11.
Les tentes du nomade
Depuis son adolescence, il chemine en pensée sur
la route de la Soie, tantôt escortant Bouddha en direction de Xian
et du Tibet, tantôt accompagnant Zhang Qian et Marco Polo qui
s'avancent vers l'Afghanistan et la lointaine Antioche, ou encore
imaginant Gengis Khan et ses cavaliers mongols fonçant sur les
cortèges de marchands avant de bâtir leur grand empire. Cette route
dont les caravanes ont véhiculé tant de soieries, d'épices, de
métaux précieux, mais aussi et surtout tant de savoirs, d'idées, de
cultures et de croyances, relie ses deux mondes, l'Occident et
l'Orient, mais aussi son adolescence à sa présidence.
Son côté nomade a souvent été souligné. Il est
effectivement souvent ailleurs, mais sa principale tente est son
bureau de l'Élysée dans lequel, à Paris, il vit sept jours sur
sept, douze heures par jour. Plus petite est celle où il dort. Dans
les deux sont installés objets et livres qui constituent son monde
et reflètent sa vision du monde. Quand il quitte l'Élysée – pour
les G8 et autres sommets –, faute de pouvoir emporter de ses
objets ou de ses grigris, il ne se sépare pas d'une serviette de
cuir noir que personne n'a le droit d'approcher, encore moins
d'ouvrir, dans laquelle se trouve une reproduction en réduction,
encore plus ramassée, de son monde…
Je n'ai pas réussi d'emblée à convaincre le
président de me faire visiter son bureau et n'aurais jamais pensé
lui parler de sa serviette noire, puisque je n'en connaissais pas
l'existence. Pourtant, c'est d'abord cette serviette que j'ai eu
l'heur de « visiter ».
Le 26 août 2006, comme je l'interrogeais sur sa
parfaite connaissance chronologique de l'histoire de l'humanité et
des grandes civilisations : « C'est vrai, ces
chronologies sont indispensables à la compréhension du monde, me
répondit-il.
– Depuis votre jeunesse, en ayant commencé
par l'art et l'Asie, vous avez eu l'ambition de comprendre les
grands mouvements de l'humanité.
– Comme tout le monde,
non ? »
D'un seul coup, il se lève et me quitte pour
passer dans son bureau voisin. Quelques instants plus tard, il en
revient avec une belle serviette de cuir noir.
« On se soûle, mais on se nippe, comme disait
mon père… Voici ma serviette, le cartable que j'emporte dans les
grandes réunions internationales… »
Et de m'expliquer que, dans celles-ci, il y a
beaucoup de temps morts, qu'« on s'y emmerde, et que moi aussi
j'y emmerde les autres… » Je crois comprendre que le
président, par cet aveu, va me faire pénétrer un peu plus avant
dans son intimité. J'apprendrai plus tard que si sa femme et sa
fille connaissent l'existence de la fameuse serviette, elles n'ont
jamais eu accès à son contenu. Lequel est manifestement une
représentation de ce qui fait l'essentiel de sa vie : c'est
son viatique (dans toutes les acceptions du mot 1 ). Il est de tous ses voyages, pour
l'avoir toujours à portée de main.
Jacques Chirac ouvre devant moi le cartable noir,
en sort des dossiers recouverts de plastique transparent, les pose
devant lui, sur la table, avant de me les passer. Toutefois, il en
garde un par devers lui en me précisant qu'il s'agit d'une grande
photo de son petit-fils Martin.
Je consulte fébrilement les précieuses fiches et
tente de les mémoriser, car j'ai peur que le président ne me les
reprenne des mains rapidement. Il faut vraiment être passionné pour
se plonger dans des chronologies aussi arides et trouver plaisir à
consulter ces pensums rédigés pour la plupart par des spécialistes
du CNRS : Les grandes étapes de
l'Histoire de l'homme de l'origine à la Provence romaine…
Corrélation Japon, Viêt-nam, Égypte (sous-titré :
Du roi Scorpion), un magazine affichant
en couverture Les Sept Grandes
Religions, et, last but not
least, une page recto verso
intitulée D'où venons nous ?… Qui sommes
nous ?… Où allons nous ? Des passages de cette
fiche sont surlignés au stabilo vert. La fiche commence par ces
lignes :
« Voici trois grandes interrogations
fondamentales que chacun d'entre nous se pose, chaque jour, plus ou
moins consciemment.
