27.

Napoléon guette le moindre bruit. Il a ouvert la fenêtre de son appartement privé, situé au-dessus de son cabinet de travail. L’air de cette nuit de juillet 1804 est frais, chargé de l’humidité venue de la forêt qui entoure le château de Saint-Cloud. Napoléon va jusqu’à la petite porte qui donne sur l’escalier dérobé conduisant de son cabinet à l’appartement. Il est interdit à quiconque de l’emprunter sans son autorisation formelle.

Il écoute et il s’impatiente.

Pourquoi faut-il qu’il se cache ainsi ? Il en veut à Joséphine de l’obliger à ces petitesses qui sont indignes de lui, de son titre et surtout de son être. Il ne peut pas être contraint. Il a bousculé toutes les hiérarchies, fait plier les rois et même le pape, qui, il en est sûr, va venir le sacrer Empereur ici, à Paris, et il n’est dans cet appartement, cette nuit, qu’un mari qui attend sa maîtresse et se dissimule pour éviter les foudres et les jalousies de sa femme.

Insupportable !

Il a parfois, comme à cet instant, envie de céder aux sollicitations de sa famille.

Depuis qu’il a été proclamé Empereur, les frères et les soeurs ne cessent de l’inciter au divorce. Il a eu beau cent fois les inviter à se taire, les couvrir de titres carolingiens, de pensions – sept cent mille francs à Élisa ! –, ses frères et ses soeurs continuent de répéter qu’il doit abandonner Joséphine avant le sacre, auquel il serait scandaleux qu’elle soit associée, elle qui n’est même pas capable de donner un enfant à son mari !

Il ouvre la porte. Pas un glissement furtif, pas une ombre dans l’escalier. Il va à nouveau vers la fenêtre. Peut-être Marie-Antoinette Duchâtel passera-t-elle par les jardins. Mais elle doit encore s’attarder dans le salon de Joséphine pour donner le change, attendre un moment d’inattention pour s’éloigner. Joséphine n’est pas facile à duper. Elle est aux aguets. Il ne supporte pas qu’elle souffre ainsi. Et pourtant, de quel droit devrait-il renoncer au plaisir d’une nuit avec une jeune femme ? Et pourquoi faudrait-il qu’il ne songe pas au divorce ?

Il a beau donner à cette dynastie qu’il fonde toutes les apparences et les formes nécessaires, elle restera précaire et menacée tant qu’il n’aura pas d’héritier en ligne directe, un fils à lui que ne peut pas lui apporter Joséphine.

Il le sait.

Et puis, il a besoin d’une autre femme. Cette Marie-Antoinette Duchâtel, qu’il attend, a à peine un peu plus de vingt ans. Elle est mariée à un barbon, comte distingué emprisonné sous la Terreur et bon directeur de l’enregistrement, qui ne peut pas répondre aux désirs de son épouse.

Et Joséphine ne peut plus donner ce que j’attends.

Marie-Antoinette a la fougue de son âge. Et elle n’est pas sotte. Elle n’a pas les « abattis canailles » de Georgina, mais au contraire une silhouette fine.

Il ouvre à nouveau la porte de l’escalier.

Il faudra que Constant loue une maison, peut-être aux Champs-Élysées, où je pourrai me rendre à ma guise, et ne pas craindre d’être surpris comme ici. Et Mme Duchâtel peut l’être à chaque instant par un domestique, ou pire, par Joséphine.

Il a tout à coup la tentation de rompre avec elle, brutalement, avant le sacre.

Puis il se reprend. Il entend le frottement d’une robe, d’un pied ou d’une épaule dans l’escalier. Il fait un pas. Il aperçoit les cheveux blonds de Marie-Antoinette Duchâtel. Il la saisit par les poignets, l’attire. Elle est essoufflée. Elle se confond en excuses. « Sire », commence-t-elle.

Il ne l’écoute pas. Ils ont si peu de temps. Elle doit retourner auprès de Joséphine, puisque Napoléon l’a nommée dame du Palais.

Il rit. Au moins, il a ce pouvoir.

