Lettre de Claire :

 

« 26 février 1946

Cher papa,

Ce matin, au réveil, coup de théâtre : Rosen a reçu l’ordre de Meyer, ministre des Affaires allemandes, de renvoyer Wia. Trois accusations.

1. Trafic illicite avec les Allemands durant la guerre.

2. Bénéfice illicite.

3. Membre de la Cagoule.

Vous imaginez l’état du pauvre Wia et du mien. Rosen fait naturellement tout ce qu’il est en son pouvoir pour arrêter cela.

Il est inutile de vous dire, je pense, que Wia n’a jamais trafiqué avec les Allemands.

Quant à la Cagoule, il n’a été qu’à quelques réunions et n’a jamais rien fait. Il avait alors vingt ans.

Mon papa, je suis navrée de ce nouvel ennui. J’avoue être assez bouleversée et j’espère que vous pourrez nous venir en aide.

Tout cela vient évidemment des communistes. Cela promet pour l’avenir...

Que pouvez-vous faire ? Connaissez-vous Meyer ?

Je me demande s’il faut en parler à Bidault. Pensez que notre avenir est en jeu.

Ce matin, en me réveillant, j’étais vraiment heureuse. La douche a été assez froide.

Je vous supplie de faire quelque chose. Sauf, naturellement, si vous jugez qu’il vaut mieux que vous ne bougiez pas.

Excusez cette lettre, mais j’écris à toute vitesse. Cette lettre doit partir dans quelques instants.

Mon papa, excusez-moi, mais pensez à nous.

J’ai failli prendre l’avion pour venir en parler de vive voix mais Rosen préfère que je reste avec Yvan. Ce dernier devra certainement aller à Paris d’ici très peu de temps.

S’il doit quitter Berlin, Rosen n’y restera pas. Mais nous espérons tous que tout s’arrangera très bien.

Mon papa, j’imagine si bien l’état dans lequel va vous mettre cette lettre que je ne sais que vous dire pour m’excuser mais le pauvre petit Yvan est aujourd’hui aussi malheureux qu’il était heureux hier, aussi triste qu’il est adorable.

Je vous embrasse très fort. »

 

Lettre de Wia adressée à M. François Mauriac de l’Académie française :

 

« Berlin, 26 février 1946

Monsieur,

Je ne sais que vous dire, que vous écrire. Le terme, “monsieur”, par lequel je m’adresse à vous, me paraît grotesque et désuet. D’autres mots, ceux que je sens, je ne puis les écrire, aujourd’hui moins que jamais.

Hier, retrouvant Claire, je me demandais ce que j’avais fait pour que le Seigneur me fasse si heureux. Ce matin, sous cette boue qui m’ensevelit, je me demande pourquoi une main me retire ce que l’autre me donnait. L’arrivée de Claire, cette histoire qui éclate le lendemain même, ce serait du mauvais mélodrame si ce n’était vrai, horriblement vrai. Rosen s’est jeté dans la bataille avec tout le feu de son enthousiasme, avec toute la force de son amitié pour moi.

Déjà, je me savais indigne du bonheur qui s’offrait à moi, aujourd’hui je réalise quel fou j’étais d’y songer un seul instant. Si seulement cette annonce n’avait pas paru dans Le Figaro. Par elle, cette boue rejaillit sur vous, au moment où plus que jamais vous devez être sans reproche, comme doit être un drapeau.

Je m’étonne de rester lucide, et c’est en pleine lucidité que je vous rappelle ce que dit, à peu près, l’Évangile : “Si un bras te cause du scandale, coupe-le.”

Claire et moi nous nous aimons, et je sais que cette affaire n’y changera rien. Mais sur le point matériel, sur le plan vital, elle va tout bouleverser et il serait vain de le nier. Ne craignez pas, s’il le faut, de me jeter par-dessus bord, Claire partage mon avis là-dessus. Je ne me noierai pas et l’amour de Claire me protégera.

Si vous pouvez savoir d’où vient le coup, vous faciliterez ma défense et — dès que je serai assez fort — ma contre-attaque.

Ci-inclus, une déclaration que j’ai écrite d’un seul jet, ce matin, et qui résume ma défense.

Je vous supplie de ne pas engager votre nom dans la défense d’une mauvaise cause, si les premiers renseignements vous la montrent perdue.

