17

J’avais espéré que tous les blessés seraient capables de monter à cheval quand nous repartirions deux jours plus tard. Mais en dépit de tous les efforts de maître Juwain, les quatre Gardiens atteints des blessures les plus graves seraient obligés de rester sur place quelques jours de plus pour récupérer. Après m’être assuré qu’ils avaient assez de provisions, j’en désignai quatre autres pour les soigner et les protéger des loups et des lions – ou du retour d’Adirii cherchant à se venger. S’ils le pouvaient, ils nous rejoindraient au lac, mais si cela se révélait impossible, ils rentreraient dans leurs royaumes respectifs des Montagnes du Levant. Il ne serait pas raisonnable pour des chevaliers blessés de traverser les interminables milles du Wendrush pour nous rattraper.

C’est ainsi que notre compagnie se trouva réduite à cent soixante-cinq Gardiens. Quand le soleil apparut comme une boule de feu coincée dans le défilé entre les montagnes derrière nous, nous nous alignâmes comme les jours précédents : je chevauchais en tête de la colonne du milieu, flanqué de part et d’autre de Maram et de lord Raasharu, et suivi d’Estrella juste derrière moi. Cela me chagrinait qu’elle soit obligée de supporter les dangers de notre voyage. Mais pendant la bataille, elle n’avait montré aucun signe de terreur ni de panique, ce que j’attribuais à une force intérieure que je commençais seulement à entrevoir. En la voyant assise sur son cheval, si calme dans le petit matin paisible, au milieu des longues herbes étincelantes de rosée agitées par le vent, on aurait pu penser que la souffrance et la mort l’avaient endurcie, mais je savais qu’il n’en était rien. Quand nous passâmes devant les tombes des Gardiens, ses yeux se remplirent de larmes et elle pleura en silence.

À une centaine de mètres devant nous, les quatre-vingts Manslayers sur leurs robustes petits chevaux des steppes formaient l’avant-garde. Ce matin-là, Atara n’était pas à leur tête. En réalité, c’était Karimah qui la guidait, car sa cécité n’avait pas disparu avec l’aube. Son amie tenait une corde attachée à la bride de Flamme et la belle jument semblait avoir compris qu’elle devait suivre Karimah en portant patiemment sa maîtresse. Je devinais qu’Atara, elle, supportait mal l’obscurité qui l’enveloppait, et je redoutais que les Adirii ne reviennent et ne profitent de son impuissance pour s’emparer d’elle. Mais ni Atara ni les autres Manslayers ne semblaient craindre cette éventualité. Comme Atara me l’avait dit la veille, les Adirii avaient déjà pris un grand risque en s’attaquant à nous. Chercher querelle aux Valari et aux Sarni à la fois serait vraiment de la folie.

En réalité, en dépit du cher tribut que nous avions payé à la bataille, j’avais compris au fond de moi une grande et amère leçon : les Valari ne pouvaient battre les Sarni dans la steppe qu’avec l’aide d’autres Sarni.

Plus tard dans la matinée, alors que nous faisions une pause près du fleuve pour faire boire les chevaux, je m’approchai d’Atara pour lui en parler. Nous trouvâmes un petit coin tranquille derrière un vieux peuplier noueux et je lui fis remarquer que c’était un miracle que de voir nos deux peuples chevaucher ensemble. Serait-il possible, lui demandai-je de réussir à convaincre son grand-père Sajagax de se rendre au conclave à Tria ? Car si Morjin pouvait voir le plus grand des chefs Sarni calmement assis à la même table que les souverains des Royaumes Libres, la perspective d’une alliance l’effraierait peut-être vraiment.

« Sajagax déteste les villes, dit-elle, mais c’est possible.

— Est-ce envisageable ? insistai-je. Est-ce que tu l’as vu ?

— Je ne veux plus te parler de ce que j’ai vu ou pas.

— Mais j’ai besoin de savoir tellement de choses. La prophétie de Kasandra. Que voulait-elle dire en affirmant qu’un homme sans visage me montrerait le mien ? Et qu’Estrella me montrerait le Maîtreya ? »

Atara resta silencieuse tandis que je m’adossais contre les plis profonds de l’écorce argentée. Puis elle dit : « Une prophétesse ne doit pas parler des visions d’une autre prophétesse.

— Je t’en prie, Atara. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour Estrella. Je suis très angoissé à l’idée de la mettre en danger.

— C’est inévitable, répondit-elle. Ce qui doit être sera. L’enfant restera avec toi jusqu’au bout.

