14.
Quand un copain d'enfance
s'en prenait à l'identité de Jacques Chirac
s'en prenait à l'identité de Jacques Chirac
Le chef de l'État avait déjà été affublé de tous
les sobriquets et épithètes les plus péjoratifs, de
« traître » à « supermenteur », de
« corrompu » à « facho-Chirac », de
« girouette » à « analphabète », quand un de
ses camarades d'enfance se mêla d'aller plus loin encore en
prétendant que Chirac n'était pas Chirac. La reprise de
l'allégation par FR3, VSD et quelques
publications ne suffirent pas à amplifier ni crédibiliser une
rumeur qui aurait pu être fatale…
Michel Basset était le fils de Marguerite Basset,
la meilleure amie de Marie-Louise Chirac. Il était né avec une
cuillère en or dans la bouche : grâce à l'aide financière d'un
oncle allemand de sa mère, Georges Basset, son père, avait monté
une affaire de vente de ferraille qui marchait à merveille. Quand
il fut en âge de travailler, Michel s'associa à lui dans une
nouvelle affaire de même type. Ce père, il ne l'aimait guère,
sachant qu'il avait beaucoup trompé sa mère. Michel semble à son
tour particulièrement instable. Amitiés, liaisons, épouses se
succèdent dans sa vie à un rythme qui n'a d'égal que celui de ses
changements de domiciles et d'occupations. Il a notamment monté une
affaire de confection au Guatemala, travaillé avec un importateur
de produits sidérurgiques au San Salvador, renoué avec son métier
d'origine, ferrailleur, à Porto Rico, est devenu antiquaire à New
York, promoteur immobilier en Espagne, gérant d'une compagnie
d'affrètement pétrolier en Libye, et a même été pendant plusieurs
années rédacteur en chef d'un magazine féminin à Montréal.
Ruiné, il décide de rentrer en France au début des
années 80. En avril 1981, il signe chez Fayard un contrat pour un
ouvrage portant comme titre provisoire L'Affaire Christina O, censé raconter
l'histoire de Christine Onassis et de son mariage avec Serguei
Kausov, que l'on dit alors être agent du KGB. Trois mois plus tard,
il cède le bénéfice de son contrat d'auteur à une société suisse.
En novembre, Fayard impose un nègre à Michel Basset pour réécrire
le roman. Le livre sort en 1982 sous le titre La Grecque, et Basset a troqué son nom pour celui
de Zacharie Wolff, patronyme qui était celui de sa mère. Le roman
est présenté comme un thriller sur la confrontation entre le monde
libre et l'URSS pour le contrôle des mers de la planète. Dans
l'argumentaire de vente, il est dit que l'auteur « a été le
confident de plusieurs des véritables héros de l'“affaire” qui a
inspiré ce roman et le témoin de la gigantesque partie de poker
engagée par les services secrets soviétiques pour mettre la main
sur la plus grande flotte privée du monde ». Michel Basset
fait également à cette époque des piges pour Paris Match.
À bientôt 50 ans, il recherche un peu de stabilité
et pense à Jacques Chirac, son copain d'enfance qui, lui, a réussi
et est alors maire de Paris. Comment le joindre ? Il téléphone
à Jeannine Valette-Rémignon, une cousine du côté de sa mère. La
cousine oriente Michel Basset sur la secrétaire du maire, Denise
Esnous. Laquelle, jointe au téléphone, lui conseille d'écrire à
Chirac. L'aventurier fatigué lui expose brièvement sa situation
puis sollicite de son ancien ami un emploi quelconque aux relations
culturelles de la Ville de Paris. À propos de cette reprise de
contact, Jacques Chirac, laconique, se borne à répondre :
« Ça ne m'a pas marqué. C'est probablement vrai 1 . »
Dans les jours qui suivent, Basset prétend avoir
rencontré le directeur des Relations culturelles de la Ville de
Paris, lequel lui aurait présenté cinq ou six dossiers et lui
aurait demandé de choisir. Le maire de Paris aurait donc donné des
instructions pour qu'on tente de trouver une modeste sinécure où
caser son ami d'enfance. Mais, le week-end suivant, Basset reçoit
une lettre signée du maire de Paris : « Faute de crédits,
je ne peux envisager de t'aider 2 . » Explication de ce revirement :
il n'est pas exclu que les collaborateurs du maire se soient
renseignés sur le copain d'enfance de leur patron. De tout cela le
président affirme pour sa part n'avoir gardé aucun souvenir.
En 1984, Michel Basset est toujours en quête
d'emploi. Il répond à une annonce de France
Soir et se retrouve embauché à PMS, la régie publicitaire du
RPR installée rue de Villersexel, dans le VIIe arrondissement. Il place de la publicité
dans le journal Objectif Demain. Il
collecte ainsi des fonds pour le parti de Jacques Chirac. Celui-ci,
quand il l'apprend, serait entré dans une colère noire. Lors d'une
rencontre fortuite avec la secrétaire du maire, Michel Basset
décide de faire passer à son ami d'enfance un petit mot
provocateur : « Tu n'as pas voulu m'aider, mais je
travaille pour toi ! » Quelques jours plus tard, il
revoit la secrétaire de Jacques Chirac qui lui lâche :
« Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, mais sitôt qu'il a
lu votre carte de visite, il l'a déchirée en mille morceaux. Il
avait l'écume au coin des lèvres ! » Dans des conditions
que je n'ai pu élucider, Basset est alors viré de PMS.
