26.
Où l'on voit resurgir,
après le choc du 11 septembre,
l'obsession de Chirac :
le dialogue des cultures
La boîte à outils de Jacques Chirac, résultat d'une culture atypique, renferme une clé à usages multiples : le « dialogue des cultures », parfaitement adaptée à ce début du xxi e siècle qu'on s'attendait à être celui de la paix mondiale et qui est, pour l'heure, celui des dégâts collatéraux de la mondialisation, de la montée des frustrations provoquées par l'arrogance de l'hyperpuissance américaine, du développement de tous les intégrismes et donc de toutes les terreurs… Toute son action axée sur l'extérieur est cohérente avec le « Chirac intime ».
Dans les minutes qui ont suivi la première attaque terroriste contre une tour du World Trade Center, le 11 septembre 2001, Jacques Chirac a manifesté sa solidarité et celle de la France avec les États-Unis. Il était à Rennes et devait prononcer un important discours à la tribune de la Faculté des métiers, Ker Lann, discours qu'il a remplacé au pied levé par quelques mots pour s'excuser de devoir rejoindre immédiatement son bureau de l'Élysée : « C'est en effet avec une immense émotion que la France vient d'apprendre ces attentats monstrueux – il n'y a pas d'autre mot – qui viennent de frapper les États-Unis d'Amérique. Dans ces circonstances effroyables, le peuple français – je tiens à le dire ici – tout entier est aux côtés du peuple américain. Il lui exprime son amitié et sa solidarité dans cette tragédie. J'assure naturellement le président George W. Bush de mon soutien total. La France a, vous le savez, toujours condamné et condamne sans réserve le terrorisme, et considère qu'il faut lutter contre le terrorisme par tous les moyens. »
Jacques Chirac a sauté ensuite dans son avion et, dès son arrivée à l'Élysée, a convoqué un Conseil interministériel sur la sécurité, avec notamment Lionel Jospin, Hubert Védrine et Alain Richard. Il a pris aussitôt contact avec des proches de George W. Bush, puis avec Tony Blair et Gerhard Schröder. Il a également appelé Jean-Daniel Levitte, l'ambassadeur de France auprès des Nations unies, pour lui demander d'élaborer avec les Américains et les autres alliés une résolution à soumettre au Conseil de sécurité. Dès le lendemain, la résolution 1368 assimilait un acte de terrorisme à un acte de guerre, et reconnaissait ainsi que les États-Unis étaient en situation de légitime défense. Jacques Chirac a été le premier chef d'État à réagir de cette manière. Dans la foulée, il a encouragé la création d'une très large coalition contre le terrorisme, avec presque tous les pays du monde, notamment la plupart des pays arabes et musulmans. Une semaine après l'attentat, il a été le premier chef d'État étranger à rencontrer le président Bush. Dans le courant d'octobre, il rompait avec la tradition gaulliste et engageait les troupes françaises en Afghanistan, dans le cadre de l'OTAN, pour concrétiser sa solidarité avec Washington dans sa lutte contre le terrorisme. Mais le « Nous sommes tous américains » n'effaça pas pour autant les dossiers conflictuels qui s'étaient accumulés depuis l'arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche. Un Bush qui avait procédé à un changement radical de la politique étrangère de Washington en refusant de ratifier le protocole de Kyoto, en voulant se doter d'un bouclier anti-missiles, en refusant de participer à la Cour pénale internationale. Un changement qui portait la marque de ces « durs » qu'on appelle les « néocons », à savoir les Dick Cheney (vice-président), Donald Rumsfeld (secrétaire d'État à la Défense), Paul Wolfowitz (secrétaire d'État adjoint à la Défense), etc., qui profitèrent de l'agression du 11 septembre pour imposer leur propre idéologie à Bush.
À peine plus d'un mois après le choc du 11 septembre, le président de la République, tout en ayant ainsi donné des signes forts de solidarité avec les États-Unis, a commencé à conceptualiser sa différence d'avec la politique de l'administration Bush. Dans un discours prononcé à l'occasion de la 31e Conférence générale de l'Unesco 1 , il questionnait le monde entier sur les causes de cette déflagration et proposait une vision du monde totalement différente de celle que les néocons étaient en train de définir aux États-Unis. Au « choc des civilisations » popularisé par Samuel Huntington, il opposait son « dialogue des cultures », déjà familier au lecteur 2 , qu'il avait évoqué à de nombreuses occasions dans le domaine muséal, en refusant notamment de célébrer avec l'Occident le cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, en poussant à la création du Pavillon des Sessions et du musée Branly, en imposant une nouvelle lecture de l'histoire de France, en luttant contre ceux qui excluent et qui divisent… Il s'installait ainsi dans une posture diamétralement opposée à celle de Bush. Jacques Chirac, président d'une (encore) grande puissance, n'hésitait pas à exposer en ces termes ses propres interrogations sur l'Occident et ses responsabilités historiques.
« Sans céder à la tentation d'un quelconque vertige, nous devons nous interroger, chacun pour sa part. Et, aussitôt, lorsque l'on s'interroge, les questions fusent. Sommes-nous restés fidèles à nos propres cultures et aux valeurs qui les sous-tendent ? L'Occident a-t-il donné le sentiment d'imposer une culture dominante, essentiellement matérialiste, vécue comme agressive, puisque la plus grande partie de l'humanité l'observe, la côtoie sans y avoir accès ? Est-ce que certains de nos grands débats culturels ne sont pas parfois apparus comme des débats de nantis, ethnocentrés, qui laissaient de côté les réalités sociales et spirituelles de ce qui n'était pas l'Occident ? Jusqu'où une civilisation peut-elle vouloir exporter ses valeurs ? »
En réponse à toutes ces questions, il proposait le choix du « dialogue des cultures ».
« La réponse à cela, nous la vivons dans nos traditions, nous la sentons dans nos cœurs et dans notre raison, c'est le dialogue des cultures, gage de paix alors que le destin des peuples se mêle comme jamais. Un dialogue revivifié, renouvelé, réinventé, en prise sur le monde tel qu'il est. Sur quels principes se fondera ce dialogue ? Le premier, qui pourrait être inscrit au frontispice de l'Unesco, c'est l'égale dignité de toutes les cultures et leur vocation à s'interpénétrer et à s'enrichir les unes les autres. C'est tout à la fois une évidence, portée par toute l'histoire de l'humanité, son histoire littéraire, artistique, architecturale… C'est aussi et surtout une grille de lecture du monde. »
Jacques Chirac livrait là ses convictions intimes, forgées au fil du temps, depuis sa première visite au musée Guimet et sa rencontre avec Vladimir Belanovitch, son professeur de sanscrit, puis de russe.
« Que seraient l'architecture, la poésie ou les mathématiques sans la culture arabe qui recueillit aussi les savoirs antiques, qui s'aventura bien loin de ses frontières quand l'Europe s'enfermait sur elle-même ?
« Que serait la philosophie sans l'obsession hindoue de la nature de l'être, sans son sens du rythme et des respirations ? Que serait l'art du xx e siècle s'il n'avait été fécondé par l'Afrique et les peuples premiers ?
« Que dire de l'Extrême-Orient, de sa recherche passionnée de l'harmonie, du geste juste, de son intuition de la tension des contraires comme source de l'élan vital ?
« Que seraient le rêve de liberté et le respect dû à chaque homme sans la philosophie des Lumières qui essaima de France au xviii e siècle à travers toute l'Europe, pour finalement traverser les océans ?
« Que dire de l'apport essentiel des religions à la vie des hommes, lorsqu'elles les élèvent au-dessus de leur simple condition pour accéder à l'absolu ? Lorsqu'elles les éloignent de la haine et des égoïsmes, les rassemblent dans une communauté ouverte et généreuse ?
« Certes, toutes les cultures ne se développent pas au même rythme. Elles connaissent des apogées et des déclins, des périodes de rayonnement et d'expansion, comme des temps de silence et de repli. Pour autant, toutes continuent à vivre au présent dans notre mémoire collective. Elles construisent nos identités, nos raisons d'être. Elles apportent à nos vies la lumière et le plaisir, le chatoiement de la poésie et des beaux-arts, l'accès à la connaissance et à la transcendance. Elles s'attellent aussi à l'obscur, questionnent le mystère et l'énigme. Elles constituent ensemble, à égalité, la part de lumière et de progrès, d'exigence éthique de l'humanité.
« Le deuxième de ces principes, inséparable de l'égale dignité des cultures, c'est la nécessité de la diversité culturelle. Il ne peut y avoir de dialogue entre l'un et son double au mépris de l'autre.
« Cette diversité est menacée. Je pense aux différentes langues du monde qui sont aujourd'hui près de cinq mille. Nous savons qu'il en disparaîtra la moitié au cours de ce siècle, si rien n'est fait pour les sauvegarder. Je pense aux peuples premiers, ces minorités isolées aux cultures fragiles, souvent anéanties par le contact de nos civilisations modernes. Je pense bien sûr à l'habitat, aux modes de vie, aux coutumes, aux productions artisanales, culturelles, exposés à la standardisation qui est l'un des avatars de la mondialisation.