— Jusqu’au bout de quoi ? De ma vie ? Jusqu’à ce que je revendique la Pierre de Lumière ou que j’atteigne l’endroit le plus sombre, quel qu’il soit et où qu’il se trouve ? »

Mais Atara ne voulut rien dire de plus. En fait, elle m’en avait déjà trop dit. Pendant quelques minutes, tandis que le long de la berge rocheuse de la rivière les centaines de chevaux baissaient la tête pour se remplir la panse d’eau fraîche et limpide, nous parlâmes d’autre chose. Elle me donna des nouvelles des compagnons qui avaient fait la Grande Quête avec nous. Liljana vivait toujours à Tria et préparait dans l’ombre la chute de Morjin. En tant que responsable des Maitriche Télu, elle avait réuni des Sœurs originaires de tout Ea dans leur sanctuaire secret. Et, faisant fi de coutumes vieilles de plusieurs millénaires, elle avait commencé à enseigner à Daj leurs pratiques de sorcières. Soigné par Liljana, le petit garçon que nous avions sauvé d’Argattha s’était épanoui. Son corps affamé s’était rempli grâce aux plats nourrissants que Liljana cuisinait pour lui et son esprit insatiable s’était rempli de toutes les connaissances secrètement conservées par les Maitriche Télu depuis l’Âge de la Mère.

« Et Kane ? demandai-je.

— Kane a quitté Tria brusquement il y a cinq mois.

— À cause de sa Confrérie Noire ?

— Je ne sais pas. Il n’a rien voulu dire.

— Est-ce qu’il a dit quand il reviendrait ?

— Je ne sais pas non plus. À temps pour le conclave, j’espère. »

Je l’espérais aussi. J’avais de nombreuses questions à poser à cet homme étrange et immortel. Il avait peut-être des réponses que le cristal akhashic lui-même ne pouvait pas m’apporter. Tout en pensant à cette gelstei extraordinaire et à Kane, je mis fin à notre halte au bord de la rivière et remontai à cheval. Nous avions encore de nombreux milles devant nous.

Nous atteignîmes le lac tôt dans l’après-midi. Franchissant une crête, nous aperçûmes une étendue bleue miroitant sous un ciel d’azur parfaitement dégagé. Le lac semblait avoir plusieurs milles de long mais un mur de brume s’élevait à sa surface formant une épaisse bande grise qui empêchait de voir au loin.

« Le Lac des Brumes, s’écria Baltasar derrière moi, c’est sûrement lui. »

C’était bien lui. En tout cas, c’est ainsi que les hommes et les femmes qui vivaient près du lac l’appelaient. Ils étaient petits et trapus avec des cheveux bouclés et la peau presque aussi sombre que l’herbe brûlée. Leurs villages étaient constitués de petites huttes construites en peuplier. Ils utilisaient l’eau du lac pour irriguer des champs gagnés de haute lutte sur la steppe avec leurs faux. Apparemment, ils ne cultivaient qu’une seule chose : une céréale jaune appelée rushk. Atara les surnommait les Gratte-terre ; elle disait qu’ils étaient venus du sud, peut-être d’Uskudar, deux mille ans auparavant, à l’époque de la Grande Mort. En échange d’un tribut payé en sacs de rushk censé être presque aussi nourrissant que la viande, les Kurmaks leur permettaient de vivre là et les protégeaient des Adirii et de leurs autres ennemis.

« Eh bien, ils ne semblent pas très reconnaissants à leurs protecteurs », dit Maram alors que nous traversions l’étroite bande de leurs champs. Plusieurs hommes du lac, nus jusqu’à la taille et transpirant sous le soleil, avaient arrêté de travailler pour regarder passer les Manslayers. Ils fixaient les guerrières de leurs yeux sombres en serrant leur faux entre leurs mains comme s’ils souhaitaient s’en servir pour faucher les Manslayers plutôt que pour couper les mauvaises herbes de leur terrain.

Par chance, certains de ces hommes n’étaient pas du tout des Gratte-terre mais des pêcheurs. Nous suivîmes les Manslayers jusqu’au bord du lac où un vieil homme était en train de calfater son bateau échoué sur la berge. Les articulations de ses mains étaient enflées par une vie de dur labeur et marquées de cicatrices probablement provoquées par des hameçons. Sa cravache à la main, Karimah lui demanda son nom et il répondit qu’il s’appelait Tembom.

« Eh bien, Tembom, lui dit-elle, nous avons besoin d’emprunter ton bateau pour la journée, et peut-être pour plus longtemps. »

Redressant son corps usé, Tembom m’observa puis regarda mes hommes comme s’il n’avait jamais vu de chevaliers valari auparavant, ce qui était sans doute le cas.

« Comment se fait-il que vous ayez besoin de mon bateau, madame ? lui demanda-t-il.

— Comment se fait-il que tu me poses la question ? » répliqua Karimah en faisant claquer sa cravache sur sa main.

Alors que les Manslayers se rapprochaient doucement du rivage en le toisant du haut de leurs chevaux et que mes chevaliers attendaient derrière moi pour voir ce qui allait se passer, Tembom leva les yeux vers les eaux bleues et calmes du lac et la brume qui montait à environ un mille de là. « Si c’est du poisson que vous voulez, nous avons pris une grande quantité de carpes, madame », dit-il.

