CHAPITRE XVI

Le lendemain, Mac-Iver dormit profondément et sans interruption tandis que Donna Cory, assise à proximité, veillait sur son sommeil. Il se réveilla vers cinq heures. Il y avait des semaines qu'il ne s'était pas senti aussi reposé, et il mangea de bon appétit le repas que la jeune femme lui avait préparé.

Il remarqua que Busby avait rejoint Coulter, Abel et Locke. Peebles était assis avec sa femme auprès du feu qu'il avait allumé. Mac-Iver prit la décision de se diriger ce soir tout droit vers le sud. Il y avait encore plus de cent milles à parcourir avant d'atteindre les premières agglomérations, mais il savait qu'il ne devait pas trop s'en approcher s'il ne voulait pas que Wilcox et Effinger tentent de s'y rendre.

On se mit en route à la tombée de la nuit. Le premier chariot était, comme d'habitude, conduit par Abel, et Mac-Iver avait pris les devants afin d'aller reconnaître la piste. L'air était humide, et il faisait plus froid qu'à l'ordinaire. Vers minuit, il se mit à pleuvoir. Il fit demi-tour et revint sur ses pas. Le tonnerre grondait, au lointain. De temps à autre, un éclair déchirait la voûte sombre du ciel.

Depuis le départ, il se sentait troublé, anxieux, et son inquiétude ne faisait que grandir à mesure que les heures s'écoulaient. Il éperonna son cheval et prit le trot. La pluie augmentait d'intensité, et le vent se levait. Les éclairs se faisaient plus nombreux, le tonnerre grondait maintenant presque sans interruption. Le convoi devait certainement se trouver au plus fort de l'orage.

Il activa encore l'allure de son cheval. Il était déjà trempé jusqu'aux os. La pluie lui fouettait le visage, ruisselait des bords de son chapeau. Il se mit à frissonner. Le convoi, se dit-il, avait dû faire halte pour laisser passer la tempête. Lui-même s'arrêta un instant au bord d'un cours d'eau. Il entendait au-dessous de lui le bruit de l'eau. Il talonna son cheval qui s'engagea avec hésitation. Il fut surpris de la profondeur du cours d'eau que l'animal dut traverser à la nage. Il atteignit enfin l'autre rive. Le cheval s'ébroua avant de reprendre le trot.

Un autre mille. Mac-Iver songea qu'il ne devait plus être très loin des chariots. Et soudain, à la clarté d'un autre éclair, il les aperçut à une certaine distance. Ainsi qu'il l'avait prévu, ils s'étaient arrêtés mais ne s'étaient pas disposés en cercle. Deux d'entre eux étaient séparés des autres par le lit d'un petit cours d'eau ordinairement à sec, mais qui était maintenant transformé en torrent.

Un autre éclair illumina le ciel, suivi presque immédiatement d'un violent coup de tonnerre. En même temps, un autre éclair, tout différent, partit du premier chariot. La détonation, cependant, fut presque couverte par le tonnerre. Le cheval de Mac-Iver trébucha et se mit à faire des sauts de mouton. Une autre flamme jaillit du revolver. Cette fois, la détonation claqua dans le silence.

Mac-Iver releva brusquement la tête de son cheval et l'éperonna. L'animal prit le galop, parcourut encore une cinquantaine de yards, trébucha à nouveau, plia les genoux et culbuta, désarçonnant son cavalier. Celui-ci vint échouer à moins d'un pied du bord du cours d'eau. Il se releva péniblement, se réjouissant qu'il n'y eût pas d'éclairs pour le moment. Il avait perdu son revolver dans sa chute, et il le cherchait vainement à tâtons dans l'obscurité.

Il songea que Coulter et Abel avaient admirablement manœuvré pour profiter de l'orage soudain qui s'était abattu sur la plaine. Ils avaient traversé le cours d'eau avec leurs chariots chargés d'or tant que la chose était encore possible, mais ils s'étaient arrêtés juste sur l'autre rive afin d'empêcher les autres de les suivre.

Mac-Iver perçut soudain un bruit de pas qui se rapprochaient. Puis un éclair lui montra la silhouette d'un homme avançant avec précaution, revolver au poing. Au même moment, il retrouva son arme. Mais le barillet devait être plein de boue, et il n'osa pas faire feu avant de l'avoir nettoyé. Il se releva et fonça en avant. Une flamme jaillit de l'arme de l'inconnu, et la balle vint s'enfoncer à ses pieds, dans la terre boueuse, avec un bruit mat.

Il poursuivit sa course, décrivant un large cercle avant de se diriger vers les chariots. Il souffla dans le canon de son revolver et constata qu'il était effectivement obstrué par la boue. Mais dans cette obscurité et sans la possibilité de s'arrêter, il lui était impossible de le nettoyer. Il le secoua énergiquement et essaya à nouveau de souffler. Cette fois, une petite quantité d'air passa à travers le canon. Peut-être l'arme pourrait-elle maintenant faire feu sans lui exploser au visage, mais il n'osait pas essayer à moins d'y être absolument obligé.

