15

 

 

LE DR JOHN LOWELL tenta de masquer la haine que lui inspirait l’homme replet assis de l’autre côté de son bureau, en vain. Son expression de mépris ne semblait pourtant pas gêner le moins du monde le révérend Sanders.

— Merci de me recevoir, commença Sanders. J’apprécie que vous ayez pu dégager un instant dans votre emploi du temps chargé.

— Nous n’avons qu’une heure, répliqua Lowell avec impatience. Que voulez-vous ?

Sanders se leva et se promena dans le vaste bureau.

— Vous avez là une pièce magnifique, John, fit-il remarquer, son sourire branché sur pilote automatique. Chaque fois que je suis ici, je me sens… comme chez moi. C’est un bureau splendide.

— Peu importe. Ma fille ne va pas tarder à rentrer.

— Et ?

— Je ne veux pas qu’elle vous voie ici.

Sanders prit la photo encadrée sur le bureau.

— Vos filles sont ravissantes, John. La douce et belle Sara et la sex… hum… sculpturale Cassandra. Vous avez beaucoup de chance. Voyez-vous, John, la famille, c’est primordial. Notre pays a été bâti sur les valeurs de la famille. Or ces fondements sont en train de se craqueler.

Il est de notre devoir de combler ces fissures et de consolider les fondations.

— Que voulez-vous ?

— C’est très simple. Je veux que vous continuiez à nous aider dans notre croisade. Je veux que vous vous dressiez pour œuvrer en faveur du bien.

— Pourriez-vous m’épargner le bla-bla et en venir au fait ?

La voix de Sanders demeura égale et placide.

— Pourquoi avez-vous refusé de vous rendre à notre réunion de crise, hier soir ?

— Vous plaisantez ?

— Absolument pas.

— Vous ne tenez pas à ce que cette maladie soit guérie, n’est-ce pas ?

Sanders eut un sourire amusé.

— Dites-moi, John, auriez-vous souhaité guérir les plaies d’Égypte ? Auriez-vous essayé d’aider Job, contre la volonté de Dieu ? Auriez-vous dit à Abraham que Dieu ne voulait pas qu’il sacrifie Isaac ?

— Mais qu’est-ce que vous…

— Tenteriez-vous d’arrêter l’œuvre de Dieu ? Tenteriez-vous de joindre vos forces à celles de Lucifer pour contrecarrer les plans du Seigneur ?

— Épargnez-moi cette grandiloquence !

— Nous savons que le sida se transmet par les fluides corporels, poursuivit Sanders, mais si l’on ose réclamer que les médecins ou les dentistes se soumettent à des tests obligatoires, les gauchistes poussent des hauts cris. Ils en appellent aux droits constitutionnels. Et qu’en est-il de nos droits constitutionnels à nous ? De notre droit à rester en bonne santé ? Ils se fichent pas mal de nous. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous ficher d’eux ?

John Lowell le dévisagea un instant.

— Markey et vous aviez affirmé qu’ils ne faisaient aucun progrès.

— Oui, je sais. Nous avons tous été surpris. Les rapports du Dr Riker ne laissaient en rien présager ce qu’on a entendu dans l’émission de votre fille hier soir. Nous avons été aussi choqués que vous.

John se massa le front. La voix calme de Sanders commençait à sérieusement l’agacer.

— Je n’aurais jamais accepté de…

— De quoi, John ?

— Vous le savez très bien.

Une fois encore, Sanders sourit.

— Il n’en demeure pas moins que nous avons une tâche à accomplir. Et qu’elle sera plus difficile que jamais. Nous avons besoin de votre aide, John.

— Vous êtes fou ! Je vous rappelle que mon gendre se fait soigner dans cette clinique, bon sang !

Sanders hocha la tête solennellement, l’expression soudain grave.

— Je suis vraiment désolé pour vous et votre fille. Quelle terrible manière d’apprendre la vérité sur, euh…

Nouveau silence dramatique.