Les yeux bleus de Karimah lancèrent des éclairs. Elle répondit sèchement : « Ma maîtresse et ses amis cherchent autre chose que des carpes. Maintenant, il nous faut ton bateau. »

Bien entendu, ni Atara ni moi n’avions laissé entendre que nous voulions trouver un bateau, mais Karimah devait avoir deviné beaucoup de choses parce qu’elle regardait le lac avec des yeux étincelants comme des gelstei.

Maram, qui aimait encore moins les bateaux que moi, mit pied à terre et se rapprocha pour examiner celui-ci de plus près. « Bon, il m’a l’air assez solide pour tenir le coup même si nous passons quelques heures à errer dans cette brume. »

Effrayé, Tembom ouvrit grand ses vieux yeux. « Mais, messire, nous n’allons jamais aussi loin. La brume est maudite.

— Comment ça ?

— On dit que ceux qui pénètrent dedans ne reviennent jamais.

— Maudite, dites-vous ? Mais quand est-on allé pêcher là-bas pour la dernière fois ?

— Je ne sais pas. Pas depuis que je suis né, ni du vivant de mon père. »

Tembom regarda le milieu du lac et frissonna. « Quand j’étais enfant, mon oncle Jarom disait qu’il se moquait des malédictions. Par une journée aussi calme qu’aujourd’hui, il est parti à la rame jusqu’au brouillard et celui-ci l’a avalé vivant avec sa barque. »

Il posa sa main sur le bastingage de son bateau comme s’il s’agissait de la tête d’un enfant. Je sortis quelques pièces d’or de ma poche et les lui tendis. « Si nous ne revenons pas, utilisez cet argent pour acheter un nouveau bateau. »

Karimah fit avancer son cheval jusqu’à l’embarcation et fît claquer bruyamment sa cravache en cuir contre elle. « Le service que cet homme nous rend est normal, pas besoin de le payer en pièces d’or, dit-elle.

— Il ne me doit aucun service à moi, lui expliquai-je. Et de toute manière, il doit être garanti contre le risque de perdre son bateau.

— Et que faites-vous des risques que nous Kurmaks prenons pour le protéger ? C’est nous que vous devriez payer en pièces d’or. »

Mais j’avais déjà donné de l’or à Trahadak pour pouvoir traverser le pays kurmak sans être inquiété et je n’étais pas prêt à payer davantage. Atara prit alors Karimah à part pour discuter avec elle quelques instants, puis Karimah me dit : « Bon, très bien. Nous attendrons votre retour ici avec vos Valari. Mais je vous en prie, faites en sorte de revenir. Atara m’est plus précieuse que tout l’or du monde. »

Là-dessus, elle sourit et caressa les longs cheveux d’Atara, Apparemment, elle éprouvait autant de joie à offrir un peu de tendresse à ceux qu’elle aimait qu’à planter sa dague ou ses flèches dans le corps de ses ennemis.

Sans perdre de temps, je m’occupai de faire vider le bateau de ses filets, de ses gaffes et de tout le matériel de pêche. Nous rangeâmes sous ses sièges usés par les intempéries assez de provisions pour tenir plusieurs jours. Puis je repris la Pierre de Lumière à Sar Ianashu et descendis sur la plage de sable entouré de lord Raasharu, Baltasar, lord Harsha et de tous ceux qui m’étaient chers.

« C’est toi qui prendras le commandement, dis-je à Baltasar. Assure-toi qu’aucun des Gardiens ne parle aux femmes de Karimah.

— Gardiens, répliqua Baltasar vexé. Qu’est-ce qu’on est supposés garder si tu emmènes la Pierre de Lumière dans ce brouillard maudit ?

— Garde le rivage jusqu’à notre retour », répondis-je en lui donnant une tape sur l’épaule. Puis, jetant un coup d’œil aux Manslayers assises sur leurs petits chevaux, à leurs cheveux dorés et à leurs longs bras hâlés ornés d’or étincelant, je souris et ajoutai : « Et gardez-vous de vous-mêmes. »

J’étais désolé de ne pas emmener Altaru, car je ne pouvais oublier que c’était cet animal courageux qui nous avait guidés jusqu’au premier Vild à travers le fouillis impénétrable de la forêt alonienne. Mais il n’y avait aucun moyen de faire monter mon magnifique étalon dans un petit bateau de pêche. En fait, il y avait juste assez de place pour maître Juwain, Maram, Atara et moi. Et pour Estrella aussi, car au dernier moment, alors que, debout dans l’eau, je poussais le bateau vers le large, elle se détacha de Béhira et me rejoignit dans le lac en pataugeant.

