IV – La sorcellerie machenienne

Dans un passage de l’« Histoire de la poudre blanche » se référant à la sorcellerie, Machen a cité l’une de ses sources, l’appendice de la monographie de Richard Payne Knight(35).

En effet, en 1865, l’antiquaire Thomas Wright et deux collaborateurs ajoutèrent un essai sur la sorcellerie des temps modernes au traité consacré par Richard Payne Knight à l’étude du culte de Priape. Le trio s’était inspiré de La Sorcière (1862) de Michelet, pour dépeindre les sabbats comme une réactivation rustique du culte des pouvoirs générateurs. Machen leur a emprunté le détail de l’emploi d’un breuvage hallucinogène lors des assemblées de sorcières, pour forger le concept de sa boisson de transmutation, le « Vinum Sabbati ». Il a également trouvé dans l’ouvrage de Knight le concept du culte phallique comme religion originelle. Cette lecture, complétée par celle des ouvrages de l’excentrique Hargrave Jennings(36), lui a permis de concevoir les aspects orgiaques du culte du Petit Peuple. D’autres concepts, comme le caractère ancestral et initiatique de la sorcellerie, la langue secrète, la primauté féminine dans les rites, proviennent probablement de l’œuvre d’un philologue américain, Charles Godfrey Leland. En 1894, Leland rencontra en Romagne une femme qui se présenta comme une sorcière, détentrice d’une tradition millénaire. Cette informatrice, Maddalena, soutenait que son savoir lui avait été transmis par sa grand-mère, sa tante et sa belle-mère. Ses initiatives l’avaient conduite au fond des forêts pour lui révéler les secrets de la « Vecchia Religione » : on lui apprit les arcanes d’un langage d’initiées, ainsi que l’art de psalmodier suivant un certain rythme musical. Elle sut les noms des anciens dieux. Maddalena introduisit Leland dans le cercle d’autres sorcières prétendues, et le philologue composa plusieurs ouvrages à partir de leurs confidences, comme Etruscam Roman Remains (1892) et Aradia, l’évangile des sorcières (1899)(37). Dans un essai plus ancien, Leland a fourni les définitions de ce qu’il désignait sous le terme de « chamanisme préhistorique ». Il s’agissait d’après lui « d’une sorcellerie horrible, pratiquée principalement par les femmes, où l’on tentait de se concilier les mauvais esprits ; les moyens employés embrassaient tout ce qui pouvait révolter et surprendre des barbares ». Ce culte maléfique, pratiqué d’abord par les Lapons et les Finnois, passa plus tard dans le vaudou haïtien. Aujourd’hui, une partie de cette tradition circule toujours dans le milieu des criminels. Car l’homme préhistorique a survécu, malgré l’œuvre de la civilisation : « on peut encore le trouver par millions, et il s’accrochera toujours à la vieille sorcellerie de ses lointains ancêtres(38) ».

La sorcellerie machenienne, cette « science du mal » pré-aryenne, a pu bénéficier des stimulations procurées par la lecture de tels passages.