— … sur les préférences sexuelles de Michael.

John lutta pour maîtriser sa colère.

— Michael a contracté le virus au cours d’une transfusion sanguine !

Le sourire revint.

— Vous avez peut-être raison, John, mais ça me semble tout de même un peu dur à avaler… surtout à la lumière des déclarations faites par le propre père de Michael.

— Son beau-père, corrigea John. Un sale type, que Michael n’a pas revu depuis l’enfance.

— Ah oui ? Comme c’est intéressant. Je me demande bien pourquoi il mentirait, alors.

Pendant une seconde, John ne dit rien, puis il plissa les yeux.

— Vous ! murmura-t-il.

— Pardon ?

— C’est vous qui êtes derrière tout ça, n’est-ce pas ? Vous avez soudoyé ce Johnson pour qu’il raconte ce ramassis de mensonges.

— Moi ? Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

— Pour créer une diversion médiatique. Pour jeter une ombre sur la clinique.

— Eh, une minute ! Ce n’est pas bien de lancer des accusations infondées.

— Foutez le camp de chez moi !

— Mais nous avons encore beaucoup de choses à nous dire…

— Sortez !

— … sur la poursuite de votre participation à notre combat.

John se leva.

— Mon Dieu, vous êtes fou ! Tout ça est allé trop loin. Il faut que ça s’arrête, avant qu’il y ait d’autres dégâts.

— Hélas, John, c’est impossible.

Sanders plongea la main dans sa poche et en sortit une cassette.

— Ceci devrait vous ramener dans le droit chemin.

Le sang reflua du visage de John, dont la peau prit une couleur crayeuse. Il se rassit.

— Qu’y a-t-il… ?

— Sur la cassette ? Bonne question. Vous rappelez-vous notre premier rendez-vous, dans le bureau de Raymond ? Quand vous avez affirmé que vous feriez n’importe quoi pour détruire la clinique de Grey et de Riker, afin que le Centre contre le cancer obtienne de quoi financer sa nouvelle aile ?

— Espèce de salaud !

Le sourire s’élargit, radieux. Le sentiment de pouvoir avait toujours cet effet-là sur le révérend.

— Je me demande ce que la douce et belle Sara penserait de son bon vieux papa en entendant cette cassette. Ou la presse ?

— Vous tomberiez avec moi.

— Non, je ne crois pas. Voyez-vous, cette cassette a été nettoyée. Il n’y a que votre voix dessus.

— Je révélerais tout.

— Mais vous n’auriez aucune preuve, John. Et, à la vérité, vos accusations ne feraient que raffermir ma position au sein de la droite religieuse. Ils me verraient comme un chef capable d’agir, et pas seulement de parler. Vous, en revanche, seriez détruit – en même temps que votre centre.

John ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit.

— Eh oui, John, les voies du Seigneur sont décidément impénétrables. Mais n’oubliez jamais que vous agissez pour le bien. Vous allez participer à la destruction du mal, et, du même coup, la recherche contre le cancer en bénéficiera. Vous allez vraiment aider l’humanité.

— Allez-vous-en.

— J’ai un plan qui va, j’en suis sûr, vous satisfaire – un plan qui nous profitera à tous, votre gendre y compris. Vous en découvrirez les détails lors de notre prochaine réunion. Raymond vous appellera. D’ici là, je vous conseille de garder toute notre conversation pour vous. Le bavardage intempestif peut se révéler fatal, vous savez.

Sanders fit un clin d’œil, offrit un dernier sourire et se dirigea vers la porte.

— Après tout, John, vous êtes des nôtres.

Resté seul, John Lowell, les yeux braqués sur les rayonnages de livres, réfléchit à ce qu’il devait ou pouvait faire. Au bout d’un long moment, il se leva et quitta son bureau.

Quand il eut refermé la porte, celle d’un placard s’ouvrit. Cassandra repoussa l’imper Burberry de son père et sortit. Elle frissonnait encore.