« Qu'on ne s'y trompe pas. Je ne suis pas de ceux qui magnifient le passé et qui voient dans la mondialisation la source de tous nos maux. Il n'y avait pas, hier, un admirable respect des cultures, et il n'y a pas, de nos jours, une affreuse volonté d'hégémonisme. Qu'on se souvienne seulement des conquêtes et des colonisations qui, trop souvent, cherchaient à imposer par la force – force des armes ou pressions de toutes natures, et d'ailleurs en parfaite bonne conscience – des croyances et des systèmes de pensée étrangers aux peuples colonisés. »
Et, pensant aux masses arabes et musulmanes, africaines et sud-américaines qui contestent de plus en plus l'Occident, Chirac assenait : « Aujourd'hui, la mondialisation est souvent présentée comme une nouvelle forme de colonisation visant à installer partout le même rapport – ou la même absence de rapport – à l'Histoire, aux hommes et aux Dieux. »

À la même époque, les néocons américains étaient en train de mettre au point une nouvelle doctrine de prévention visant à faire la « guerre contre le terrorisme » ; ils avaient déjà la conviction que l'Irak était le nœud gordien qu'il fallait faire sauter, et demandaient au Pentagone de mettre au point des plans d'invasion de ce pays pour le cas où… Le 29 janvier 2002, dans un discours devant le Congrès, le président américain révélait le cadre de sa nouvelle politique : la lutte contre l'« Axe du mal », dénoncé à travers trois de ses foyers – la Corée du Nord, l'Iran, l'Irak –, et la traque des armes de destruction massive (ADM). Dans les semaines qui suivirent, les télégrammes diplomatiques en provenance de Washington montraient nettement que les États-Unis se préparaient à déclencher une guerre contre l'Irak.
Jacques Chirac considéra d'emblée cette doctrine comme « extraordinairement dangereuse », pouvant avoir des « conséquences dramatiques » : « Une action préventive peut être engagée si elle apparaît nécessaire, mais elle doit l'être par la communauté internationale qui, aujourd'hui, est représentée par le Conseil de sécurité des Nations unies 3 . » Durant l'été 2002, les renseignements parvenant à Paris suggéraient que Bush ne se contenterait pas d'une résolution du Conseil de sécurité refusant à l'Irak la détention d'armes de destruction massive, mais voudrait très probablement renverser Saddam Hussein.
Pendant neuf mois, jusqu'au début de l'intervention des GI's en Irak soutenue par Blair, Berlusconi, Aznar et quelques leaders en mal de reconnaissance américaine, Jacques Chirac va tout faire pour essayer d'empêcher une nouvelle guerre. Il reste en liaison permanente avec les responsables de la plupart des pays concernés, tout particulièrement avec Kofi Annan, Gerhard Schröder, Vladimir Poutine, Tony Blair et bien sûr avec George Bush. Plus de la moitié de son temps est consacrée à cette cause de la non-intervention en Irak qu'il va s'attacher à défendre au nom des peuples de la planète entière.
J'avais à cœur de parler avec le chef de l'État de ces mois décisifs puisque, sans la reconnaissance que j'éprouve à son endroit pour cette action-là, je n'aurais probablement jamais eu envie de le rencontrer ni d'écrire ce livre.
Le sujet l'inspire, même s'il éprouve, là comme ailleurs, la même difficulté à se « lâcher » complètement. Il rappelle que s'il a connu Saddam Hussein dans les années 70, l'homme, d'après lui, avait beaucoup changé depuis. Bien avant la crise, il pensait que son régime était condamné et s'effondrerait de lui-même « si on conduisait les choses avec habileté ». Il estimait que l'Irak était un pays complexe, extrêmement divisé pour des raisons ethniques et religieuses, mais dont l'unité était essentielle à l'équilibre du Moyen-Orient : « Il fallait donc s'en préoccuper mais avec précaution, un peu comme on manie un vase de Murano. Mais les Américains ont imaginé de faire tomber Saddam Hussein. J'ai toujours pensé qu'il n'appartenait pas à un pays, quel qu'il soit, de prendre des décisions ayant de telles répercussions internationales, mais que seule l'ONU pouvait le faire. À partir de cette analyse et de ce principe, j'ai dit à Bush de la façon la plus claire qu'il commettait une erreur et que je ne croyais pas du tout à son histoire d'armes de destruction massive disséminées dans le pays. Il y avait certes des armes en Irak, mais assurément pas d'armes nucléaires. »
Le 2 septembre 2002, à Johannesburg, à l'occasion du Sommet mondial sur le développement durable, une rencontre a probablement renforcé la détermination du président français de tout faire pour éviter la guerre. Nicolas Hulot a été le seul témoin de ce tête-à-tête entre Nelson Mandela et Jacques Chirac. À un moment donné, le vieux combattant africain a saisi les poignets du président français, l'a regardé droit dans les yeux et lui a dit : « Vous devez tout faire pour que Bush n'aille pas en Irak ! » « Jacques Chirac était très ému, il était touché au cœur et a pris l'engagement solennel de tout faire pour éviter la guerre », se souvient Nicolas Hulot.

Le 6 septembre à 12 heures 15, Tony Blair appelle Jacques Chirac. Avant de rendre visite à Bush, le Britannique voudrait savoir ce que le Français a dans la tête et s'il serait possible d'envisager d'élaborer une résolution commune à faire adopter par le Conseil de sécurité. Jacques Chirac lui dit être très inquiet de la montée des sentiments anti-américains qui conduisent à une progression parallèle des sentiments anti-occidentaux. S'il partage ses sentiments pour Saddam Hussein, il est convaincu qu'« un acte de guerre serait irresponsable et dangereux sur les plans militaire et international ». Il confie à son collègue que, sur le plan nucléaire, il ne croit pas qu'il y ait le moindre danger immédiat, et parle d'une menace résiduelle à propos des risques inhérents aux armes bactériologiques et chimiques. À cet égard, Jacques Chirac souhaite le renvoi d'inspecteurs en Irak. Il prévient Tony Blair qu'il ne s'associera pas à une attaque unilatérale qui risquerait de faire éclater l'Irak, de soulever partout la rue arabe, et parce qu'il n'y a pas sur place d'opposition sérieuse capable de prendre la relève. Si le Conseil de sécurité est saisi, « là, nous verrons ».
« Ta présentation est claire, comme toujours, répond Blair. Mais si Saddam Hussein ne croit pas que quelque chose de grave va lui arriver, il ne fera rien.
– Saddam Hussein a compris. Le pire, ce sont les propos irresponsables de Dick Cheney 4 . »
Puis Jacques Chirac demande à parler amicalement à Leo, le fils de Tony Blair.
Moins d'une heure après qu'il a raccroché, l'Élysée reçoit un appel de Bush demandant que Chirac veuille bien le rappeler. Le président américain est en train de préparer le discours qu'il doit prononcer, le 12 septembre, devant l'ONU. Il se montre très courtois, appelle son homologue français « mon ami », lui dit vouloir entamer avec lui des entretiens sur les questions de sécurité. Il ajoute que Saddam Hussein constitue une menace et qu'il a toujours ignoré les décisions de la Communauté internationale. « Contrairement à ce que spéculent les journalistes, nous n'avons encore pris aucune décision. » Jacques Chirac se dit ouvert à la discussion, précise qu'il vient de s'entretenir longuement avec Tony Blair, mais souligne qu'« une opération militaire serait difficile et constituerait une dangereuse aventure ».

Pour que les responsables du monde entier sachent la position de la France avant le discours prononcé par George W. Bush à New York, Jacques Chirac décide de répondre à une interview du New York Times, le 8 septembre 2002. À une question posée sur l'existence en Irak d'armes de destruction massive, il affirme : « On parle toujours de preuves, mais moi, ces preuves, je ne les ai pas encore vues ! » Sur le lien supposé entre l'Irak et Al-Qaida, il fait une réponse similaire : « Aujourd'hui, aucune preuve n'a été trouvée, ou, en tout cas, n'a été rendue officielle, d'un lien entre l'Irak et le terrorisme international, en particulier Al-Qaida. » Il se déclare « contre l'unilatéralisme dans le monde moderne. Je considère que le monde moderne doit être cohérent et, par conséquent, j'estime que si une action militaire doit être engagée, elle doit l'être sous la responsabilité de la communauté internationale, c'est-à-dire par une décision du Conseil de sécurité. Or si le Conseil de sécurité a décidé qu'il ne fallait pas que l'Irak détienne d'armes de destruction massive, il n'a pas dit qu'il fallait changer de régime à Bagdad. Donc si l'objectif est d'empêcher l'Irak de posséder des armes de destruction massive, alors il faut suivre ce qui a été défini par les Nations unies, c'est-à-dire imposer le retour des inspecteurs en Irak sans aucune restriction ni aucune condition, et ce, sous la responsabilité du Secrétaire général de l'ONU. Si l'Irak accepte, c'est très bien. Si l'Irak refuse – et, disons les choses comme elles sont, on n'a pas fait beaucoup pour qu'il accepte –, à ce moment-là, il appartient donc au Conseil de sécurité de délibérer et de dire ce qu'il convient de faire, notamment s'il faut ou non engager une action militaire. »
Comme il l'avait dit deux jours plus tôt à Tony Blair, Jacques Chirac manifeste la plus vive inquiétude devant la montée de l'anti-occidentalisme à travers le monde, dans les pays pauvres et les pays émergents, et souligne le risque de faire exploser la coalition antiterroriste si une action contre l'Irak vient à être déclenchée unilatéralement. Reprenant des thèmes qui lui sont chers, il propose la formation d'une deuxième coalition : « Puisqu'on est tous tellement énergiques pour faire la leçon au monde entier, eh bien, je crois qu'il faudrait créer une seconde coalition, une coalition contre la pauvreté, une coalition pour défendre l'environnement – car l'écologie est dramatiquement mal partie –, une coalition pour régler des problèmes, des conflits, des crises qui sévissent un peu partout dans le monde mais que l'on pourrait aussi régler en se montrant plus généreux, plus engagés. Ce serait d'ailleurs une façon très efficace de lutter contre le terrorisme, et aussi de nous montrer dignes de notre vocation d'hommes. »
Le journaliste demande alors au président Chirac de réagir à une idée qui fait son chemin à Washington, selon laquelle il faudrait remodeler le Moyen-Orient, du fait qu'on ne peut plus accepter que, dans cette partie du monde, il n'y ait que des régimes autocratiques, alors que l'Irak, si on y instaurait un régime fédéral et démocratique, pourrait servir de catalyseur à toute une série de changements qui « ouvriraient » cette partie du monde.
