3. À la recherche du Bol

— Quel est ce vieil homme qui vient de nous saluer l’instant ? demanda Dyson au moment où ils parvenaient au tournant du chemin, près de la maison.

— Ah ! c’était le vieux Trevor. Il a l’air effondré, le malheureux.

— Qui est Trevor ?

— Vous ne vous rappelez pas ? Je vous ai raconté l’histoire le jour où j’ai été vous rendre visite… Il s’agit d’une jeune fille, Annie Trevor, qui a disparu de la façon la plus inexplicable il y a environ cinq semaines. C’est son père.

— Oui, oui, je m’en souviens maintenant. À dire vrai, j’avais oublié tout cela. Et on n’a plus entendu parler de cette fille ?

— Absolument plus. Pour la police, c’est un échec complet.

— Je crains de n’avoir pas prêté grande attention aux détails. Quel chemin empruntait donc cette jeune fille ?

— Un sentier qui devait la mener droit à travers ces collines sauvages au-dessus de la maison ; le point le plus rapproché du sentier doit être à environ trois kilomètres d’ici.

— Est-ce près du petit hameau que j’ai vu hier ?

— Vous voulez parler de Croesyceiliog, d’où viennent les enfants ? Non, il passe plus au nord.

— Je n’ai jamais été de ce côté.

Ils rentrèrent. Dyson, perplexe, s’enferma dans sa chambre et se perdit en réflexions. Un soupçon vague mais fantastique, avait, l’espace d’un moment, effleuré son esprit et le hantait toujours sans prendre une forme précise. Dyson était assis devant la fenêtre ouverte donnant sur la vallée ; il voyait, comme dans un tableau, les méandres du ruisseau, le pont grisâtre, les collines qui s’élevaient au-delà. Tout était calme, sans un souffle de vent pour agiter les bois mystérieux. Le soleil de cette fin d’après-midi inondait les bruyères d’une lumière chaude ; plus loin en arrière et plus bas, une légère brume, d’un blanc pur, commençait à s’élever du cours d’eau. Dyson resta à sa fenêtre alors que la nuit commençait à tomber ; les collines en forme de bastions s’estompaient et paraissaient ainsi encore plus énormes, tandis que l’ombre s’épaississait sur les forêts ; l’idée qui-lui était venue cessa de lui paraître absolument impossible. Il passa le reste de la soirée à rêver, en entendant à peine ce que Vaughan lui disait ; quand il prit sa bougie dans l’antichambre, il s’arrêta un moment avant de souhaiter bonne nuit à son ami.

— J’ai besoin de bien me reposer, dit-il. Demain j’aurai du travail.

— Vous avez à écrire, voulez-vous dire ?

— Non. Je vais chercher le Bol.

— Le Bol ! Si vous voulez parler du bol à punch, il est en sécurité dans le coffre.

— Il ne s’agit pas du bol à punch. Je vous donne ma parole d’honneur que votre argenterie ne s’est à aucun moment trouvée en danger. Non. Je ne vais pas vous importuner avec de simples suppositions. Il est très probable que nous disposerons avant longtemps de quelque chose de beaucoup plus consistant. Bonne nuit, Vaughan.

Le lendemain matin Dyson se mit en route après le petit déjeuner. Il prit le sentier qui passait près du mur du jardin, et il remarqua, qu’à présent, huit de ces étranges yeux en amande étaient tracés sur la brique.

— Encore six jours, se dit-il ; mais en examinant sa nouvelle théorie, il jugea incroyable ce produit de son imagination débridée ; et pourtant, sa conviction était solide. Il s’enfonça dans les ombres épaisses du bois et finit par sortir sur le flanc aride de la colline ; il grimpa de plus en plus haut sur l’herbe glissante, en gardant la direction du nord et en se conformant aux indications que Vaughan lui avait données. Ce faisant, il avait l’impression de s’élever bien davantage, au-dessus du monde des hommes et de la vie quotidienne ; à sa droite il regardait une suite de vergers ; une légère fumée bleue s’élevait comme une colonne du hameau d’où venaient les enfants qui se rendaient à l’école ; cette fumée était la vieille maison grise de Vaughan. En parvenant à ce qui semblait être le sommet de la colline, Dyson se rendit pour la première fois compte de la solitude désolée et de l’étrangeté de cette contrée ; on ne distinguait rien d’autre qu’un ciel gris et une colline grise, une vaste plaine qui s’étendait à l’infini, et l’on entrevoyait très loin au nord, une montagne au sommet bleuâtre. Enfin, il rejoignit le sentier, une piste qu’on remarquait à peine ; d’après sa situation, et ce que lui avait dit Vaughan, il comprit que ce chemin était celui qu’avait dû prendre la jeune fille disparue, Annie Trevor. Il suivit la crête dénudée, remarqua les gros blocs de calcaire qui surgissaient de l’herbe, hideux, sinistres et d’un aspect aussi rébarbatif que des idoles des mers du Sud ; soudain, il s’immobilisa, frappé d’étonnement, comme s’il avait trouvé ce qu’il cherchait. Sans que rien ne permît de le prévoir, le terrain s’affaissait soudain dans toutes les directions ; une dépression circulaire qui pouvait très bien avoir été un amphithéâtre romain apparut et les affreux blocs de calcaire qui l’entouraient semblaient avoir appartenu à un mur en ruines. Dyson fit le tour de cette cavité, nota la position des pierres et reprit le chemin de la maison.

« Ceci, se dit-il, est plus que curieux. Le Bol est trouvé, mais où est la Pyramide ? »

— Mon cher Vaughan, déclara-t-il en rentrant, je vous annonce que j’ai découvert le Bol, mais je ne vous en dirai pas plus pour l’instant. Nous avons devant nous six jours d’inaction complète pendant lesquels nous n’aurons rien à faire.