« D’accord, d’accord », dis-je en riant tandis qu’Estrella sautait dans mes bras. Pour la millième fois, je me rappelai la prophétie de Kasandra, et celle d’Atara aussi maintenant. « On t’emmène avec nous. »

Je la fis monter dans le bateau avant d’y grimper à mon tour et de m’asseoir à côté d’elle à l’arrière. À ma grande surprise, Maram proposa de ramer et s’installa sur le large siège au milieu de l’embarcation. À l’avant, Atara et maître Juwain étaient tournés vers le milieu du lac et la brume grise qui le recouvrait toujours.

Dans le bruit des petites vagues qui clapotaient contre la coque du bateau et des longues rames en bois s’enfonçant dans l’eau à un rythme régulier, Maram nous emmena au centre du lac. C’était un jour calme et lumineux ; mis à part que nous ne savions pas ce que nous allions trouver dans ce lac, il semblait que nous n’ayons rien à redouter si ce n’est les rayons ardents du soleil qui en ce milieu de mois de marud était chaud et omniprésent.

Reflétant une grande partie de sa lumière, mon armure de diamants offrait un spectacle magnifique, et si j’étais ravi de l’avoir sur le dos à la place de mon armure d’acier, j’avais quand même très chaud. Je transpirais et des ruisselets salés me piquaient le cou et coulaient dans mon dos et le long de mes flancs. Le soleil me brûlait le visage. Il paraissait aspirer directement l’humidité de mes bottes et de mes jambières que j’avais mouillées en poussant le bateau dans le lac. L’air immobile, semblable à l’atmosphère d’un four me desséchait les yeux.

Et puis Maram nous fit entrer droit dans le mur de brume et immédiatement, il se mit à faire froid. On avait l’impression d’être enveloppé dans une couverture imbibée d’eau glacée. Je me mis à frissonner et Estrella aussi. Je la couvris de ma cape en laine mais cela ne semblait pas servir à grand-chose. La brume perlait dans nos cheveux et laissait une couche d’humidité brillante à la surface de nos vêtements. Elle nous remplissait les narines et la bouche à chaque inspiration. Impossible d’y échapper. Je tournai la tête à droite et à gauche mais ce nuage gris et froid était aussi dense dans toutes les directions. Il formait une couche si épaisse sur le lac que je pouvais à peine distinguer Atara et maître Juwain à l’avant qui refermaient leur cape en tremblant eux aussi.

« Je n’y vois plus rien ! se plaignit Maram en s’arrêtant et en relevant les rames. Je ne sais pas de quel côté aller !

— Tu me vois, moi », lui dis-je à seulement quelques dizaines de centimètres de lui. Même à cette courte distance, nous étions séparés par une pénombre suffocante et humide qui paraissait ôter à la silhouette massive de Maram sa netteté et sa consistance. « Continue à ramer, droit devant, et tout se passera bien.

— Mais c’est où droit devant ? »

En réponse, je plaçai le bout de mes doigts en pointe comme le toit d’un chalet et tendis les bras vers la proue du bateau.

« Tu es sûr, Val ? Ton sens de l’orientation t’a joué des tours dans le Marécage Noir, tu te souviens ?

— On n’est pas dans le Marécage Noir, ici. Nous sommes partis de l’extrémité nord du lac. Si le poème de maître Juwain dit vrai, l’île doit se trouver au centre du lac, en direction du sud. »

Maram se retourna pour regarder derrière lui à travers les volutes de brume. « Et tu es sûr que le sud est par là ? demanda-t-il.

— Aussi sûr qu’un cygne volant vers Mesh à la fin de l’hiver.

— C’est vrai que tu as toujours eu ce sens mystérieux, mais il t’a aussi joué des tours à l’approche du premier Vild, tu te rappelles ?

— Contente-toi de ramer, vieux, répondis-je. Et tout ira bien. »

Après avoir poussé un grognement dubitatif, Maram reprit ses avirons et recommença à ramer. Les lames de bois luisantes s’enfonçaient dans l’eau inlassablement. À l’exception de ce bruit sourd, le silence était presque complet. Le sifflement de la respiration de Maram éclatant en petites bulles dans l’air faisait l’effet d’un vent soufflant en tempête.

« Il fait plus froid ici, dit-il soudain. Tu as senti, Val ? »

Tout à coup, la brume s’épaissit et ce fut comme si un mur d’eau froide nous repoussait. J’étais gelé jusqu’aux os. Quelque chose dans l’air et dans le lac gris au-dessous de nous – quelque chose d’étrange, d’inquiétant et de puissant – semblait nous inciter à nous éloigner en provoquant un frisson de terreur qui nous atteignait au plus profond de nous-mêmes.

« Maudite brume ! marmonna Maram. Ça ne peut pas être naturel !

— Vous savez bien que ça ne l’est pas », dit maître Juwain à l’avant du bateau. Sa voix paraissait fluette et lointaine. « Nous savons que les Lokilani protègent leurs Vilds derrière des barrières de brume ou des murs d’arbres.