« Si nous voulons intervenir pour changer les régimes politiques des pays, nous sommes alors dans une autre civilisation, répond Jacques Chirac. En tout cas, nous ne sommes plus dans une civilisation organisée comme celle d'aujourd'hui. Je crois donc que ce sont là des spéculations dangereuses, très dangereuses. On commence et on ne sait plus où on va s'arrêter. Pensons un peu aux réactions des masses, à celles des peuples. Si, par exemple, vous voulez renverser la monarchie au Maroc ou en Jordanie, vous rencontrerez énormément de difficultés avec les populations… »
Heureuse surprise : malgré l'influence de Cheney et de Rumsfeld, Colin Powell est parvenu à convaincre le président Bush d'accepter la voie onusienne et de contribuer à l'élaboration d'une résolution visant à faire revenir les inspecteurs en Irak ; mais il prévient que, faute d'une acceptation sans réserve de Saddam Hussein, « l'action sera inévitable ».
Jacques Chirac va développer les mêmes arguments auprès de tous les acteurs, jusqu'à l'adoption de la résolution 1441, le 8 novembre 2002. Le chef de l'État est entouré d'une équipe restreinte et soudée qui a été constituée après sa réélection en mai. Dominique de Villepin a remplacé Hubert Védrine au Quai d'Orsay. Inutile de faire le portrait du poète-hussard des Cent Jours, tant ce portrait est devenu familier des Français, souvent pour le faire détester ou moquer, parfois aussi pour lui reconnaître un certain panache. Aux côtés de Jacques Chirac, le « sherpa » Maurice Gourdault-Montagne, ami de Villepin, qui parle une dizaine de langues, dont l'hindi et l'ourdou. Jean-Daniel Levitte, fasciné lui aussi, comme le président, par le monde asiatique, qui parle le chinois et l'indonésien, représentant de la France à l'ONU jusqu'en décembre 2002, date à laquelle il remplacera à Washington François Bujon de L'Estang, autre proche de Jacques Chirac. Jean-Marc de La Sablière, fin connaisseur de l'ONU, quittera alors son poste de conseiller diplomatique du chef de l'État pour remplacer Jean-Daniel Levitte à New York. À ces cinq personnes qui restent en liaison téléphonique permanente, il faut ajouter Catherine Colonna, porte-parole du président, qui assiste à toutes les réunions importantes, et Claude Chirac qui veille à la communication de son père dans un domaine aussi ultrasensible.
En étroite concertation avec Kofi Annan, les Français acheminent un message à Saddam Hussein pour lui conseiller de coopérer, faute de quoi les Américains attaqueront son pays. Le gouvernement irakien répond le 16 septembre 2002 qu'il autorise « sans conditions » le retour des inspecteurs. Washington voit là un piège et propose un premier projet de résolution totalement inacceptable pour les Français, stipulant notamment que des militaires américains escorteraient les inspecteurs. Le 27 septembre, depuis son ranch texan, Bush appelle Chirac. Il le fait pour deux raisons, dit-il : « entendre votre voix ; vous remercier d'avoir fait évacuer les étudiants américains de Bouaké 5 , et parler de l'Irak ». Le président américain propose au Français de travailler de concert : « Je veux que cette résolution soit très forte et inclue une menace de recours à la force. We have to be strong. Je veux bien travailler avec l'ONU, mais je veux que Saddam Hussein rende des comptes. » Jacques Chirac se dit convaincu que ces objectifs seront atteints, mais émet deux remarques. Sur le régime des inspecteurs : il veut entendre Hans Blix 6 , patron des inspecteurs des Nations unies, pour être sûr qu'il ne soit pas donné de bons prétextes à Saddam Hussein de refuser les inspections. Sur le recours à la force : il a une approche différente et propose une démarche en deux temps, « car c'est une affaire grave, il s'agit de la guerre dans une région déjà traumatisée ». Il souhaite donc une seconde résolution pour autoriser le recours à la force au cas où Saddam Hussein ne coopérerait pas avec les inspecteurs. « L'efficacité commande l'unité du Conseil de sécurité. » Il revient sur les risques qu'il y aurait à renverser Saddam Hussein : « Est-ce que vous pouvez me dire ce qu'on va mettre à la place ? » Il insiste sur le danger d'éclatement de l'Irak, d'une « perturbation dans la région, avec les chiites majoritaires à Bagdad et à Téhéran, d'autant qu'il y a les Alaouites à Damas. Il faut imposer à Saddam Hussein toutes les exigences du Conseil de sécurité, mais éviter de jouer avec le feu… » C'est pour cela, au nom de la sagesse, que j'émets les plus extrêmes réserves sur l'automaticité du recours à la force.
« I appreciate your remarks », commente George W. Bush.
Bush réaffirme ensuite que son option à lui est le départ de Saddam Hussein : « Comment le convaincre ? J'ai le même souci que vous sur l'après-Saddam, mais personne ne peut être pire. On tient à travailler avec vous pour être sûr que l'Irak n'éclatera pas après Saddam Hussein. » Et le président américain de tenir des propos… désarmants sur le processus en deux temps proposé par Jacques Chirac : « Finalement, je crois que les deux temps sont : un, il désarme ; deux, on le désarme… Saddam Hussein s'est moqué de tout le monde. »
Le président français reprend patiemment.
« On est en train de jouer avec le feu dans cette région, une région où on a été incapable de ramener la paix et où le sentiment anti-occidental est très fort. Nous paierons cela très cher. Nous devons désarmer l'Irak, poser des conditions draconiennes, mais si nous disons dès maintenant qu'on l'attaquera, on le renforcera dans sa tentation de résister au monde entier… »
Il explique une nouvelle fois les conséquences d'une attaque dirigée contre l'Irak : l'éclatement du pays et la constitution d'un axe Bagdad-Téhéran-Damas. « Bien sûr, nous gagnerions la guerre, mais les conséquences seraient encore plus graves que la situation d'aujourd'hui. »
Nouveau coup de fil entre Bush et Chirac, le 8 octobre. Chacun répète les mêmes arguments. Le président français déclare être ouvert à la discussion, mais ne veut pas entendre parler d'automaticité du recours à la force.
Jusqu'au dernier moment, d'intenses tractations ont ainsi lieu entre Washington et Paris. La position française agace. Les signes de cet agacement sont perceptibles dans la presse américaine qui n'hésite pas à relayer de fausses informations provenant de la CIA, selon lesquelles la France aurait fourni à l'Irak, en 1998, des détonateurs destinés à équiper des armes nucléaires 7 , et posséderait des souches (interdites) de la petite vérole, tout comme la Russie, l'Irak et la Corée du Nord 8 .
Le 7 novembre, à la veille du vote du Conseil de sécurité, après des contacts tous azimuts entre tous les protagonistes, et après que Dominique de Villepin et Colin Powell se sont mis d'accord sur le texte de la résolution à adopter – celle-ci ne prévoit pas de recours automatique à la force –, George W. Bush rappelle Jacques Chirac, lequel, de retour d'un sommet franco-italien, vient d'atterrir à Orly et se trouve encore dans son avion. Les deux hommes sont d'accord pour essayer d'obtenir l'unanimité au Conseil de sécurité pour le vote du lendemain.
La résolution 1441 est en effet adoptée à l'unanimité. Jacques Chirac a réussi à convaincre Bachar al Assad, le président syrien, de la voter, ce à quoi n'étaient pas parvenus les Américains. Les inspecteurs du désarmement, partis en 1998, nantis cette fois d'une mission et de pouvoirs étendus, vont donc pouvoir revenir en Irak. Rappelons que de 1991 à 1998, lesdits inspecteurs avaient neutralisé plus d'armes que la guerre n'en avait détruit. Hans Blix et Mohamed El Baradei, patron de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), se mettent immédiatement au travail et ne rencontrent pas d'obstacles, les autorités irakiennes ne faisant certes pas de zèle, mais obtempérant aux demandes des inspecteurs de l'ONU.
Le 21 novembre 2002, Bush et Chirac se rencontrent à un sommet exceptionnel de l'OTAN réuni à Prague. Une nouvelle fois, le président français, qui sait parfaitement que les États-Unis continuent leurs préparatifs belliqueux, met le président américain en garde contre les conséquences d'une guerre aussi bien pour l'Irak que pour le devenir de la région. Provoquant, il lui lance : « Vous allez créer des bataillons de petits Ben Laden ! »
Des missiles sont trouvés en Irak et démantelés par les inspecteurs. « On était dans un processus par lequel le système en place à Bagdad se fissurait ; Saddam Hussein était déjà à genoux et allait tomber tout seul », estime encore aujourd'hui Jacques Chirac.
À la fin de l'année 2002, l'Élysée est-il épaulé à cent pour cent par les deux administrations les plus concernées, le Quai d'Orsay et la Défense ? Certains, au Quai d'Orsay, sont convaincus qu'un clash avec l'Irak est inévitable et que les troupes françaises se joindront in fine aux GI's pour envahir ce pays. Dans un article de Foreign Affairs, James Rubin raconte que Villepin assure en privé que la France rejoindra la coalition militaire en cas de provocation du gouvernement irakien, même si une seconde résolution est bloquée par la Russie et/ ou la Chine. Quant à l'état-major, il se prépare pour le cas où, malgré tout, la France se joindrait à la coalition. Le général Jean-Patrick Gaviard se rend secrètement à Washington, le 16 décembre, pour préparer avec le Pentagone une éventuelle participation militaire de la France à une intervention en Irak 9 . Au début de l'hiver, les Américains ont déjà déployé 100 000 hommes dans le Golfe, une forte armada composée de deux porte-avions, 51 bâtiments, 600 avions de combat, une centaine d'hélicoptères et 700 chars. Le 24 décembre, un ordre de mobilisation est envoyé à des dizaines de milliers de soldats et de réservistes.

