23.
La « trahison » de Balladur,
ou la chance de sa vie
Sans « trahison » d'Édouard Balladur, Jacques Chirac n'aurait sans doute jamais été président de la République. Perdant son principal conseiller politique qui a décidé de faire cavalier seul, le maire de Paris n'a d'autre issue que de se choisir un tout autre programme que celui qu'on lui concoctait d'ordinaire ; pour la première fois, il se fiera à lui-même pour imposer des idées que les Juillet, Garaud, Balladur et autres Pasqua avaient jusqu'alors réussi à lui faire mettre sous le boisseau. Il pourra enfin donner libre cours à son vieux tropisme de gauche, à son fonds rad-soc corrézien. Il trouvera d'autres conseillers pour mettre en musique sa propre partition. Il pourra enfin être lui-même. Chirac pourra retrouver Jacques, ou, pour reprendre un mot de sa fille Claude, il se « rejoindra ».
Désireux de vérifier la pertinence de cette lecture de son destin présidentiel, je téléphonai un dimanche 1 au chef de l'État. Toujours aussi sobre, il se contenta de me répondre par deux fois : « C'est probablement exact ! »
Ils avaient pourtant été nombreux (Giscard, Pasqua, Juppé, Séguin…) à lui ressasser que ce n'était pas une bonne idée que d'installer Édouard Balladur à Matignon. Mais rien n'avait pu alors ébranler l'absolue confiance qu'il vouait à celui que les gazettes appelleront, pour se moquer, son « ami de trente ans ». Les premiers signes indiquant que ceux qu'il considérait comme des oiseaux de mauvais augure avaient probablement raison se firent vite sentir. Mais Jacques Chirac ne les vit pas ou ne voulut pas les remarquer, tant il lui était impossible d'imaginer le pire. N'avait-t-il pas passé un pacte attribuant Matignon à son ami, lequel devait en échange préparer son accession à l'Élysée ?
Dès le lendemain de l'élection, Édouard Balladur ne fait pourtant pas appel au maire de Paris pour constituer son gouvernement, contrairement à l'attitude qu'avait adoptée Jacques Chirac en l'appelant à ses côtés, en 1986, pour former le sien. Le patron du RPR doit même se battre pour y imposer quelques chiraquiens. Une nouvelle catastrophe familiale – la mort de Philippe Habert, mari de sa fille Claude – détourne un temps Chirac de la politique. Le 8 avril, jour des obsèques, l'hôte de Matignon expose son programme de gouvernement « pour les cinq ans à venir ». Jacques Chirac ne veut toujours pas voir malice dans cette inscription de l'action du Premier ministre bien au-delà de la période de cohabitation. Fin mai, la Sofres, qui va jouer un rôle important dans la promotion du candidat Balladur, l'installe déjà comme « présidentiable » aux yeux de 54 % des Français, contre 38 % pour le maire de Paris.
À la mi-juin, Philippe Séguin, qui a été élu président de l'Assemblée nationale et s'est rabiboché avec le maire de Paris dans le même temps où il s'éloignait de Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, appelle à un renversement complet des valeurs du parti gaulliste et de ses choix fondamentaux, ce qui exaspère d'autant plus le Premier ministre que le maire de Paris laisse passer sans sourciller cette attaque en règle. Les rumeurs sur les tensions de plus en plus vives entre les deux amis commencent à courir Paris. Balladur ne manque pas une occasion de rappeler qu'on n'est plus sous la IVe République et que ce ne sont plus les chefs de parti qui dirigent le pays. Le 19 juillet, au cours du déjeuner des responsables de la majorité, Balladur regrette que Jacques Chirac ne se soit pas démarqué du discours de Philippe Séguin. Les observateurs ont tous compris que l'ex-« connétable », qui a pris beaucoup d'assurance et a fait jusque-là un sans-faute à Matignon, s'est émancipé du patron du RPR et a déjà les yeux rivés sur l'Élysée.
Les relations qui se sont nouées dès les débuts de la cohabitation entre François Mitterrand et Édouard Balladur ne pouvaient de surcroît qu'agacer le maire de Paris. Le président a apprécié d'entrée de jeu son nouveau Premier ministre, policé et pince-sans-rire, un ancien du « 104 », comme lui 2 . Dès le premier Conseil des ministres, les deux chefs de l'exécutif ont partagé la même approche de deux problèmes majeurs de politique internationale, la Yougoslavie et le Rwanda. D'emblée, le président trouve au Premier ministre « du poids et de la tenue 3  », il a le sentiment que celui-ci est « plus équilibré que sa majorité ». Quand, dès le mois de juin 1993, la rumeur d'une candidature Balladur à la prochaine présidentielle s'est mise à enfler dans le Tout-Paris, François Mitterrand feint de refuser d'y croire : « S'il le pensait, il ne le dirait pas », même s'il pressent que, le jour venu, l'hôte de Matignon se présentera contre le maire de Paris. Mais, répète-t-il à ses collaborateurs, lui-même n'a nullement l'intention de peser en faveur de l'un ou de l'autre. Quant au patron du RPR, il a toujours autant de mal à imaginer que son « ami de trente ans » puisse s'apprêter à le trahir…
Nouvelle et grave alerte pour le clan chiraquien de plus en plus inquiet : le 12 août, au « 20 heures » de France 2, à la question de savoir si Chirac est le candidat « naturel » du RPR, Balladur ne répond pas. Trois semaines plus tard, le Premier ministre ne se rend pas à l'université d'été des jeunes du RPR pour qui Jacques Chirac est bien entendu le candidat « naturel ». Les cris des jeunes RPR : « Mitterrand à Latche ! Chirac à l'Élysée ! » n'ont pas dissipé le malaise grandissant au sein du parti néo-gaulliste. Commentant pour Le Monde ces journées, Olivier Biffaud termine ainsi son article : « Placé dans une situation difficile tant que M. Balladur est au zénith dans les sondages, M. Chirac ne peut souhaiter que la cote du Premier ministre s'effondre, sous peine de sombrer avec lui. Il ne peut en effet prétendre avoir, par ces sondages, une concrétisation du bon choix qu'il a fait en “créant”, dans l'opinion, cet homme nouveau qu'est M. Balladur, et ne pas admettre la réciproque. Fort de cet axiome, le maire de Paris va devoir faire beaucoup mieux qu'à Strasbourg pour échapper à la tragédie. »
À Strasbourg, Jacques Chirac a enfin ouvert les yeux et confié à François Baroin en détournant le regard : « J'ai été naïf » ; lequel Baroin commente devant Raphaëlle Bacqué 4  : « Finalement, cela m'a soulagé. L'abcès était crevé. J'ai pensé qu'il avait enfin compris que Balladur nous entraînait vers la division. »
Une explication entre les deux hommes s'impose. Le 11 septembre, ils se rencontrent en tête à tête pendant deux heures à Matignon, officiellement pour procéder à « un large tour d'horizon ». La presse est avisée de cette rencontre. Le Premier ministre raccompagne le maire de Paris jusqu'au perron. Invité par les journalistes à dire s'il s'est agi d'une visite de « réconciliation », Balladur répond : « Pour se réconcilier, il faut être fâché. » Personne n'est dupe.