L’inspecteur Max Bernstein s’apprêtait à entrer dans le laboratoire, au deuxième étage du pavillon Sidney, quand il entendit la voix du Dr Eric Blake à l’intérieur.

— La proposition de Markey n’est peut-être pas si terrible, disait-il.

Après un court silence, Harvey Riker répondit :

— Vous ne vous rendez pas compte de ce qu’il essaie de faire ?

— Bien sûr que si, mais on peut peut-être réussir à retourner la situation en notre faveur.

— Comment ?

— S’il tient parole, poursuivit Eric, le gouvernement sera obligé de financer la clinique pendant encore plusieurs années, au moins jusqu’à ce que le pronostic concernant Michael soit établi. Sans parler des dons qui affluent via le numéro vert. Ça nous laissera peut-être le temps de perfectionner le SRI…

— Et sa mise en circulation sera retardée de deux ou trois ans, l’interrompit Harvey. Markey veut nous contraindre à tout recommencer depuis le début.

— Franchement, ç’aurait pu être pire. Il aurait aussi bien pu fermer la clinique.

Max attendit la réponse d’Harvey. Comme elle tardait à venir, il se montra.

— Bonjour, docteurs.

Les deux médecins se tenaient derrière un microscope. Leurs têtes pivotèrent vers la porte.

— Bonjour, inspecteur.

— Votre chef de labo n’est pas là, ce matin ?

— Winston O’Connor ? Il a pris quelques jours de congé.

Max hocha vigoureusement la tête, faisant tournoyer un stylo entre ses doigts comme s’il s’agissait d’une matraque. Ensuite, il se mit à se promener dans le labo, soulevant puis reposant des objets au hasard.

— Vous avez l’air morose, tous les deux.

— Mauvaise journée, répondit Harvey.

— Ah bon ?

— J’ai reçu la visite de Raymond Markey, ce matin.

— Le type de Washington ?

— Exact.

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

Pendant qu’Harvey racontait sa conversation avec le Dr Raymond Markey, Max continuait d’arpenter le labo, sans jamais regarder son interlocuteur. Ceux qui ne le connaissent pas auraient pu penser qu’il n’écoutait pas.

Il prit cependant le temps d’examiner Eric Blake comme s’il le voyait pour la première fois. Jolies chaussures, costume coûteux, chemise monogrammée, cravate rayée, bretelles assorties. Blake ressemblait davantage à un affairiste de Wall Street qu’à un médecin.

Lorsque Harvey eut fini son récit, Max prit un tube à essai, l’étudia et déclara :

— Intéressant.

Eric le lui arracha des mains.

— Vous permettez ? lança-t-il avec irritation. Il s’agit d’expériences importantes.

— Désolé.

Max se mit à marcher dans une autre direction. D’après les quelques phrases glanées un peu plus tôt, Eric Blake ne voyait pas dans la visite de Raymond Markey matière à paniquer. En fait, il semblait parfaitement indifférent. Ça aussi, c’était intéressant.

Tu passes à côté de quelque chose, Max. De quelque chose d’important. Réfléchis, bon Dieu.

Mais rien ne lui vint, et il resta avec l’impression persistante qu’un élément lui échappait.

— Si je résume, déclara-t-il, Markey veut faire de Michael un cobaye, pour tester l’efficacité du SRI ?

— Plus ou moins, oui.

— Donc, on ne peut pas cacher Michael comme les autres patients. Mais il n’y a pas non plus de raison de le faire, si ?

— Le cacher ? demanda Eric. Qu’est-ce que vous racontez ?

— C’est bon, Eric, intervint Harvey. L’inspecteur et moi en avons déjà discuté. Nous avons décidé de placer les patients guéris dans un lieu sûr, protégé par la police, pour les mettre hors de portée de ce Poignardeur de gays.

— Où ça ?

Max sourit.

— C’est un secret.

— Même pour nous ?

— Oui.