« En décembre 2002, raconte aujourd'hui le chef de l'État, le déploiement des forces américaines à proximité de l'Irak indiquait bien que les États-Unis étaient en train de préparer la guerre. J'ai envoyé le 13 janvier Maurice Gourdault-Montagne à Washington pour y rencontrer Condoleezza Rice, qui était alors conseillère du président Bush. Elle a déclaré à Gourdault-Montagne que “seul le départ de Saddam Hussein arrangerait les choses, sinon on le ficherait dehors” !
– Tout était donc plié, à cette époque ?
– Tout était plié… On a alors tout fait pour expliquer aux Américains que c'était une erreur de se lancer dans cette guerre qui allait provoquer l'éclatement de l'Irak et avoir des conséquences dramatiques pour l'ensemble du Moyen-Orient : “Vous dites que vous voulez la démocratie ? Très bien. La démocratie, c'est les élections. Si vous voulez la démocratie, il faut procéder à des élections, et s'il y a des élections, ce sont les Chiites qui vont gagner, parce qu'ils sont les plus nombreux. Et les Chiites au pouvoir en Irak, ça n'est pas la démocratie : donc votre raisonnement ne tient pas !…” J'ai répété trente-six fois à Bush qu'il commettait une erreur monumentale et qu'il fallait laisser travailler les inspecteurs. Leur travail allait miner le pouvoir de Saddam qui allait finir par se désagréger d'une façon ou d'une autre. Les Américains n'ont pas voulu me croire. Ils n'ont pas résisté à la tentation de dissoudre l'armée régulière irakienne à propos de laquelle j'ai protesté : sur quoi le gouvernement de ce pays allait-il s'appuyer ? L'armée aurait été tout à fait d'accord, elle se serait alignée sur qui on voulait… On a eu de fortes divergences de vues à propos de l'application de la résolution 1441 ! »
Le président oublie de mentionner que le 7 janvier 2003, en opposant une réponse négative à une requête de l'état-major relative à certains préparatifs visibles, comme des demandes de visas et des autorisations de passage de navires de guerre par le canal de Suez, il rendait impossible un engagement militaire français aux côtés des GI's.
Le 17 janvier, alors que les responsables américains s'énervent de plus en plus contre Paris, que Donald Rumsfeld, qui a toujours été opposé au retour des inspecteurs en Irak, montre du doigt la « vieille Europe », par opposition aux pays de l'Est européen qui soutiennent les États-Unis, les deux responsables des inspections, Blix et El Baradei, rendent visite à Jacques Chirac et, lors de la conférence de presse qui suit leur rencontre, remercient le président français : « Je crois que le rôle de la France a été essentiel. La France a été au cœur du processus pour s'assurer du désarmement de l'Irak par le passé, et continuera de l'être dans les semaines et les mois qui viennent », explique El Baradei. De quoi exaspérer un peu plus les néocons de Washington qu'agace de surcroît le rapprochement entre Gerhard Schröder et Jacques Chirac. Durant l'été 2002, l'Allemand a en effet bâti une partie de sa campagne électorale sur son opposition à la guerre en tenant un discours très anti-américain. Une fois réélu, lui qui depuis 1998 battait froid Chirac, à la fois à cause de la Politique agricole commune et du poids, jugé par lui insuffisant, de l'Allemagne au sein des instances européennes, s'est rapproché du président français. Ce rapprochement a été remarqué par tous, le 22 janvier, au château de Versailles, lors des festivités célébrant le quarantième anniversaire du traité de l'Élysée et réunissant un millier d'élus français et allemands. Les deux dirigeants montrèrent, par leurs effusions, que le couple franco-allemand avait trouvé un nouveau souffle. Le Conseil des ministres tenu en commun constitua un symbole fort de ces nouveaux rapports. L'affaire irakienne offrait le premier terrain d'application à cette amitié retrouvée, ainsi que le souligna Jacques Chirac : « Le monde est confronté à des situations de crise, hélas, sur l'ensemble des continents. Je pense bien sûr à l'Irak. C'est là un défi majeur. La guerre n'est pas inévitable. Le seul cadre d'une solution légitime est celui des Nations unies. La France et l'Allemagne, en présidence successive au Conseil de sécurité, mènent une concertation étroite et exemplaire pour donner toutes ses chances à la paix. »
Dans ses Mémoires 10 , Gerhard Schröder raconte le changement que la crise irakienne a opéré dans leurs relations : « La complicité grandissante qui s'était établie avec le président de la République française Jacques Chirac a été cruciale ; elle m'a donné le courage de résister au feu roulant auquel j'étais exposé à l'intérieur comme à l'étranger. Jacques Chirac a adopté une attitude quasi stoïque, même au plus fort de la tempête qui soufflait sur l'Atlantique. […] Cette période avant et après la guerre en Irak ainsi que les semaines terrifiantes de l'invasion américaine ont profondément modifié mes relations personnelles avec Jacques Chirac et Vladimir Poutine. Nous nous étions beaucoup rapprochés ; nous avions appris à avoir confiance les uns dans les autres. Au début de mon mandat, notamment lors du sommet de l'Union européenne sous ma présidence à Berlin en 1999, mes relations avec le président français étaient empreintes de distance, voire d'une certaine froideur. Mais, par ailleurs, Jacques Chirac est quelqu'un dont on doit d'abord s'approcher, lorsqu'il le permet, pour découvrir qui se cache derrière les grands gestes de ce Français aux convictions inébranlables.
Bernadette Chirac facilite cette ouverture. Et puis il y a aussi ma famille, mon épouse et mes enfants, par l'intermédiaire desquels des liens affectifs se sont noués. Il éprouve notamment une grande tendresse pour Viktoria, notre fille adoptive russe. Ils continuent de se téléphoner de temps en temps. Comme il n'y a pas d'interprète, ils peuvent s'entendre, mais non se comprendre, et pourtant leur relation n'en pâtit pas. »

Si l'affaire irakienne a contribué au rapprochement franco-allemand, elle a en revanche provoqué une grave crise en Europe. Une lettre et une déclaration vont la révéler. Le Wall Street Journal publie le 30 janvier une lettre cosignée par Tony Blair, José Maria Aznar, Silvio Berlusconi ainsi que par les présidents ou premiers Ministres du Portugal, du Danemark, de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne, affirmant que le « lien transatlantique est la garantie de notre liberté ». Ni les instances européennes, ni la France ni l'Allemagne n'ont été prévenues de ce qui est ressenti, à Bruxelles, Paris et Berlin, comme un coup très violent assené à l'édifice européen. Libération prête alors à Chirac ce propos : « C'est marrant, je viens d'avoir Blair au téléphone, et il ne m'en a pas soufflé mot ! » Quelques jours plus tard, cinq pays candidats (les trois Pays baltes, la Slovénie et la Slovaquie) à entrer dans l'Union européenne, deux pays candidats dont la candidature a été reportée (Roumanie et Bulgarie), et trois pays qui n'ont pas encore le statut de candidats (Croatie, Macédoine et Albanie), cosignent une déclaration de la même encre, dite « déclaration de Vilnius ». « Crise » n'est plus un mot trop fort. Bush et Blair ont réussi à enfoncer un coin dans l'Europe, séparant les partisans d'une Union pro-américaine et ceux qui prônent une Europe indépendante des États-Unis.
La mécanique américaine s'emballe. Le 5 février 2003, au siège de l'ONU, Colin Powell déploie force diapositives, photos, comptes rendus d'écoutes téléphoniques, censés montrer que l'Irak dissimule des drones susceptibles d'asperger « ses voisins et même d'autres pays, dont les États-Unis », de germes bactériologiques, et révèlent des mouvements suspects de camions… Bref, selon lui, l'Irak roule les inspecteurs dans la farine. Les services de renseignement français mettent en doute les « preuves » apportées par Colin Powell. La DGSE, qui a procédé rapidement à l'analyse de la prestation du responsable du Département d'État, estime qu'il n'y a là rien de nouveau, aucune preuve objective. Le plus inédit serait, si elles venaient à être confirmées, les manœuvres de dissimulation dénoncées à partir de photos-satellites. « Toutefois, ça ne suffit pas », stipule la note. À propos des liens de l'Irak avec Al-Qaida, via Zarkaoui, Powell s'appuie sur des confidences de détenus. La DGSE connaît ces confidences, mais n'en tire pas les mêmes conclusions. Sur la volonté irakienne de se doter de l'arme nucléaire, les services français partagent en partie l'analyse américaine, mais soulignent là encore l'absence de preuves. Les services français ne sont absolument pas certains que les tubes d'aluminium achetés par l'Irak soient destinés à son industrie nucléaire.
Le 6 février, le président américain, dans le droit fil de la démonstration de Colin Powell, qui a fait grosse impression, s'adresse à Saddam Hussein pour lui faire savoir que « the game is over ».
Le 7 février à 17 heures, Jacques Chirac appelle Bush. Une fois de plus, il lui remontre que la guerre est encore évitable, que les inspections donnent de bons résultats et qu'il faut les poursuivre.
« Merci, Jack, vous êtes un homme cohérent, j'apprécie cela. Moi non plus je n'aime pas la guerre, mais il est très important que vous sachiez que Saddam Hussein constitue une menace directe pour le peuple américain. »
Après cette phrase massue, Chirac sait qu'il n'arrivera pas à convaincre l'Américain, et pense déjà à l'après-guerre :
« Il faudra que l'on se retrouve, lâche-t-il.
