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L’IMMENSITÉ DU TEMPS
 

Le 1er janvier 1979, deux heures du matin.

Je n’oublierai jamais le dernier concert de Toscanini, le soir où le plus grand de tous les chefs d’orchestre, l’homme dont la mémoire infaillible contenait toute la musique occidentale, hésita pendant quelques secondes et perdit sa mesure. Si les héros étaient véritablement invulnérables, comment pourraient-ils retenir notre intérêt ? Siegfried se devait d’avoir une épaule mortelle, Achille un talon, Superman la kryptonite.

Karl Marx a remarqué que tous les événements historiques se produisent deux fois, d’abord sous la forme d’une tragédie, puis sous celle d’une farce. Si la défaillance de Toscanini fut tragique (au sens héroïque du mot), c’est d’une farce que j’ai été le témoin il y a exactement deux heures. J’ai en effet entendu l’ombre de Guy Lombardo{33} manquer une mesure. Pour la première fois en Dieu sait combien d’années, cette musique harmonieuse qui nous assure une confortable transition vers le Nouvel An se désagrégea pendant un mystérieux instant. Comme je l’appris plus tard, on avait oublié de parler à Guy de cette minute spéciale de soixante et une secondes qui terminait 1978 ; parti trop tôt, il n’avait pas pu compenser cette avance pour qu’elle passe inaperçue.

Cette seconde, ajoutée dans la comptabilité interne pour synchroniser les deux horloges, l’atomique et l’astronomique, fut longuement commentée dans la presse, pratiquement tout le temps sur le ton de la plaisanterie. Et pourquoi pas ? Les bonnes nouvelles ne sont pas légion par les temps qui courent. La plupart des articles exploitèrent le même thème et prirent pour cible les savants et leur goût immodéré de la précision. Après tout, quelle importance accorder à une durée aussi infime qu’une seule seconde ?

Je me suis alors souvenu d’une autre donnée : un cinquante millième de seconde par an. Ce chiffre représente la décélération annuelle de la rotation terrestre due au frottement des marées. Je vais m’efforcer de montrer quelle importance une quantité aussi « insignifiante » peut revêtir à l’échelle des temps géologiques.

On sait depuis longtemps que la Terre ralentit. Edmund Halley, le parrain de la célèbre comète et astronome royal d’Angleterre au début du XVIIIe siècle, remarqua un écart systématique entre la position des éclipses observées précédemment et les prévisions relatives à leur zone de visibilité fondées sur la vitesse de rotation de la Terre à son époque. Il calcula que cette disparité ne pouvait s’expliquer que si l’on supposait que la Terre avait tourné plus vite dans le passé. Les calculs de Halley ont été précisés et réanalysés de nombreuses fois ; l’étude des éclipses montre un ralentissement de la rotation égal à environ deux millisecondes par siècle durant les derniers millénaires.

Halley n’avançait aucune explication valable de cette décélération. C’est à Emmanuel Kant – homme aux talents multiples comme on le voit – que revint le mérite d’avoir fourni le premier la bonne interprétation, un peu plus tard au XVIIIe siècle. Kant mit en cause la Lune et soutint que la friction des marées ralentissait la Terre. La Lune attire vers elle les eaux qui forment un bombement. Ce bombement reste orienté vers la Lune pendant que la Terre poursuit sa rotation en dessous. De notre point de vue d’observateurs terrestres, la haute marée se déplace régulièrement vers l’ouest autour de la Terre. Elle fait sentir ses effets sur mer et sur terre (car les continents sont aussi soumis à des marées, plus faibles) et crée un frottement important. « Une quantité énorme d’énergie, ont écrit les astronomes Robert Jastrow et M.H. Thompson, est dissipée tous les jours dans cette friction. Si on pouvait récupérer cette énergie à des fins utilitaires, elle serait suffisante pour satisfaire plusieurs fois les besoins en énergie électrique du monde entier. L’énergie se dilapide en réalité dans la turbulence des eaux sur les côtes à laquelle il faut ajouter, à un moindre degré, l’échauffement des roches dans la croûte terrestre. »

Mais la friction des marées a un autre effet, pratiquement invisible à l’échelle de nos vies, mais qui constitue un facteur majeur dans l’histoire de la Terre. Elle agit comme un frein sur la rotation de la Terre, la ralentissant au rythme lent d’environ deux millisecondes par siècle, soit un cinquante millième de seconde par an.