Le président de la République se souvient fort bien de cette rencontre, ou plutôt de la façon dont elle s'est terminée.
« Après un tête-à-tête à Matignon – je crois que c'était le dernier –, le Premier ministre me raccompagne jusque sur le perron. Je lui dis “Au revoir”, je descends deux marches et il me dit alors : “Jacques, je veux que vous sachiez maintenant que je ne serai jamais votre Premier ministre.” Il n'était pas encore candidat. Pour moi, il devait y avoir continuité, c'est-à-dire qu'il devait être mon Premier ministre si je gagnais les élections. C'était en réalité une manière de me dire qu'il allait se présenter contre moi… Cette manière de le dire sur les marches, au moment où je partais, alors qu'il me tournait déjà le dos, c'est comme ça que j'ai appris qu'il serait candidat.
– Vous avez aussi confié qu'au fil du temps, vous n'arriviez plus à accrocher son regard.
– C'est vrai, c'est vrai… »
J'essayai de le faire parler sur cette époque douloureuse, de lui faire reconnaître à quel point il vécut mal ce lâchage. De déballage de sentiments je n'obtins point. « Ça m'a fait de la peine », m'a-t-il d'abord répondu, puis, se « lâchant » un peu plus : « Nous avons été intimes, et je n'avais jamais imaginé qu'il pourrait tirer un avantage quelconque de notre relation. »
Chirac a peut-être compris, mais, au moins pendant un certain temps, il doit se comporter comme si… Les deux hommes sont encore condamnés à faire bonne figure. Leur entourage monte une opération de communication à l'occasion des journées d'études parlementaires du RPR à La Rochelle, le 26 septembre. Pour « montrer à l'opinion que l'émulation, ce n'est pas forcément la guerre […]. La consigne est claire : dédramatiser, rassurer et baliser. En un mot, assumer », écrit encore Olivier Biffaud. L'on vit donc Jacques Chirac et Édouard Balladur deviser sur les quais du port de La Rochelle. Les nombreuses images prises de l'événement furent loin de traduire une réconciliation entre amis. Les deux hommes marchaient ensemble, certes, mais sans jamais se regarder, et, attablés devant un café, ils ne se parlaient pas. Jacques Chirac rejoignit quasiment seul son petit avion tandis que Balladur entraînait derrière lui la meute des journalistes après avoir réuni toute la journée autour de lui celle des parlementaires…
Jacques Chirac continue à avaler des couleuvres et prend conscience de son isolement au sein de son propre parti. La pire défection est celle de Nicolas Sarkozy, qu'il considérait comme de la « maison », qu'il avait aidé à prendre la mairie de Neuilly, qui était un proche ami de sa fille, presque un fils, intelligent, malin, débordant lui aussi d'énergie, gros avaleur de dossiers, son disciple depuis la fin des années 70. Le signe quasi officiel de cette défection est intervenu le 24 octobre sur l'antenne de RTL-Le Monde. À la question : « M. Sarkozy, pourquoi n'allez-vous plus aux réunions des conseillers de Jacques Chirac ? », le ministre du Budget a répondu.
« Parce que le Premier ministre a demandé aux ministres de s'occuper de leur département ministériel et de ne pas se préoccuper des élections présidentielles. C'est ce que je fais, et chacun des ministres est bien inspiré de faire de même. C'est pourquoi nous avons un gouvernement où il n'y a plus de bagarres, pas de divisions et, jusqu'à présent, ni couacs ni discordes. »
Jacques Chirac se montre plus loquace qu'à son habitude pour parler du Sarkozy qui l'a lâché à l'automne 1993. Il évoque d'abord « le jeune militant de Neuilly, qui s'est politiquement engagé à plein pour moi ». « J'ai eu l'occasion de lui rendre un premier service lorsque Achille Peretti, maire de Neuilly, est mort. Sarkozy voulait lui succéder. Cela a été compliqué à organiser. Sarkozy est très ambitieux, et comme il est très intelligent, il considère que tout doit être mis au service de ses objectifs. À l'époque, j'étais maire de Paris. J'ai dû rendre un arbitrage. À Pasqua j'ai dit : “Tu n'iras pas, tu vas laisser la place à Sarkozy, il est jeune, et il faut pousser les jeunes.” À peine élu, Sarkozy n'a cessé d'expliquer que je n'y avais été pour rien. Je n'y ai pas prêté cas. Il continue d'ailleurs de prétendre que je n'y ai été pour rien. Cela aurait dû faire tilt… mais il a continué à me soutenir. »
Le président en vient au lâchage de Sarkozy, le 24 novembre 1993, à l'issue d'un bureau politique du RPR réuni à Paris, rue de Lille : « On clôt la réunion, tout le monde s'en va… J'étais le dernier, je m'apprête à m'en aller. Je passe un coup de téléphone quand Sarkozy réapparaît et me dit : “Il faut que je vous parle.” On s'est rassis tous les deux au milieu des trente chaises vides.
– Je vais déclarer mon soutien à Balladur.
– Écoute, c'est bien, mais pourquoi viens-tu me dire cela ?
– Moi, je suis un politique, je fais de la politique, et il est évident que Balladur sera élu. Donc je soutiens Balladur.
« Je lui réponds.
– C'est très bien : tu fais ce que tu veux.
« C'était tout à fait étonnant : ce garçon qui m'a toujours soutenu vient me dire qu'il va soutenir Balladur parce qu'il est un politique ! »
Nicolas Sarkozy expose évidemment une autre version selon laquelle Chirac lui aurait demandé de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, lui-même devant se porter candidat quoi qu'il arrive ; ce à quoi lui, Sarkozy, aurait répondu qu'il resterait le porte-parole de Balladur, quoi qu'il arrive. D'après François Baroin, Chirac lui aurait alors demandé de revenir travailler avec lui 5 .
Durant cette période difficile, le maire de Paris est sensible au petit signe que lui adresse le président de la République, à la fin de novembre 1993, lors de l'inauguration du Grand Louvre. Tout le monde peut voir François Mitterrand et Jacques Chirac rire ensemble de bon cœur. Peu de jours après, le 17 décembre, intervient le premier accroc sérieux à cette exquise cohabitation, provoqué par François Mitterrand à Céret (Pyrénées-Orientales). Devant une délégation de parents et d'enseignants de l'enseignement public, le président de la République reproche vivement au gouvernement les conditions de l'abrogation de la loi Falloux 6 . Il se dit « surpris, offusqué que l'on puisse ainsi bousculer le Parlement 7  ». Philippe Séguin et Jacques Chirac vont se livrer dès lors à un certain nombre de déclarations sur la nécessaire laïcité de la République.