– Merci. Nos analyses sont différentes.
– Je persiste dans la mienne… »
Chirac recommence malgré tout à exposer tous les arguments pour ne pas faire la guerre. Puis il termine à son tour par : « Bref, nous avons deux approches différentes. Respectons-nous. »
Pendant neuf semaines, jusqu'au 15 avril 2003, les deux hommes ne se téléphoneront plus, mais l'Administration américaine recourra néanmoins à tous les moyens pour contraindre le président français à changer d'avis, notamment la propagation de rumeurs : « La CIA a même essayé d'expliquer, dit-il, que j'avais probablement été acheté par Saddam. Je n'ai pas bougé d'un iota. J'ai répété qu'ils s'engageaient dans une opération qui allait inéluctablement se traduire par l'explosion de l'Irak, préjudiciable à tout le monde, et que la guerre civile n'est jamais une solution pour personne. C'est exactement ce qui est en train de se passer. »
Isolé en Europe, le couple franco-allemand reçoit un renfort important, en l'occurrence celui de Vladimir Poutine. Le lundi 10 février, Jacques Chirac reçoit le président russe après que celui-ci eut rendu visite à Gerhard Schröder en Allemagne. Malgré les énormes pressions des Américains et de leurs alliés européens, les trois dirigeants n'en démordent pas : s'appuyant sur Kofi Annan, ils entendent rester dans le cadre de la résolution 1441 pour désarmer l'Irak. « Les inspections menées par l'ONU et par l'AIEA ont déjà produit des résultats. La Russie, l'Allemagne et la France sont favorables à la poursuite des inspections et au renforcement substantiel de leurs capacités humaines et techniques par tous les moyens et en concertation avec les inspecteurs, dans le cadre de la résolution 1441. Il y a encore une alternative à la guerre. L'usage de la force ne pourrait constituer qu'un ultime recours. La Russie, l'Allemagne et la France sont déterminées à donner toutes ses chances au désarmement de l'Irak dans la paix », explique le communiqué commun. Ce soutien de Schröder et de Poutine est évidemment de la plus haute importance pour Jacques Chirac, la Russie étant membre permanent du Conseil de sécurité et l'Allemagne, membre temporaire. Chirac va également recevoir l'appui du Brésil et du Chili, eux aussi alors membres temporaires du Conseil. « Deux présidents qui ont eu beaucoup de mérite, car ils étaient l'objet de constantes pressions de la part des Américains. J'avais le président du Chili trois fois par jour au téléphone », se souvient Jacques Chirac.
Le 14 février 2003, jour où les inspecteurs remettent leur rapport, Dominique de Villepin prononce devant le Conseil de sécurité de l'ONU un vibrant discours qui a été jusqu'à la dernière minute travaillé, corrigé à l'Élysée, et finalement salué par une standing ovation.
« Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
Poussé par son administration, Dominique de Villepin pense alors que la position de Paris ne pourra être maintenue au-delà du 14 mars, et que la France rejoindra alors les États-Unis. Ce flottement a laissé une trace. Le 17 février, à Bruxelles, lors d'un Conseil européen informel, Villepin confie en effet, lors du déjeuner, devant des journalistes, qu'après le 14 mars « the game is over ». Quelques heures plus tard, lors de la traditionnelle conférence de presse, les propos de Villepin, rapportés à Chirac par un journaliste, provoquent une réaction musclée du président : « Je vous interromps pour vous dire que cette information est dépourvue, et je le dis devant lui, est totalement dépourvue du moindre fondement. Elle ne mérite donc aucune espèce de commentaire, car elle est fausse. »
Ce fut ce soir-là le premier d'une longue série d'éclats. Jacques Chirac avait en effet été fort énervé par la publication, le 30 janvier, de la lettre initiée par Tony Blair, cosignée par quatre membres de l'Union, paraphée également par trois candidats (Pologne, Hongrie, République tchèque) à l'entrée dans l'Union, puis la déclaration des Dix du groupe de Vilnius 11 , ces deux textes soutenant la position américaine à propos de l'Irak. Concernant la lettre de Blair, il déclare alors qu'elle est « contraire à l'idée d'une politique étrangère européenne commune ». À propos de la déclaration de Vilnius, il estime que les pays candidats « se sont comportés avec une certaine légèreté. Car entrer dans l'Union européenne, cela suppose tout de même un minimum de considération pour les autres, et un minimum de concertation. Si, sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue indépendamment de toute concertation avec l'ensemble dans lequel, par ailleurs, on veut entrer, alors ce n'est pas un comportement bien responsable ! En tout cas, ce n'est pas très bien élevé. Donc, je crois qu'ils ont manqué une bonne occasion de se taire ». Et il achève sa condamnation par ces mots : « Ces pays ont été, je dirai, à la fois, disons le mot, pas très bien élevés, et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine ! »
Aujourd'hui, le président regrette « l'intervention peu glorieuse » où il a « engueulé les Européens » : « Je dois dire que cela m'a un peu échappé en conférence de presse, à Bruxelles, mais je venais d'apprendre que les nouveaux Européens, essentiellement les Polonais et deux ou trois autres, venaient de recevoir une lettre de Blair dont je n'avais pas été informé, et, sans la moindre concertation, avaient répondu dans le quart d'heure suivant qu'ils étaient d'accord, qu'ils soutenaient la position de Blair… J'aurais mieux fait moi-même de mesurer mes propos, c'est évident, mais mon idée n'était pas de les injurier, mais de leur dire que ce n'était pas normal, dans une affaire où étaient en cause la paix ou la guerre, de prendre position, eux qui venaient d'entrer dans l'Europe, sans avoir procédé à la moindre consultation. Je l'ai dit maladroitement, ils se sont vexés, c'est comme ça ! »
Jacques Chirac n'aime pas les détails et a tôt fait par conséquent de les oublier. Il faut lui rappeler le flottement de Villepin et sa réaction brutale à Bruxelles pour qu'il le conteste et impute ce flottement à l'influence de l'administration du Quai sur le ministre. Il faut lui rappeler que de grands patrons et le MEDEF ont exercé de très fortes pressions sur le gouvernement au prétexte que la position de Paris allait coûter très cher à l'économie française – pour qu'il acquiesce. Lui rappeler aussi les pressions exercées par diverses personnalités politiques de sa majorité, car son refus de suivre l'administration Bush a en effet réveillé dans son propre camp les atlantistes et un certain nombre d'intellectuels. Un Jean-Jacques Descamps, député maire UMP de Loches, qui dit « préférer le quatuor Bush-Blair-Aznar-Berlusconi au duo Schröder-Poutine ». Un Pierre Lellouche qui cosigne une tribune avec un élu américain du Congrès, Hervé Novelli. Alain Madelin, Ladislas Poniatowski qui défendent l'Alliance atlantique. Charles Millon, Hervé Mariton, Claude Goasguen qui veulent voir Chirac chausser les bottes texanes de Bush. Un Renaud Donnedieu de Vabres, plutôt embarrassé. Alors que la gauche (à part Bernard Kouchner), voire l'extrême gauche (LCR et Attac) soutiennent Chirac, un Pascal Bruckner, un André Glucksmann, un Alain Finkielkraut et un Romain Goupil disent « oui » à la guerre et critiquent par avance l'éventuel veto opposé par la France à une seconde résolution du Conseil de sécurité.

Tandis que les bruits de bottes, ou plutôt ceux des tanks et des F-16 se font de plus en plus audibles, Jacques Chirac décide de faire partager au plus grand nombre de Français les motifs de sa décision de ne pas entrer dans la coalition qui va renverser Saddam Hussein, et d'utiliser s'il le faut l'arme absolue de la diplomatie : le veto au Conseil de sécurité. Le 10 mars, il répond depuis l'Élysée aux questions de Patrick Poivre d'Arvor et de David Pujadas. En réponse à leur première question, le président explique le monde multipolaire pour lequel il se bat, suivant une approche opposée à celle prônée par l'administration Bush : « Un monde qui privilégie le respect de l'autre, le dialogue des cultures, le dialogue des civilisations, et qui essaie d'éviter les affrontements. » Il rappelle que la communauté internationale, en votant à l'unanimité au Conseil de sécurité la résolution 1441, a pris une décision qui consistait à dire : « Nous allons désarmer l'Irak de manière pacifique, c'est-à-dire par les inspections. Nous allons nommer des inspecteurs, et eux nous diront si cette voie est possible ou si elle ne l'est pas. » Et d'expliquer aux Français que les inspections ont permis « d'éradiquer complètement – pratiquement complètement, vraisemblablement –, en tout cas selon les dires des inspecteurs, le programme nucléaire de l'Irak », et qu'en donnant du temps aux inspecteurs, « on pouvait atteindre l'objectif fixé, c'est-à-dire l'élimination des armes de destruction massive ». « Aujourd'hui, rien, rien ne nous dit que cette voie est sans issue, et par conséquent il faut la poursuivre dans la mesure où la guerre, c'est toujours un ultime recours, c'est toujours un constat d'échec, c'est toujours la pire des solutions, parce qu'elle sème la mort et la misère. Et nous n'en sommes pas là, de notre point de vue. C'est la raison pour laquelle nous refusons de nous engager dans une voie qui conduirait automatiquement à la guerre, tant que les inspecteurs ne nous auront pas dit : “Nous ne pouvons plus rien faire.” Or ils nous disent le contraire… Certains de nos partenaires, qui ont leurs raisons, considèrent qu'il faut en réalité en terminer vite et par une autre approche, celle de la guerre […]. Autrement dit, on passe d'un système qui était celui de la poursuite des inspections pour désarmer l'Irak, à un autre système qui consiste à dire : Dans tant de jours, on fait la guerre. La France ne l'acceptera pas et donc refusera cette solution […]. Ma position, c'est que, quelles que soient les circonstances, la France votera non, parce qu'elle considère ce soir qu'il n'y a pas lieu de faire une guerre pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, c'est-à-dire le désarmement de l'Irak. »
Jacques Chirac expose là aux Français les arguments qu'il assène depuis des mois aux Américains, et notamment « qu'on ne pouvait pas être porteur des valeurs de la démocratie, du dialogue, et ne pas utiliser tous les moyens pour éviter une guerre ». Et il confirme officiellement que si les États-Unis décident de faire la guerre sans mandat de l'ONU, les troupes françaises n'iront pas en Irak. Il parle du « risque d'éclatement de ce pays, avec tout ce que cela comporte comme incertitudes ».