Il se sent si puissant si jeune.

C’est à peine l’année de ses trente-cinq ans, et il est Empereur des Français.

 

Empereur ?

Il veut tout de ce titre. Les armoiries, les costumes, les fastes.

Il réunit les membres du Conseil d’État.

Il dit, en se tournant vers Cambacérès : « Monsieur l’archichancelier. » Et Cambacérès s’incline : « Sire », murmure-t-il.

Chaque chose doit être réglée avec minutie, choisie après réflexion. Il laisse parler chacun des conseillers d’État. Cambacérès souhaiterait qu’on retienne l’abeille comme symbole de l’Empire. Un autre évoque le lion. Pourquoi pas le coq ? dit un troisième. L’éléphant est un symbole de puissance, murmure Portalis.

On rédige déjà le décret réglant le grand sceau de l’Empire : « lion au repos sur un champ d’azur ».

Napoléon raye le mot « lion », le remplace par « aigle déployé ». L’aigle, c’est Rome et c’est Charlemagne. Voilà son ascendance. Et, pour les armées, ce seront les aigles comme ceux des légions et des cohortes romaines.

Quant à l’abeille ? Cambacérès, de sa voix douce, rappelle qu’on trouva des abeilles d’or dans le tombeau de Childéric Ier et dans les armoiries de plusieurs rois de France de la première race. Lors de l’entrée de Louis XII à Gênes, en 1507, poursuit Cambacérès, le roi de France portait une robe sur laquelle se trouvaient des abeilles d’or en grand nombre. L’aigle déployé, l’abeille ?

Napoléon donne son accord. Ainsi il s’inscrit dans la lignée des souverains, les rassemble dans sa dynastie. Et chaque cérémonie, chaque costume, chaque geste, dit-il, a son importance.

 

Le 13 juillet, par décret, il fixe l’ordre des « honneurs et des préséances ». Il ne veut plus, dit-il à l’archichancelier, de cette « petite guerre de l’étiquette ».

Il tranche, fixe la préséance des généraux de division sur les préfets, crée les gardes d’honneur, qui seront recrutés parmi les jeunes gens issus des meilleures familles. Et, plume à la main, luimême, il indique que la garde impériale comptera plus de neuf mille hommes, dont deux mille huit cents cavaliers.

Il dit à Berthier : « Des hommes grands, de un mètre soixante-dix au moins, qui ont cinq ans de service et ont participé à deux campagnes composeront la garde. »

Le ministre de la Guerre s’incline.

Puis Napoléon murmure d’une voix rêveuse, en regardant le général :

— Qu’est-ce que le mot Empereur ? Un mot comme un autre ! Si je n’avais d’autre titre que celui-là pour me présenter devant la postérité, elle me rirait au nez.

Il sourit devant le visage effaré de Berthier.

Il reprend :

— Il faut pour les hommes un jour favorable comme pour les tableaux.

Qu’en pense Berthier ?

Berthier balbutie.

Les hommes ont besoin de mots simples, d’idées fortes et claires, de cérémonies éclatantes.

Napoléon va jouer son rôle.

Il est l’Empereur.

 

Le 15 juillet 1804, dimanche, jour où l’on célèbre la fête anniversaire de la prise de la Bastille, il quitte le Carrousel à midi.

Devant lui, il voit les soldats alignés formant la haie et les quatre carrosses de Joséphine, de ses dames, des princesses et de leurs officiers, qui roulent déjà vers l’hôtel des Invalides.

Ce matin, dans sa robe de tulle rose semée d’étoiles d’argent, il a trouvé Joséphine belle et digne. Et il s’en est senti ragaillardi, heureux. Ce serait si simple si elle était ce qu’elle devrait être : une jeune épouse auréolée de son titre et de sa beauté, fidèle, attentive, et féconde. Et épousée vierge ! Mais elle n’a jamais été cela !!!