Le dimanche 19 décembre, deux ministres d'État, Simone Veil, ministre des Affaires sociales, et François Léotard, ministre de la Défense, lancent de facto la campagne présidentielle en déclarant que le Premier ministre a les « qualités requises » pour faire un bon candidat. François Mitterrand s'étonne de cet effet d'annonce qu'il estime prématuré : « Lancer une campagne aujourd'hui, c'est un peu faire l'impasse sur les difficultés de demain », confie-t-il à Jean-Pierre Elkabbach. Le Premier ministre commence un peu à l'énerver. Il adresse un nouveau signe au maire de Paris, le 5 janvier 1994, à l'occasion des vœux au cours desquels Jacques Chirac évoque la progression de la misère et des sans-abri dans Paris : François Mitterrand l'approuve et le prend quelques minutes en aparté dans un petit salon…
Durant les mois qui suivent, le maire de Paris se livre à un exercice pour lui inhabituel : dans le plus grand secret, il mène un travail de réflexion solitaire. S'il recherche ses informations sur le terrain, au fil de ses tournées en province, auprès de groupes de travail, mais aussi de certains conseillers, il est en revanche seul à effectuer le travail de synthèse. Il rencontre ainsi longuement Xavier Emmanuelli pour parler de la misère qui sévit dans la capitale, visite les quartiers défavorisés, consulte Sœur Emmanuelle. Il installe sa table de travail dans une villa de Montfort-L'Amaury louée sous un faux nom. Seuls Maurice Ulrich, Jean-Pierre Denis et Claude Chirac sont dans la confidence. Quand le pensum du maire de Paris est presque fin prêt, Nicole Lattès, l'éditrice, est mise dans le secret. Le titre codé du livre est Une nouvelle femme (en lieu et place du vrai titre qui sera Une nouvelle France – réflexions 1), et l'auteur se dissimule sous le prénom Justine… Le livre sort le 21 juin 1994, bénéficie d'un très bon plan-médias et surprend à la fois par son ton et le diagnostic qu'il porte. Chirac l'a dédié aux jeunes Français nés après 1968, à « une génération qui observe une société hostile sans pour autant en contester les fondements. Et pourtant… Dans certaines banlieues où un jeune sur deux n'a pas de travail, on ne peut plus parler de crise de l'emploi, mais d'une “désintégration sociale”, comme le souligne Alain Touraine. Même angoisse dans un pays dont la capitale est obligée, face à la montée de la détresse et de la grande pauvreté, de créer un SAMU social pour effectuer les gestes les plus élémentaires de la solidarité ! » Toute l'introduction est de la même veine. Continuent à donner le ton le premier chapitre intitulé « L'emploi avant toute chose », ainsi que sa première ligne : « Le chômage est notre tragédie. » L'auteur y propose un nouveau contrat social. Il parle beaucoup de République, d'égalité des chances, et formule ce terrible constat : « En vingt ans, les Français ont peu à peu divorcé d'avec la France. Une crise économique dont ils ne voient pas la fin a rompu pour beaucoup le lien de confiance qui les unissait à la société. Anxiété devant le chômage et risque d'exclusion. Vulnérabilité devant l'évolution des techniques et l'ouverture des frontières… » Tous les thèmes de sa future campagne sur la « fracture sociale » figurent déjà dans cet opuscule de 141 pages qui devient instantanément un best-seller, cependant que les élites font la fine bouche et ont les yeux de Chimène pour un Balladur qui caracole en tête dans les sondages.
La promotion d'Une nouvelle France donne l'occasion au maire de Paris de continuer à labourer la France profonde avant d'aller travailler, loin de Paris, ses magouilles et ses miasmes médiatico-politiques, dans un « ryokan », hôtel typiquement japonais niché à mi-pente d'une haute montagne, à deux heures de Tokyo. Jacques Chirac adore coucher par terre sur un tatami, il est familier des cloisons en papier, de la baignoire en sycomore, il apprécie la cuisine kaiseki faite sur des pierres chauffées, goûte le musée de sculptures en plein air tout proche… « Je suis persuadée, c'est devenu chez moi comme une superstition, que de ce séjour quasi monastique est née la victoire de mon mari. Car il a beaucoup réfléchi, beaucoup écrit. Personne là-bas ne lui a fait signe. Il a vraiment senti le poids de la solitude. Et c'est là qu'il a bondi », se souvient Bernadette Chirac 8 .
Pendant ce temps-là, Jacques Pilhan et son équipe, conseillers en communication de François Mitterrand, se sentent quelque peu désœuvrés et s'emploient à démonter la « machine infernale » de Balladur, qu'ils n'aiment pas. Le coup monté par TF1 avec le concours de la Sofres, le soir même des résultats des élections européennes de juin 1994, a particulièrement irrité Pilhan 9 . S'appuyant sur un sondage effectué à la sortie des urnes, TF1 a annoncé que si les Français avaient voté pour un président, Édouard Balladur aurait été élu. Une annonce faite avant même la proclamation des mauvais résultats (26 % pour la liste Dominique Baudis) de la droite. Il y a là effectivement de quoi crier à la manipulation, mais ce n'est pas le genre de Pilhan. Le « gourou », comme les mauvais esprits l'appellent, a suffisamment d'antennes dans les médias pour savoir ce qui s'y trame. Il a ainsi mis au jour les rôles imbriqués des « déjeuneurs de Torcello » – l'éditorialiste Alain Duhamel, Jean-Marie Colombani, du Monde, Jérôme Jaffré, le très médiatique patron de la Sofres, mais aussi Nicolas Sarkozy et Alain Minc – ainsi que de TF1 et du journal Le Monde, les deux grands médias faiseurs d'opinion. « Si ce que tu vis est dans le poste, et si tu vois Balladur interviewé par les journalistes dans le poste, tu en conclus que Balladur est formidable. Les sondages te disent également de leur côté que Balladur est formidable. Dès lors, le système est bouclé : Balladur est vraiment formidable 10 … » Pilhan n'est pas peu fier de cette formule : « Le réel est dans l'écran de télévision, et l'opinion est dans le sondage. »
Bernard Brigouleix, responsable de la communication à Matignon, confirme l'analyse de Pilhan. Il a observé le manège 11  : « Nicolas Sarkozy a vite compris que le directeur de la Sofres serait un formidable vecteur pour la popularité d'Édouard Balladur. Jaffré est reçu partout. Il est très ami avec deux commentateurs particulièrement influents : Alain Duhamel, qui cumule les commentaires sur France 2, Europe 1, dans Libération, Le Point et quelques journaux de province ; et Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, intervieweur avec Duhamel dans l'émission télévisée L'Heure de vérité. Jaffré, Colombani et Duhamel ont formé un groupe de “déjeuneurs” et s'assoient régulièrement à la table des ministres. Ils côtoient par ailleurs Alain Minc, administrateur du Monde et inspirateur d'Édouard Balladur […]. Nicolas Sarkozy et Jérôme Jaffré s'entendent bien : à Sciences-Po, le jeune Sarkozy était l'élève du jeune Jaffré. Quoi d'étonnant à ce qu'au fil de leurs conversations l'un et l'autre soient passés de l'analyse de sondages à la stratégie électorale ? Ces deux-là sont convaincus que l'élection d'Édouard Balladur à l'Élysée se fera sans coup férir, dérogeant à toutes les règles vérifiées sous la Ve République. »
Pilhan est néanmoins persuadé qu'il ne faudrait pas grand-chose pour dérégler cette belle machine. À la mi-1994, il a déjà en tête divers moyens de la gripper. Il estime que Balladur utilise les médias de manière excessive et ne pourra donc plus, le moment venu, changer de posture, passer de celle de Premier ministre à celle d'aspirant-Président. L'effet de surprise ne fonctionnant plus, l'avantage reviendra alors à Chirac. Pilhan est persuadé que Balladur n'a pas utilisé la bonne « syntaxe médiatique », qu'il vit dans une « bulle » à l'atmosphère raréfiée, comme sur les hauteurs du Mont-Blanc. Ayant amélioré au fil des années sa grille d'analyse en croisant plusieurs disciplines – sociologie, linguistique, psychologie –, en multipliant entretiens non directifs et analyses qualitatives pour ausculter le corps social sans pour autant négliger les sondages (commandés surtout à Jean-Marc Lech), Pilhan a très tôt discerné la faille du dispositif balladurien, et, en serviteur loyal, a fait part de ses conclusions au président de la République.