Ce freinage par le frottement des marées entraîne deux curieuses conséquences indissolublement liées. D’abord le nombre de jours dans une année diminue peu à peu. La longueur d’une année semble essentiellement constante sur l’officielle horloge au césium. Sa stabilité s’affirme tant sur le plan empirique, grâce aux mesures astronomiques, que sur le plan théorique. On pourrait prévoir qu’une marée solaire ralentirait la révolution de la Terre exactement comme la marée lunaire ralentit sa rotation. Mais les marées solaires sont très faibles et la Terre, lancée dans l’espace, a un moment d’inertie si énorme que l’année ne s’allonge que de trois secondes par milliard d’années, chiffre que l’on peut négliger en toute sécurité : depuis l’origine de notre planète jusqu’à sa destruction par l’explosion du Soleil dans quelque cinq milliards d’années, l’année terrestre n’aura gagné qu’une demi-minute.

En second lieu, comme la Terre perd de son moment angulaire en ralentissant, la Lune – obéissant à la loi de la conservation du moment angulaire pour le système Terre-Lune – doit recueillir ce que la Terre perd. La Lune y parvient en tournant autour de la Terre à une distance de plus en plus grande. Autrement dit, la Lune s’éloigne régulièrement de la Terre.

Dans le froid vif de certaines nuits d’octobre, il arrive que la Lune, en se levant sur l’horizon, apparaisse très grosse ; c’est à peu près ce que devaient voir les trilobites il y a 550 millions d’années. G.H. Darwin, astronome réputé et second fils de Charles, fut le premier à développer cette idée de récession lunaire. Il pensait que la Lune s’était arrachée de l’océan Pacifique et, en extrapolant sa vitesse actuelle de récession, il détermina la date de sa naissance convulsive. (La taille du Pacifique correspond bien à celle de la Lune, mais grâce à la tectonique des plaques, nous savons à présent que le Pacifique n’est pas un trou permanent, mais la configuration d’un moment géologique donné.)

En bref, le frottement des marées causé par la Lune entraîne deux conséquences liées dans le temps : le ralentissement de la rotation de la Terre qui diminue le nombre de jours dans l’année et l’augmentation de la distance séparant la Terre de la Lune.

Depuis longtemps, les astronomes connaissent ces phénomènes en théorie ; ils les ont également mesurés directement sur des durées ne correspondant qu’à des microsecondes géologiques. Mais jusqu’à une époque récente, personne ne savait comment estimer leurs effets sur de longues périodes de temps géologique. Une simple extrapolation de la vitesse actuelle vers le passé ne saurait suffire car l’intensité du freinage dépend de la configuration des continents et des océans. Le freinage le plus efficace s’effectue lorsque les marées balaient des mers peu profondes ; le moins efficace lorsque les marées se déplacent sur des mers profondes et sur terre. Les mers peu profondes ne constituent pas un des traits saillants de notre planète à l’heure actuelle, mais elles ont occupé des millions de kilomètres carrés à diverses époques du passé. Le haut degré de frottement des marées durant ces périodes a pu être compensé par une très lente décélération à d’autres périodes, en particulier lorsque tous les continents étaient réunis dans la seule Pangée. Le ralentissement de la rotation terrestre dans le temps devient donc un problème plus géologique qu’astronomique.

Je suis ravi de dire que c’est ma propre branche de la géologie qui a fourni, bien qu’avec une certaine ambiguïté, le renseignement demandé. Certains fossiles ont en effet conservé les rythmes astronomiques des temps passés dans la structure de leur croissance. Les mathématiciens et les spécialistes de la géophysique d’aujourd’hui, enfermés dans l’attitude hautaine de disciplines dominantes, s’abaissent rarement à jeter un coup d’œil sur un humble fossile. Cependant un éminent spécialiste de la rotation terrestre a écrit : « Il se révèle que la paléontologie vient au secours du géophysicien. »