Le 13 mars, les Américains ont compris qu'ils n'auraient pas la majorité au Conseil de sécurité, et renoncent à soumettre leur résolution au vote. Le 16 mars se tient aux Açores un sommet des partisans de la guerre. Dans la nuit du 16 au 17, les fils de fer barbelés marquant la frontière entre le Koweït et l'Irak sont sectionnés. Le 17, un ultimatum de 48 heures est lancé à Saddam Hussein. Dans la nuit du 18 au 19, les troupes de la petite coalition pénètrent en Irak. Le 9 avril, les télévisions du monde entier montrent à Bagdad le renversement de la statue de Saddam Hussein… Ce 30 décembre 2006, le jour où j'écris ces lignes, Saddam Hussein a été pendu à l'aube sur sentence d'un tribunal irakien sous influence américaine. Il est 15 heures 03 et depuis le lever du jour on a déjà dénombré 61 morts et 123 blessés victimes d'attentats. Un jour ordinaire, en somme. 2 998 GI's sont morts depuis mars 2003. Des dizaines de milliers de civils irakiens sont morts – mais de ceux-là, tout le monde se fout ! Et la situation ne fait, ne peut qu'empirer.
Jacques Chirac a pris l'initiative de rappeler Bush, le 15 avril 2003 à 17 heures 45.
« J'ai estimé utile de reprendre contact avec vous, car nous sommes entrés maintenant dans une autre phase… »
Il dit être satisfait de la rapidité avec laquelle Bagdad est tombée. Présente ses condoléances pour les pertes américaines. Se réjouit de la chute de Saddam Hussein, et termine par : « Ce qui est important, maintenant, c'est l'avenir. »
Bush le remercie pour ses condoléances et ajoute qu'il reste beaucoup de travail à faire.
Chirac reprend :
« Plus vite l'ONU pourra être associée à la reconstruction de l'Irak, mieux cela sera… »
Bush le remercie, mais ne fait pas de commentaires sur sa recommandation de réintroduire l'ONU dans le jeu irakien.

Le Jacques Chirac qui me parle aujourd'hui sait que la fin du chaos n'est pas pour demain. En ce mois de décembre 2006, il prévoit de dramatiques turbulences le jour où les Turcs et les Syriens refuseront l'indépendance des Kurdes. Il parle des conséquences probables du sort que les Américains réservent aux sunnites : « Ils sont tout de même trente pour cent, et on leur explique qu'ils n'ont droit à rien ! Ils en deviennent dingues !… Tout cela nourrit le terrorisme. Il faut que les Américains s'engagent à régler le problème israélo-palestinien. Il faut qu'ils prennent la mesure de la Chine qui sera, dans vingt, vingt-cinq ans, la première puissance politique, économique, militaire et démographique. Attention à ce que l'Occident ne paie pas très cher son arrogance actuelle ! » Le président conclut son propos sur les dangers du messianisme en politique et rit… jaune.
« Quel danger pour la planète ! C'est un danger épouvantable. Vous imaginez, ouvrir le Conseil des ministres par une prière ! Je suis tout à fait respectueux de la religion, de toutes les religions, mais enfin, la laïcité a quand même du bon ! »

Si Jacques Chirac n'a pas réussi à empêcher la guerre en Irak, il n'a pas pour autant remisé sa « boîte à outils ». Conscient de l'arrogance de l'Occident, ne suggérait-il pas avec un humour grinçant, dans son interview au New York Times du 8 septembre 2002, de créer une seconde coalition, cette fois contre la pauvreté et pour l'environnement : « Puisqu'on est tous tellement énergiques pour faire la leçon au monde entier, eh bien… » Cette affirmation reflétait un autre aspect du double combat qu'il menait déjà contre l'administration Bush au nom des pauvres de la planète et au nom des défenseurs de la nature. Six jours avant cette interview, accompagné de Nicolas Hulot, il était en effet à Johannesburg au Sommet mondial pour le développement durable et y lançait ce cri : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ! » Il proposait notamment d'ouvrir un nouveau chantier, celui de l'éradication de la pauvreté : « À l'heure de la mondialisation, la persistance de la pauvreté de masse est un scandale et une aberration. Appliquons les décisions de Doha et de Monterey. Augmentons l'aide au développement pour atteindre dans les dix ans au maximum les 0,7 % du PIB ! Trouvons de nouvelles sources de financement ! Par exemple, par un nécessaire prélèvement de solidarité sur les richesses considérables engendrées par la mondialisation. »
Des mots ? Nenni… Sous l'impulsion de Jacques Chirac, la France a été en pointe pour augmenter l'aide publique au développement, pousser l'Europe à le faire, lancer des actions à destination des pays du Sud en matière d'éducation, de santé, d'accès à l'eau, d'agronomie, ainsi que pour alléger ou effacer la dette des pays les plus démunis. En pointe également pour lutter contre le sida, en incitant à l'assouplissement des règles régissant la propriété sur les brevets, pour généraliser aux pays pauvres l'accès aux médicaments génériques, pour mobiliser des ressources supplémentaires, la France étant devenue, ce faisant, le deuxième pays contributeur au Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Surtout, Jacques Chirac a été le premier à lancer l'idée de financements innovants pour fournir de nouvelles recettes afin de mieux lutter contre la pauvreté : « La mondialisation de l'économie exige la mondialisation de la solidarité », dit-il au Mexique, le 21 mars 2002. Le 7 novembre 2003, il confie à Jean-Pierre Landau, inspecteur général des Finances, la responsabilité d'un groupe de travail pour réfléchir à de nouvelles contributions financières internationales. Landau s'entoure de militants d'ONG – Attac, CCFD, Coordination Sud –, mais aussi de représentants de multinationales comme Anne Lauvergeon, PDG d'Areva, et de fonctionnaires internationaux. Les propositions du groupe de travail en faveur d'une taxe mondiale pour lutter contre la pauvreté – le groupe Landau propose une taxe sur les billets d'avion – sont reprises à leur compte, en septembre 2004, par Jacques Chirac et le président brésilien Lula da Silva, bientôt rejoints par les dirigeants d'Espagne, du Chili et d'une centaine d'autres pays. « Des idées, jugées voici peu utopiques ou irresponsables, s'affirment. Un tabou est en train de tomber ! »
Des idées qui avaient longtemps été l'apanage de la gauche, voire de l'extrême gauche. De son côté, Washington avait dépêché Ann Veneman, ministre de l'Agriculture, pour torpiller cette initiative : « Les taxes globales sont intrinsèquement antidémocratiques, et leur mise en application, impossible », avait-elle proclamé. « Si forts que soient les Américains, on ne s'oppose pas durablement et victorieusement à une proposition qui a déjà été approuvée par 110 pays et le sera demain par 150. Après la leçon irakienne, il n'est pas sûr qu'ils puissent encore refuser le fait majoritaire. L'égoïsme se paie en révolte d'hommes », a rétorqué le président français.
L'idée lancée par le chef de l'État fait son chemin. Le 26 janvier 2005, devant le Forum économique mondial de Davos, Jacques Chirac propose encore une « contribution sur les transactions financières internationales », ou un « faible prélèvement sur les trois milliards de billets d'avion vendus chaque année de par le monde ». En septembre 2005, la France, l'Allemagne, l'Algérie, le Brésil, le Chili et l'Espagne lancent ensemble, à New York, le premier prélèvement international de solidarité sur les billets d'avion… Le 1er juillet 2006, cette taxe est instaurée en France et devrait rapporter 200 millions d'euros à partir de 2007. Le 19 septembre 2006, en marge de la 61e assemblée générale de l'ONU, Chirac et Lula lancent officiellement UNITAID, mécanisme de financement visant à aider les pays pauvres à mieux lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Cinq pays, dont la France, ont alors déjà institué une taxe sur les billets d'avion, et dix-neuf autres ont engagé les procédures destinées à la mettre en place.

À Barcelone, en février 2006, le « dialogue des cultures » toujours à la bouche, Jacques Chirac a proposé une rencontre de créateurs, d'intellectuels et de décideurs des deux rives de la Méditerranée et du Golfe pour débattre du « dialogue des civilisations », et a confié à l'ambassadeur Jacques Huntzinger la responsabilité de l'atelier culturel « Europe, Méditerranée, Golfe – Dialogue des peuples et des cultures ». Le 13 septembre, à l'occasion de la séance inaugurale dudit atelier, le président de la République formulait une nouvelle fois son bréviaire en ces termes.
« Pourquoi cette initiative ? Parce que nous sommes menacés d'un divorce entre les cultures. Occident contre islam, laïcs contre religieux, Nord contre Sud, riches contre pauvres : toutes les failles de notre monde risquent de s'approfondir et de se rejoindre, avec les conséquences que chacun appréhende.
« Depuis le 11 septembre 2001, voici juste cinq ans, la peur et l'incompréhension ont déclenché des réactions passionnelles. Les amalgames injustifiables provoqués par des attentats terroristes révoltants, plus récemment l'émotion et la violence des réactions suscitées par la publication de caricatures du prophète Mahomet, en ont été des signes révélateurs.