Le 19 juillet 1994, François Mitterrand subit une deuxième intervention chirurgicale qui va bouleverser les plans des stratèges de Matignon. Les collaborateurs du Premier ministre sont parfaitement informés de l'évolution probable de son cancer et du temps qui lui reste à vivre. Les ministres qui assistent au très bref Conseil des ministres du 3 août sont impressionnés par l'état de fatigue du président qui n'a pu prononcer que quelques phrases d'une voix rauque et voilée. J'ai pu moi-même le constater juste après ce Conseil, m'étant alors entretenu avec lui pendant une cinquantaine de minutes. Un article du Monde publié le 2 août ainsi que diverses indiscrétions avaient été interprétés à l'Élysée comme témoignant de la volonté d'Édouard Balladur de mettre ses troupes en ordre de marche en cas d'élections anticipées 12 . Le Monde décrivit avec force détails la constitution de la « FAR » (force d'action rapide) placée notamment sous les ordres de Nicolas Bazire et Nicolas Sarkozy. Les balladuriens auraient déjà trouvé des locaux rue de Grenelle.
Le président n'aurait alors pas supporté qu'on puisse ainsi parier sur sa mort. Du côté de chez Chirac, on fut également tenté de commander des affiches électorales pour le cas où, mais le maire de Paris fit tout arrêter en disant que « ça portait malheur ».
Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d'Édouard Balladur à Matignon, ne situe pas le déclenchement des hostilités entre Mitterrand et son ancien patron ce 3 août, et nie avoir pris des dispositions à l'issue du fameux Conseil des ministres. Ce n'est, selon lui, qu'après une interview accordée par le Premier ministre à Radio Monte-Carlo, la veille de l'Assomption, à l'occasion de la célébration du cinquantenaire du débarquement allié en Provence, que la guerre entre les deux hommes a débuté. Balladur s'y mettait pour la première fois en posture présidentielle et empiétait sur le domaine réservé, parlant longuement de politique étrangère – Rwanda, Bosnie, Europe, Algérie – comme s'il en avait été le seul maître. Le Premier ministre s'était également lancé dans une évocation de la période de la guerre qui ne pouvait qu'irriter l'hôte de l'Élysée.
« C'était la plus grande et sans doute la plus cruelle épreuve de notre histoire que nous avons vécue en 1940, et, quatre ans après, nous avons été libérés. Pourquoi ? Bien entendu, l'évolution de la guerre nous y a aidés, mais ce qui nous a aidés également, c'est l'unité de notre nation et l'unité dont tous les Français ont su faire preuve dans la difficulté. La première leçon à en tirer, c'est que, quand la France traverse des épreuves, elle doit être unie. La seconde, c'est que, si nous avons été libérés, c'était également – il est juste de le dire – grâce à l'aide de nos Alliés […] : on a toujours avantage à faire jouer la solidarité entre les nations qui sont éprises du même idéal […] de liberté. »
Parler d'unité de tous les Français et ne pas évoquer le rôle de la Résistance dans la libération de la France relevait, pour le chef de l'État, de l'imposture. « Cette interview a rendu François Mitterrand fou de rage », témoigne Nicolas Bazire. Un autre entretien accordé au Figaro 13 et ayant pour titre « Ma politique étrangère » était la preuve ultime que le Premier ministre se prenait déjà pour le chef de l'État et n'avait même plus la patience d'attendre sa mort.
Pilhan va donc pouvoir entrer en action, s'employer à dérégler la machine – Sofres-TF1-Le Monde – qui, selon lui, intoxique les Français, et « se payer » Balladur. Il obtient le feu vert du chef de l'État pour « monter des coups » afin d'aider le maire de Paris et d'enfoncer le Premier ministre. Une première « fenêtre de tir » est proposée au président : le 50e anniversaire de la Libération de Paris, à l'Hôtel de Ville. Accepté.
Tout a été minutieusement préparé. François Mitterrand doit être accueilli par Édouard Balladur et Jacques Chirac devant quatre mille invités. Il joue le premier rôle, non seulement parce qu'il est chef de l'État, mais aussi parce qu'il a été un des acteurs de ladite Libération en tant que membre du Gouvernement provisoire. Il convient maintenant de gripper cette machinerie bien huilée : il suffit de changer à la dernière minute l'ordonnancement de la cérémonie.
Comme prévu, Jacques Chirac fait une courte et brillante allocution. François Mitterrand, comme prévu, lui succède et se lance dans une chaleureuse évocation de cette journée, puisant avec bonheur dans ses souvenirs personnels : « Oui, je me souviens, c'était après l'orage, une douce soirée d'été […]. Avec le recul du temps, l'événement n'a rien perdu de sa grandeur ni de sa signification… » Le président remercie au passage le maire de Paris d'avoir organisé cette célébration. Ce qu'ignorait Matignon, c'est que les deux hommes avaient prévu, pour sacrifier à l'« usage républicain », de signer le livre d'or de la Ville dans le bureau du maire sitôt après le discours du président, laissant ainsi en plan devant les caméras de France Télévisions un Balladur aussi impatient que privé de parole. Précisons que le prétendu « usage républicain » était si ancien que Claude Chirac avait été obligée d'aller au BHV acheter un livre d'or, la Mairie de Paris n'en possédant pas ! Ces dix minutes d'attente furent, pour le Premier ministre, un véritable camouflet. La charge symbolique de l'incident n'échappa à personne…
Jacques Chirac s'en souvient fort bien : « François Mitterrand voulait que je le reçoive dans mon bureau pour pouvoir prendre ses médicaments. C'était en réalité pour emmerder Balladur. Le président n'a pas pris de médicaments. Il a passé un moment avec moi dans mon bureau et semblait en bonne forme. C'est là qu'il m'a dit : “Vous allez être élu.” A-t-il déclaré la même chose à Balladur ? Je ne sais…
– François Mitterrand vous a adressé plusieurs signes destinés à vous encourager, pensant que c'était votre tour, parce que le peuple vous aimait…
– J'ai toujours eu de bonnes relations avec lui. Ce n'était pas un personnage ordinaire… »
Depuis des mois, Jacques Pilhan, metteur en scène de la « belle époque » mitterrandienne, l'homme qui joua un rôle clé dans la création de SOS Racisme, qui inventa la « Génération Mitterrand », transformée ensuite en Tontonmania, puis en victoire éclatante contre Jacques Chirac en 1988, n'a plus grand-chose à faire à l'Élysée. Ce petit homme chauve aux yeux rieurs, qui réussit à faire du président un type « chébran », dans une émission à contre-emploi avec Yves Mourousi assis d'une fesse sur son bureau pour l'interviewer, mais qui le fit aussi dialoguer avec les Français dans le cadre solennel de la Sorbonne avec Guillaume Durand en monsieur Loyal, ce grand communicateur est bien obligé de constater qu'il n'est pas pour grand-chose, cette fois-ci, dans la remontée de la cote du chef de l'État auprès des Français. Si Mitterrand remonte, c'est qu'il sait « coller » à son Premier ministre, devenu, lui, très populaire. Les Français se mettent à adorer la cohabitation ; les deux têtes de l'exécutif sont comme les deux hémisphères de leur cerveau :
« François Mitterrand avait besoin de retrouver une marge de manœuvre, sinon il était condamné à regarder le Premier ministre, pendant neuf mois, se préparer à prendre sa place. Tout semblait joué d'avance. La seule façon de le contrecarrer, c'était de faire remonter Chirac », constate sans amertume Nicolas Bazire qui a gardé de l'admiration pour l'ancien président. Il continue : « Il ne manquait ni les Conseils de défense, ni les Conseils des ministres. Il s'y montrait brillant, forçant l'admiration des présents. J'ai approché de nombreux grands dirigeants de ce monde ; aucun n'avait sa culture ni sa dimension… Il était impressionnant. Il impressionnait aussi Édouard Balladur, sans conteste. » L'ancien directeur de cabinet du Premier ministre évoque une bourde – consciente ou involontaire ? – de Balladur demandant des nouvelles de sa santé au président.