Un autre éclair lui montra Locke et Busby debout sur l'autre rive. Ils avaient certainement conspiré avec Abel et Coulter pour s'emparer d'une partie de l'or. Mais maintenant, un torrent de cinquante pieds de large les séparait du butin qu'ils avaient espéré partager.

Mac-Iver n'était plus qu'à une dizaine de yards des chariots. Un autre coup de feu, tiré depuis le siège du second véhicule, claqua dans sa direction. Il fit un bond de côté, afin de mettre le premier chariot entre lui et ce nouvel agresseur. Mais, au même moment, une autre détonation se fit entendre derrière lui. Un éclair illumina alors le ciel, et il vit Locke s'engager dans le cours d'eau comme pour le traverser à gué. L'homme disparut instantanément en poussant un cri de détresse à demi étouffé par l'eau qui se refermait sur lui. Mac-Iver atteignit le chariot le plus proche et plongea en dessous.

Les mulets, effrayés par les coups de feu et par l'orage, essayèrent d'avancer et, bien que le frein fût serré, le véhicule se mit à glisser. Mac-Iver s'efforça de suivre le mouvement, de manière à ne pas se retrouver à découvert. Il aperçut alors, à quelques pas de lui, les deux jambes d'un homme. Rampant dans la boue sur les mains et sur les genoux, il bondit, se projetant de toutes ses forces contre les jambes de l'inconnu, tandis que le chariot continuait à glisser. L'homme tomba à la renverse en laissant échapper un cri de surprise. Mac-Iver continua de foncer en avant, priant Dieu qu'un éclair soudain ne vînt pas illuminer la scène. Il entendit la voix de Coulter, provenant du siège du second chariot.

— Abel ! Où est-il passé ?

Il ne saisit pas la réponse d'Abel. Et soudain, sur l'autre rive, une carabine ouvrit le feu.

— Par tous les diables, beugla Coulter, d'où sort ce flingue ? Je croyais que nous les avions tous ramassés.

Mac-Iver s'arrêta lorsqu'il fut à une cinquantaine de pieds des chariots. Une fois de plus, il secoua son revolver. Le canon lui parut être, sans doute par l'effet de la pluie, débarrassé de la boue qui l'obstruait précédemment. Il entendit encore parler Abel et Coulter, mais il ne put distinguer ce qu'ils disaient.

L'orage se déplaçait progressivement en direction du sud, et les éclairs n'étaient plus aussi éblouissants. Malgré cela, Abel l'aperçut et se mit à crier :

— Là-bas ! Le voilà !…

Les revolvers des deux acolytes crachèrent simultanément le feu, et Mac-Iver éprouva une soudaine morsure à la cuisse droite. Il s'écroula.

— Je l'ai eu, ce salaud ! brailla Coulter.

Les deux hommes se précipitèrent dans sa direction. Il jura entre ses dents. Il était blessé, mais il n'allait pas rester là et se laisser assassiner froidement. Il enfonça son revolver dans sa ceinture. Puis, s'aidant de ses deux mains, il se souleva en faisant porter le poids de son corps sur sa jambe valide et, au prix d'un effort surhumain, il parvint à se mettre debout.

Ses ennemis n'étaient pas à plus de vingt-cinq pieds de lui. Ils approchaient avec prudence, bien qu'il n'eût pas encore tiré un seul coup de feu. Il essaya de prendre appui sur sa jambe blessée. Il sentait le sang couler le long de sa cuisse qui commençait à s'engourdir. Néanmoins, la douleur était supportable. Il fit un pas, un autre, un troisième. Il ne pouvait certes pas courir, mais ses adversaires avançant lentement, du moins pouvait-il tenter de s'éloigner de l'endroit où ils croyaient le trouver.

À ce moment-là, un autre éclair illumina la nuit. Il fit feu. Les deux hommes se baissèrent pour essayer d'éviter son projectile et tirèrent simultanément. Il pouvait maintenant les distinguer : Coulter était à sa droite et Abel à sa gauche, distant de son compagnon d'environ dix yards. Le premier paraissait avoir été blessé. Mais Mac-Iver, lui aussi, avait été touché et projeté violemment en arrière.

Il sentit l'eau froide du ruisseau se refermer sur lui. Instinctivement, il se débattit pour remonter à la surface, pour sortir la tête à l'air libre et pouvoir respirer. Blessé de deux balles, même s'il ne se noyait pas, il allait forcément être entraîné par le courant.

Sa jambe gauche était maintenant passablement engourdie, ainsi que son bras gauche atteint par la seconde balle. Il constata cependant qu'il pouvait les bouger. Serrant les dents, il parvint à se maintenir à la surface. Mais il se demandait à quelle vitesse l'eau pouvait bien s'écouler et à quelle distance des chariots il se retrouverait lorsqu'il pourrait enfin remonter sur la rive.