Pendant plus de cent ans, les paléontologistes avaient occasionnellement remarqué des lignes de croissance régulièrement espacées sur certains de leurs fossiles. On avait émis l’idée qu’elles pouvaient être le reflet de périodes astronomiques, jours, mois ou années, comme les années des arbres. Mais personne n’avait jamais rien tiré de ces observations. Au cours des années 1930, Ting Ying Ma, un paléontologiste chinois quelque peu visionnaire, très imaginatif, mais infailliblement intéressant, a étudié les bandes annuelles dans les coraux fossiles de manière à déterminer la position des anciens équateurs. (Les coraux vivant à l’équateur, sous un climat où la température est presque constante, ne présentent pas de bandes saisonnières ; plus on s’élève en latitude, plus les bandes sont marquées.) Mais personne n’avait étudié les très fines lamelles qui souvent apparaissent par centaines dans chaque bande.

Au début des années 1960, un paléontologiste de Cornell, John West Wells, s’est rendu compte que ces stries très fines pouvaient représenter des jours (croissance lente la nuit et croissance plus rapide le jour, exactement comme les arbres produisent des anneaux où la lenteur hivernale alterne avec l’accélération estivale). Il étudia donc un corail actuel où l’on peut distinguer des bandes successivement grossières (vraisemblablement annuelles) et très fines ; il compta une moyenne d’environ 360 bandes fines pour chaque grosse bande. Il en conclut que les lignes fines étaient journalières.

Wells se mit ensuite en quête de coraux fossiles suffisamment bien conservés pour avoir gardé toutes leurs bandes fines. Il en trouva très peu, mais ils lui permirent de faire l’une des observations les plus intéressantes et les plus importantes de l’histoire de la paléontologie : un groupe de coraux d’environ 370 millions d’années avait une moyenne n’atteignant pas tout à fait les 400 lignes fines pour chaque grosse bande. Ces coraux avaient donc vécu des années de presque quatre cents jours. On avait enfin découvert une preuve géologique directe d’une vieille théorie astronomique.

Mais les coraux de Wells n’avaient confirmé que la moitié de l’histoire – l’accroissement de la longueur du jour. L’autre moitié, la récession de la Lune, nécessitait des fossiles avec des bandes journalières et mensuelles ; car si la Lune avait été plus proche dans le passé, elle devait tourner autour de la Terre en moins de temps qu’aujourd’hui. L’ancien mois lunaire devait avoir moins des 29,53 jours solaires du mois actuel.

Depuis la publication par Wells de son célèbre article sur « la croissance des coraux et la géochronométrie » en 1963, plusieurs thèses sur les périodicités lunaires ont été également avancées. Très récemment, Peter Kahn, paléontologiste à Princeton, et Stephen Pompea, physicien à l’université d’État du Colorado, ont affirmé que l’énigme de l’histoire lunaire pouvait se résoudre grâce à une créature bien connue de tout le monde, le nautile. La coquille du nautile est divisée par des cloisons internes régulières appelées septa. C’est la beauté de leur construction qui a inspiré à Oliver Wendell Holmes ces vers où il nous exhorte à enrichir nos vies intérieures :

 

Bâtis-toi des demeures plus majestueuses, ô mon âme,

Tandis que les saisons s’écoulent rapidement !

Abandonne les voûtes basses de ton passé !

Que chaque temple nouveau, plus noble que le précédent,

T’abrite du ciel par un dôme plus vaste,

Jusqu’au jour où, enfin, tu seras libre,

Laissant ta coquille périmée à l’océan tumultueux de la vie !

 

Je suis heureux de dire que les loges du nautile n’ont pas limité leur utilité aux méditations de Holmes sur l’immortalité. Car Kahn et Pompea ont compté les plus fines des lignes de croissance sur la face extérieure de la coquille du nautile et ont découvert que chaque compartiment (l’espace entre deux cloisons successives) contenait une moyenne de 35 lignes fines, avec peu de variation entre les coquilles, ainsi qu’entre les loges successives de chaque coquille. Puisque le nautile, qui vit dans les profondeurs de l’océan Pacifique, migre quotidiennement en suivant le cycle solaire (il remonte à la surface la nuit), Kahn et Pompea pensent que les lignes fines enregistrent les jours. La sécrétion des cloisons peut résulter d’un cycle lunaire. De nombreux animaux, dont les humains bien entendu, ont des cycles lunaires, généralement liés aux fonctions de reproduction.

