Les nouvelles du front sont de jour en jour plus alarmantes. Les troupes allemandes opposent une résistance inattendue, reprennent l’avantage aux frontières, à l’Est. Avenue Théophile-Gautier, Claire est seule avec ses parents. Claude est auprès du général de Gaulle, Jean s’est engagé dans une unité de chasseurs alpins, Luce s’occupe de ses enfants et de son mari, Alain, héros du Vercors. C’est elle qui a demandé à Claire de différer son départ. Les deux sœurs sont devenues particulièrement sensibles au désarroi de leur mère, à la peur qui désormais l’habite. Depuis octobre, l’extrême droite de Darnand, le chef de la Milice, menace François Mauriac de mort. Des appels anonymes, menaçants, vengeurs, résonnent nuit et jour dans l’appartement. Le pire devient à nouveau possible.

Ce jour-là, il neige. Claire a renoncé à rendre visite aux parents de Patrice. Elle a posé sa photo sur la table de nuit et la contemple le soir, avant de s’endormir. Elle a maintenant le sentiment d’être proche de lui, de l’aimer. Elle s’est remise à lui écrire. De longues lettres où elle raconte le dur hiver de Paris, le découragement qui parfois la saisit et contre lequel elle lutte. Dans l’espoir de le distraire, elle évoque les films qu’elle a vus, les répétitions à la Comédie-Française des Mal-Aimés. Elle a scrupuleusement noté le nom du metteur en scène, Jean-Louis Barrault et des trois principaux interprètes, Madeleine Renaud, Renée Faure et Aimé Clariond.

Assise devant sa table, une cigarette dans une main et son stylo dans l’autre, elle fixe la neige qui a recouvert son balcon et qui continue de tomber. Elle songe avec ennui aux rues qu’il va falloir dégager, aux déplacements rendus difficiles, à la boue qui s’ensuivra. Et elle s’étonne d’avoir de pareilles préoccupations alors qu’elle devrait être à Belfort. Elle pense avec un début de colère qu’elle n’aurait pas dû écouter sa sœur ; que sa place n’est pas dans l’appartement familial mais là-bas, au cœur de la guerre où elle n’aurait même pas le temps d’avoir peur. Ici, la peur qu’éprouvent les siens la gagne, grignote sa volonté d’action. Elle repose son stylo, allume une nouvelle cigarette. Après, elle se rendra au salon : c’est l’heure des nouvelles à la T.S.F. Le salon est aussi la seule pièce où des bûches brûlent en permanence. Au moins, elle aura chaud.

 

Journal de Claire :

 

« Mardi 19 décembre 1944

Les Allemands ont déclenché samedi une grande offensive sur la frontière du Luxembourg et de la Belgique. Ils avancent. On sait qu’ils ont accumulé de grandes forces en hommes et en matériel. Alors, comment ne pas être inquiet, terriblement inquiet. On croyait les Allemands à bout de forces, ils ne faisaient que se concentrer et accumuler.

On n’avait vraiment pas besoin de cela. Quelle horreur !

Même si cette attaque finit par être enrayée, je pense à tout ce sang qui coule, à tous ces villages et aux représailles qui vont suivre. Je pense à tous ces milliers d’êtres qui sont désespérés et à tous les Français qui espèrent encore la victoire allemande. Je pense à cette guerre qui ne finit pas et au désespoir de Patrice.

Je ne peux dire avec quelle tendresse et aussi avec quelle tristesse je pense à lui en ce moment. Quelle injustice ! Il a quitté son camp pour celui de Lübeck où ils sont les uns sur les autres. Il ne peut que penser à moi et se demander si je l’attends car il ne reçoit aucune lettre. Je voudrais qu’il revienne. Je voudrais l’épouser et vivre tranquillement à l’ombre de son amour.

Il n’est malheureusement pas question de faire des projets.

On craint toujours l’arme nouvelle dont on parle depuis longtemps sans y croire. On craint ce maquis brun prêt à attaquer au premier signe de Darnand. On craint les Allemands qui sont restés dans l’ouest de la France.

J’ai peur pour papa que les hommes de Darnand abattront si Maurras est condamné à mort et il le sera.

L’avenir apparaît sombre et ce Noël sera probablement le plus affreux de ces dernières années. »

 

Claire referme son cahier. En écrivant dans son journal ce qu’elle s’interdit d’écrire à Patrice, ce qu’elle tait à ses parents car la consigne familiale est de ne pas se plaindre, une pensée a pris forme qui s’impose maintenant à elle comme une évidence : elle doit rejoindre sa section en Alsace.

Mon Enfant De Berlin
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