« Cette montée de l'incompréhension, de l'intolérance et du ressentiment affecte particulièrement notre espace commun. Marqué par la diversité des héritages, des religions et des sociétés, il est le théâtre d'affrontements dont la violence vient encore de s'illustrer de façon dramatique au Liban. »
Jacques Chirac explique longuement comment, « malgré leur origine commune et des liens innombrables, la Méditerranée juxtapose des mondes fermés les uns par rapport aux autres ». Et propose de retrouver la voie du dialogue entre les peuples. Il réaffirme ce qu'il a constamment répété durant la crise irakienne : « Rien ne peut être résolu unilatéralement et par la force. Les peuples sont réfractaires aux solutions imposées, qui avivent le ressentiment et sont porteuses des conflits de demain […]. Les modèles étrangers sont des sources inappréciables d'inspiration, de réconfort et d'appui dans le combat pour la dignité humaine, mais l'ingérence et l'injonction étrangères fragilisent toujours et altèrent les causes qu'elles défendent. Notre conférence s'inscrit dans l'esprit du travail conduit sous l'égide du Secrétaire général de l'ONU avec l'Alliance des civilisations prônée par les Premiers ministres Erdogan et Zapatero. Elle est le point de départ d'un échange qui va vous mobiliser plusieurs mois à Paris, à Séville, à Alexandrie et ailleurs. »
Après avoir suggéré à l'Atelier quelques projets, il souligne son enjeu : « le rétablissement de la confiance dans un monde menacé par la peur et par la haine. Parce que la Méditerranée est devenue le point focal des incompréhensions entre les peuples, il lui revient de porter la promesse d'un univers où chacun, mieux assuré de lui-même, acceptera le visage et la voix de la différence. »
Jacques Huntzinger, maître d'œuvre de cette initiative, vante 12 la position cohérente de Jacques Chirac : « Depuis qu'il est président, il suit toujours ce fil conducteur du dialogue des cultures », et y déploie toute son énergie. Quand, sitôt après les premières rencontres de l'Atelier, Régis Debray, fondateur et président d'honneur de l'Institut européen en sciences des religions, fait part à Chirac de son souhait personnel de conduire une enquête sur la situation des diverses communautés ethno-religieuses au Proche-Orient, le président lui écrit : « Il convient plus que jamais de multiplier les occasions de nourrir, de la façon la plus concrète et précise qui soit, ce “dialogue des civilisations” auquel j'attache l'importance que vous savez, dès lors qu'il se place sous le signe d'une citoyenneté partagée et sur un strict pied d'égalité entre les uns et les autres. »
Pour promouvoir ce dialogue qui lui tient tant à cœur, le chef de l'État use et abuse de son épais carnet d'adresses publiques et privées. « Il est le seul président au monde à connaître tous les chefs d'État du Proche- et du Moyen-Orient, d'Afrique et même d'Asie. On peut même dire du monde entier. » Hubert Védrine, Gerhard Schröder, Kofi Annan lui reconnaissent une connaissance approfondie des questions internationales, un impressionnant réseau de relations, un engagement puissant et sincère pour promouvoir le « dialogue des cultures » dans le monde entier. Hubert Védrine est probablement un des hommes politiques à connaître le mieux Jacques Chirac, puisque, pendant cinq ans d'affilée, il a eu au minimum une heure de tête-à-tête hebdomadaire avec lui et a effectué avec lui de très nombreux voyages 13  : « Une sorte de sympathie s'est nouée entre nous. Il me parlait très librement, et le climat entre nous était suffisamment confiant pour qu'il m'interroge souvent sur François Mitterrand, sur ce qu'il pensait, sur ce qu'il aurait fait dans telle ou telle situation. Il voulait comprendre la démarche de son prédécesseur, qui était pour lui une référence majeure. » L'ancien ministre des Affaires étrangères dit avoir disposé d'« une liberté très grande » pour mener à bien la politique extérieure, et relève peu de points de désaccord ou de différence d'appréciation 14 . Védrine parle de la relation personnelle forte que le chef de l'État a su nouer avec de très nombreux dirigeants des pays du Sud : « Il y a énormément de gens dans le monde, de dirigeants et de personnalités, dans un très grand nombre de pays, qui le considèrent comme le leader occidental le plus ouvert à leurs thèses. » Et d'expliquer cette ouverture sur le monde en général et sur les pays du Sud en particulier par la connaissance et l'intérêt, décrits ci-dessus dans la partie consacrée au « Chirac intime », qu'il témoigne à de nombreuses cultures ainsi qu'aux peuples premiers. L'ancien ministre de Lionel Jospin n'hésite pas à parler de positions « absolument sincères, qui vont de pair avec sa connaissance de ces cultures ». Il dit à quel point Jacques Chirac n'a rien à voir avec l'homme qu'une large fraction de la presse a présenté comme inculte : « C'est un homme profondément cultivé, vraiment intéressé par tout cela, et en parlant volontiers… Cela lui donne une clé, une intuition dont la plupart des Occidentaux sont aujourd'hui privés 15 . »
Gerhard Schröder qui, à partir de sa réélection en 2002, a travaillé main dans la main avec Jacques Chirac, a lui aussi apprécié le personnage et souligne « sa solicitude, […] l'une des facettes de sa personnalité très riche », son « extraordinaire puits de savoir sur le Proche-Orient, sur l'Asie, sur la Chine en particulier. Il entretient sans relâche son allure de patriarche, son image d'homme d'État – tout à l'idée qu'a d'elle même la grande nation qu'il dirige […]. À mes yeux, Jacques Chirac est l'une des personnalités politiques les plus éminentes du siècle écoulé et de celui qui commence 16 . »
Kofi Annan est probablement l'homme qui est le mieux à même d'émettre un jugement compétent et équilibré sur Jacques Chirac avec qui il a traversé, dix ans durant, les grandes crises qu'a connues le monde. Je l'ai rencontré le 20 novembre 2006 à Genève, au Palais des Nations, alors qu'il avait entamé sa tournée d'adieu. Il me reçoit dans son grand bureau, froid et impersonnel. L'homme est courtois, parle d'une voix à peine audible un très bon français. Je n'ai nul besoin de lui assener une batterie de questions, car il sait manifestement où il va et quel chemin emprunter pour y aller.
« J'ai travaillé très étroitement avec Jacques Chirac depuis dix ans. Évidemment, on ne se connaissait pas, et, au début, la France gardait une certaine réserve à mon endroit, parce qu'elle avait soutenu Boutros Boutros-Ghali, un homme remarquable. La France était écœurée par le traitement qu'avait fait subir à ce dernier les Américains. Jacques Chirac a rapidement compris que j'étais indépendant, et non pas l'homme d'un pays ou d'un groupe de pays ; que j'étais le Secrétaire général pour tout le monde. Ces dix dernières années ont été marquées par de fortes turbulences. Je suis le seul Secrétaire général à avoir eu à traiter d'autant de guerres : Kosovo, Afghanistan, Irak, Liban, Darfour, Congo démocratique, entre autres. Dans toutes ces crises, Jacques a été, parmi les chefs d'État, celui avec qui je pouvais le mieux parler, discuter. Je pouvais certes parler avec d'autres, mais lui connaît le monde, et non seulement il connaît le monde, mais il est très intéressé par le monde extérieur. Et il est profondément informé sur la Chine, l'Afrique, le Moyen-Orient. Pour moi, il est devenu un ami et un collègue avec qui on peut s'exprimer franchement. Il est toujours franc et direct. Parfois même trop direct ! (Rire) »
Kofi Annan évoque ensuite longuement l'aide que lui a apportée Jacques Chirac lors de la crise libanaise, durant tout l'été 2006. Il a été le seul chef d'État à le soutenir, à Saint-Pétersbourg, au sommet du G8, pour obtenir un cessez-le-feu rapide dont Bush et Blair ne voulaient pas entendre parler. Il a participé à la formation d'un groupe naval intérimaire pour lever au plus vite le blocus du Liban. « Jacques et moi, on a bien travaillé ensemble pour faire lever ce blocus ! »
« J'ai eu le même type de collaboration avec Chirac dans l'affaire irakienne, reprend l'ex-secrétaire général ; parce qu'il savait que ce serait un désastre, il était aussi angoissé que je l'étais moi-même. On a vraiment tout fait pour éviter la guerre. J'avais la même analyse que lui, à savoir qu'il fallait donner davantage de temps aux inspecteurs pour parachever leur travail… C'est un homme qui connaît le Moyen-Orient, qui en connaît les cultures. Je crois qu'il est depuis toujours fasciné par le Moyen-Orient et par l'Extrême-Orient. La menace d'un veto de Chirac au Conseil de sécurité a introduit une très forte tension entre la France et les Américains, et j'ai moi aussi été alors très attaqué. Aujourd'hui, les Américains voient les résultats…
« Chirac aime et connaît l'Afrique. Il y compte beaucoup d'amis, et pas seulement parmi les chefs d'État ; il est sincère dans ses relations avec eux. Il s'est beaucoup engagé en Côte-d'Ivoire ; malheureusement, les leaders ivoiriens ne se comportent pas comme il faut, ils ne travaillent pas pour leur pays ni pour leur peuple. On ne peut vraiment aider que les gens qui souhaitent sincèrement la paix… Chirac nous a également donné un coup de main au Congo quand on a eu des problèmes en Ituri 17 … » Il souligne également le rôle très important du président français dans la lutte contre la pauvreté, à ses côtés et avec le concours de Lula et du président chilien, effort qui a abouti à la création d'un Fonds mondial de solidarité. Jacques Chirac a été le premier à s'y investir : « C'est un homme qui a un cœur, un homme doué d'une bonne nature, qui aime les gens, qui aime la vie. C'est quelqu'un qui, sur le plan culturel, accepte l'égalité : il ne partage pas cette idée que l'art du tiers-monde ne vaudrait rien. Il cherche à mettre en valeur les chefs-d'œuvre provenant de ces pays. C'est un homme pour qui j'ai beaucoup de respect et d'affection. Je crois qu'il est mal jugé, mal compris, mais qu'au fond les gens l'aiment bien. Ils trouvent que c'est un être chaleureux, humain, même s'ils critiquent sa politique. »

Pour conforter ma propre perception de l'action de Jacques Chirac hors de France, je n'ai appelé ici à la rescousse que trois « grosses pointures », alors qu'il ne m'aurait pas été difficile de trouver des chefs d'État disséminés sur la planète entière pour me dire tout le bien qu'ils pensaient du « Docteur Chirac », comme l'appelait Yasser Arafat. Mais cela aurait été vain, car, sauf en période de grave crise internationale, ce n'est pas ce pan de l'activité présidentielle qui dope les courbes de popularité des présidents français. Au contraire : les Français ont tendance à considérer que l'action de leur président sur la scène internationale est faite à leurs dépens 18 , comme si le temps de plus en plus important qu'il passe à s'occuper des crises internationales, à parler dans l'enceinte des différents sommets, à voyager, était pris sur celui qu'il devrait consacrer à leur quotidien. Ils ont ainsi successivement reproché à Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac de les négliger en s'occupant par trop du monde extérieur. Rien n'est évidemment plus faux, puisque chacun sait que le quotidien des Français se détermine de plus en plus, désormais, hors de nos frontières.