Les nautiloïdes sont des fossiles assez courants (le nautile moderne est le seul survivant d’un groupe très diversifié). Kahn et Pompea ont compté les lignes par compartiment chez vingt-cinq nautiloïdes dont l’âge variait de 25 à 420 millions d’années. Selon eux, on remarque, en remontant dans le temps, une diminution régulière du nombre de lignes par loge, de 30 aujourd’hui, à environ 25 pour les fossiles les plus récents, jusqu’à quelque 9 pour les plus anciens. Si la Lune faisait le tour de la Terre en seulement neuf jours solaires il y a 420 millions d’années (à une époque où le jour ne comptait que vingt et une heures), c’est qu’elle devait être beaucoup plus proche. Quelques équations ont permis à Kahn et à Pompea de conclure que ces anciens nautiloïdes ont vu une Lune gigantesque éloignée de la Terre d’à peine plus des deux cinquièmes de la distance actuelle (oui, les nautiloïdes avaient bien des yeux).

À ce point de l’exposé, je dois avouer mon ambivalence concernant ces importantes données sur les rythmes de croissance des fossiles. Plusieurs questions n’ont pas trouvé de réponse. Comment peut-on connaître la périodicité dont témoignent ces lignes ? Voyons le cas des lignes fines par exemple. On considère généralement qu’elles représentent des jours solaires. Mais supposons qu’elles correspondent aux cycles des marées, périodicité qui tient compte tout à la fois de la rotation terrestre et de la révolution lunaire. Si la Lune accomplissait sa révolution en beaucoup moins de temps dans le passé, les anciens cycles des marées n’étaient pas aussi proches du jour solaire qu’ils le sont aujourd’hui. (On peut à présent saisir l’importance de l’argumentation de Kahn et de Pompea, avancée sans preuve directe, notons-le, selon laquelle les lignes fines du nautile proviennent des cycles jour-nuit des migrations verticales et non des effets de la marée. En fait, ils expliquent trois cas exceptionnels qu’ils ont rencontrés en prétendant que ces nautiloïdes vivaient dans des eaux toujours peu profondes, près des côtes, et avaient donc pu enregistrer les marées.)

En admettant que les lignes correspondent aux cycles solaires, peut-on évaluer le nombre de jours par mois ou par année ? Un simple comptage n’apporte pas de solution, car les animaux sautent souvent un jour, mais, pour autant qu’on le sache, ne les dédoublent pas. Les comptages sous-estiment généralement le nombre de jours (souvenez-vous de la moyenne de 360, et non 365, bandes journalières que Wells avait trouvée chez les coraux modernes, car pendant les jours très couverts, la croissance diurne peut ne pas dépasser la croissance nocturne et les bandes ne pas se former).

D’ailleurs, n’oublions pas la question fondamentale entre toutes : comment peut-on être certain que les lignes sont bien le reflet d’une périodicité astronomique ? Trop souvent, pour affirmer qu’elles représentaient des jours, des mois ou des années, on ne s’est guère appuyé que sur leur régularité géométrique. Mais les animaux ne sont pas des machines passives, enregistrant consciencieusement les cycles astronomiques au cours de leur croissance. Ils ont aussi des horloges internes et celles-ci sont souvent réglées sur des rythmes métaboliques sans liaison apparente avec les jours, les marées ou les saisons. Par exemple, la plupart des animaux ralentissent considérablement leur croissance en avançant en âge. Mais de nombreuses lignes de croissance continuent à augmenter de taille à une cadence constante. La distance entre les cloisons du nautile se développe constamment et régulièrement durant toute la croissance. Ces cloisons sont-elles réellement déposées une fois par mois ou les dernières mesurent-elles des espaces de temps plus longs ? Le nautile peut fort bien s’être donné pour règle de former une cloison après avoir atteint pour chaque compartiment un volume légèrement et régulièrement supérieur au précédent et non de former une cloison à chaque pleine lune. C’est pour cette raison primordiale que je fais preuve du plus grand scepticisme quant aux conclusions de Kahn et de Pompea.