« En cette époque d'incertitude générale, le
problème des origines de notre espèce a pris une très grande
importance, comme le montre l'intérêt croissant que portent non
seulement les chercheurs, mais aussi le grand public, à toutes les
informations qui concernent l'homme fossile et son
environnement… »
Suivent des informations chiffrées sur l'évolution
de l'homme, avec mentions, soulignées en vert, « de
l'émergence de la notion de symétrie et de l'acquisition d'un
certain sens de l'esthétique avec l'Homo
erectus […], des premiers rites funéraires et de la
naissance de la pensée religieuse avec l'Homo
sapiens […], de l'invention de l'art, il y a un peu
plus de 30 000 ans, des outils composites : harpons dont
les barbelures sont constituées de microlithes géométriques… »
Toutes informations qui sont au centre de sa quête commencée dès
l'âge de 14 ans…
La fiche se termine par : « C'est
l'Humanité tout entière qui doit élaborer une nouvelle éthique
planétaire capable de gérer l'Avenir de l'Homme en gardant en
mémoire son origine, sa lente et laborieuse ascension, et ses liens
essentiels avec le milieu naturel qu'il doit
préserver. »
Je m'étonne de ne pas voir de fiche sur les
Celtes. Il dit s'y intéresser depuis très longtemps. Et de
s'enflammer sur les découvertes faites à Halstatt au xix e siècle,
« sans lesquelles on ne pourrait comprendre la suite de
l'histoire de l'Europe ». En 1824, les premiers indices d'une
importante nécropole de l'âge de fer furent en effet découverts sur
ce site de Haute-Autriche. Deux mille tombes furent progressivement
mises au jour et permirent de situer les débuts de la civilisation
celte. Pour parler de ces découvertes et de leurs conséquences sur
la connaissance, le président use d'épithètes dont il est pourtant
avare : l'adjectif « éblouissant » revient à
plusieurs reprises.
Sa passion des Celtes me permet de faire une
transition en m'appuyant sur une page du livre de son ancien
directeur de cabinet à la mairie de Paris, Bernard Billaud.
Celui-ci rapporte un dialogue sur l'histoire, qu'il a eu avec lui
dans la capitale italienne, le 25 avril 1980 : « Il n'y a
pas de lieu au monde où l'on ressente, plus qu'à Rome, la pesée de
l'histoire, au point d'en être écrasé, lui confie Jacques Chirac.
C'est comme si les pierres de ces colonnes en ruines me tombaient
sur la tête. Je ne supporte pas d'être ainsi lapidé par ces
réminiscences d'un passé qui étouffe la vie et qui bloque
l'avenir ! » Il parle ensuite de « tous ces palais
romains, de ces pierres, de ces rues d'où suinte la mort ».
Billaud rapproche ces propos de ceux qu'il a tenus peu de temps
auparavant devant cinq journalistes et qui lui furent rapportés par
Jean Neuvecelle, alors envoyé spécial permanent à Rome de
France-Soir et de l'ORTF. Chirac avait
déclaré « vomir la civilisation romaine, qui nous a privés de
notre identité et de notre âme celtes ». Pour lui, le
christianisme n'a ni l'ancienneté, ni la tolérance, ni la véritable
profondeur mystique des grandes religions asiatiques. Le doigt
vengeur pointé vers moi, il proclame, mi-sérieux, mi-moqueur, son
aversion pour la civilisation de la pierre qui s'est épanouie à
Rome et à Athènes – une civilisation de barbares, dit-il :
« Ici ne se trouvent sûrement pas nos racines et c'est une
imposture de prétendre que nous sommes issus de Rome et
d'Athènes… »
En ce samedi matin de la fin août, face à un
Chirac en jean et pull léger, le visage cuivré par le hâle
brégançonnais, je tente de savoir s'il assume toujours de tels
propos. Le souffle n'y est pas, mais, à l'évidence, il n'a pas
changé d'opinion. En quelques formules lapidaires, il m'expose que
« Rome a été une civilisation occupationnelle qui a asservi
les autres peuples, une civilisation de type colonial »…
Dès notre premier entretien, j'avais émis le vœu
qu'il me fasse visiter son bureau. Il accepte finalement, sans
enthousiasme, de se transformer en guide, lors du quatrième, le
3 septembre 2006, ne voyant pas très bien où je veux en venir
et estimant de surcroît que je lui fais perdre son temps. Nous
passons donc de la salle de réunion, où officiait en d'autres temps
Jacques Attali, à son bureau.
À gauche de l'entrée, une console en ronce
d'acajou, de style Louis XVI, avec un dessus de marbre blanc et
deux étagères. Tout en bas, une sorte de coffret offert par Boris
Eltsine : les deux éditions d'Eugène
Onéguine évoquées précédemment. Sur l'étagère intermédiaire,
une petite tête de cheval pré-hellénistique : « Je l'aime
bien, non qu'elle soit particulièrement belle, mais parce que c'est
Maurice Rheims qui me l'a offerte. » Posée au-dessus, une très
imposante Boli du Mali : « Une très belle pièce bambara,
que j'aime beaucoup et qui est très fragile. Elle incarne une
certaine vision de la vie. Elle est fabriquée avec toutes sortes de
cochonneries. C'est un fétiche. C'est mon cabinet qui me l'a
offert. Elle appartenait à la collection de Jacques
Kerchache… »
De l'autre côté du canapé de bois doré, la même
console en ronce d'acajou supporte une reproduction du crâne de
Toumaï.