Il était tombé de la grêle, pendant l'orage, et l'eau était glacée. Soudain, il sentit une crampe à sa jambe valide. Il éprouva un instant de panique. Il fallait pourtant lutter s'il ne voulait pas couler. Chaque fois qu'un éclair illuminait le paysage, il cherchait désespérément des yeux un objet auquel il pût se raccrocher, un endroit de la rive où il pût tenter de sortir de l'eau. Mais les berges étaient presque à pic, et la terre ferme à trois bons pieds au-dessus de la surface de l'eau. Il commençait à désespérer de pouvoir se tirer de là lorsqu'il aperçut, à une certaine distance, un petit ruisseau qui venait se jeter dans le cours d'eau principal. Il était également plein d'eau, mais d'une eau à peu près calme hormis un léger tourbillon. Bandant tous ses muscles, il se mit à nager dans cette direction, malgré l'engourdissement qui le gagnait de plus en plus.

Finalement, il se trouva dans l'eau calme du ruisseau et sentit sous ses pieds le fond du lit. Il chancela un peu et s'écroula contre la berge. Il avait encore de l'eau jusqu'aux genoux, il était à bout de souffle et se sentait glisser dans l'inconscience.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, le ciel grisaillait à l'est. L'aube approchait. La pluie avait cessé, et le lit du ruisseau dans lequel il se trouvait était maintenant presque à sec. Son bras et sa jambe le faisaient souffrir. Il essaya de bouger, fit une grimace de douleur, mais parvint à se lever en s'accrochant des deux mains à la berge. Il fit quelques pas de côté, cherchant un endroit accessible lui permettant de remonter sur la rive.

Il finit par trouver un endroit où la berge descendait en pente douce. Malgré cela, il se demanda s'il aurait la force nécessaire. Il s'agrippa, se mit à grimper lentement. Il était presque parvenu au bord lorsqu'il perdit l'équilibre et retomba lourdement. Il resta un moment immobile, épuisé par son effort, le souffle court. Quand sa respiration fut redevenue à peu près normale, il entreprit une seconde fois son ascension. Il parvint jusqu'au sommet, et sa tête était déjà hors du lit du ruisseau lorsqu'il lâcha prise à nouveau et roula jusqu'en bas.

Cependant, il avait aperçu, à un quart de mille de là, un chariot solitaire qui semblait avancer dans sa direction. Il lui fallait absolument remonter, gagner la rive. S'il tardait trop, le véhicule passerait sans le voir. Une troisième fois, il s'agrippa, grimpa, réussit à glisser un bras sur la rive et tenta de se maintenir dans cette position.

Le chariot se rapprochait. Il distingua sur le siège du conducteur une mince silhouette féminine. Quelques instants encore, et il reconnut Donna Cory. Seule. Trempée, la robe maculée de boue, elle regardait anxieusement devant elle, à droite, à gauche, appelant de temps à autre :

— Vince ! Vince !

Le jeune homme fixait le chariot, employant le peu de force qui lui restait pour se maintenir dans la même position et ne pas retomber dans le lit du ruisseau. Mais, malgré tous ses efforts, il sentait ses pieds glisser le long de la berge boueuse. La jeune femme était maintenant tout près, mais elle ne l'avait pas encore vu.

— Donna ! cria-t-il d'une voix enrouée. Donna, par ici !

Elle l'entendit et se mit à le chercher désespérément des yeux. Il se sentait glisser, glisser…

— Ici ! reprit-il. Vite !

Il enfonça ses doigts dans la boue, en un dernier effort pour s'agripper. La jeune femme l'aperçut enfin. Elle arrêta instantanément son attelage, serra le frein et sauta à terre si précipitamment qu'elle trébucha et faillit tomber. Reprenant son équilibre, elle se mit à courir.

Parvenue près du jeune homme, elle le saisit par les poignets, mais elle faillit être entraînée par son poids. Elle s'accroupit, enfonça les talons de ses bottes dans la boue gluante, reprit son souffle et se mit à tirer de toutes ses forces. En même temps, Mac-Iver faisait un effort surhumain pour remonter. Finalement, il vint s'abattre mollement sur la berge.

Des larmes roulaient sur les joues de Donna tandis qu'elle considérait ses vêtements imbibés de sang à l'épaule et à la cuisse. Elle le laissa se reposer un moment.

— Appuyez-vous sur moi, dit-elle ensuite. Je vais vous aider à vous relever. Si nous pouvons atteindre le chariot, tout ira bien.

Ils y parvinrent, non sans difficulté, et Donna réussit à hisser son compagnon à l'intérieur du véhicule bâché. Épuisé par sa perte de sang et les efforts fournis, il perdit connaissance.

Un peu plus tard, il lui sembla vaguement que le chariot se mettait à rouler. Puis plus rien.