— Des barrières invisibles, grogna Maram. Mais profondément ressenties par le cœur et l’âme. Atara ! Est-ce que tu vois quelque chose ?

— Moins que toi, dit-elle en tirant sur le bandeau qui lui barrait le visage. »

Assise à côté de moi sur le banc en bois humide, Estrella se pressa contre la surface dure de mon armure et je serrai davantage ma cape autour de nous. Je sortis la Pierre de Lumière dans l’espoir que son éclat nous montrerait le chemin à travers le brouillard qui ne cessait d’épaissir. Dans mes mains froides, la petite coupe dégageait une lumière dorée et brillante. Mais les petites particules de brume me la renvoyaient au visage et la dispersaient de sorte que l’air entourant le bateau scintillait et éblouissait et qu’on y voyait encore moins.

« Range-la ! s’écria Maram en lâchant sa rame pour se couvrir le visage. Elle ne sert à rien ici ! »

Je fis ce qu’il me demandait et attendis dans la pénombre qui s’obscurcissait, tandis qu’au-dessous de nous la houle faisait doucement monter et descendre notre embarcation. Une odeur pestilentielle de vieux poisson pourri émanait des planches grinçantes du bateau ; la brume semblait s’emparer de cette puanteur et nous en envelopper jusqu’à la nausée.

« Allons, rame, dis-je à Maram. Il n’y a rien d’autre à faire. »

Pendant un moment, Maram rama aussi fort et aussi régulièrement que possible. Ses grosses joues se gonflaient à chaque coup d’aviron et des perles apparurent sur sa barbe sans qu’on puisse dire si c’était dû à la sueur ou à la brume. Au bout de quelque temps, il s’arrêta et me demanda : « À ton avis, j’ai ramé pendant combien de temps ? »

L’eau clapotait contre les parois du bateau. « Pas assez longtemps, répondis-je.

— Moi, je dirais au moins une heure. Si j’ai avancé tout droit, pourquoi n’avons-nous pas encore atteint cette maudite île ?

— On y sera bientôt. Continue à ramer. »

Maram jura et se remit à tirer sur ses avirons. Et chaque fois qu’il ramenait son corps massif en arrière pour terminer son mouvement, il marmonnait quelque chose dans sa barbe.

Le temps passait. Au milieu de nulle part, dans ce brouillard glacé qui dévorait le soleil, j’avais du mal à dire exactement combien de temps s’était écoulé. Il pouvait s’agir de minutes comme de jours. Soudain, je tendis l’oreille pour écouter les mots que Maram se forçait à prononcer malgré son souffle court et je l’entendis dire : « Cinq cent quatre-vingt-un, cinq cent quatre-vingt-deux…

— Qu’est-ce que tu fais ? » lui demandai-je.

Il secoua la tête pour repousser les boucles brunes plaquées sur son visage avant de répondre : « Je compte les coups de rames. Si chaque coup prend trois secondes, à mille deux cents coups, cela fera une heure.

— Très bien, cria maître Juwain derrière lui. Mais supposons que chaque coup prenne deux secondes, ou quatre. Alors…

— Ça n’a aucune importance, répliqua Maram. J’essaie simplement d’avoir une idée du temps que j’ai passé à ramer. Ici, le temps a quelque chose d’étrange. Est-ce que vous ressentez la même chose ? J’ai l’impression que ça fait cinq jours que je rame. »

Il se remit à ramer et à compter. Après un moment encore plus long – il ne dit pas quel nombre il avait atteint –, il rentra les avirons, s’affaissa vers l’avant et posa sa tête sur sa main.

« Je suis fatigué, dit-il. J’ai froid. Tu ne boirais pas un peu d’eau-de-vie, Val ? »

Je sortis une bouteille et lui en versais un peu dans un verre que je lui tendis. Il la but en trois gorgées rapides puis me rendit le verre pour une seconde tournée.

« Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas ici, annonça-t-il. Je suis sûr que nous sommes pris dans un courant. Vous ne sentez pas le bateau bouger ? »

Tout le monde se tut et tenta de distinguer les mouvements de l’embarcation sur l’eau. Il me sembla effectivement que nous nous déplacions, mais en arrière, en direction du nord.

« Oui, oui, un courant, bien sûr, dit maître Juwain. Dans les Vilds, les courants telluriques sont très forts. »

J’essayai d’imaginer ces flots invisibles, semblables à du feu, qui se rejoignaient et s’enchevêtraient à certains endroits de la terre, comme ces roues de lumière qui se concentraient en certains points de la colonne vertébrale et que maître Juwain appelait chakras. Les grands chakras de la terre, nous expliqua-t-il alors, pouvaient non seulement ouvrir des portes vers d’autres mondes mais réaliser des choses extraordinaires avec les formes et la substance de notre monde à nous.