En me défendant devant les autres, ne me condamnez pas au fond de vous-même, ce qui serait pire.

Je vous aime et je vous vénère, et je vous demande pardon.

Ivan. »

 

Déclaration de Jean Wiazemsky :

« Je, soussigné, Jean Wiazemsky, lieutenant de réserve, croix de guerre 1939-1940, actuellement secrétaire de la Division des personnes déplacées du groupe français du Conseil de contrôle, fais aujourd’hui, sur l’honneur, les déclarations suivantes :

1. Je n’ai jamais fait de trafic illicite avec les Allemands.

2. Je n’ai jamais réalisé de bénéfices illicites par trafic avec les Allemands.

Les deux accusations portées contre moi sont absolument dénuées de fondement. Je crois pouvoir en fournir la preuve indéniable, en indiquant que, fait prisonnier par les Allemands, le 7 juin 1940 sur le front de la Somme, je suis resté en captivité en Allemagne jusqu’au 21 avril 1945, date à laquelle j’ai été libéré par l’Armée rouge.

En ce qui concerne ma conduite pendant ces cinq années de captivité, je suis en mesure, si nécessaire, de fournir des attestations émanant de personnalités insoupçonnables, aussi bien françaises que britanniques ou soviétiques, étant donné que je me suis trouvé dans un camp où ces nationalités étaient mêlées.

Libéré le 21 avril, je me suis mis à la disposition du Commandement soviétique, et j’ai commandé un corps franc de partisans agissant en liaison avec les éléments les plus proches de l’Armée rouge.

J’ai été, pour ma conduite au cours des dernières semaines de la guerre, l’objet d’une proposition pour la Légion d’honneur, proposition faite par le médecin commandant Meunier, actuellement chirurgien de l’hôpital Dominique-Larrey à Versailles, et qui était à l’époque, médecin-chef de l’hôpital où je me trouvais.

Échangé aux Américains le 21 mai, après un mois passé à organiser des centres de rassemblement de prisonniers français en zone russe, j’ai été recruté sur place à Leipzig par le commandant de Rosen, inspecteur des Missions de rapatriement, pour servir d’officier de liaison entre le Q.G. du XXIe corps d’armée américain et les services français de rapatriement d’une part, et les autorités soviétiques d’autre part.

Ma mission auprès de l’armée américaine s’étant terminée en août, je suis rentré à Paris le 10 août 1945, et après une semaine passée à régulariser ma situation militaire, je suis reparti à Berlin où je me trouve depuis lors.

C’était la première fois que je rentrais en France depuis le 4 juin 1940, date à laquelle j’ai été fait prisonnier.

Je joins en annexe une attestation qui m’a été délivrée par le XXIe corps d’armée américain et qui a servi de base pour une proposition d’attribution de la Bronze Star Medal.

J’estime que la déclaration ci-dessus est de nature à me laver des deux accusations dont je suis l’objet.

En ce qui concerne la troisième qui traite de mon appartenance à la société appelée communément “la Cagoule”, j’affirme sur l’honneur ce qui suit :

Au début de l’année 1936, je me suis laissé entraîner à un “Cercle d’études” d’un parti nouvellement fondé et dont les affiches de propagande recouvraient les murs de mon quartier. Le Parti se dénommait, si j’ai bonne mémoire, Parti national révolutionnaire.

L’entreprise de bâtiment où je travaillais m’ayant envoyé en déplacement en province au cours du mois de mars et d’avril, je suis retourné rue Caumartin dans le courant du mois de mai. J’ai trouvé la place occupée par la police qui m’a relâché après un bref interrogatoire.

Un mois après, j’ai été convoqué à la police judiciaire où, après un nouvel interrogatoire, j’ai été de nouveau relâché.

De nouveaux déplacements en province me firent totalement oublier cette affaire.

Quatre mois après, en octobre 1936, je suis parti pour faire mon service militaire. Ayant rengagé en 1938, j’ai servi dans l’armée, sans interruption, du 15 octobre 1936 au 15 août 1945, date de mon retour à Paris et de ma démobilisation.

J’affirme que la seule fois où j’ai, entre 1936 et ce jour, entendu reparler de cette malheureuse aventure, a été en 1938, lorsque sous-lieutenant au 8e cuirassiers à Saint-Germain-en-Laye, j’ai reçu la visite de deux inspecteurs de la Sûreté qui m’ont interrogé sur mon affiliation à “la Cagoule”. Je considère que mes explications ont été, à cette époque, suffisantes pour prouver la fausseté de ces allégations, puisque je n’ai jamais entendu reparler de cette affaire.