– Comment voulez-vous que j'aille ? lui répliqua, furibard, ce dernier.
« François Mitterrand a joué avec sa propre mort, mais il ne supportait pas que d'autres puissent en jouer  », conclut Nicolas Bazire.
Il ne lui avait pas échappé que Pilhan était à la fois le metteur en scène et le souffleur d'une pièce dans laquelle Édouard Balladur ne jouait plus le premier rôle. Nicolas Bazire avait appris que Jacques Pilhan s'était mis au service de Jacques Chirac, dès le mois d'août, par l'intermédiaire de Jean-Michel Goudard, tout en continuant à travailler pour François Mitterrand qui avait encore assez d'énergie pour « monter des coups » et – contrairement à ce qu'il avait affirmé à plusieurs de ses collaborateurs – peser sur le choix de son successeur.
Dans l'entourage du défunt président, les anecdotes ne manquent pas sur cet épisode peu connu. François Mitterrand, si favorable à Balladur jusqu'à l'été, parlait désormais de l'« étrangleur ottoman », disait ne pas supporter le « regard de poule » de son Premier ministre scrutant ses propres traits pour y lire quand il mourrait. Le président parlait en revanche de Jacques Chirac avec sympathie : « C'est son tour », assénait-il. Il était sensible à sa nouvelle solitude : les sondages l'enfonçaient, l'« ami de trente ans » l'avait lâché, certains fidèles s'étaient détournés de lui pour suivre Balladur. Le chef de l'État estimait sa persévérance et, à un moment donné, il éprouva même à son endroit quelque chose proche de l'amitié. Michel Charasse rapporte 14 ce tournant :
« Quand, courant 1994, le maire de Paris, lâché par la plupart de ses amis, s'est retrouvé coupé de tout, enfermé dans son Hôtel de Ville avec une poignée de fidèles, et contraint de parcourir la province à la rencontre de petites foules, ou de présenter ses livres à la sauvette au journal télévisé, le président pensait souvent à sa triste situation. Elle devait lui rappeler ce qu'il avait lui-même vécu après l'affaire de l'Observatoire ou au lendemain de Mai 1968 et de l'échec de la FGDS, lorsqu'il était désespérément seul, entouré d'une petite équipe qui perdait chaque jour un peu plus espoir. Il avait fini par admirer M. Chirac qui persistait dans ses intentions, en dépit de tous, et à qui la presse n'était pas particulièrement favorable. Le président a toujours eu de l'inclination pour ceux qui, contre vents et marées, n'abdiquent pas et ont le ressort de résister au gouffre qui menace de les engloutir. »
Jacques Pilhan et son équipe s'en donnent donc à cœur joie, mobilisent leurs amis dans la presse pour « démantibuler la machine ». Ils préparent une nouvelle mise en scène destinée à rendre encore plus lisible le choix du président. Ils choisissent à cette fin la clôture – le 17 novembre – du congrès de l'Association des maires de France, où l'on voit une nouvelle fois le maire de Paris et le président de la République en conversation chaleureuse.
Michel Charasse raconte 15 à sa manière cet épisode où le message présidentiel reste inchangé, même s'il n'est pas fait mention des services de Pilhan.
Avant d'arriver au Palais des Congrès, le président lui aurait dit : « Puisque le maire de Paris va m'accueillir à l'entrée de la salle, débrouillez-vous pour lui faire savoir qu'en ce qui concerne la présidentielle je ne lui veux aucun mal. Je n'ai pas l'intention de lui nuire – ni de l'aider… »
À la sortie du Palais, profitant de la cohue, Michel Charasse a réussi à glisser le message présidentiel à l'oreille de Jacques Chirac. Ce dernier sourit : « J'avais en effet cru le remarquer. »
Peer de Jong, l'aide de camp du président, qui se trouvait dans la même voiture que lui, se souvient d'un engagement encore plus marqué de François Mitterrand en faveur de Jacques Chirac.
Dans le courant de l'été, Pilhan rencontre de plus en plus souvent Claude Chirac. Les sondages sont toujours aussi mauvais pour le maire de Paris qui s'attelle à la rédaction de son deuxième livre, dans le prolongement du premier. Habitués à ne voir Chirac exister que dans l'ombre de gourous successifs, les observateurs ne situeront qu'à l'automne son « virage à gauche » et son intérêt pour la « fracture sociale », virage pris, estiment-ils, sous les influences croisées de Philippe Séguin et de l'essayiste Emmanuel Todd, alors que sa propre réflexion, engagée depuis l'automne 1993, a déjà trouvé, dans Une nouvelle France, sa première expression publique. Avant d'intégrer l'analyse de Todd, il tourne en effet depuis des mois autour des mêmes thèmes et n'a pas cessé de rencontrer des personnalités qui ne sont pas vraiment classées à droite ni à l'extrême droite, comme Régis Debray, Rony Brauman, Martine Aubry, etc.
C'est le 4 octobre 1994 que Jacques Chirac, emmené par l'écrivain Denis Tillinac, son ami corrézien, se rend à une réunion du club Phares et Balises, fondé par l'éditeur Jean-Claude Guillebaud et Régis Debray. « Monsieur le Premier ministre, nous avons ici un de nos amis qui vient de faire une analyse qui devrait vous plaire. » Emmanuel Todd prend la parole. De son brillant exposé, il ressort notamment que « les classes supérieures se reconnaissent dans le Premier ministre et le président de la Commission de Bruxelles, alors que les catégories populaires en déshérence pourraient aller vers Chirac 16  ». Chirac, emballé, demande à Tillinac de lui procurer la note d'Emmanuel Todd élaborée pour la Fondation Saint-Simon. Cette note, il va la souligner avec ardeur de ses feutres vert et rouge. « Il y a vu la validation de ce qu'il pressentait : les élites sont coupées de la France réelle », explique François Baroin 17 . La note de Todd va se retrouver au-dessus de la pile de dossiers qu'il consulte pour rédiger son nouveau livre.