Constant et Roustam ont aidé Napoléon à revêtir l’uniforme de colonel de la Garde. Il a mis son chapeau noir et, maintenant, il est en tête du cortège, caracolant sur un cheval blanc. Derrière lui, les colonels généraux de la Garde, les grands officiers civils de la Couronne, les aides de camp et, fermant la marche, les grenadiers à cheval.

À l’hôtel des Invalides, le maréchal gouverneur lui offre les clés, puis Napoléon, conduit par le clergé, va jusqu’au trône qui a été érigé pour lui à gauche de l’autel.

Il se tient debout d’abord, tête nue, regardant l’immense nef, les tribunes, cette foule en uniforme rangée par catégories, là les élèves de l’École polytechnique, ici les invalides, là les ambassadeurs, les grands officiers civils, et ici les militaires.

Il s’assied. Le monde est en ordre et il en est le centre.

Le cardinal légat lit l’évangile, puis, après le discours du grand chancelier de la Légion d’honneur, Lacépède, Napoléon se lève. Il a replacé son chapeau droit sur sa tête. Cette cérémonie de remise de la Légion d’honneur, il l’a voulue ainsi, encadrée par des rituels religieux, dans l’Église. Et, après la distribution des étoiles de la Légion d’honneur, commencera le Te Deum. Ainsi, lors de cette cérémonie qui célèbre le 14 juillet, il aura réalisé la fusion qu’il cherche, exprimé le sens qu’il donne à son Empire.

Il commence à parler d’une voix forte qui résonne dans l’immense édifice :

— Commandants, officiers, légionnaires, citoyens et soldats, dit-il, vous jurez sur votre honneur de vous dévouer au service de l’Empire et à la conservation de son territoire dans son intégrité, et à la défense de l’Empereur, des lois de la République et des propriétés qu’elle a consacrées ; de combattre par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise qui tendrait à rétablir le régime féodal…

Il se tait, parce qu’il faut que chacun comprenne. Il est l’Empereur d’un nouvel ordre. Il rétablit les formes anciennes pour préserver ce qui est neuf et est né le 14 juillet 1789.

Il élève la voix, plus fort encore.

— Enfin, dit-il, vous jurez de concourir de tout votre pouvoir au maintien de la liberté et de l’égalité, bases premières de nos institutions. Vous le jurez !

Alors les acclamations éclatent, roulent sous les voûtes. Puis c’est le Te Deum.

Il se sent transformé. Il a même l’impression, quand il remet à chacun des grands officiers, des dignitaires, leur décoration, qu’il a des gestes plus lents.

Il est celui qui consacre et confère la gloire et l’honneur.

Les canons tonnent.

À quinze heures, il rentre en voiture aux Tuileries.

La voiture passe par le jardin. C’est le privilège de l’Empereur.

 

Deux nuits encore à Saint-Cloud.

Elle revient. Il a vu Mme Duchâtel aux Invalides, toute parée en dame du Palais, non loin de Joséphine. Il avait été surpris par la grâce de son épouse lorsqu’elle avait quitté les Tuileries, mais comment Joséphine aurait-elle pu rivaliser avec Marie-Antoinette Duchâtel ? Le temps est une fosse où l’on s’enlise. Et Joséphine lui a paru, malgré le fard, malgré le rouge des joues et des lèvres, grise à côté de la jeune femme.

Il la désire.

Il ne s’est jamais senti aussi sûr de lui-même. Il est cet aigle déployé. Il a envie de poser sa main aux doigts ouverts comme des serres sur le corps jeune de Mme Duchâtel.

Elle entre. Il la presse contre lui. Il l’emporte.

Que jamais on ne l’empêche d’être ce qu’il est, de faire ce qu’il veut.

 

Il gagne Boulogne ce 19 juillet 1804.

Il parcourt la ville. Les batteries tirent neuf cents coups de canon en son honneur. Les jeunes filles lui lancent des fleurs cependant qu’il passe sous les arcs de triomphe dressés dans chaque rue. Sur le port, on a élevé une colonne de bois de quinze mètres à laquelle sont accrochées des inscriptions menaçant l’Angleterre de bientôt subir des « foudres vengeresses ». Napoléon salue mais ne s’attarde pas. Il embarque sur un canot, se rend sur la ligne d’embossage. Le temps est beau. Il donne l’ordre à des embarcations d’appareiller.

