Une voiture dont la mission est de rapporter des médicaments et du matériel chirurgical de Paris, se charge de conduire Claire chez ses parents. Encore affaiblie, elle a abandonné la conduite à sa coéquipière et, allongée à l’arrière, regarde défiler les paysages. Elle ne s’attendait pas à traverser certaines régions aussi dévastées, à tant de ruines, à ces routes défoncées, à l’empreinte presque partout des bombardements et des incendies. Des visages à peine entrevus sont encore marqués par la peur et la faim. La pluie et le ciel bas et sombre accentuent l’aspect désolé du pays. « Pauvre France », murmure Claire le cœur serré. Sa compagne, à l’avant, se tait, concentrée sur la conduite rendue difficile. Elle saura se débrouiller, elle a l’habitude. Mais Claire suppose qu’elles éprouvent l’une et l’autre le même chagrin.

Au fur et à mesure que Béziers s’éloigne, ce Paris qu’elle désirait tant revoir perd de son attrait. Que fera-t-elle au sein de sa famille ? À quoi servira-t-elle ? Elle ne se voit guère reprendre ses cours de sténodactylo comme elle le faisait avant son entrée à la Croix-Rouge. La direction n’a pas encore répondu à sa demande de transfert auprès des armées, dans l’est de la France où la guerre se poursuit. Elle ne craint pas un refus, non, la Croix-Rouge a besoin d’effectifs. Elle souhaite seulement que cela aille vite, qu’elle n’ait pas le temps de se laisser rattraper par la routine familiale, le confort et les distractions qu’offre Paris. Son amie Martine partage son point de vue. Elle a retrouvé son fiancé blessé lors de la libération de la capitale. Actuellement, elle le soigne dans la maison de ses futurs beaux-parents mais, dès qu’il le pourra, il rejoindra son bataillon. Martine souhaite être à égalité avec lui, courir les mêmes dangers, partager les mêmes privations, combattre pour un monde libre. Claire envie son amie de toujours savoir comment mener sa vie, de discerner si facilement les bons choix des mauvais et d’aimer pour toujours le premier garçon qui l’a embrassée.

Elle regarde avec indifférence la bague de petite fille passée à son doigt, puis la retire et la glisse dans la poche de sa veste. Durant la violente crise de foie qui l’a tenue enfermée dans sa chambre, elle a oublié le jeune homme qui avait pleuré devant elle. Il fait partie de l’épisode de sa vie baptisé « Béziers » et cet épisode est terminé. De quoi sera fait le nouveau chapitre, couchée à l’arrière de la voiture, elle l’ignore. Dans son désir de rejoindre les armées, il y a la crainte du retour de Patrice. Elle souhaite ne pas l’attendre, quitter Paris avant qu’il ne se présente à elle, avec son amour et sa demande en mariage. Gagner du temps, être plus sûre de ses sentiments.

 

La pluie a cessé quand la voiture entre dans Paris après quelques détours. Il fait nuit depuis longtemps, il y a peu de lumière derrière les volets fermés et tous les lampadaires ne sont pas allumés. Quelques rares voitures roulent encore dans les rues désertes. Place de la Concorde, les deux jeunes femmes ont en même temps un cri de joie : pour la première fois, elles constatent l’absence des panneaux de signalisation allemands en lettres gothiques. Elles avaient vu les photos des reportages dans la presse, bien sûr, on leur avait raconté, elles savaient, mais ce n’était pas réel. Claire se redresse sur la banquette arrière. Profitant d’un feu rouge, elle étreint de ses bras les épaules de sa coéquipière. Celle-ci se retourne, avec sur le visage un mélange d’extrême fatigue et de triomphe. L’une donnant le signal à l’autre, elles entonnent à tue-tête Le Chant des partisans.

 

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines,

Ami, entends-tu les cris sourds d’un pays qu’on enchaîne

Mon Enfant De Berlin
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