« Sinon, comment expliquer la formation des montagnes ? nous demanda-t-il. Pourquoi le sol tremble-t-il et se fend-il à certains endroits de la terre et pas aux autres ? Et il en va de même pour les courants de la mer – ou même d’un lac.

— D’accord, lui dit Maram, mais je n’ai jamais entendu parler de gens capables d’utiliser ces courants terrestres pour déplacer le vent et l’eau.

— Moi non plus, reconnut maître Juwain. J’aimerais vraiment rencontrer ces Lokilani et apprendre leurs secrets.

— On les rencontrera bien assez tôt, fis-je remarquer. S’il y a un courant ici, on peut en sortir en ramant. »

Le brouillard qui nous aveuglait était si épais qu’il était impossible d’étudier le mouvement de l’eau en jetant des petits morceaux de bois dans le lac. Il y avait une légère brise mais elle était très changeante et il était difficile de savoir si elle était due au courant qui nous faisait avancer dans l’air. J’espérais toutefois que c’était suffisant pour deviner le sens du courant qui s’éloignait de l’île vers le nord. Tout ce que nous avions à faire, c’était ramer très fort en sens contraire.

Et c’est ce que nous fîmes. Après avoir changé de place avec Maram pour lui permettre de se reposer, je me mis à ramer aussi vite que possible. Je levais les avirons hors de l’eau en me penchant et en poussant vers l’avant et les replongeais dans le lac un instant plus tard en tirant vers l’arrière dans l’eau sombre, dense et grise avec toute la force de mes jambes, de mes bras et de mon dos. Je luttais contre le courant, inlassablement, aspirant l’air froid et humide par la bouche et rejetant l’air chaud par saccades. Le bateau paraissait fendre l’eau, et pourtant nous avions l’impression de ne pas avancer.

Au bout d’un long moment, j’abandonnai. Je relevai les avirons et appuyai mes bras sur mes jambes en luttant pour reprendre mon souffle dans le brouillard qui m’étouffait.

« Ce n’est pas facile, hein ? grommela Maram à mon intention. Tu dis qu’il faut ramer pour sortir du courant. Moi, je te dis qu’il faut ramer pour sortir de cette maudite brume. Retournons au rivage tant que c’est encore possible. »

Je me redressai pour scruter le brouillard derrière la poupe, dans la direction d’où nous venions si nous avions avancé tout droit. Le nord doit être par-là, me dis-je. Par conséquent, l’avant du bateau doit toujours être pointé vers le sud.

« Pour l’amour du ciel, sors-nous de là, Val ! s’exclama Maram. Fais demi-tour ! »

Alors que dans ma poitrine mon cœur battait la chamade et envoyait des flots de sang à ma tête douloureuse, j’eus l’impression qu’au-dessous de nous l’eau faisait lentement décrire un demi-cercle au bateau, puis un autre, et encore un autre. À moins que ce ne fût le monde lui-même qui tournait, ou quelque courant irrépressible tourbillonnant dans ses profondeurs. Une force étrange et irrésistible semblait s’être emparée de moi de l’intérieur et me faisait tourner pour annihiler mon sens de l’orientation. « Nous sommes perdus, n’est-ce pas ? » dit Maram. Je regardai par-dessus ses larges épaules le mur de gris derrière lui, puis je regardai à droite et à gauche. La grisaille était aussi dense des deux côtés. De quel côté se trouvait le sud ? Mon esprit était embrumé et il m’était impossible de le dire.

« Reprends courage, vieux, dis-je à Maram. Au moins, ce n’est pas aussi atroce que le Marécage Noir.

— Reprends courage, bredouilla Maram. Chaque fois qu’on est dans le pétrin, tu me rappelles que ce n’est pas aussi terrible que cet endroit horrible et maléfique, comme si c’était censé me donner du courage. Ce n’est pas aussi atroce, et alors ? Qu’est-ce qu’il faut pour que tu trouves ça atroce ? On peut mourir de faim ici, non ? On peut faire naufrage dans une tempête. Et si l’île est protégée par des courants, pourquoi n’y aurait-il pas aussi des tourbillons ? Être aspiré dans cette maudite eau froide… non, ce n’est peut-être pas tout à fait aussi atroce qu’errer dans ce marécage puant jusqu’à en pourrir, mais c’est bien assez atroce pour moi. »

Je n’avais rien à répondre à cette diatribe et pendant un moment, nous demeurâmes tous silencieux. Puis maître Juwain dit : « Il est possible que le courant ne ramène pas vers le rivage. Il me semble l’île des Lokilani serait mieux protégée par un courant tournant autour d’elle, comme un anneau.

— Oh, voilà qui est encourageant ! grogna Maram. Penser qu’on est prisonnier d’une sorte de tourbillon tournant à jamais autour de l’île.