Après avoir travaillé à la fin des années 80 pour
un groupe de promoteurs belges qui cherchent un terrain près
d'Eurodisney en vue d'y construire un hôtel de quatre cents
chambres, il retrouve en 1989 à s'employer à… l'UDF, cette fois,
pour collecter des fonds comme, naguère, pour le RPR. Il s'installe
rue François Ier. Sous les ordres de
Georges de La Loyère, trésorier de l'UDF, il va démarcher de la
publicité pour le journal Marianne
3 . Georges de La Loyère se
souvient bien de lui et de leurs discussions sans fin sur Jacques
Chirac, l'ami d'enfance. Basset paraît content de travailler pour
l'UDF, formation rivale du RPR, qu'il a pris en grippe. Il a un
très bon carnet d'adresses, notamment dans les milieux de la
sidérurgie et de la ferraille. Il connaît bien Albert Frère, mais
aussi le banquier Jean-Marc Vernes, la direction de Paris Match, Filipacchi. En mars 1996,
l'organisation de La Loyère doit mettre la clé sous la porte :
Michel Basset se retrouve dans une passe délicate. Il connaît de
gros problèmes d'argent. « Je l'ai aidé à survivre et lui ai
trouvé un logement par le canal de la Mairie de Paris », se
souvient La Loyère. Propos démentis par Rosalba Basset, dernière
épouse et veuve de Michel Basset. La Loyère se souvient également
de certaines confidences de ce personnage pour lequel il avait
manifestement de la sympathie : « Dans la situation
difficile où il se trouvait, il a voulu faire appel à Jacques
Chirac. Il a obtenu un rendez-vous, lui a parlé de son projet
d'écrire un livre où il parlerait de son enfance. Mais Chirac ne
tenait pas du tout à ce qu'on parle de son enfance… Dès lors,
Basset a voué une rancœur tenace au président. » Jacques
Chirac n'a gardé aucun souvenir de ce rendez-vous avec le fils de
la meilleure amie de sa mère, qu'il dit avoir perdu de vue depuis
longtemps et dont il prétend que « c'était même pas un
copain ».
Michel Basset ne songe plus qu'à se venger d'un
camarade d'enfance qu'il n'aimait déjà pas dans son jeune âge. Sa
vengeance va se confondre avec celle, déjà ancienne, qu'il ruminait
contre son propre père, mort depuis belle lurette, mais aussi
contre ses frère et sœur. Il décide donc de publier un ouvrage sur
la jeunesse de Jacques Chirac à partir du journal intime de sa
mère, la « meilleure amie de Marie-Louise Chirac ». Il
essaie sans succès de récupérer ledit journal. Qu'importe ! Il
décide de le reconstituer à partir de ses souvenirs personnels. Son
objectif est clair : « tuer » ou en tout cas faire
très mal à l'ami d'enfance. Il fait ainsi écrire à sa mère que
Jacques Chirac n'est probablement pas le fils de Mme Chirac. Et il
complète cette négation d'identité par un portrait à charge du
propre père de Jacques Chirac, décrit comme un bambocheur on ne
peut plus antipathique…
« Quelqu'un m'a parlé de cela. Je n'y ai pas
attaché d'importance… », commente sobrement Jacques Chirac
après un gros rire.
Pigiste à Paris Match,
Basset approche les éditions Filipacchi par l'intermédiaire de
Roger Thérond, directeur du magazine et ami de Daniel Filipacchi,
qui fait de surcroît partie du comité de lecture. Le livre poignard
est accepté et tiré en 1996 à 8 000 exemplaires sous le
titre Les Vertes Années du président.
C'est un bide magistral. Seuls France
Dimanche et Ici Paris en
parlent. Même Paris Match a finalement
décidé de n'en pas faire la recension. Les
Vertes Années trouve peu de lecteurs et les exemplaires
restants sont mis au pilon.
Pour exhaler sa rancœur à l'égard des hommes
politiques en général et de Jacques Chirac en particulier, Michel
Basset se mêle alors d'écrire un autre livre, toujours pour les
éditions Filipacchi, intitulé La Déchéance
politique 4 .
Si Les Vertes Années
ont été peu lues, la plupart des journalistes ayant heureusement eu
le même réflexe qu'à l'égard des attaques et insinuations lancées
contre François Mitterrand à propos de Mazarine Pingeot, il n'en
demeure pas moins que ce livre faussement présenté comme le journal
intime de Marguerite Basset a servi de base à plusieurs autres.