Devant le canapé, des tasses japonaises –
« Je les aime bien, mais elles n'ont aucune valeur » –
sont posées sur une table chinoise de laque noire, aux côtés d'un
cheval mongol du début du xviii
e, deux petits éléphants « qui, eux
non plus, ne valent strictement rien », mais qui lui ont été
offerts par le ministre de la Culture et des Sciences d'Inde,
lequel lui avait servi de cicerone lors
d'un de ses voyages officiels : « Il parlait très bien de
toutes sortes de choses, je lui ai offert une montre à double
cadran et il m'a en retour offert ces deux petits éléphants qui ne
présentent guère d'intérêt. Je les ai remis là parce qu'il est venu
me rendre visite la semaine dernière… »
Toujours sur la même table basse chinoise, trois
pièces inuits, un bœuf laineux, un phoque et un ours :
« Je suis un grand amateur d'art inuit. Il y a très longtemps,
j'ai collaboré avec Jean Chrétien à la promotion de l'art inuit.
L'ethnie inuit est probablement celle qui compte le plus fort
pourcentage d'artistes au monde. Un concentré d'artistes… J'avais
plaidé pour l'autonomie du Nunavut et, dès que celle-ci a été
proclamée, je suis allé rendre visite à Paul Okalik, le Premier
ministre, que j'ai invité à mon tour à l'inauguration du musée du
quai Branly. C'est un type très gentil… » Et de me faire
profiter d'une longue explication sur la manière dont Jean Chrétien
élabora un système de recensement des artistes et de leurs œuvres
qui a permis d'éviter « le grand risque de voir ces gens se
mettre à fabriquer des cochonneries à longueur de
journées ».
Un peu plus loin, dans l'encoignure du mur latéral
gauche, Jacques Chirac entreprend de me montrer ce qui m'apparaît
comme un espace important de son musée personnel, délimité par le
dessus et l'intérieur d'un médaillier en marqueterie Boulle de
style Louis XVI. Y trône un rhinocéros, œuvre d'un élève de Dürer,
qui fait pendant à un autre rhinocéros de même origine installé,
lui aussi, à quelques mètres de là, sur un autre médaillier
estampillé Montigny, exactement de même facture que le premier. Le
président entreprend de me conter l'histoire de ces deux
rhinocéros. En 1515, un événement autre que Marignan a marqué les
esprits européens : l'arrivée à Lisbonne d'un rhinocéros
offert par le roi Muzaffar II de Cambaye à Alfonso d'Albuquerque,
qui l'expédia au roi Emmanuel Ier de
Portugal. Aussitôt identifié comme « le » rhinocéros dont
parlaient les Anciens, il devint une véritable vedette et suscita
l'intérêt des savants. Le roi Emmanuel Ier organisa un combat opposant le rhinocéros à l'un
de ses éléphants. Découvrant son adversaire, l'éléphant courut se
réfugier dans son enclos et le rhinocéros fut déclaré vainqueur par
forfait. Cet exploit fut colporté dans l'Europe entière. Emmanuel
Ier décida alors d'envoyer le rhinocéros
au pape Léon X, escorté par une ambassade fastueuse. La nef
lusitanienne qui le transportait le relâcha en janvier 1516 sur
l'îlot d'If, face à Marseille. Le 24 janvier, le roi de France,
François Ier, s'y rendit avec sa cour
afin de contempler le rhinocéros ; puis la nef repartit, mais
elle fit naufrage au large de Portovenere, près de La Spezia.
Albrecht Dürer reçut à Nuremberg un croquis du rhinocéros à partir
duquel il réalisa un dessin intitulé Rhinoceros 1515, puis une célèbre gravure sur bois
intitulée Rhinocervs 1515. Jacques
Chirac m'en montre des reproductions. « C'est à partir de ces
dessins qu'un élève de Dürer a fabriqué ces deux pièces que ma
femme m'a offertes il y a très longtemps », conclut-il.
D'un air gourmand, le président ouvre les deux
battants du médaillier comme s'il me livrait accès à Fort
Knox : « Ça, c'est le sumo ! » Il prend une
enveloppe sur laquelle figurent des idéogrammes, et entourée de
fils bleus. « C'est le yokozuna Asashoryu qui m'en a fait
cadeau le soir de son combat vainqueur, le 26 mars 2005, à Osaka,
lors de la 14e journée du Grand
Tournoi de printemps : il s'agit de l'enveloppe que l'arbitre
lui a remise et qu'il m'a dédicacée. »
À partir de là, décidé à boire le calice jusqu'à
la lie, je m'en vais demander à Jacques Chirac de bien vouloir
m'épeler les noms des gens et objets qu'il va évoquer. À plusieurs
reprises, j'ai cru lire dans ses yeux un brin de commisération pour
mon inculture, et autant d'ennui pour avoir accepté de se prêter à
un tel exercice. Un ennui qu'il traduira à plusieurs reprises par
un courtois : « Tout ça ne présente aucun
intérêt… »
Sur Asashoryu – que je crois transcrire ici sans
faute, ou, s'il y a faute, en en rejetant honteusement la
responsabilité sur mon interlocuteur –, le président émet
toute une série de superlatifs : « C'est le grand
champion mongol, le très grand… Chaque fois que je vais au Japon,
je l'invite à dîner… Il est venu à Paris et m'a rendu
visite… » Dans son panthéon, nul doute que le lutteur
bénéficie d'une bonne place, voire de la meilleure. Jacques Chirac
n'en a d'ailleurs pas terminé avec son amour du sumo, car le meuble
de Philippe-Claude Montigny renferme d'autres « trésors »
sur la lutte traditionnelle japonaise et ses champions. Une
vulgaire chemise de carton bleue contient ainsi les résultats de
tous les matchs de sumo depuis 1999.