— Reprenez courage, dit maître Juwain à Maram. Si nous parvenions à déterminer la direction de ce courant, nous pourrions ramer en travers et lui échapper soit pour revenir au rivage, soit pour aller jusqu’à l’île, selon ce qui se présentera. »

Cependant, pris dans ce nuage gris qui émoussait nos sens et ballottés dans notre rafiot en bois par les mouvements de l’eau, nous n’avions aucun moyen de sentir les courants du lac. Est-ce qu’on sent la terre tourner sous ses pieds ?

Nous étions tous affamés et nous fîmes une pause pour manger du pain et du fromage. La brume imbibait les petits pains jaunes que nous avait fournis la femme de Tembom et leur donnait un goût de vieux poisson. Même l’eau-de-vie que je versai dans nos chopes ne suffit pas à faire disparaître ce goût de rance.

Après ce repas et pendant de nombreuses heures, Maram, maître Juwain et moi nous relayâmes pour ramer en travers du courant, ou plutôt perpendiculairement à la direction dans laquelle nous pensions qu’il tournait. Cela ne nous mena nulle part. La brume semblait même s’épaissir et s’obscurcir autour de nous. Clignant des yeux pour chasser l’humidité qui me brouillait la vue, je tentai d’apercevoir Atara assise en silence à l’avant du bateau. Quand son monde s’assombrissait, vivait-elle dans un brouillard perpétuel ? Comment le supportait-elle ?

« On n’aurait peut-être pas dû se débarrasser des hameçons et des filets, me dit Maram en arrêtant un instant de ramer pour se reposer. On pourrait survivre longtemps ici en mangeant du poisson.

— Tu préféreras la nourriture des Lokilani quand nous aurons atteint l’île, répondis-je.

— Oui, s’il y a bien une île quelque part au milieu de cette saleté de brouillard. Mais je commence à croire que c’est un mythe. »

Je sentais sa peur le ronger comme un rat. Maître Juwain, qui avait repris sa place à l’avant du bateau, luttait contre le doute qui le gagnait en faisant travailler son esprit à toute vitesse. Atara elle-même était troublée par la précarité de notre situation. Son être semblait être la proie d’un terrible pressentiment qui me donnait la chair de poule. Parmi nous, seule Estrella ne laissait paraître aucune crainte. Chaque fois que je la regardais, elle me souriait, intimement persuadée que je les ramènerais à bon port. Ses yeux profonds et confiants semblaient me montrer au fond de moi une flamme brillante que rien, pas même l’humidité étouffante de la brume, ne parviendrait à éteindre.

« Cette île ne peut pas être un mythe, dis-je à Maram. Et il doit y avoir un moyen de la trouver.

Pour s’occuper, maître Juwain se mit à réciter les vers qui nous avaient amenés là :

« Dans quelque contrée perdue dans la brume,

Il est un endroit entre terre et temps,

De bois, de ruisseaux, de vernales clairières,

Dont la magie guérisseuse jamais ne faiblit.

 

Une île dans une mer entourée par les herbes,

Dont le vert éternel demeure invisible

Où les arbres géants, les émeraudes poussent

Où les feuilles et l’herbe et les fleurs resplendissent. »

 

Sans raison particulière, je tirai mon épée et la pointai vers l’avant, puis vers l’arrière du bateau, à bâbord, puis à tribord.

Dans le passé, son étincelante lame argentée m’avait indiqué la direction de la Pierre de Lumière. Mais maintenant que la coupe en or était toute proche, Alkaladur brillait sans arrêt, quelle que soit la direction dans laquelle je l’orientai.

 

C’est là que gît le cristal de mémoire

Que veillent les sentinelles de la forêt

À la silhouette enflammée, à l’allure splendide :

Les enfants des Galadins.

 

La lame lumineuse de mon épée ne montrait que la brume : des millions de gouttes minuscules tournoyant dans l’espace comme une pluie d’étoiles. Cette forme tourbillonnante me rappela une silhouette flamboyante qui m’était chère. Serrant mon épée dans ma main, j’interrompis maître Juwain en criant : « Est-ce que quelqu’un a vu Flick ?

— Pas depuis une heure, répondit Maram. Peut-être même que je ne l’ai pas vu de la journée. »

Comme toujours, Flick choisissait ou non de se matérialiser suivant une logique ou une règle qu’aucun d’entre nous n’avait réussi à déterminer. Que ses petites lumières tourbillonnantes soient le fait d’un caprice ou de sa volonté, les anges eux-mêmes ne le savaient probablement pas.

« Flick ! appelai-je soudain. Est-ce que tu sais où se trouve l’île ? Est-ce que tu peux nous y conduire ? »

C’était un espoir un peu fou, mais je me demandais si Flick serait capable de sentir la présence de ses frères Timpums sur l’île qui devait se trouver quelque part de l’autre côté du brouillard.