— Mais je ne vois pas pourquoi ! N’est-il pas possible de les garder ici en renforçant la sécurité ?

— On pourrait, répondit Harvey, mais nous pensons tous les deux que la première solution est la meilleure. On ne peut pas espérer faire fonctionner un service médical de pointe comme celui-ci avec des policiers grouillant dans tous les coins. Il ne faut pas non plus oublier que Martino a été tué dans ce bâtiment, alors que j’étais présent. Il serait impossible de garantir leur sécurité.

— Et leur traitement médical ? questionna Eric.

— L’inspecteur m’a garanti qu’il dispose d’un médecin qualifié qui suivra nos instructions à la lettre – n’est-ce pas, inspecteur ?

— Exact. Et nous ne les toucherons pas sans votre feu vert.

Eric ne fit aucun commentaire.

— Maintenant que cela est réglé, dites-moi combien de patients guéris il reste.

— Trois, déclara Harvey. Et pour répondre à votre première question, non, il n’y a aucune raison de cacher Michael puisqu’il n’est pas guéri. Je suggérerais tout de même de placer quelques hommes supplémentaires aux entrées.

— D’accord, acquiesça Max. Où sont ces trois patients ?

— Ils sont tous ici.

— Bien. Avez-vous eu le temps d’étudier les dossiers personnels du Dr Grey ?

Harvey hocha lentement la tête.

— Avez-vous une liste de ses fichiers manquants ?

— Tenez.

Harvey lui tendit un morceau de papier, sur lequel figurait une liste que Max parcourut. Sortant le stylo de sa bouche, il barra plusieurs noms :

 

Krutzer, Théodore

Leander, Paul

Martino, Riccardo

Singer, Arnold

Trian, Scott

Whitherson, William

 

— Laissez-moi deviner, dit Max d’un ton las. Les trois patients redevenus séronégatifs et qui sont encore vivants sont Krutzer, Leander et Singer.

Harvey répondit par l’affirmative.

Max empocha la liste et se dirigea vers la porte.

— Il faut les préparer à déménager dans le lieu sécurisé.

— Bien. Eric, on se voit plus tard.

— OK.

Une fois que Max et Harvey eurent quitté le labo, Eric Blake se dirigea vers son casier personnel. Il déverrouilla le tiroir du bas et glissa la main tout au fond. Ses doigts écartèrent des feuilles volantes, avant d’entrer en contact avec du verre chaud.

Il s’assura que personne ne regardait, puis sortit un tube à essai rempli d’un échantillon de sang.

 

Le brigadier Willie Monticelli était à trois ans de la retraite, après vingt-sept années de bons et loyaux services dans la police. Il avait passé les dix dernières à la Criminelle, un nom qui en faisait rêver plus d’un. En réalité, le boulot consistait surtout à suivre des pistes inutiles, à interroger des gens hostiles qui ne savaient rien, à rédiger de laborieux rapports que personne ne lisait et, summum de l’ennui, à exercer une surveillance.

Depuis deux jours, Willie Monticelli effectuait une filature. Le premier jour avait produit le résultat habituel, c’est-à-dire rien. Le sujet X n’avait strictement rien fait qui puisse éveiller le moindre soupçon. Le deuxième jour s’annonçait plus intéressant.

Tôt ce matin-là, Willie avait suivi le sujet X à l’aéroport de La Guardia, où le type avait acheté un billet sur le vol 105 d’American Airlines à destination de Washington D. C. Willie en avait fait autant. Après avoir atterri à l’aéroport international Dulles, le sujet X avait loué une voiture chez Hertz. Willie en avait fait autant. Et tous deux roulaient à présent sur Rockville Pike. Destination : inconnue. Willie ne craignait pas de perdre la Chevy Camaro grise devant lui : en matière de filature, il était le meilleur de la place. Il collait au train de n’importe qui comme des cuisses en sueur à un siège de voiture.

