CHAPITRE XX

Mac-Iver garda le silence pendant un moment.

— Laissez deux hommes en arrière ! cria-t-il. Et dites-leur de tenir la route aussi longtemps qu'ils le pourront.

Il entendit Smith désigner deux de ses guérilleros, qui se détachèrent du groupe et disparurent dans la nuit. Mais cela ne pourrait guère procurer qu'une demi-heure de répit tout au plus. Les mulets commençaient à ressentir la fatigue, et Donna avait toutes les peines du monde à les maintenir au trot.

Dix minutes s'écoulèrent. Un quart d'heure. Mac-Iver n'entendait plus rien derrière eux.

— Laissez deux hommes de plus ! cria-t-il.

Quatre hommes peut-être sacrifiés, mais qui pourraient leur assurer un répit supplémentaire. Déjà, une ligne grisâtre commençait à barrer l'horizon. L'aube approchait. Dans une demi-heure, il ferait assez jour pour distinguer clairement la route, et les hommes placés en embuscade ne serviraient plus à rien.

Le jour se levait peu à peu. Mac-Iver perçut des coups de feu derrière lui. Une trentaine. Puis ce fut à nouveau le silence. Il tourna ses regards vers les hommes qui escortaient le chariot. Justin Smith avait l'avant-bras entouré d'un foulard, et une balle lui avait éraflé l'oreille. Un de ses compagnons avait un bras ballant.

Il regarda Donna, assise à ses côtés. Elle était pâle et paraissait épuisée.

— Dites à Busby de faire halte, ordonna Mac-Iver en se tournant à nouveau vers Justin Smith. Nous livrerons combat sur place si c'est nécessaire, et nous tâcherons de les repousser.

L'un des guérilleros se porta en avant pour transmettre l'ordre à Busby, qui arrêta instantanément son attelage. Donna le rejoignit et vint ranger son véhicule à côté du premier. Mac-Iver tira son revolver de son étui et se mit à le recharger. Pendant ce temps, les guérilleros avaient mis pied à terre et attaché leurs chevaux aux roues des chariots.

Mac-Iver se leva et jeta un coup d'œil vers l'arrière, par un interstice de la bâche. Les ennemis n'étaient plus que huit. Cinq d'entre eux portaient l'uniforme des troupes de l'Union, les trois autres étaient des civils. Il sentit renaître son espoir en constatant que les soldats avaient subi des pertes beaucoup plus lourdes qu'il ne l'avait cru.

Donna se tourna vers lui, pâle mais l'air décidé.

— Vince, donnez-moi un revolver, dit-elle.

— Ces soldats appartiennent aux troupes de l'Union.

— Croyez-vous que je m'en soucie ? Ils essaient de nous tuer : vous, moi, et ces hommes qui ne font que ce qu'ils croient être leur devoir.

Mac-Iver interpella Justin Smith.

— Avez-vous une arme de réserve pour Mrs. Cory ?

Le chef des guérilleros alla prendre une carabine dans le chariot de Busby et vint la lui apporter. Il la remit à Donna. Les cavaliers ennemis n'étaient plus qu'à un quart de mille environ.

— Tout le monde dans les chariots ! ordonna-t-il. Vite.

Donna abandonna le siège et se glissa sous la bâche. Lui-même s'agenouilla derrière le siège sur lequel il appuya le canon de son revolver. Les guérilleros qui se trouvaient à l'arrière avaient commencé à ouvrir le feu. Un cavalier surgit soudain sur le flanc du chariot. Mac-Iver fit feu. Près de lui, la carabine de Donna claqua au même instant. Le soldat s'abattit sur l'encolure de son cheval, se cramponnant des deux mains. L'animal effrayé fit un écart, et l'homme bascula. Une de ses bottes étant restée coincée dans l'étrier, il fut ainsi traîné sur une centaine de yards par le cheval emballé avant que la botte ne se dégageât. Et il resta immobile sur le sol.