« Vous connaissez par cœur tous ces
résultats ?
– Évidemment, et pas seulement depuis 1999.
Je les connais par cœur comme d'autres connaissent les résultats du
Tour de France… Chaque fois que je participe à un sommet
international qui se déroule durant un tournoi, je me flatte
d'obtenir les résultats des matchs au moins une heure avant le
Premier ministre nippon… »
Jacques Chirac me montre encore toute une série
d'empreintes de mains de champions de sumo sur de grandes feuilles
de papier de riz. N'osant demander au président de m'épeler
tous les noms des yokozuna qu'il
m'assène, je me suis arrêté à ceux de Takanohana, du frère de ce
dernier et de Nashimahu.
« Vous connaissez probablement mieux le sumo
que le Premier ministre japonais lui-même ?
– Là-dessus, je n'ai effectivement aucun
complexe à son égard ! »
Toujours du même meuble le président extrait une
chronologie comparée des premiers alphabets, et deux dragons
chinois en jade : « Je suis toutes les ventes, même si je
ne suis pas acheteur… »
Mon guide me conduit ensuite devant une console
d'appui en bois doré, dessus de marbre blanc, avec quatre pieds
cambrés, de style Napoléon III : « Voici une très jolie
pièce offerte il y a très longtemps par ma femme à une époque où
les objets d'art chinois valaient peu de chose. Elle est de
l'époque Song, x e-xii e siècle après Jésus-Christ. Il s'agit d'une tête
de Guanyin, un bodhisattva, c'est-à-dire celui qui n'a pas atteint
l'Éveil, qui entend rester au service de ses concitoyens, un
super-saint en quelque sorte… Là, un petit bouddha… Là, des bronzes
archaïques chinois auxquels je me suis beaucoup
intéressé… »
Puis il va prendre entre ses mains chacun des cinq
vases et me faire un commentaire sur chacun :
« Le plus ancien est un vase à vin Jue de
l'époque Xia, c'est-à-dire de la première dynastie… Il appartenait
à la collection de Christian Deydier, le président du Syndicat
national des antiquaires… Celui-ci appartient à la culture
d'Erlitou, un site très ancien de la période des Xia et des Shang…
Voici un vase à vin Gu, de la dynastie des Shang, des environs du
xv e
siècle avant Jésus-Christ, vers la période d'Erlitou, mais un peu
plus tardive… Un vase tripode Ding, de la dynastie des Shang, entre
1600 et 1000 avant notre ère, étant entendu que la fin des Shang
date de 1027… Enfin voici un vase à vin Zun, de l'époque Shang, que
je daterais du xi e siècle avant Jésus-Christ. »
Au milieu de ces vases chinois, le président me
montre une figure Mezcala du Guerrero, bien isolée : une
« assez jolie pièce mexicaine » qu'il date de 350 ans
avant Jésus-Christ. « Tout ça n'est pas
extraordinaire… »
Je suis bien incapable de me prononcer sur son
jugement tant je suis dépassé par sa culture
extra-européenne.
Avant de rejoindre le médaillier en marqueterie
Boulle où trône le second rhinocéros de l'élève de Dürer, Jacques
Chirac s'arrête en quasi-extase devant « la plus belle
pièce : c'est une statuette mumuye… Avec l'art mumuye, on
atteint le sommet. Enfin, c'est mon goût à moi, mais personne ne
conteste que c'est exceptionnel. Cette pièce venait de la
collection de Jacques Kerchache ».
Une fois de plus je suis obligé de faire étalage
de mon ignorance et lui demande des explications sur cette statue
mumuye.
« Les Mumuye sont une ethnie du nord-est du
Nigéria.
– C'est la plus belle pièce que contient
votre bureau ?
– Oui. Enfin, je ne dirais pas cela, car j'ai
du mal à établir une hiérarchie entre les pièces, mais je considère
qu'elle représente un des sommets de l'art. »
Aux côtés de cette grande statuette africaine, une
louche faite en os de mouton, venant de Colombie-Britannique, que
lui a offert son cabinet : « Une louche pour faire des
offrandes, pas pour prendre son petit déjeuner ! Elle est de
l'ethnie Tingit et je la trouve très émouvante… »
Nous arrivons au meuble qui supporte le second
rhinocéros, lequel est entouré de deux grandes photos de Rafik
Hariri, le Premier ministre libanais assassiné le 24 février 2005 à
Beyrouth. Jacques Chirac me fait à son sujet un très bref mais fort
commentaire : « J'étais très lié à Hariri. » Il
présente ensuite une petite pièce arawak, pré-taïno, qu'il situe
entre 800 et 1400 avant Jésus-Christ, « probablement vers
1000-1100 » : « Elle n'a aucune valeur artistique,
mais je me suis donné beaucoup de mal pour la trouver. J'imagine
qu'elle vaut probablement quelque trois cents euros, mais, pour
moi, elle a une grande valeur. Il en existe très peu… Je me suis
beaucoup passionné pour les Taïnos 2 . J'étais donc heureux d'avoir dans mon
bureau une pièce symbolisant cette époque pré-taïno.
