I – Les sources du maître de Caerleon

Les nouvelles qui composent ce recueil sont pratiquement toutes liées par un fil conducteur, celui de la présence suggérée d’une race de petite taille sous les collines du Pays de Galles. Dans l’« Histoire du Cachet Noir » le professeur Gregg se livre à une révision du folklore et de l’histoire des religions, pour interpréter les fées et les diables comme des images mythiques du Petit Peuple. Dans un autre récit du même recueil, l’« Histoire de la poudre blanche » ce tableau se voit complété par une réinterprétation du sabbat. Les humains étaient attirés à ces réunions par « des êtres bien qualifiés pour jouer le rôle des démons », désignation indirecte des représentants de la race naine. On leur offrait un breuvage spécial qui provoquait la dissociation physique de l’assistant (e), dès lors pourvu d’un alter ego de l’autre sexe, avec lequel il s’unissait au cours des « noces du sabbat ». Ce secret d’une « science du mal qui existait bien avant que les Aryens n’apparussent en Europe(15) » n’était pas l’unique arcane du Petit Peuple. L’ethnologue du « Cachet Noir » lui attribue, à titre de survivances, des pouvoirs paranormaux tels que la faculté de déplacer des objets à distance, de se métamorphoser, ou de faire régresser le corps physique jusqu’au protoplasme. Les Pygmées du Pays de Galles sont des êtres attardés, ne disposant à la fin du XIXe siècle que de l’outillage lithique de l’homme préhistorique, mais ce retard sur le plan matériel va de pair avec leur maîtrise atavique de facultés qui nous paraissent magiques. Le peuple caché se révèle être un ennemi insidieux de l’humanité, n’entretenant avec la plupart des humains que des rapports de prédation. Les troglodytes se livrent à des meurtres gratuits, à des rapts de femmes et des substitutions d’enfants. Dans « La Pyramide de feu » les nabots des collines sacrifient par le feu une femme capturée. « Substitution » est basée sur un cas d’enlèvement, les nains remplaçant un garçonnet par un des leurs, ou changelin. Dans le même récit est brossé le portrait d’une intermédiaire entre la race secrète et l’« Homo Sapiens ». Il s’agit d’une nurse qui, tout en favorisant l’enlèvement d’un des enfants dont elle a la garde, initie les autres aux arts interdits. À travers le personnage de la jeune bonne, Machen condamne la sorcellerie à un triple niveau, moral, social et métaphysique. La sorcière renie son humanité en livrant le bambin au Petit Peuple. Elle enseigne un savoir nocif aux jeunes gens, et, par l’entremise du changelin, introduit la sauvagerie originelle dans la civilisation.

Les sorcières sont donc des émissaires et des complices des troglodytes. Le Petit Peuple, race fossile, est également une race sorcière.

Impressionné par le traitement machenien, le lecteur peut se trouver enclin à attribuer le concept des nains au faciès mongoloïde, aux seules capacités inventives de l’écrivain gallois. En fait, il n’en est rien. Machen a fait entrer une foule de détails érudits dans son portrait des avortons des collines. Cependant, sa vision du Petit Peuple doit moins au folklore gallois qu’à certaines interprétations savantes des contes et des légendes. L’écrivain a d’ailleurs clarifié ses positions dans un article intitulé « Folklore et légendes nordiques » ; Machen y affirme sans ambages que pour lui, les nains des traditions septentrionales étaient : « la race aborigène touranienne qui habitait l’Europe avant l’arrivée des Aryens. […] récemment, des preuves abondantes sont venues corroborer [la thèse] selon laquelle une race non aryenne de petite taille avait mené une vie souterraine à l’abri des tertres à travers toute l’Europe ; leurs enceintes fortifiées ont été explorées et les vieux contes fantastiques des collines vertes illuminées la nuit ont pu recevoir une confirmation. Beaucoup d’éléments des vieilles légendes se trouvent expliqués par les références à cette race primitive. Les récits concernant les enfants échangés et les femmes captives s’éclairent si l’on suppose que les « Fées » accomplissaient parfois des raids dans les demeures des envahisseurs(16) ».

Plus tard, dans son essai sur le « Petit Peuple », Machen, à la faveur du comparatisme ethnologique, s’efforcera encore d’étayer la thèse présentant les fées comme un souvenir des « petits aborigènes au teint sombre » qui se seraient réfugiés dans les solitudes pour échapper aux Celtes envahisseurs(17).