibre psychologique de la société à laquelle ils appartiennent. C’est évidemment le cas des druides celtes autant que celui des chamanes des steppes sibériennes.