Il suivait les ordres de Tic Bemstein. Le jeune inspecteur était bizarre, aucun doute là-dessus, mais en presque trois décennies dans le métier Willie n’avait jamais vu personne d’aussi doué pour mener une enquête criminelle. Si Bernstein était intelligent, il n’était pas le seul à l’être ; en fait, c’était sa bizarrerie, justement, qui le plaçait au-dessus des autres. Les faits embrouillés et tordus ne lui posaient pas de problème ; il comprenait le fonctionnement des esprits dérangés.

La voiture du sujet X tourna, s’arrêta devant un poste de garde puis poursuivit sa route. Willie gara son véhicule et regarda la pancarte.

NATIONAL INSTTTUTES OF HEALTH.

 

Sara se déshabilla à la hâte, s’assit sur la table d’examen froide et attendit. Pour passer le temps, elle lut deux fois les diplômes du Dr Carol Simpson et compta les carreaux du carrelage. Quatre-vingt-quatorze en tout.

À son entrée, Carol Simpson lui adressa un sourire contrit.

— Excusez-moi, dit-elle. La semaine est très chargée.

— Je comprends.

— Comment vous sentez-vous ?

— Ça va.

Carol prit une profonde inspiration, retint son souffle puis expira, comme on se jette à l’eau.

— Écoutez, Sara, il y a deux solutions. Je peux danser d’un pied sur l’autre en faisant semblant de vivre dans une bulle et de ne rien savoir de l’état de Michael, ou alors je peux simplement vous dire que je suis désolée. Si je peux faire quoi que ce soit…

— Oui, vous pouvez m’aider à donner à Michael un bébé en bonne santé.

— Je ferai de mon mieux, mais je me dois d’être honnête avec vous. Ce ne sera pas une grossesse facile. En temps normal, je vous recommanderais d’éviter le stress, mais je me rends bien compte que ce sera impossible dans votre cas. En revanche, je vous conseille de le limiter au maximum. Essayez de continuer à vivre normalement.

— Je reprends l’émission demain, dit Sara. Maintenant que le traitement est plus intense, je ne dormirai plus à l’hôpital.

— Bien.

— Docteur Simpson ?

— Appelez-moi Carol.

— Carol, quelles sont mes chances d’arriver à terme ?

Une fois encore, Carol Simpson inspira profondément avant de répondre.

— Je ne sais pas. Les deux prochains mois seront déterminants. Ensuite, ce devrait être plus facile. À présent, allongez-vous et détendez-vous.

 

Chaque fibre du corps d’Harvey était à la limite de l’épuisement.

Il aurait voulu trouver un moyen de se relaxer, d’oublier cet endroit ne serait-ce que quelques minutes, de recharger ses batteries. Hélas, il n’existait nulle échappatoire, ou, pour dire la vérité, il n’en acceptait aucune. La clinique était trop importante.

Il entra dans son bureau plongé dans le noir et alluma l’interrupteur.

— Ferme la porte, lui ordonna une voix rauque.

Le ventre d’Harvey se contracta quand il découvrit Cassandra, debout devant son bureau, vêtue d’un court déshabillé dont la blancheur éclatante contrastait magnifiquement avec la peau hâlée de ses cuisses. Ses longs cheveux noirs étaient savamment décoiffés et quelques boucles lui retombaient sur l’œil. Elle affichait un sourire sauvage, aguicheur, terriblement excitant.

— Je t’ai dit de fermer la porte.

Harvey obéit.

Elle défit la ceinture du déshabillé et l’entrouvrit, laissant deviner les délices cachés en dessous.

Harvey était hypnotisé.

L’étoffe glissa le long de ses épaules et tomba à terre. Cassandra portait une guêpière noire.

— Je t’attendais, ronronna-t-elle.

Sans détacher de lui son regard torride, elle s’assit sur le bureau et s’allongea lentement sur le côté.

Harvey la dévora des yeux, s’attardant sur chaque courbe voluptueuse. Des jambes interminables, des hanches pleines et la taille fine, des seins ronds et des épaules satinées. Sublime.