« Et voici un petit bouddha de la période
Sukhotai que le président Pompidou avait prise en affection et
qu'il avait installée dans sa chambre. À sa mort, Claude Pompidou
me l'a offerte… »
Nous passons à l'examen des pièces posées sur la
cheminée située derrière et légèrement à droite du bureau
présidentiel. Jacques Chirac prélève une statuette de terre cuite
qui jouxte un candélabre ciselé en bronze doré, neuf lumières,
style Louis XVI : « C'est une Haniwa de la période dite
des Grandes Tombes japonaises en trous de serrure. Autour de la
tombe, il y avait une série de terres cuites qui rendaient hommage
au mort, qu'on appelait des Haniwas et qui représentaient un
personnage ou un animal… On ne peut pas évoquer leur symbolique,
car ces tombes de la période Kofun appartiennent toutes,
pratiquement, à la famille impériale et il est par conséquent
impossible de les ouvrir et de les fouiller. Je me suis longtemps
battu pour participer à une fouille d'une “grande tombe”. Sans
succès. Ce qui serait intéressant, c'est de connaître ce qu'il y a
dans ces tombes. Pour y aller, il faudrait obtenir l'autorisation
de la famille régnante ; or, elle ne la donne
pas… »
Le président se met alors à me parler off. Il évoque l'hypothèse historique de l'origine
coréenne des personnes inhumées dans ces tombes impériales… Tout
cela relèverait donc du secret d'État. « Allez vous rhabiller,
c'est pesé !… » s'exclame le président.
À côté de l'Haniwa, deux sceptres cérémoniels
olmèques en jadéite que mon guide « aime beaucoup ». Mais
que n'aime-t-il pas en son musée ?« On peut les situer
entre 1200 et 800 avant Jésus-Christ. Là, j'ai une statue
précolombienne de Veracruz qui m'a été offerte par mon cabinet.
Elle date de quelque 500 ans après Jésus-Christ. Elle est jolie et
je l'aime bien. »
Dépassé par l'érudition de mon hôte, je veux faire
l'intéressant en remarquant un petit tableau encadré, de facture
moderne :
« Une reproduction ?
– Pensez donc ! C'est mon petit-fils qui
se passionne pour la peinture… »
Et, comme s'il s'était déjà trop épanché, il passe
rapidement à l'examen d'une autre statuette que j'aurais dite
africaine :
« Ça, c'est sentimental. J'aime beaucoup la
Papouasie-Nouvelle-Guinée. C'est un pays bordélique à souhait.
C'est le dernier conservatoire des langues du monde. Cette pièce
m'a été offerte par Nicolas Hulot après qu'il a eu fait ses
émissions sur la Nouvelle-Guinée, notamment sur les Asmats. Il m'a
rapporté ça… »
J'essaie de me rattraper après avoir qualifié
l'œuvre de son petit-fils de « reproduction ».
« Il n'est pas mauvais, votre
petit-fils.
– Il est passionné de peinture. Il avait 8
ans quand il a exécuté ce tableau… »
Le président met le holà à ce qu'il doit
considérer comme un dérapage sentimental. Et enchaîne sur un autre
type d'émotions :
« Là, c'est le Timor-Oriental. Comme je
m'étais beaucoup engagé dans la défense du Timor, le président
Guzmán m'a offert cela lors de sa visite officielle à Paris, il y a
quatre ou cinq ans. »
Le « cela » est composé de deux
statuettes noires : « C'est le symbole de la famille. Les
deux figurines sont installées devant la case principale, pendues
ou posées. »
J'aperçois sur un guéridon ce qui me semble être
de menus objets d'ivoire ciselés.
« Des ivoires ?
– Des faux qu'on m'a offerts en me prenant
pour un con. Des faux qui ont la prétention d'être
vrais… »
Un autre tableautin du petit-fils. Je n'émets plus
de commentaire. Jacques Chirac m'en sait gré et continue :
« Un petit monsieur Kasongo du Zaïre, assez ancien, de la
première moitié du xix e. » À ses côtés, une photo où je reconnais
l'ancien chancelier Schröder et sa famille. Le président
commente :
« C'est Schröder avec la petite fille russe
qu'il a adoptée. Elle est adorable. Du jour où elle est entrée dans
la famille Schröder, elle a refusé de prononcer un seul mot de
russe. »
Nous en arrivons au bureau du président, marqueté
de bois de rose et de violette, au dessus de maroquin rouge. De
style Louis XV, il est attribué au grand ébéniste Charles Cressent.
C'est le président Félix Faure qui le fit installer au palais de
l'Élysée.
