Avant-propos de l’éditeur

Comme chacun sait, notre honorable maison s’est donné pour mission, ces dernières années, de publier les manuscrits inédits d’Andrew Fowler Singleton, retrouvés par Mr William H. Barnett, notaire à Northampton, dans une vieille malle du grenier familial.

Depuis la parution du Fantôme de Baker Street1, nombre d’entre vous, chers lecteurs, réclament à cor et à cri que soit rendue publique d’un coup la totalité des nouvelles aventures du célèbre détective et de son compagnon, James Trelawney. Pourtant, malgré ces supplications, et avec le flegme qui le caractérise – lequel n’est pas dénué d’un certain théâtralisme –, Mr Barnett continue de nous dévoiler les pièces de son trésor une par une.

Au moins, nos collaborateurs ont-ils de ce fait tout le temps de vérifier scrupuleusement l’authenticité du contenu des chemises cartonnées qui nous sont expédiées, de croiser les informations, de consulter les archives et d’interroger les éventuels survivants en mesure d’apporter un éclairage sur les événements relatés.

Concernant la nouvelle histoire que vous avez entre les mains, aussi extraordinaire soit-elle, permettez-moi cette fois de rapporter un souvenir personnel.

Il remonte au début de l’année 1971. J’étais un jeune homme à l’époque, féru de musique pop et fraîchement désigné à un poste à responsabilité au sein de notre maison d’édition. L’une des premières missions importantes que je m’étais vu confier avait été d’effectuer le voyage jusqu’en Nouvelle-Écosse, où il me fallait régler auprès d’Andrew Singleton les détails en vue de la publication d’un recueil de ses poésies.

C’était la première et dernière fois que je voyais le grand homme, celui-ci ayant rendu l’âme au printemps de l’année suivante.

Je demeurai une journée entière à travailler en sa compagnie près d’un âtre crépitant, un petit poste de radio posé devant nous. Le soleil dardait ses rayons sur la baie sauvage de St Margaret. Au pied du cottage en cèdre rouge, les vagues mugissantes de l’Atlantique se brisaient contre les rochers. Plus loin, derrière les dunes de bruyères, se dressait impavide le phare de Peggy’s Point.

À la fin de l’après-midi, tandis qu’il farfouillait dans un amas de documents, Singleton était tombé en arrêt sur un article de journal au papier jauni. Il ne m’était pas apparu trop indiscret de jeter un furtif coup d’œil sur la coupure. C’était un extrait du Daily Telegraph, daté du 17 octobre 1966, qui indiquait qu’à la faveur de l’écroulement d’une falaise, entre Selsey Bill et Bracklesham Bay, dans le comté du Sussex, en Angleterre, des promeneurs venaient de trouver sur la plage un coffre contenant des bannières, des sceptres, des étoles brodées, mais aussi des carnets écrits dans un mystérieux alphabet.

À cet instant-là, Space Oddity se faisait entendre sur les ondes. Je me rappelle ce détail avec précision, sans doute parce que la chanson de Bowie, qui était l’une de mes préférées, avait été choisie un an et demi plus tôt par la BBC pour la retransmission en direct de l’alunissage d’Apollo 11.

 L’événement relaté dans cet article a-t-il un lien avec les enquêtes que Trelawney et vous-même avez menées ? hasardai-je, alors que Singleton, dont le visage ne s’était jamais départi d’une étonnante juvénilité, considérait l’horizon d’un air absorbé.

 En quelque sorte, Mr Cartwright. L’une des plus douloureuses, l’une des plus éprouvantes de toutes ces affaires.

 En avez-vous jamais rédigé le récit ?

 Un jour, le moment sera venu pour le public de prendre connaissance de certaines vérités. Pour l’heure, tout ce que je peux déclarer, c’est que les pouvoirs psychiques de l’homme sont plus considérables qu’on ne le croit d’ordinaire. Et si nous avons perdu au fil des siècles l’usage de la plupart de ces facultés, il n’en demeure pas moins que, chez certains individus, en certaines circonstances, elles sont capables de refaire surface. Et gare alors à ce qu’il peut advenir !

Malgré le caractère sibyllin de ces propos, je ne cherchai pas à en savoir davantage. Il faut dire qu’à ce moment-là, j’étais loin de me douter que le récit de cette histoire se trouvait enfermé dans un grenier du centre de l’Angleterre, et qu’il y reposait au milieu de nombreux autres.

Stanley Cartwright.

1- 10/18, n° 4090.