Il sentit la montée familière du désir. Sa bouche s’assécha.

— Je croyais qu’on était d’accord pour aller lentement, réussit-il à dire.

Elle rit et rejeta la tête en arrière, l’invitant à la rejoindre d’un mouvement impérieux du doigt.

— Plus c’est lent, meilleur c’est.

 

Au volant d’un break de location, Max traversa le pont George-Washington en direction du New Jersey. Théodore Krutzer, Paul Leander et Arnold Singer étaient assis, en silence, à l’arrière. À les voir, jamais on n’aurait cru qu’ils avaient été diagnostiqués porteurs du virus du sida trois ans plus tôt. Leur apparente bonne santé et leur moral au beau fixe, en contraste frappant avec tous les amis et amants que Max avait vus démolis par le virus, lui rappelaient l’importance qu’il y avait à résoudre cette affaire.

Au moment où ils atteignirent le New Jersey, le biper de Max retentit. Il s’arrêta à la station d’essence suivante et se gara près d’un téléphone public.

— Je dois donner un coup de fil, expliqua-t-il à ses passagers.

Il sortit de la voiture et composa le numéro du commissariat.

— Max Bernstein, annonça-t-il.

— Oui, inspecteur, nous avons un appel du brigadier Monticelli. Je vous mets en relation.

Il y eut un bruit métallique.

— Tic ?

— Oui, Willie, c’est moi. Où êtes-vous ?

— À Bethesda, dans le Maryland. Devinez lequel de nos laborantins du Sud vient d’entrer au National Institutes of Health ?

— Winston O’Connor.

— Exact. Donc, j’ai relu son dossier à fond. Depuis sa jeunesse dans l’Alabama jusqu’à maintenant. Tout est en ordre. Pas de trou. Rien qui donne matière à soupçons. Parfaitement propre.

— Trop parfait ?

— Ouais. Ce type est sûrement une taupe.

— Merci, Willie. Inutile de continuer à le suivre. Vous pouvez revenir.

— OK, Tic.

Une fois arrivé au lieu sécurisé, Max prit à part le Dr Zry, le médecin très discret assigné à la surveillance des trois patients.

— J’ai des instructions précises pour vous.

— Lesquelles ?

— Je veux des échantillons de leur sang.

— Mais je croyais que les toubibs de la clinique refusaient qu’on…

— Je sais, le coupa Max. Donc, ça restera notre petit secret.

 

George pénétra dans le sous-sol de la clinique à dix-sept heures. Malgré le nombre de flics gardant les différentes entrées, il n’avait eu aucun mal à s’y introduire par la cave. C’est par là aussi qu’il comptait ressortir. Il avait consacré la plus grande partie de la journée à étudier les plans du bâtiment, et avait élaboré une stratégie imparable.

Michael Silverman était installé dans une chambre privée au deuxième étage, à dix mètres de l’escalier et de l’ascenseur. George n’avait pas encore choisi lequel des deux il emprunterait pour sortir, et penchait pour l’ascenseur. Il n’y avait aucun autre patient à cet étage, qui était déserté après dix-sept heures, sauf si quelqu’un s’attardait au labo au fond du couloir.

L’heure de réviser la stratégie avait sonné.

Il ressortit le plan de sa poche et le déplia sans bruit. La chambre de Silverman était ici, le labo à l’autre bout, deux chambres vides là, un débarras à droite, un placard renfermant les produits médicaux à gauche. C’était tout. Il n’aurait qu’à surveiller l’infirmière, et attendre qu’elle ait quitté la chambre du patient.

George replia le plan et le fourra au fond de sa poche. Il se demandait si Michael Silverman était homo ou s’il avait vraiment été contaminé après une transfusion sanguine. Sûrement la première réponse. Auquel cas son mariage avec Sara Lowell était une mise en scène.

Il s’adossa au mur de brique et attendit.