Jacques Chirac se montre réticent à poursuivre
cette visite dont il ne voit guère l'utilité. Il ressasse
ses : « Mais ça n'a aucun intérêt… »
Il ne me présente pas la pendulette de voyage
« L'Épée » en bronze et laiton dorés, poignée en laiton
tourné, mais entame la description suivante :
« Voici une petite coupe anthropomorphe qui
est Bembe. Elle n'est pas laide. »
Puis il me montre en souriant une statuette
africaine :
« Je l'aime beaucoup, parce que je trouve
qu'elle ressemble, à la barbe près, à Kofi Annan. Elle a quelque
chose de lui. Je le lui ai dit. C'est une statuette
Kongo… »
Je désigne deux petites statuettes amérindiennes
et hasarde.
« C'est olmèque ?
– C'est madame de Villepin qui me les a
ramenées d'un voyage en Inde. »
Fatigué de jouer les guides, le président fait un
dernier effort pour décrire quelques-uns des « petits
riens » qui foisonnent sur son bureau : « Un objet
que les lettrés japonais posaient sur leurs papiers pour empêcher
qu'ils ne s'envolent… Une statuette offerte par David Lee, qui,
selon lui, a été faite par un moine bouddhiste. S'il le dit, ce
doit être vrai… Voici des monnaies de Calédonie… »
Installé à son bureau, le président peut voir,
légèrement sur sa gauche, deux portraits : un petit, de la
dimension de deux Photomaton, celui du général de Gaulle, et un
beaucoup plus important, celui, très posé, de Martin, son
petit-fils, œuvre de Bettina Rheims.
Une clochette en bois : « C'est Maurice
Ulrich qui me l'a ramenée d'un voyage. » Enfin « une
petite montre de Takanohana, le grand, le très-très grand
champion »…
En terminant la visite, le président lâche :
« Ça n'avait vraiment pas d'intérêt particulier. Tout cela n'a
de valeur que pour moi… »
Nous passons sous le lustre à cinquante-six
lumières, bronze doré et cristaux, de la fin du xix e, et foulons le
tapis de savonnerie Louis XIV, pour regagner la salle de conférence
mitoyenne du bureau présidentiel et y reprendre nos
entretiens.
Pour compléter mon approche de la sphère intime du
président Chirac, il me faudrait avoir accès à sa bibliothèque. Par
son plus proche collaborateur, je sais que l'affaire est délicate
dans la mesure où ses livres sont entreposés dans sa chambre.
En attendant de trouver le sésame, j'ai glané
quelques informations sur ses lectures. Il a aimé les auteurs
russes : Pouchkine, évidemment, mais aussi Dostoïevski. Il a
dévoré depuis belle lurette, comme on l'a vu, tous les livres
d'André Malraux, et en possède deux dédicacés par l'auteur. Aimé
beaucoup les romans de cape et d'épée d'Alexandre Dumas dont il a
fait entrer les cendres au Panthéon, le 30 novembre 2002 :
« Avec vous c'est l'enfance, ses heures de lecture savourées
en secret, l'émotion, la passion, l'aventure, le panache qui
entrent au Panthéon. Avec vous nous avons été d'Artagnan, Monte
Cristo ou Balsamo, chevauchant les routes de France, parcourant les
champs de bataille, visitant palais et forteresses. Avec vous nous
avons emprunté, un flambeau à la main, couloirs obscurs, passages
dérobés et souterrains. Avec vous nous avons rêvé. Avec vous nous
rêvons encore. […] Dumas incarne la France dans ses
contradictions les plus intimes. C'est aussi pour cela que les
Français l'aiment tant. »
Malraux et Dumas étaient deux auteurs détestés par
François Mitterrand… Les bibliothèques des deux hommes d'État n'ont
d'ailleurs pas – ou pratiquement pas – de livres en partage.
Fromentin, Barrès, Proust, Montherlant, Chardonne, Drieu, qu'aimait
François Mitterrand, n'ont jamais inspiré son successeur. Et je
doute fort que le provincial de Jarnac ait éprouvé un quelconque
engouement pour Francis Carco dont l'ancien député de la Corrèze a
lu tous les livres, encore moins pour La
Négresse blonde de Georges Fourest.
Questionnant l'intéressé pour savoir s'il est vrai
qu'il connaissait par cœur La Négresse
blonde, je l'entends me répondre :
« C'est vrai que je savais par cœur
La Négresse blonde, ce grand moment de
la littérature française… Vous connaissez ? Vous l'avez
lue ? »
Une fois de plus, je perçois, à sa mimique, que
Jacques Chirac ne comprend pas comment on peut vivre sans avoir lu
et relu cette œuvre majeure.
« C'est un merveilleux livre »,
conclut-il pour enfoncer le clou.
Je me suis évidemment procuré La Négresse blonde. Avant d'essayer de tirer
quelques menus enseignements d'une telle passion pour un tel livre,
je ne résiste pas à l'envie de citer un bref passage que le
président de la République non seulement appréciait, mais pouvait
encore réciter par cœur :
Quand j'atteignis 15 ans, le Cid Campeador,
Pour m'offrir sa tueuse et ses éperons
d'or,
Sortit de son tombeau ; d'une voix
surhumaine :
« Ami, veux-tu coucher, dit-il, avec
Chimène ? »
Moi, je lui répondis « Zut ! » et
« Bran ! » Par façon
De divertissement, d'un coup d'estramaçon
J'éventrai l'Empereur ; puis je châtrai le
Pape
Et son grand moutardier : je dérobai sa
chape
D'or, sa tiare d'or et son grand ostensoir
D'or pareil au soleil vermeil dans l'or du
soir !