Dans Chirac, publié chez Flammarion peu
avant l'élection présidentielle de 2002, Philippe Madelin balaie
les soupçons de Basset. Éric Zemmour, célèbre plume du Figaro, lui emprunte en revanche beaucoup pour
écrire L'homme qui ne s'aimait pas,
publié en 2002, sans d'ailleurs mentionner une seule fois sa
source. Les avocats de Balland, éditeur de Zemmour, font toutefois
supprimer le chapitre consacré à la « véritable
identité » de Jacques Chirac 5 . Zemmour y avait repris à son compte, sans
recul, les soupçons présentés par Basset comme ceux de la meilleure
amie de Marie-Louise Chirac. Rosalba Basset m'a confirmé ce que je
subodorais : en fait, son mari n'était pas parvenu à obtenir
de son frère Jean-François et de sa sœur Élisabeth les notes
rédigées par leur mère. Michel Basset s'était donc reposé sur sa
seule mémoire pour reconstituer un prétendu journal intime de sa
génitrice.
Ultérieurement, Michel Basset a réussi à
convaincre l'éditeur Jean-Claude Gawsewitch de republier
Les Vertes Années, toujours présenté
comme le journal intime de Marguerite Basset, mais sous un autre
titre : Jacques Chirac. Une éternelle
jeunesse 6 . « L'hebdomadaire VSD consacra quatre pages à sa recension.
L'interview de Basset était intitulée : “Il n'est pas certain
que Jacky soit l'enfant de Marie-Louise”. » L'article
décrivait la prétendue censure qui avait frappé les deux éditions
du « Journal intime de Marguerite Basset ». Au lieu de
dénoncer l'inobservance de la règle numéro un du journalisme,
l'indispensable croisement des sources, VSD se bornait à expliquer l'insuccès de la
première édition par le fait que « tout s'est passé comme si
on avait enterré le livre ». Dans la même veine, l'auteur de
l'article écrivait : « Quelques faits troublants laissent
penser à une autocensure de la part de Filipacchi », et
s'appuyait, pour étayer cette thèse, sur un passage d'un chapitre
intitulé « Petite chronique de la censure ordinaire » du
Rapport Omerta 2004 7 : « À l'époque, de nombreux
proches de Chirac et des dizaines de journalistes politiques
n'avaient ni reçu le livre, ni eu vent de son existence. » Un
peu plus loin, on laissait entendre qu'il y aurait eu « une
pression exercée en haut lieu ». Et hop ! Investigation
terminée ! On n'a pas la preuve, mais c'est évident, Chirac
lui-même, brandissant les ciseaux d'Anastasie derrière le rideau,
est ipso facto responsable de l'échec
noir des Vertes Années ! La
réédition du prétendu journal intime de Marguerite Basset ne fera
pas non plus un tabac, malgré VSD,
Marc-Olivier Fogiel dans On ne peut pas plaire
à tout le monde, sur France 3, et diverses menues
recensions. Encore un coup de Chirac ?
Frustré de ne pas avoir pu publier le chapitre
contestant les origines du président, Éric Zemmour va reprendre ces
bribes de rumeurs et de calomnies et les amalgamer dans un roman à
clés intitulé L'Autre 8 . « Le roman n'occulte pas la
vérité, il permet la liberté d'expression et le respect de la vie
privée 9 », explique le journaliste dans un
beau numéro de faux-cul. Il met en scène François Marsac, censé
cacher Jacques Chirac, et Albert Riedel dans le rôle de Michel
Basset. Riedel, s'estimant trahi par son ami d'enfance, veut
publier le journal intime de sa mère. Le roman s'achève sur un
dialogue entre les deux hommes, Marsac-Chirac et
Riedel-Basset.
« Alors, comme ça, ma mère aurait fait des
confidences à la tienne ? Des histoires de bonne femme, si
j'ai bien compris : de ligature de trompes, tout ça. Et je ne
serais pas le fils de ma mère ! Mais où as-tu pêché des
conneries pareilles ?
– Je l'ai reconstitué. Mais c'est la vérité,
et tu le sais très bien.
– C'est bien ce qu'il me semblait. Ce n'est
pas ta mère qui a écrit ce journal. C'est toi. Et tu as inventé des
conneries pour me nuire.
– Je n'ai rien inventé du tout. Mais toi, tu
me harcèles depuis des mois. J'ai des flics aux trousses, les
salauds.
– Comment peux-tu inventer une chose
pareille ? »
Pour obtenir le pilonnage du livre, Marsac propose
à Riedel une fiduciaire en Suisse, une valise de billets et le
Mérite agricole…
« Tout ça m'est passé complètement à
côté », élude le chef de l'État à l'évocation de ces obscurs
rebondissements éditoriaux.
Romanciers et journalistes pourront regretter le
départ de Jacques Chirac de la scène politique : ils auront du
mal à trouver un personnage qui se prête aussi bien et avec une si
parfaite indifférence à leurs jeux de massacre.
1 Coup de téléphone du dimanche 19
novembre 2006.
2 Interview de Michel Basset publiée
dans VSD du 1er avril 2004.
3 Rien à voir avec l'hebdomadaire
dirigé par Jean-François Kahn.
4 Michel Basset, La Déchéance politique, Filipacchi, 1997.
5 VSD du
1er au 7 avril 2004.
6 Op.
cit.
7 Confectionné sous la direction de
Sophie Coignard, Albin Michel, 2004.
8 Denoël, 2004.