Quand les troupes françaises ne partent pas en Irak, ce ne sont pas seulement des vies humaines économisées, des milliards d'euros consacrés à des dépenses autres que militaires ; c'est aussi une amélioration de l'image de la France dans certains pays, qui va se concrétiser par des relations commerciales plus étroites. Quand le président milite pour le sort des plus pauvres, ce n'est pas seulement par bonté d'âme, mais pour fixer des populations qui, n'ayant plus d'espoir, cherchent à émigrer vers la France et l'Europe…
Dans le portrait que Jacques Chirac consacra à Georges Pompidou à l'occasion du trentième anniversaire de sa mort, il disait : « À ceux qui lui reprochaient de trop s'engager sur le front diplomatique, il faisait remarquer, avec cet humour toujours empreint de clairvoyance, que les difficultés intérieures trouvaient de plus en plus leurs solutions à l'échelon international, que l'on ne pouvait plus penser aujourd'hui la paix sans la sécurité collective, le progrès économique et social sans l'Europe. »
Après lui avoir relu cette phrase, j'ai questionné le président sur ce type de reproche qui lui est également adressé. Réponse de celui-ci.
« Je voudrais d'abord relativiser les choses. Je suis un chef d'État qui voyage assez peu, comparé aux autres dirigeants de puissances analogues. Le nombre, la fréquence, la durée de mes voyages sont beaucoup plus restreints que ceux de mes collègues allemand et britannique. Contrairement à ce que l'on dit, je voyage assez peu, et, sachant que les Français risquent là-dessus de me critiquer, je reste peu de temps absent. Je fais une petite exception pour la Chine, parce que c'est la Chine, et je me permets alors de prendre une demi-journée pour aller visiter un site archéologique.
« Parce que la France est un pays moderne, notre vie est conditionnée par nos rapports économiques avec les autres pays. Quand j'apporte ma contribution à la vente des Airbus, il y a des retombées économiques et sociales non négligeables, que ce soit à Toulouse ou à Hambourg. Dans tous mes voyages, je suis préoccupé par le soutien des intérêts français et par les questions qui peuvent conditionner notre sécurité. Il est dans la nature même d'un chef d'État de défendre les intérêts nationaux à l'étranger. Il n'est nul besoin d'en parler longuement pour s'en rendre compte. L'exemple le plus parlant est celui des problèmes posés par l'immigration, qui ne pourront se résoudre que par le développement des pays pauvres… »
Cette question de l'utilité ou de l'inutilité des voyages à l'étranger d'un président n'est pas récente. Le 14 juillet 1996, Patrick Poivre d'Arvor lui posait la question suivante : « À ce propos, nos compatriotes peuvent avoir le sentiment de vous perdre un petit peu, en ce moment. Vous revenez du Qatar et d'Arabie Saoudite. Vous allez repartir au Gabon et au Congo. Vous occupez-vous assez des Français ? » À quoi Jacques Chirac avait répondu.
– Vous savez, j'ai été élu aussi pour représenter la France à l'extérieur, et surtout pour y défendre ses intérêts. Un Français sur quatre – on n'en a pas toujours conscience – travaille pour l'exportation. Vous rendez-vous compte de l'importance que représente pour nous le commerce extérieur ? Quand je voyage à l'étranger, je défends nos intérêts. Un rapport d'experts vient de m'être transmis, montrant que depuis un an, les seuls contrats commerciaux passés avec des pays étrangers, et qui l'ont été en raison de l'implication personnelle du chef de l'État, ont représenté en gros 120 milliards, c'est-à-dire 120 000 emplois ! Tout cela pour dire qu'il n'y a pas la politique étrangère d'un côté, la politique intérieure de l'autre. Les deux sont liées ! »

Aujourd'hui, le chef de l'État revendique toujours cet aspect bénéfique de son action internationale pour la France, et insiste beaucoup sur la chance qu'a la France de bénéficier d'une Constitution qui permet à son président d'incarner le pays et d'être ainsi mieux entendu quand il défend nos intérêts : « Quand je parle de graves questions internationales, quand je défends des intérêts français, ou que je veux ouvrir par exemple le marché chinois à l'assurance française, on me prend au sérieux. Le monde étant ce qu'il est aujourd'hui, avec les intérêts considérables que la France peut avoir à défendre un peu partout dans le monde, l'instabilité qui sévit et ne fait que croître, la nécessité d'être très attentif à notre défense et aux moyens qu'on lui consacre, il est important que ces questions relèvent de quelqu'un qui a le pouvoir de porter et d'exprimer ces intérêts… Il n'est pas de jour où je n'aie des contacts avec des dirigeants étrangers concernant soit des questions de sécurité, soit des intérêts économiques français. On m'a accusé d'avoir une politique arabe, mais les intérêts français dans le monde arabe sont considérables !… Lorsque je me bats aux côtés des Américains pour que l'Inde puisse développer sa filière nucléaire civile, c'est pour éviter que ne se développe dans ce pays, qui a d'énormes besoins en énergie, une énorme fabrique de gaz à effet de serre qui aurait de multiples et fâcheuses conséquences pour le quotidien de l'humanité et donc des Français… »
1 Le 15 octobre 2001.
2 Voir la première partie : « Chirac intime ».
3 Interview au New York Times, le 8 septembre 2002.
4 Le 26 août 2002, Dick Cheney a déclaré qu'il ne faisait aucun doute que Saddam Hussein possédait « des armes de destruction massive et qu'il les amasse afin de les utiliser contre nos amis, nos alliés et contre nous […]. Un retour des inspecteurs ne fournirait aucune assurance sur son respect des résolutions des Nations unies […]. Les risques de l'inaction sont bien supérieurs aux risques d'une action. »
5 Le 25 septembre, six jours après le début de la rébellion en Côte-d'Ivoire, les militaires français ont évacué 194 élèves et enseignants de l'école internationale de Bouaké, en majorité américains.
6 Suédois, né en 1928 à Uppsala, a été ministre suédois des Affaires étrangères, patron de l'Agence internationale de l'énergie, avant d'être nommé en 2000 président exécutif de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies. Auteur de Irak, Les Armes introuvables, Fayard, 2004.
7 New York Times du 1er septembre 2002.
8 Washington Post du 5 novembre 2002. Jusqu'à la mi-mai 2003, les articles accusant la France pour ses fournitures de pièces sensibles à l'Irak vont fleurir. Le 15 mai 2003, l'ambassadeur de France aux États-Unis va envoyer une lettre à tous les parlementaires ainsi qu'aux patrons des médias américains pour démentir ces fausses accusations.
9 Henri Vernet et Thomas Cantaloube, Chirac contre Bush : L'autre guerre, J.-C. Lattès, 2004.
10 Gerhard Schröder, Ma vie et la politique, Odile Jacob, 2006.
11 Cf. supra p. 430.
12 Paris Match du 17 septembre 2006.
13 Entretien avec l'auteur.
14 Il signale l'exploitation désagréable de l'incident de Bir Zeit (le 26 février 2000, Lionel Jospin s'était fait caillasser par des étudiants palestiniens pour avoir condamné les « attaques terroristes du Hezbollah »), la réserve initiale de Chirac vis-à-vis de la refondation des relations avec l'Algérie, une position en flèche contre l'Iran, due à son amitié avec le président libanais assassiné Rafik Hariri, sa réserve vis-à-vis d'une tentative de convergence franco-britannique sur l'Afrique.
15 Entretien avec l'auteur, et extraits du Vieux Lion, documentaire de Patrick Rotman, op. cit.
16 Gerhard Schröder, Ma vie et la politique, op. cit.
17 Plus de 700 soldats français ont participé, à partir de juin 2003, à une force de maintien de la paix en Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo.
18 Ségolène Royal, seulement candidate, a déjà mesuré l'opinion des Français sur ce sujet. Après son voyage en Chine au tout début 2007, plus de la moitié des Français (54 %) ont estimé que ce déplacement était une mauvaise chose parce que, selon eux, elle ferait mieux de se consacrer à leurs problèmes (selon un sondage Opinion Way pour Le Figaro et LCI, diffusé le 11 janvier 2007).