Des cardinaux traînaient mon char à quatre
pattes,
Et je gravis ainsi, sept fois, les monts
Karpathes.
Je dis au Padishah : « Vous n'êtes
qu'un faquin ! »
Pour ma couche le fils de l'Amorabaquin
M'offrit ses trente sœurs et ses quatre-vingts
femmes,
Et je me suis grisé de voluptés infâmes
Parmi les icoglans du grand Kaïmakan !
…………………………………………
Matagrabolisant le pleutre qui me rase,
Me souciant très peu que l'on m'approuve ou
non
Et laissant aux châtrés l'exsangue
périphrase,
Eh bien oui ! j'ai nommé la Merde par son
nom !
Fourest a aussi parodié les écoles littéraires et
les grands classiques (Corneille, Hugo…), et c'est probablement une
des raisons qui l'ont fait aimer de Jacques Chirac.
L'anticonformisme de cet avocat natif de Limoges, menant
apparemment une vie rangée, avait tout pour séduire un garçon qui
avait pris le contrepied culturel de son milieu.
Provincial mais voyageur, poète, ami des peintres,
Carco était aussi un bourgeois qui, le soir venu, traînait dans les
quartiers chauds pour en tirer l'inspiration de Jésus la Caille ou de Prison
de femme, entre une centaine d'autres œuvres…
Pour avoir une connaissance plus précise des
livres que Jacques Chirac aime à prendre en main, feuilleter,
regarder, lire, l'idéal aurait été d'entrer dans sa bibliothèque,
mais celle-ci et sa chambre ne font qu'un. Intime est donc le
cabinet de lecture du président. Je sais néanmoins qu'il a gardé
intactes la chambre décorée par Jean-Michel Wilmotte et
l'antichambre dallée noire, décorée par Philippe Starck et dans
laquelle François Mitterrand se plaisait à travailler quand il
souhaitait n'être pas dérangé. L'esprit de François Mitterrand rôde
toujours à l'Élysée, avec la complicité des Chirac. Depuis
l'Élysée, pour ses derniers vœux, il avait déclaré aux
Français : « Là où je serai, je resterai avec
vous. » Il est resté dans ce palais plus qu'ailleurs. Mais,
sur la table ronde de la pièce noire, livres et dossiers ont été
remplacés par de petits objets inuits et de menus cadeaux faits par
Laurence à son père. Dans la chambre elle-même, à part les œuvres
de Baudelaire et certains titres de Jean d'Ormesson, François
Mitterrand n'aurait sans doute pas aimé être enfermé ou malade avec
les ouvrages de son successeur pour seuls compagnons.
Les livres de Chirac, à quelques exceptions près,
sont en harmonie avec les objets de son bureau et avec sa serviette
noire. D'abord les exceptions. Celle, peu surprenante : tout
ce que le général de Gaulle a écrit s'y trouve – certains livres y
figurent même en plusieurs éditions. Plus surprenantes : toute
la collection des livres de la Pléiade, Verlaine, les romans de
Gide, six tomes de Paul Éluard dans une jolie reliure, le
Dictionnaire abrégé du surréalisme de
Paul Éluard et André Breton, un livre sur les rapports entre Paul
Éluard et Max Ernst, les œuvres complètes de Saint-Exupéry,
plusieurs anthologies de la poésie française, dont évidemment celle
de Georges Pompidou, quelques livres qui appartenaient à ce
dernier, les fables de La Fontaine, le Catalogue raisonné de l'œuvre peint de Nicolas de
Staël, Amers de Saint-John Perse,
quelques dizaines de romans policiers.
Tout le reste de la bibliothèque est consacré aux
origines de l'humanité, à l'archéologie, aux civilisations perdues,
à l'Asie, aux religions, à l'écriture, aux langues et aux arts
premiers. Sans prétendre être exhaustif, citons : les grands
Atlas Universalis de l'archéologie et des
religions, Splendeurs des civilisations perdues, Femmes de
Philippe Sollers, Chinese Ceramics, Les Arts
de l'Asie centrale, Les Arts de la Chine (de 1665, dédié à
Mgr de Colbert, cadeau de Charles Pasqua), Le
Japon artistique, les cinq volumes du Dictionnaire encyclopédique d'histoire (de Michel
Mourre, chez Bordas), le Dictionnaire
universel francophone, l'Encyclopédie des Religions (de
Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier), l'Histoire de l'écriture, des religions et des hommes
(Jean Delumeau), Halte à la mort des
langues (Claude Hagège), L'Enfant aux
deux langues (Claude Hagège), Naissance
de l'écriture cunéiforme et hiéroglyphique, L'Aventure des
écritures, Les Rites de l'au-delà (Jean-Pierre Mohen),
La Femme des origines (Claudine Cohen),
L'Âge d'or de l'Humanité (Jean
Chavaillon), Trois millions d'années,
quatre-vingts milliards de destins (Pierre Chaunu),
Mythologies, une anthologie illustrée des
mythes et légendes du monde (Gründ), L'Archéologie en France et dans le monde (Nathan),
de nombreuses publications d'Yves Coppens, Pascal Picq, Henry de
Lumlet, Jean Malaurie, L'Aube de la
France (Paul Guth), L'Identité de la
France (Fernand Braudel), tous les livres d'art de la
collection « Citadelles » chez Mazenod, de nombreux
livres sur l'Égypte ancienne, sur l'art précolombien, sur
l'histoire et l'art chinois, et toute la collection de l'univers
des formes par André Chastel, L'Histoire
générale de l'Afrique en huit tomes, d'autres ouvrages sur
l'art africain, une Histoire de l'empire
mongol, des livres sur Confucius, de Lao-Tseu, Les fils de Gengis Khan, des ouvrages sur le Tibet
et beaucoup d'autres de la même eau, sans oublier celui qui a
probablement été le plus lu depuis son adolescence, L'Empire des steppes : Attila, Gengis Khan,
Tamerlan, de René Grousset, livre qui concentre et résume à
lui seul le « Chirac intime ».