Un mois après la réunion de « Phares et Balises », Jacques Chirac annonce dans La Voix du Nord qu'il sera candidat.
Jacques Pilhan, de plus en plus présent aux côtés de Claude Chirac, suit de près l'élaboration du livre du maire de Paris ainsi que son plan-médias, sans avoir pour autant quitté le service de François Mitterrand. Tous les commentateurs sont intrigués par le pommier figurant en couverture de La France pour tous 18 . Sur la première proposition de couverture du graphiste des éditions Nil ne figurait que le titre du livre. Jacques Chirac la trouve trop dépouillée et propose d'y faire figurer un symbole. Et c'est lui qui suggère le pommier… L'idée est travaillée, acceptée et mise en œuvre à la fois par Claude Chirac, les éditions Nil et Jacques Pilhan. Sans être intégré officiellement dans l'équipe de campagne et en se gardant de hanter la mairie de Paris, ce dernier sera régulièrement consulté par Claude Chirac jusqu'à la fin de la campagne. Sitôt élu, mais avant d'être investi, Jacques Chirac propose à Jacques Pilhan de travailler pour lui. Perturbé, Pilhan hésite et fait part de ses hésitations à son ami Jean Glavany qui le rassure et le pousse à accepter la proposition du nouveau président. Jacques Pilhan accepte à condition que Claude Chirac reste à travailler aux côtés de son père et devienne en quelque sorte son « bras armé » à l'Élysée, lui-même ne souhaitant pas y avoir de bureau.
Jacques Chirac se souvient de cette fin d'année 1994 : « Je n'ai jamais douté à ce moment-là que je gagnerais l'élection. Quelques jours avant la fin de l'année, j'étais au plus bas dans les sondages, nous sommes allés dîner dans un petit restaurant avec Juppé qui me dit : “Il y en a, ce sont vraiment des salauds !” Je lui ai répondu posément que nous allions remporter le scrutin. »
J'essaie encore une fois de lui demander ce qu'il a ressenti à cette époque où il se retrouvait bien isolé après tant de défections et de trahisons.
« Qu'est-ce que je vais faire ? Me venger ?
– Vous devez trouver que la vie est dure.
– Je ne suis pas un haineux. La haine est un sentiment que je n'éprouve pas volontiers.
– Dans le dernier livre de Serge Raffy, La Guerre des trois
– Les trois, c'est qui ?
– Vous, Sarko et Villepin… Raffy affirme qu'entre la fin 1994 et le début 1995 vous auriez envisagé de laisser tomber ?
– Je n'ai jamais songé à laisser tomber…
– Même à un moment où les sondages étaient au plus bas ?
– Je ne suis pas porté sur la haine, je ne suis pas enclin au découragement, je ne crois pas aux sondages, qu'ils soient bons ou mauvais. J'ai là-dessus une opinion bien arrêtée, à laquelle je reste accroché. Je ne suis pas sensible à toutes ces estimations. Sondages ou pas sondages, j'étais déterminé à me présenter. C'est une de mes différences avec Sarkozy. Je lui dis souvent : “Arrête de scruter à tout bout de champ les sondages, ça casse le moral et c'est en pure perte !”
– Toujours selon Serge Raffy, Villepin prétend qu'à cette époque vous étiez si découragé que vous envisagiez de tout plaquer et que vous auriez même commencé à écrire un scénario de film…
– Absolument pas ! »

La manchette du Monde daté du 12 janvier 1995 a de quoi choquer les chiraquiens – entre autres. Le quotidien du soir a titré : « Les Français considèrent l'élection d'Édouard Balladur à la présidence de la République comme déjà faite ». Se fiant aux sondages, Jaffré se fend d'un long commentaire qui semble disqualifier le scrutin capital, sous la Ve République, en le ravalant au rang d'une formalité.
Malgré ce soutien du Monde et de la plupart des médias, l'affaire Schuller-Maréchal va néanmoins ternir l'image de Charles Pasqua, donc, par contrecoup, d'Édouard Balladur, et insuffler un peu d'oxygène au maire de Paris. Le ministre de l'Intérieur s'est en effet pris les pieds dans le tapis en montant une opération destinée à faire dessaisir le juge Halphen qui menaçait Didier Schuller, élu RPR des Hauts-de-Seine, proche du maître de la place Beauvau, dans une enquête sur les offices HLM. Des policiers ont piégé Jean-Pierre Maréchal, beau-père du juge, dans le cadre d'une tentative d'extorsion de fonds, notamment en recourant à des écoutes illégales. Le beau-père du juge aurait promis d'intervenir auprès de son gendre pour étouffer cette affaire embarrassante. Le 21 décembre, Maréchal père a été arrêté à Roissy alors qu'il venait de recevoir un million de francs des mains de Didier Schuller…
Le lendemain matin, François Mitterrand convoque Michel Charasse et lui dit qu'il ne saurait accepter qu'on fasse pression sur un juge ; il lui demande ce qu'il peut faire en tant que garant de l'indépendance judiciaire 19 . Quelques heures plus tard, l'expert en droit constitutionnel remet au président une brève note dans laquelle il est notamment précisé qu'il peut faire diligenter une enquête au niveau du Conseil supérieur de la Magistrature. Le président décide sur-le-champ de s'adresser au Conseil présidé par une vieille connaissance, l'ambassadeur Christian Graeff. Michel Charasse attire néanmoins son attention sur la gravité d'une telle démarche et lui conseille de s'en ouvrir au préalable au Premier ministre et au garde des Sceaux. Le président demande à Michel Charasse de convoquer les deux hommes pour le soir même à 18 heures. Balladur et Méhaignerie expliquent au président qu'ils n'ont nulle intention de faire dessaisir le juge Halphen. Le chef de l'État décide alors d'attendre le début de l'année pour saisir éventuellement le CSM. Cependant que le Premier ministre fait route vers Matignon, tombe une dépêche de l'AFP affirmant que la procédure de dessaisissement du juge Halphen est bien en marche. Fureur du président qui appelle le Premier ministre, encore dans sa voiture :
« Je ne vous accuse pas, mais je constate. On a menti au chef de l'État. Vous me placez dans une situation inacceptable… »
Après avoir raccroché, le président dicte une lettre sévère à Édouard Balladur, puis demande que l'on prépare sur-le-champ la saisine du Conseil supérieur de la Magistrature. Cette procédure solennelle change la nature de l'affaire Schuller-Maréchal en fragilisant Charles Pasqua, « poids lourd » du gouvernement. D'autant plus que le jour même de la saisine, Paul Bouchet, président de la Commission nationale de Contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), entame son enquête sur les écoutes. Le 12 janvier, la Commission conclut ses délibérations en constatant que ces écoutes étaient le « premier acte d'une machination », et transmet ses conclusions au Premier ministre. De son côté, le CSM apporte son soutien total au juge Halphen.
Matignon est de plus en plus embarrassé par cette affaire montée par le ministre de l'Intérieur et qu'il découvre petit à petit. Les dégâts sont importants. La cote de popularité de Balladur commence à fléchir.