Cette impression est corroborée par le caractère contradictoire des données recueillies. Dans les articles publiés sur ce sujet, on remarque des différences tout à fait anormales. Dans une étude sur lesdites périodicités lunaires chez les coraux, l’auteur conclut que le mois, il y a environ 350 millions d’années, avait un nombre de jours trois fois supérieur à celui proposé par Kahn et Pompea.

Je reste néanmoins satisfait et optimiste. En premier lieu, malgré leur absence de synchronisme interne, toutes les études s’accordent sur un point fondamental, la diminution du nombre de jours dans l’année. En second lieu, après une période initiale d’enthousiasme imprudent, les paléontologistes se sont mis à la tâche ardue consistant à rechercher ce que les lignes représentent au juste, c’est-à-dire à mener des études expérimentales sur des animaux vivants, dans des conditions de contrôle rigoureux. Les critères permettant de comprendre les écarts existant dans les données fossiles devraient prochainement être disponibles.

Peu de sujets géologiques sont aussi fascinants et aussi féconds. Si, par exemple, on extrapole vers le passé les données actuelles sur la récession de la Lune telle qu’on peut l’estimer d’après les renseignements fournis par les éclipses, la Lune serait entrée dans la limite de Roche il y a environ un milliard d’années. En deçà de la limite de Roche, aucun corps de grande dimension ne peut se former. Si un tel corps, venu de l’extérieur, y pénétrait, il est difficile de savoir précisément ce qui se passerait, mais les résultats ne manqueraient certainement pas d’être impressionnants. De vastes marées ravageraient la Terre et la surface de la Lune fondrait, ce qu’elle n’a pas fait, comme l’ont indiqué les roches d’Apollo. (Et le taux de récession estimé d’après les données actuelles – 5,8 cm par an – est nettement inférieur à la moyenne proposée par Kahn et Pompea – 94,5 cm par an). Il est évident que la Lune ne s’est jamais autant approchée de nous, que ce soit il y a un milliard d’années ou depuis que sa surface s’est solidifiée il y a plus de quatre milliards d’années. Les taux de récession ont dû changer radicalement et étaient beaucoup plus lents au début de l’histoire de la Terre, ou bien la Lune s’est placée sur son orbite actuelle longtemps après la formation de la Terre. En tout cas, la Lune fut jadis nettement plus proche de nous et cette situation a dû jouer un rôle important sur l’histoire de ces deux corps célestes.

Quant à la Terre, certaines de nos plus anciennes roches sédimentaires nous ont fourni des indications, provisoires encore, sur des amplitudes de marée à faire honte à la baie de Fundy{34}. Pour la Lune, Kahn et Pompea ont émis une intéressante hypothèse selon laquelle sa position plus proche et l’attirance gravitationnelle plus forte de la Terre expliqueraient pourquoi les mers ou maria lunaires sont concentrées sur sa face visible tournée vers la Terre (les maria sont de vastes épanchements de magma liquide) et pourquoi le centre de gravité de la Lune est déplacé vers la Terre.

Il n’est pas de leçon plus importante que puisse apporter la géologie que l’immensité du temps. Nous n’avons aucune gêne à énoncer nos conclusions intellectuelles : 4,5 milliards d’années, c’est là un chiffre pour l’âge de la Terre qui sonne bien. Mais la connaissance intellectuelle et l’appréhension par les sens sont des choses différentes. En tant que simple nombre, 4,5 milliards est incompréhensible, et il nous faut faire appel à une métaphore et à une image pour bien marquer l’écart entre l’âge de la Terre et la longueur insignifiante de l’évolution humaine, sans parler de la millimicroseconde cosmique de notre vie personnelle.

On représente habituellement l’histoire de la Terre sous la forme d’une horloge de vingt-quatre heures dont la civilisation humaine n’occupe que les toutes dernières secondes. Je préfère rendre cette idée de l’immensité du temps en mettant l’accent sur l’énergie accumulée par des effets totalement insignifiants à l’échelle de nos vies. Une autre année vient de s’achever et la Terre s’est ralentie d’un autre cinquante millième de seconde. Et alors ? Ce que vous venez de lire n’est que cet « alors ».