René Grousset était le directeur du musée Guimet
quand le jeune Chirac entama la quête qui allait ouvrir un large
champ à son imagination enfiévrée : monde des nomades et des
chamanes, où l'art des steppes représente incontestablement l'une
des communions les plus saisissantes de l'homme avec l'univers,
selon l'expression d'André Malraux.
À partir d'un fonds culturel aussi
« décalé » – je pense encore au parallèle avec François
Mitterrand –, Jacques Chirac a-t-il, comme tous ses
prédécesseurs de la Ve République,
envisagé d'écrire ?
Il commence par répondre « non » , puis
nuance :
« J'ai écrit en grande partie La Lueur de l'espérance… Il faut vous dire que j'ai
toujours été suroccupé … Il y a des gens qui ont une intelligence
très véloce, moi je suis un besogneux, je ne suis pas un rapide, je
n'ai donc pas trouvé le temps d'écrire.
– Vous auriez aimé écrire ?
– Probablement.
– Vous avez omis de me dire que vous avez
rédigé en partie un manuscrit qui s'appelle Les Mille Sources. »
Le président de la République s'abstient de me
répondre, mais me livre une confidence :
« Il y en a un qui me poussait à
écrire : c'est Pierre Seghers… Et puis je ne l'ai pas
fait », dit-il avec une pointe de regret dans la voix.
Quelques entretiens plus tard, ayant lu dans un
ouvrage récent, La Guerre des trois
3 , que Jacques Chirac,
envisageant à la fin de 1994, pour cause de mauvais sondages,
d'abandonner la politique, avait commencé à élaborer un scénario
sur une princesse chinoise, je l'interroge sur ce projet
cinématographique.
« Je suis insensible à la haine et tout aussi
insensible au découragement. Je ne crois pas aux sondages, qu'ils
soient bons ou mauvais. C'est ma grande différence avec Sarkozy… Je
lui dis toujours : “Arrête de te fier aux
sondages !” »
– Vous voulez dire par là que vous n'avez
jamais songé à arrêter à la fin 1994 ?
– Absolument pas !
– À quel moment avez-vous commencé à rédiger
ce scénario ?
– J'ai commencé il y a sept ou huit ans…
C'est l'histoire de Yang Guifei, La Concubine
précieuse Yang, le grand amour qui anima la vieillesse de
l'empereur Xuanzong, des Tang. J'avais réussi à convaincre la
ravissante actrice chinoise Gong Li de jouer le rôle de Yang
Guifei. C'est une merveilleuse histoire qui se passe au Moyen Âge,
au viii e
siècle. J'en ai écrit un bon tiers, je l'ai toujours sous le
coude… »Toujours la même fascination pour la Chine, mais aussi
pour le Tibet, le Japon. Sa femme rapporte qu'il ne se lasse pas de
visionner Les Sept Samouraïs… On est
bien loin de l'« agité », buveur de bière, quasi
analphabète, n'aimant que les polars, dont le seul vrai plaisir
serait d'arpenter les campagnes françaises et d'y flatter le cul
des vaches. Sa culture, la vision du monde qui en découle, en font
un président hors normes, et sa pensée politique ne peut pas, à
l'évidence, ne pas en être imprégnée.
1 Le petit Larousse écrit : n.
m. (lat. viaticum, de via. route). a. Vx.
Argent, provisions que l'on donne pour faire un voyage. b.
Litt. Moyen de parvenir, soutien,
atout. c. Liturgie. Sacrement de
l'eucharistie administré à un chrétien en danger de mort.
2 Dans une interview au Figaro datée du 23 novembre 1996, Jacques Chirac a
déclaré à propos des Taïnos : « Quand toute l'Europe a
célébré à sons de trompe Christophe Colomb, j'ai souhaité pour ma
part rendre hommage aux peuples qui ont été les victimes de la
découverte du Nouveau Monde. C'est pour cela que nous avions monté
l'exposition consacré à l'art des Taïnos. »
3 De Serge Raffy, Fayard, 2006.