Alors que brûle déjà la mèche allumée par François Mitterrand, ce dernier a fait le 5 janvier, à l'occasion des vœux de la municipalité de Paris, une nouvelle bonne manière à son successeur. Dans le salon Pompadour – qui fut aussi la chambre à coucher de Napoléon –, après l'échange des formules rituelles, Jacques Chirac et François Mitterrand se sont entretenus pendant quarante minutes, sans aucun protocole. Laure Adler, témoin de la scène, raconte 20  :
« Il n'y a pas de soleil ce jour-là. Il ne manque pas, la chaleur entre les deux hommes suffit à réchauffer l'atmosphère. De mémoire élyséenne cohabitationniste, on n'a jamais vu cela ! Chirac trouve les mots justes pour parler de la santé de François Mitterrand. Ce dernier est touché. Le temps de la trêve est-il arrivé ? Quatorze ans, en effet, c'est long, lui répond le président, mais cela m'a permis de vous connaître. Et l'évolution des combats politiques, qui nous ont si souvent opposés, n'empêche pas, entre les personnes, une certaine capacité de compréhension. Les vœux de bonne santé ? Je les accepte bien volontiers. Nul ne possède l'assurance de traverser un peu plus le temps… »

Infatigable malgré des sondages toujours en berne, Jacques Chirac organise des débats en province, multiplie les meetings, lance La France pour tous, argumente sur la « fracture sociale ». Le 17 février 1995, il prononce son grand discours de campagne pendant deux heures d'horloge. Il pèse chaque mot : « La machine France ne fonctionne plus […]. Je suis venu vous dire qu'il est temps de renoncer au renoncement ! » Quatre jours plus tard, les courbes des sondages se croisent. Quelques jours encore, et Chirac le ringard, le politicien usé, devient la coqueluche d'un Tout-Paris saisi de chiracomania. Beaucoup gardent quand même certains épisodes de sa carrière en travers de la gorge et se demandent une fois de plus qui est ce diable d'homme.
Le Nouvel Observateur du 2 mars le représente en couverture en mineur de Germinal, avec ce titre : « A-t-il vraiment changé ? » L'auteur de l'article principal laisse d'abord la parole à ceux qui le connaissent bien et qui répondent en chœur qu'il n'a certes pas changé, mais qu'il est enfin redevenu lui-même : « Un nouveau Chirac ? Réponse d'un chiraquien transi, Jacques Toubon : “Non, il n'a pas changé. Il a toujours été comme ça. Mais on n'était que quelques-uns à savoir.” Réponse d'un chiraquien à l'amour vache, Philippe Séguin : “Oui, il a changé. Mais il n'y a pas plusieurs Chirac. Aujourd'hui, c'est le vrai : il s'est libéré des conservateurs du RPR.” Réponse du chiraquien de service, François Baroin, porte-parole de la campagne : “Le fait d'avoir été largué par ses plus proches amis l'a changé : il a trouvé son identité propre.” Réponse d'une chiraquienne de choc, Claude Chirac, la fille cadette, qui s'occupe de la communication de son père : “Il s'est rejoint : il exprime ce qu'il est.” Réponse d'une chiraquienne au regard médical, le docteur Élisabeth Hubert, secrétaire général adjoint du RPR : “Sa tête et son corps sont réconciliés : il est enfin lui-même.” Réponse de Jacques Chirac : “C'est vrai, je me sens mieux dans ma peau. Je puise mon assurance dans la conviction que mon regard sur la société française est juste.” »
Bien des années plus tard, Michel Junot, adjoint au maire de Paris, confirmera à sa façon que Chirac s'était bel et bien « rejoint » à gauche 21  : « Ce n'est que quelques années plus tard, après 1995, que je me rendis à l'évidence : Jacques Chirac non seulement n'était pas un homme de droite, mais il ne voulait rien devoir aux “réactionnaires” et aux conservateurs. Dans une certaine mesure, l'extravagante situation qui lui valut en 2002 d'être réélu par 82 % des Français, dont 60 % d'électeurs de gauche, contre Le Pen, dut lui apporter, plutôt que la gêne qu'ont cru déceler certains commentateurs, une intime satisfaction. »
Déballadurisé, Chirac est donc devenu lui-même. Son incroyable énergie, sa proximité d'avec les gens, son charisme ont fait le reste. Il est désormais en empathie avec les Français, par-dessus la tête des élites. Les ultimes coups portés contre lui ne freineront plus sa marche vers l'Élysée.

Le 22 mars, un mois pile avant le premier tour de l'élection présidentielle, Le Monde se livre à une dernière manœuvre contre le maire de Paris. Montée par qui ? Comme l'affaire dont il est question n'a donné lieu à aucune plainte ni à aucune instruction, la seule source possible est le fisc, placé sous les ordres du ministre du Budget qui n'est autre que Nicolas Sarkozy. En une du journal, un titre conçu pour tuer : « M. et Mme Chirac ont tiré profit d'une vente de terrains au Port de Paris ». La maison Falguière 22 ne fait pas dans la dentelle… Le lecteur comprend à l'évidence que le candidat Chirac a profité de sa situation de maire de Paris pour s'enrichir personnellement, même si les trois phrases qui condensent l'article annoncé en page 7 peuvent nuancer quelque peu son premier jugement :
« Propriétaire de 247 hectares de terrains situés en bord de Seine à Vigneux, dans l'Essonne, la belle-famille de Jacques Chirac a vendu une parcelle de 103 hectares à un promoteur immobilier qui les a revendus le même jour, 20 janvier 1993, au Port autonome de Paris, établissement public placé sous la tutelle de l'État. Cette transaction a rapporté à Mme Chirac, détentrice de 1/27e de l'héritage, une plus-value de 1,4 million de francs figurant dans la déclaration de revenus de M. et Mme Chirac pour 1993 (Le Monde du 21 mars). Achetés 63 millions de francs par le promoteur, ces terrains ont été revendus au Port autonome pour 83 millions de francs. »
Le soir de cette publication, Alain Juppé qualifie non sans raison de « grossière manipulation » l'article du Monde. « Comme on n'a rien à reprocher à Jacques Chirac, on a trouvé la combine : on va s'attaquer à la famille de sa femme ! » Évoquant les explications de l'« entourage de Jacques Chirac » publiées le même jour par le journal, le président du RPR par intérim affirme : « On dit d'ailleurs, noir sur blanc, que les explications fournies sont limpides ; mais le titre entretient la confusion. » Effectivement, le titre assassin a été conçu alors que les journalistes du Monde savaient pertinemment que cette « affaire » n'en était pas une…
La veille de la parution de l'article, vers 22 heures, dans le bureau de Bernadette Chirac, au premier étage de l'hôtel de ville de Paris, quelques personnes de confiance sont réunies autour de la femme du maire de Paris pour plancher sur le questionnaire envoyé par Laurent Mauduit et Olivier Biffaud, les deux journalistes qui ont mené l'« enquête ». Il y a là le frère de Bernadette Chirac, Dominique de Villepin, Me Francis Szpiner et Roger Romani. Nul ne connaît les tenants et aboutissants de ce qui ressemble à une machine infernale. Le temps presse. Qui pourrait les aider ? Romani pense à Jean-François Legaret, RPR, vice-président du Port autonome de Paris. Peu avant minuit, Legaret rejoint la cellule de crise. Il appert que non seulement Bernadette Chirac, pas plus que son mari, n'est intervenue dans cette affaire, mais que ses frères n'ont pas tiré le meilleur parti des terrains et ont probablement vendu en dessous du prix du marché. À cinq heures du matin, la réunion se termine : Dominique de Villepin téléphone à Jean-Marie Colombani pour lui annoncer l'envoi d'un communiqué qui se retrouvera dans le journal sourcé « de l'entourage de Jacques Chirac ».