La mer, malgré le vent assez fort, n’est pas grosse. Napoléon se tient à l’avant de sa chaloupe. Brusquement, un cap franchi, il aperçoit l’escadre anglaise qui aussitôt commence à ouvrir le feu.

Il aime cette tension de la guerre qui s’empare des hommes, qui change les voix, les attitudes et crispe les visages.

On rentre au port.

Et il s’installe dans sa baraque de la falaise d’Odre. De la rotonde vitrée, il regarde le port et la mer.

Puis il se met au travail, écrit à Fouché, lui demandant d’éloigner de Paris le général Lecourbe, qui avait pris parti pour Moreau. Trop d’espions, d’ennemis encore. Et il ne faut pas se laisser griser.

À Boulogne même, dans cette ville transformée en immense camp militaire où le vin et l’argent coulent à flots, où les filles se sont agglutinées comme des mouches sur un morceau de sucre, tant il y a de soldats, on arrête presque chaque jour des espions anglais, souvent des émigrés. Ils sont condamnés à mort, fusillés.

C’est la guerre. Que Fouché s’en souvienne.

Napoléon tempête dans la baraque. À croire qu’il est le seul à comprendre qu’il faut agir sans cesse, rester comme un arc tendu et non s’alanguir, s’endormir, prendre son temps. Il dicte une seconde lettre pour Fouché. « Je viens de lire la proposition du citoyen Fulton que vous m’avez adressée, beaucoup trop tard en ce qu’elle peut changer la face du monde », écrit-il.

Il imagine un instant ces navires inventés par Fulton, cet Américain, des vaisseaux fonctionnant sans voiles, poussés par un foyer créant de la vapeur, ces autres bateaux s’enfonçant sous les mers.

— Je désire que vous en confiiez l’examen à une mission choisie par vous dans les différentes classes de l’Institut… Tâchez que tout cela ne soit pas l’affaire de plus de huit jours…

Il passe sa nuit à consulter des cartes, à écrire au vice-amiral Latouche-Tréville, qui commande à Toulon.

— Faites-moi connaître où se tient l’ennemi, que fait Nelson. Méditez sur la grande entreprise que vous allez exécuter…

Il veut communiquer sa résolution, son enthousiasme et son énergie.

— Entre Étaples, Boulogne, Wimereux et Ambleteuse, nous avons mille huit cents chaloupes canonnières, bateaux canonniers, péniches, portant cent vingt mille hommes et dix mille chevaux. Que nous soyons maîtres du détroit six heures, et nous serons maîtres du monde !

Cette certitude l’oppresse.

Il dort mal. À l’aube, il est déjà sur les falaises, au port, dans les batteries côtières. Le temps est à l’orage. Le vent souffle par violentes rafales, contre lesquelles il faut marcher courbé. Les éclairs fendent l’horizon. La mer est creusée et soulevée par de hautes vagues, dont la crête est couverte d’écume.

Il avance face au vent.

On doit aussi vaincre cela.

Il ordonne à l’amiral Bruix, qui s’est avancé à sa rencontre sur la falaise, de faire sortir les navires pour une revue de la flottille. Bruix parle d’horrible tempête qui se prépare. Il ne veut pas exposer les hommes inutilement.

— J’ai donné des ordres, dit Napoléon.

Bruix refuse.

Est-il possible de faire la guerre, de commander, si les ordres ne sont pas exécutés ?

Bruix le défie. Napoléon serre sa cravache, puis la jette à terre, se tourne vers le contre-amiral Magon qui, en courant, part faire appareiller la flottille.

Peu après, la tempête se déchaîne.

Napoléon regarde les chaloupes poussées à la côte parmi les rochers. Certaines sont brisées, d’autres retournées. Des hommes se noient.

Napoléon se jette dans un navire pour leur porter secours. La lutte ne se terminera qu’à l’aube. Au retour, trempé jusqu’aux os, il rentre dans sa baraque. Soult, peu après, lui annonce une cinquantaine de victimes.