« Il ne peut pas t’entendre, me dit Maram. Et il n’est certainement pas plus capable de te répondre qu’Estrella.

— Flick ! appelai-je de nouveau, Flick ! Flick ! »

Serrant les rames dans ses grosses mains, Maram me regardait comme si j’étais devenu fou.

« Tu te rappelles la petite farce d’Alphanderry sur la route de la Tur-Solonu ? demandai-je à Maram. Flick semblait comprendre presque tout ce que lui disait Alphanderry.

— Oui, il semblait comprendre.

— Et depuis, il a prouvé à plusieurs reprises qu’il avait le chic pour apparaître mystérieusement au moment où nous avions le plus besoin de lui.

— Eh bien, nous en avons rudement besoin maintenant. Où est-il ?

— Flick ! répétai-je. Flick !

— Il n’est jamais venu quand on l’appelait, Val. »

Au moment où Maram disait cela, mon épée se mit à briller plus fort. Un souvenir me traversa l’esprit. Dans le passage du Kul Moroth, alors qu’Alphanderry avait fait reculer une armée entière en chantant d’une voix à la beauté surnaturelle, il avait fini par apercevoir les lumières étincelantes de Flick. Et juste avant de mourir, il avait recréé la langue du Peuple des Étoiles et avait chanté le vrai nom de Flick.

 

Ils rêvent à jamais de se réveiller,

 Pour louer, exalter, faire de la musique,

Pour ranimer les souvenirs sacrés

Et se souvenir de l’harmonie passée.

 

Sous les arbres ils se dressent et résonnent,

Et tourbillonnent et jouent et s’élèvent et chantent

Les forêts plus vastes au-delà de la mer

Où ils demeureront pour l’éternité.

 

« Ahural chantai-je soudain très fort. Ahura Alarama ! »

Sortant de la brume épaisse au-dessus du bateau, des petites lumières scintillantes se mirent à briller. Des lueurs rouges et argent se mirent à tourbillonner comme un sommet tournant dans l’espace.

« Ahura Alarama ! répétai-je en regardant Flick. Peux-tu nous montrer le chemin de l’île où chantent les enfants des Galadins ? »

Flick était suspendu dans l’espace à cinquante centimètres de mon visage ; au centre de son être scintillait une merveilleuse lueur bleue qui faisait penser à un œil. Je plongeai mon regard dedans et j’eus l’impression qu’elle plongeait en moi. Et soudain, sans prévenir, Flick fonça dans le brouillard à tribord comme une nuée de minuscules oiseaux étincelants s’envolant brusquement.

« Change de direction ! hurlai-je à Maram. Change de direction et rame ! »

Maram n’avait pas besoin de mes encouragements pour se mettre à ramer. Quelques secondes plus tard, soufflant et suant, il luttait de tout son être énorme pour suivre Flick. Jamais je ne l’avais vu faire autant d’efforts, pas même pour du vin ou des femmes.

« Un peu plus à droite ! lui criai-je en pointant mon épée derrière son épaule. Voilà, c’est bon. Et maintenant, rame ! »

Et il rama. Il tirait si fort et si vite sur ses avirons que je craignais qu’ils ne se cassent, et que lui-même ne s’écroule. Mais faisant appel à des ressources intérieures apparemment aussi vastes que la mer, il serra les dents et fronça les sourcils. Sa capacité à passer de l’état de propre à rien à celui de monstre de volonté quand le besoin s’en faisait sentir m’étonnait toujours. Là, il avait dû décider que la nécessité d’avancer vite et dans la bonne direction s’imposait. Je sentais qu’il était à la fois déterminé à ne pas perdre Flick dans la pénombre humide et résolu à sortir du courant. Voilà pourquoi il ramenait ses rames de toutes ses forces contre les eaux invisibles du lac, encore et encore, tandis que je lui criai d’aller vers la droite ou vers la gauche selon la direction de la petite lumière qui luisait dans la brume comme la plus brillante des étoiles.

Flick avait l’air de savoir qu’il ne devait pas trop s’éloigner de nous. Il restait toujours à quelques dizaines de centimètres de la proue du bateau et tournoyait en formant un anneau de lumière argentée. Impossible de dire combien de temps nous le suivîmes ainsi. Maram ne pouvait pas compter ses coups de rame et j’avais peur de le faire. J’avais peur que son cœur n’éclate ou qu’il ne s’effondre victime d’une attaque. Et soudain, alors que Maram donnait un coup de rame puissant en grognant comme un ours, nous sortîmes du brouillard pour nous retrouver dans la lumière du soleil couchant. Et dans ses rayons éblouissants, droit devant nous, nous aperçûmes la terre. C’était une île couverte d’arbres géants dont les cimes vertes scintillaient à soixante mètres de haut dans le ciel bleu sans nuages.