Je saisis cette occasion pour réaffirmer avec force que ni avant, ni pendant mon service militaire, je n’ai appartenu à “la Cagoule”, et que je n’ai jamais commis aucune action condamnable ou préjudiciable aux intérêts de mon pays, ou contraire à mon honneur d’officier.

C’est sur cet honneur d’officier, auquel je n’ai jamais failli, que je fais la présente déclaration.

Les années pendant lesquelles j’ai servi mon pays, le sang que j’ai versé pour lui, me donnent le droit de demander que l’occasion me soit donnée de me laver publiquement de ces accusations.

Fait à Berlin, le 26 février 1946

Jean Wiazemsky. »

 

Lettre de Claire :

 

« 4 mars 1946

Chère maman,

Un tout petit mot écrit à toute vitesse car je pars dans un instant à Leipzig et que j’apprends que quelqu’un va à Paris. J’ai essayé plusieurs fois de vous téléphoner mais je n’ai pu y arriver.

Nous ne savons encore rien de précis mais nous avons été rassurés par plusieurs côtés à la fois. La police française de Berlin a pris l’affaire en main et dit que cela s’arrangera très bien.

Wia est un tout petit peu détendu. Très peu, mais enfin, un peu. Inutile de vous dire que, jusqu’à maintenant, je n’ai pas nagé dans le bonheur comme disaient les gens que je rencontrais à Paris. Le pauvre Yvan est encore plus désespéré pour moi que pour lui. Tant que cette affaire ne sera pas réglée et bien réglée, il ne veut pas entendre parler de mariage. Moi, je fais tout ce que je peux pour lui rendre confiance, et dans la vie, et en lui, mais c’est difficile. Son visage qui semblait si heureux le jour de mon arrivée s’est refermé et sa mine n’est pas belle à voir.

Que pensez-vous de tout cela ? Qu’a fait papa ?

Il y a beaucoup de travail. Il fait très froid.

Demandez à papa de me, de nous pardonner, mais je vous assure que le pauvre Wia n’y est pour rien et qu’il est bien malheureux. Sa nature est incapable de prendre une histoire comme cela à la légère.

Je vous embrasse tous très fort.

Votre petite Claire. »

 

Il est à peine 6 heures du matin. Son enveloppe cachetée, Claire descend à l’étage des filles pour la déposer devant la chambre d’une collègue qui va à Paris et qui dort encore. Elle a déjà enfilé son manteau, chaussé ses bottillons car Mistou l’attend au volant de leur ambulance en compagnie de Wia. Ils font partie d’un convoi de quatre automobiles qui doit se rendre à Leipzig où, dans un hôpital de fortune occupé par les Soviétiques, une nouvelle et importante épidémie de typhus vient de se déclarer. Selon des sources pour l’instant secrètes, des Français prisonniers se trouveraient parmi les malades. Une première équipe médicale anglaise, déjà sur place, fait état de nombreux décès et de l’urgence à évacuer ceux qui, ayant déjà eu le typhus ou souffrant de ses dernières manifestations, ne sont plus contagieux.

Claire est de retour, le convoi peut démarrer. Sur sa demande, Mistou lui cède le volant. Wia, une carte approximative des environs de Berlin sur les genoux, fulmine devant le choix du trajet. Selon lui, une autre possibilité aurait permis d’utiliser des routes moins défoncées. Il ne cesse de s’en prendre au responsable de cet itinéraire, à la pluie qui tombe sans discontinuer. Claire et Mistou, sans se concerter, se gardent bien d’intervenir et de le contrarier. Elles voient à quel point il est à cran, tendu et totalement dépourvu d’humour. C’est la première fois qu’il se montre à elles dans cet état. Saura-t-il au moins convaincre les Soviétiques de restituer les Français ? Elles savent que cela peut prendre des heures, que Wia devra faire assaut de charme, de diplomatie. Pour l’instant, il semble uniquement préoccupé par les témoignages susceptibles de l’innocenter. Rosen et lui en ont réuni quelques-uns. Ils attendent avec impatience ceux de généraux américains.