Mac-Iver entendit Donna retenir son souffle, mais il n'avait pas le temps de la regarder. Deux cavaliers en civil s'avançaient, couchés sur l'encolure de leurs chevaux et faisant feu de leurs revolvers. Mac-Iver s'apprêta à tirer. Mais, avant qu'il eût pressé la détente, le premier des deux hommes se redressa soudain et tomba à la renverse par-dessus la croupe de son cheval. Mac-Iver pointa son arme sur le second et fit feu. La balle atteignit le cheval en plein poitrail. L'animal plongea en avant et fit un saut de mouton, désarçonnant son cavalier. L'homme se releva et s'enfuit en direction de la plaine.

La fusillade cessa aussi rapidement qu'elle avait commencé. Trois soldats et un civil gisaient sur le sol. Les autres s'étaient mis hors d'atteinte. Ils parurent se concerter quelques instants, puis firent demi-tour et reprirent au galop le chemin de la ville.

Smith grimpa sur le siège du chariot de Mac-Iver et prit les guides.

— Allez vous reposer à l'intérieur, dit-il.

Mac-Iver se glissa sous la bâche. Il vit Donna étendre des couvertures sur lui, et il ferma les yeux. Puis il sentit la main fraîche de la jeune femme se poser doucement sur son front enfiévré.

Des collines. Des routes étroites et rocailleuses. Des cours d'eau à traverser. Les chariots poursuivaient inlassablement leur route, escortés par les quelques guérilleros qui restaient.

On atteignit enfin une ville où l'on fut accueilli par un détachement de l'Armée confédérée qui prit livraison de l'or et le chargea dans un wagon de chemin de fer sous la garde de dix hommes en armes.

*
*  *

Une maison. Un lit aux draps bien blancs. Un médecin.

Mac-Iver fut partiellement inconscient pendant deux jours. Mais il sentait confusément la présence constante de quelqu'un à ses côtés.

On était à la mi-octobre. Il ouvrit les yeux, enfin pleinement conscient, pour constater que la personne qui se trouvait à son chevet n'était autre que Donna Cory, pâle et amaigrie mais qui lui adressait un sourire radieux en le contemplant de ses grands yeux inondés d'amour.

À la fin du même mois, il put enfin quitter le lit pour la première fois. Après cela, sa guérison s'accéléra et, quinze jours plus tard, il ne restait plus de ses blessures que deux cicatrices et un mauvais souvenir.

Guéri et ayant récupéré ses forces, il lui faudrait bientôt repartir. Et cette perspective voilait de tristesse les yeux de la jeune femme. Mais, en attendant l'inévitable, ils se promenaient ensemble à travers les collines parées des couleurs chatoyantes de l'automne finissant.

La guerre faisait toujours rage, mais il devenait de plus en plus évident que la Confédération fléchissait chaque jour davantage. L'or était venu trop tard.

Bientôt vint le jour où Mac-Iver, ayant revêtu son uniforme, dut prendre le chemin de la gare. Donna marchait à ses côtés, plus silencieuse qu'à l'ordinaire. Sur le quai, tandis que le train approchait, il se tourna vers elle et l'attira tout contre lui.

— Attendrez-vous mon retour ? demanda-t-il à voix basse.

Elle ne répondit que d'un petit signe de tête affirmatif.

— Vous aimerez le Texas, vous verrez.

— Si vous y êtes avec moi, je l'aimerai, murmura-t-elle.

Le train sifflait. Déjà, il allait repartir. Mac-Iver se pencha vers la jeune femme, souda ses lèvres aux siennes en un baiser passionné.

Quand il dénoua son étreinte, il aperçut des larmes dans ses yeux. Il saisit la rampe du wagon et sauta sur le marchepied du train qui s'ébranlait.

Donna, très droite au milieu du quai, une main en visière au-dessus des yeux pour les protéger du soleil, regardait s'éloigner le convoi. Mac-Iver ne pouvait plus distinguer ses larmes, mais il savait qu'elle pleurait.

Cependant, il savait aussi que, lorsqu'il reviendrait, il la retrouverait sur le quai de cette même gare, à cette même place, telle qu'elle était en ce moment. Seulement, il y aurait alors dans ses beaux yeux des larmes de bonheur.

Fin