 

Je commande une armée, un Empire. Je fais la guerre. La mort des hommes est dans l’ordre des choses militaires.

L’amiral Bruix a eu raison de refuser la revue, et j’ai eu raison de l’imposer, l’ayant souhaitée.

 

Il songe à accorder le titre de dignitaire dans l’ordre de la Légion d’honneur à Bruix.

L’amiral m’a résisté. Il a même mis, quand je l’ai menacé avec ma cravache, la main sur le pommeau de son épée. J’ai besoin d’hommes comme lui.

Napoléon a fait allumer un feu pour se sécher. Il dort quelques dizaines de minutes, mais il a besoin de se confier.

Il écrit, écrasant sa plume sur le papier, traçant à peine les lettres, et souvent la plume accroche tant il la pousse vite, et de grosses taches d’encre couvrent quelques lettres.

« Madame et chère femme, commence-t-il, depuis quelques jours que je suis loin de vous, j’ai toujours été à cheval et en mouvement sans que cela prît nullement sur ma santé.

« Le vent ayant beaucoup fraîchi cette nuit, continue-t-il, une de nos canonnières qui était en rade a chassé et s’est engagée sur des rochers à une lieue de Boulogne ; j’ai cru tout perdu, corps et biens ; mais nous sommes parvenus à tout sauver.

« Le spectacle était grand : des coups de canon d’alarme, le rivage couvert de feux, la mer en fureur et mugissante, toute la nuit dans l’anxiété de sauver ou de voir périr ces malheureux !

« L’âme était entre l’éternité, l’océan et la nuit.

« À cinq heures du matin, tout s’est éclairci, tout a été sauvé, et je me suis couché avec la sensation d’un rêve romanesque et épique ; situation qui eût pu me faire penser que j’étais tout seul, si la fatigue et le corps trempé m’avaient laissé d’autres besoins que de dormir.

« Napoléon »

Ce n’est pas tout ce qui a eu lieu. Mais ce qu’il a écrit s’est produit.

Et c’est cela qu’il veut retenir.

 

Quelques jours plus tard, un courrier de Paris apporte à l’Empereur les traductions des journaux anglais. Tous évoquent la mort de quatre cents marins et soldats à la suite des ordres donnés par « l’Ogre Buonaparte ».

Il y a donc toujours autour de lui cette nuée d’espions, de bavards stipendiés aux aguets, prêts à toutes les trahisons, à tous les mensonges pour l’abattre. Pitt vient de faire voter par le Parlement de Londres un crédit extraordinaire de deux millions et demi de livres sterling « pour usages continentaux ». De quoi payer des milliers d’hommes, acheter leurs yeux et leurs esprits.

Voilà qui vaut la flotte de Nelson !

Comment faire face ?

Souder les hommes autour de moi

Le 16 août 1804, il passe en revue les troupes dans une petite vallée située à une demi-lieue de Boulogne, non loin de la mer, entre le moulin Hubert et Terlincthun.

Il s’arrête devant les nouveaux drapeaux carrés qui portent les aigles au sommet de leur hampe. Le tissu claque. Des chapelets de nuages blancs glissent sur le vert des collines, cachant par instants le brillant du ciel bleu.

Il se tient jambes écartées, pour résister au vent. Il va distribuer les Légions d’honneur à l’armée de Boulogne.

Il appelle d’une voix forte chacun des promus. C’est comme un adoubement. Et il prend chaque décoration dans le casque de Bayard, que tient un aide de camp.

Ces hommes-là doivent lui être fidèles comme des chevaliers.

Entre l’honneur et l’argent anglais, entre la fidélité et la peur ou l’intérêt, ils ne doivent pas hésiter.

Il faut qu’il en soit ainsi d’un bout de l’Empire à l’autre, dans toute l’Europe pour vaincre l’Angleterre.

 

Ce jour-là, Napoléon décide de visiter les villes de la rive gauche du Rhin, sur lesquelles régna Charlemagne.