Il fait encore nuit, le convoi avance lentement. Enfin, le jour se lève. Des carcasses de tanks carbonisés encombrent toujours les bas-côtés d’une route qui n’existe plus. Des vols de corbeaux affamés passent au-dessus des voitures et leurs cris lugubres accentuent l’aspect désolé des champs, des plaines.

Des heures après, le convoi atteint les abords de Leipzig, ce qui subsiste des premières habitations apparaît. Certaines sont totalement détruites, d’autres tiennent encore à peu près debout mais aucune n’a un toit. Les murs qui restent sont uniformément noircis par la fumée des incendies. Dans les rues, il n’y a personne pour regarder passer le convoi. À croire que, comme à Berlin, les survivants allemands se terrent en présence des vainqueurs. Claire, Mistou et Wia qui étaient déjà venus en mission dans ces faubourgs, sont impressionnés en constatant à quel point, apparemment, rien n’a changé. Le silence qui les accueille est toujours le silence d’une ville morte.

Mais il est inutile de pénétrer plus avant car ils arrivent près de l’hôpital de fortune des Soviétiques. Ce sont de vieux baraquements accolés au camp de prisonniers, entourés d’un cordon sanitaire et gardés par un grand nombre de sentinelles armées.

— Allons-y, dit Wia. On va voir ce qu’on va voir.

 

En fin d’après-midi, après des heures de délibérations avec les autorités soviétiques, les chances de retrouver des Français semblent exclues. Claire, Mistou et leurs camarades attendent à l’abri dans les ambulances tant il pleut dehors. Elles ont froid, elles ont faim, elles contemplent avec inquiétude la boue et l’eau envahir les chemins.

Soudain, Wia apparaît radieux, accompagné d’un gradé soviétique.

— Tout est arrangé, sortez les brancards, les filles.

 

Peu après, l’ambulance que conduit maintenant Mistou repart en sens inverse. C’est à nouveau la nuit, les phares des voitures peinent à éclairer les routes inondées. Serrés contre elle à l’avant, Claire et Wia s’efforcent de distinguer les fossés et les trous. À l’arrière, trois des quatre lits superposés sont occupés par d’anciens ouvriers du S.T.O. Ils ont déjà eu le typhus, ils sont encore affaiblis mais ils ne sont plus contagieux. « Vivants ! » répète Claire régulièrement. « Vivants ! » répond à chaque fois Mistou. Elles ont pour un temps oublié la faim, le froid, la fatigue.

Pendant les rares moments où la conduite est plus aisée, Wia raconte comment il a pu les sauver.

— L’officier qui a tout rendu possible par son intervention, Alexis Gazdanov, était prisonnier avec moi. Il y avait encore une trentaine d’autres soldats soviétiques et nous nous entendions très bien. Rouges, blancs, prolétaires ou aristocrates, quelle importance, nous parlions la même langue ! Ils m’avaient tellement adopté qu’ils m’appelaient tous « camarade prince » ! Quand nous avons été délivrés par l’Armée rouge, j’ai combattu à leurs côtés, puis ils ont expliqué mon cas aux autorités. Au moment où elles m’ont rendu aux Américains, ils m’ont proposé de repartir avec eux en U.R.S.S... Oh, Claire ?

Claire qui s’était assoupie n’a pas écouté ce que racontait Wia. À tout hasard, elle tente une réponse :

— Oui, et alors ?

— Alors, j’ai été tenté, très tenté. À leur contact, au camp, j’avais compris à quel point c’était vain d’espérer revenir et reconstruire la Russie de jadis. J’ai demandé à partir en U.R.S.S. avec mes parents mais les Soviets ont refusé. Si je m’étais, par ma conduite, racheté à leurs yeux, mes parents demeuraient pour toujours des traîtres... Voilà pourquoi je suis resté.

Il sent la tête de Claire s’alourdir sur son épaule, les boucles brunes qui effleurent sa joue et comprend qu’elle s’est endormie.

 

Le lendemain matin, un petit déjeuner tardif réunit dans la cuisine du premier étage Claire, Mistou, Plumette et deux ambulancières belges. Elles discutent l’ordre du jour, évoquent les trois ouvriers français admis pour un bref séjour dans un hôpital de Berlin. La porte de l’appartement s’ouvre doucement, une jeune fille au type slave très prononcé apparaît dans l’encadrement de la porte.