L'« affaire » fait long feu. Trois jours après avoir fait exploser la bombe qui avait pour but de blesser à mort le candidat Chirac, Le Monde publie les lettres des deux présidents du Port autonome de Paris qui ont eu à connaître de la question des terrains. Daniel Maquart précise d'emblée : « Ayant été limogé par l'actuel gouvernement, je n'en suis que plus à l'aise pour m'exprimer. À aucun moment je n'ai subi une quelconque pression de Jacques Trorial, président du conseil d'administration, ou de membres de celui-ci, pour influer sur ma décision de proposer cette acquisition […]. J'ajoute que, ni de près ni de loin, Jacques Chirac, sa famille ou ses proches, les représentants de la Ville au conseil ou l'administration de celle-ci, ne sont intervenus en faveur de cette opération auprès de moi.
« Cette acquisition n'était nullement improvisée. Elle s'inscrivait dans le cadre du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région Île-de-France […]. Contrairement aux assertions de votre journal, l'opération menée par le [Port] a été parfaitement régulière. Elle a été approuvée par le conseil d'administration du 28 octobre 1992 avant toute conclusion d'actes ; elle était conforme à l'estimation financière du service des Domaines. »
On comprend la colère de Bernadette Chirac qui, quelque temps plus tard, évoquera de nouveau cette affaire avec Jean-François Legaret : « Ce fut un épisode dramatique. On sait qui en a été à l'origine. Je ne le lui pardonnerai jamais. Ma mère a failli en mourir 23 … »

L'armada médiatico-politique qui a tout fait pour porter Balladur vers la victoire et écraser le maire de Paris de son mépris va mordre la poussière devant le peuple souverain, narquois, ravi de « jouer à Guignol » à l'occasion de l'élection présidentielle. Jacques Chirac accède enfin à l'Élysée ; il est heureux de la façon dont François Mitterrand l'accueille et l'installe dans le bureau qu'il a pris soin de réaménager pour son successeur. Bernadette Chirac est lyrique quand elle évoque cette passation des pouvoirs républicaine et apaisée : « François Mitterrand lui a passé le flambeau. C'est une belle histoire. »
Jacques Chirac parle maintenant de son prédécesseur avec respect et affection. Jusqu'à sa mort, il lui a téléphoné pour prendre de ses nouvelles, parler du parc et de ses canards, et il ne s'est manifestement pas forcé pour écrire l'allocution qu'il prononcera quelques heures après le décès de François Mitterrand, rendant non seulement hommage à l'homme d'État, mais aussi à « l'homme, dans sa richesse et sa complexité », avant de terminer par l'évocation de ses rapports avec lui.
« Ma situation est singulière, car j'ai été l'adversaire du président François Mitterrand. Mais j'ai été aussi son Premier ministre, et je suis aujourd'hui son successeur. Tout cela tisse un lien particulier où il entre du respect pour l'homme d'État et de l'admiration pour l'homme privé qui s'est battu contre la maladie avec un courage remarquable, la toisant en quelque sorte, et ne cessant de remporter des victoires contre elle. De cette relation avec lui, contrastée mais ancienne, je retiens la force du courage quand il est soutenu par une volonté, la nécessité de replacer l'homme au cœur de tout projet, le poids de l'expérience. Seul compte, finalement, ce que l'on est dans sa vérité et ce que l'on peut faire pour la France. »
Jacques Chirac président garda Jacques Pilhan à ses côtés pour remplir les fonctions que celui-ci avait occupées auprès de François Mitterrand. Pilhan mourra à son tour trois ans plus tard. Le 3 juillet 1998, devant les trois Chirac réunis – le président, Bernadette et leur fille Claude –, très affectés, Jean Glavany, l'ami du défunt, déclarera.
« Monsieur le président, quand vous avez sollicité la collaboration de Jacques, il s'en est longuement entretenu avec quelques-uns d'entre nous, ses amis. Il devinait qu'ici et là certains ne comprendraient pas cette continuité peu ordinaire. Parce que nous l'aimions, nous lui avons dit : “Fais le métier que tu aimes.” Au-delà du magnifique discours que vous avez prononcé à la mort de François Mitterrand, et dont Jacques nous a toujours dit – encore la discrétion ! – qu'il n'y était pour rien, nous savons, nous, que si vous avez choisi Jacques, et que vous êtes là aujourd'hui, c'est que la qualité humaine n'est pas chose dérisoire pour vous. »
1 Le 10 décembre 2006.
2 Institution catholique située à Paris au 104, rue de Vaugirard dans le VIe arrondissement.
3 Conversations avec un Président, film en cinq épisodes de Jean-Pierre Elkabbach, diffusé par France 2.
4 Voir l'excellent ouvrage de Raphaëlle Bacqué et Denis Saverot, Chirac Président. Les Coulisses d'une victoire, Éditions du Rocher et Éditions DBW, 1995.
5 Chirac Président. Les Coulisses d'une victoire, op. cit.
6 La loi Falloux interdisait ou limitait l'affectation de fonds publics à l'enseignement privé. La majorité sénatoriale abolit cette loi par surprise le 15 décembre.
7 Conversation, op. cit. Sauf indications contraires, les paroles de François Mitterrand figurant entre guillemets dans ce chapitre en sont extraites.
8 Conversation, op. cit.
9 Je me suis servi dans ce chapitre de deux précédentes enquêtes, Pierre Péan, Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances, op. cit., et La Face cachée du Monde, op. cit.
10 Entretien avec l'auteur. Ce chapitre utilise des confidences faites à plusieurs reprises par Jacques Pilhan et un entretien réalisé par Le Débat et publié dans le n? 87 de la revue de novembre-décembre 1995.
11 Bernard Brigouleix, L'Histoire indiscrète des années Balladur, Albin Michel, 1995.
12 Chirac Président. Les Coulisses d'une victoire, op. cit.
13 En août 1994. Précisons que le Premier ministre n'était pour rien dans le titre donné par la rédaction du journal à cette interview, et qui avait tant irrité le président.
14 55 faubourg Saint-Honoré, op. cit.
15 Ibid.
16 Chirac Président. Les Coulisses d'une victoire, op. cit.
17 Nouvel Observateur du 2 mars 1995.
18 Jacques Chirac, La France pour tous, Nil Éditions, 1994.
19 Scène décrite à partir du livre de Michel Charasse, 55 faubourg Saint-Honoré, op. cit.
20 Laure Adler, L'Année des adieux, Flammarion, 1995.
21 Quand les Parisiens aimaient leur maire, op. cit.
22 Du nom de la rue où se trouve à l'époque le siège du Monde.
23 Entretien avec Jean-François Legaret.