Elle s’appelle Olga, elle est d’origine russe et a obtenu la nationalité française avant la guerre. Comme Wia, elle parle très bien plusieurs langues. Léon de Rosen l’a appelée en renfort pour travailler en tant que traductrice lors des nombreuses réunions avec les représentants des pays alliés. Son sérieux, son dévouement à la cause des Personnes déplacées l’ont rendue indispensable. Arrivée mi-janvier, elle s’est vite liée avec les filles des Croix-Rouge française et belge qui l’invitent souvent à partager leurs repas. Claire sait qu’elle occupe le même bureau que Wia mais n’a pas eu encore l’opportunité de faire connaissance avec elle.

— C’est pour vous, dit Olga. Un billet de Wia.

Elle tend à Claire un morceau de papier plié en quatre, accepte la tasse de thé que lui propose Plumette et s’assoit à leur table. Tandis que Claire lit, le silence se fait dans la cuisine. Un silence tel que l’on entend les bruits de la rue, les rares moteurs de voitures. Sa lecture terminée, Claire a un long soupir théâtral suivi d’un haussement d’épaules. Puis, sur le ton de la plainte :

— C’est invraisemblable !

— Quoi, mon chou ?

Comme elle tarde à répondre, Mistou poursuit à l’intention de ses compagnes :

— C’est invraisemblable ce qu’elle peut dire souvent : « C’est invraisemblable ! »

Les rires qui fusent décident Claire.

— Wia m’écrit que le témoignage d’un général américain le lave intégralement des accusations de trafics illicites avec les Allemands. Ce général certifie qu’il était bien prisonnier durant toute la guerre, qu’il a combattu aux côtés des Soviétiques, etc., etc., etc. Toute personne normale devrait se réjouir mais Wia, non. Il est obsédé par sa soi-disant appartenance à la Cagoule, parle de son honneur souillé, etc., etc., etc.

— Vous ne pouvez pas comprendre.

C’est la nouvelle venue, Olga, qui vient de s’exprimer d’une voix à la fois hésitante et ferme. Une légère rougeur sur le visage et un imperceptible tremblement de tout le corps indiquent qu’elle fait un effort pour parler. Le silence qui suit ses paroles paraît l’impressionner davantage encore, elle peine à poursuivre. Mais sur un geste d’encouragement de Plumette et après une longue inspiration :

— Vous êtes françaises depuis toujours. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que d’être obligé de tout quitter, sa maison, ses biens, sa patrie, tout. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est d’errer d’un pays à l’autre, de changer de langue, de culture. Vous ne pouvez pas concevoir une seconde ce que c’est que d’être apatride. Il faut l’avoir vécu dans sa chair pour comprendre. Apatride... Je suis sûre que ce mot ne vous évoque rien... Alors, quand on a enfin trouvé un pays qui vous accueille, un pays qui offre la possibilité de tout recommencer à zéro, alors, on s’accroche, on veut en être digne. Et quand ce même pays vous fait l’honneur de vous accorder la nationalité française, on se doit d’être parfait, on se doit de le servir, cent fois, mille fois mieux que tout citoyen français de naissance. Wia ne peut pas supporter qu’on le soupçonne, avec cette histoire de Cagoule, d’avoir porté atteinte à l’ordre de son pays. Vous devez toutes faire un effort, comprendre sa fierté d’être français, comprendre le pourquoi de cet orgueil blessé et comprendre qu’il ne trouvera pas le repos avant d’être officiellement innocenté.

Olga a parlé d’une traite, sans reprendre son souffle, en devenant de plus en plus rouge. Un peu de sueur perle sur son front. Les jeunes femmes présentes la fixent en silence, comme tétanisées. Olga a un petit sourire embarrassé qui se veut une excuse et se tourne vers Claire.

— Ne m’en voulez pas pour ma fougue, Claire. Je suis très timide et comme tous les timides, quand je me lance... D’ailleurs je m’adressais autant aux autres qu’à vous. C’est par souci pour Wia, pour que vous le compreniez mieux... Surtout vous, Claire, il vous aime tellement ! Claire ?

Mais Claire, depuis quelques secondes, semble perdue dans une étrange rêverie. Comme cela lui arrive parfois, elle s’est absentée loin, très loin.

Mon Enfant De Berlin
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