9

Le lendemain matin, tout le monde se rassembla dans l’allée devant le palais. Le roi Hadaru, vêtu d’une tunique rouge ornée du grand ours blanc des Aradar, montait un gros cheval hongre. Son porteur de bannière faisait flotter au vent un étendard arborant le même motif. Le prince Issur et lord Nadhru chevauchaient à côté de leur père. Cinquante chevaliers formant la garde personnelle du roi Hadaru vinrent se placer derrière eux suivis d’un important équipage. Asaru et Yarashan étaient irrités d’être obligés de céder la place à cette compagnie mais le protocole voulait qu’un roi ait la préséance dans son propre royaume. Les Gardiens et moi-même nous rangeâmes à peu près comme précédemment, sauf que nous étions désormais vingt de plus. Passant parmi les chevaliers ishkans, je leur demandai leur nom et celui de leur père. En apparence, ils étaient très peu différents des guerriers de Mesh. Ils portaient une armure de diamants qui scintillait dans la lumière du petit matin. Leurs surcots et leurs boucliers, ornés d’une bordure d’ours blancs, arboraient leurs divers meubles. Je remarquai le lion noir sur champ blanc de Sar Kimball et le rayon de soleil doré de Sar Ianashu, un jeune homme mince et poilu qui était le second fils de lord Solhtar. Pour les distinguer, on avait ajouté sur leur écu une petite coupe en or. J’avais envisagé de permettre aux nouveaux Gardiens de chevaucher ensemble comme un simple escadron à l’intérieur de notre compagnie, mais ils devaient s’habituer à nous, et nous à eux, et le plus tôt serait le mieux. Aussi plaçai-je Sunjay Naviru à côté de Sar Avram, Sivar de Godhra à côté de Sar Jarlath et ainsi de suite. Je me disais qu’il faudrait de longs milles à ces fiers chevaliers pour accepter la compagnie les uns des autres, et plus encore pour s’aimer. En fait, nous aurions de la chance s’ils ne s’en prenaient pas les uns aux autres à coups de paroles et de regards méfiants, ou même à coups d’épée.

Pendant la première heure, nous descendîmes jusqu’aux maisons et aux échoppes de la petite ville de Loviisa qui n’en était pas moins la plus importante d’Ishka. L’air frais sentait le pain en train de cuire et la fumée des nombreuses forges. Les armuriers y fabriquaient un acier de bonne qualité même si, à mon avis, il n’était pas aussi bon que celui que mes compatriotes forgeaient à Godhra. À travers les rues tortueuses, notre itinéraire nous ramena à la Route du Nord qui débouchait sur un solide pont enjambant les eaux tumultueuses du Tushur. Juste de l’autre côté de ce fleuve dangereux, sur une place bordée de nombreuses auberges, nous trouvâmes l’embranchement de la Route Royale. C’était un ruban de pierre au pavage bien entretenu, assez large pour permettre le passage de six chevaux de front. Elle traversait Ishka vers l’est, pénétrait dans Taron et allait jusqu’à Nar. Le roi Hadaru s’engagea dessus avec ses chevaliers, et les Gardiens de la Pierre de Lumière et moi leur emboîtâmes le pas.

C’était une belle journée pour voyager, avec de nombreux nuages blancs poussés par le vent qui atténuaient un peu la chaleur de l’éclatant soleil de printemps. Cependant, les sabots des chevaux martelant sans arrêt les pavés comme des percussions et les roues ferrées des chariots réduisant les gravillons en poussière faisaient un peu trop de bruit à mon goût. Je fus heureux de distinguer le bourdonnement sourd des conversations qu’entretenaient les chevaliers de ma compagnie et de les entendre entonner un chant de guerre connu de tous les Valari. En fait, par moments, les Meshiens et les Ishkans mettaient tellement de passion dans ces vieux couplets que leurs voix plutôt que de s’harmoniser semblaient rivaliser de force et d’intensité. Il y eut des moments aussi où je crus entendre monter des chevaliers derrière moi des bruits de dispute et quelques échanges verbaux un peu vifs. Mais rien de plus grave, et j’en remerciais le ciel. Nous gardions tous notre calme et les heures et les milles se succédaient sans incident.

Toutefois, tard dans l’après-midi une querelle éclata qui menaça de dégénérer en bagarre. Nous nous étions arrêtés pour faire boire les chevaux au bord de l’un des petits cours d’eau qui dévalaient la petite chaîne de montagnes au nord de Loviisa. Alors que je regardais Altaru boire son content d’eau glacée, un cri retentit derrière moi. Je me retournai et vis Skyshan repousser Sar Ianashu avec le tranchant de sa main et manquer de le faire tomber. Ianashu tenta alors s’emparer de son épée tandis que Tavar Amadan lui attrapait le bras pour l’en empêcher et que Sar Jarlath bousculait Tavar d’un coup d’épaule.

« Arrêtez ! » m’écriai-je. Au même instant, sur la route devant nous, je vis tous les Ishkans de la garde du roi Hadaru mettre la main sur la poignée de leur épée, imités par Baltasar, Sunjay Naviru et d’autres chevaliers de Mesh. « Arrêtez avant qu’il ne soit trop tard ! »

Je courus sur la route pour me jeter entre Sar Ianashu et Skyshan. Je les séparai en criant : « Etes-vous des chevaliers valari ? Êtes-vous des Gardiens de la Pierre de Lumière ? »

Ma fureur, sinon mes mots, les transperça comme une épée et parut leur couper le souffle. Les colères s’apaisèrent et j’écoutai les explications de ces hommes. Il s’avéra qu’il s’agissait d’une querelle qui remontait très loin. Leurs ancêtres à tous les deux vivaient de part et d’autre du fleuve Diamant. Un jour, 939 ans auparavant pour être précis, l’un des arrière-arrière-grands-pères de Skyshan s’était battu en duel avec un ancêtre de Sar Ianashu pour une femme qui avait et du sang meshien et du sang ishkan. Les deux hommes avaient été tués. La vendetta qui en avait résulté avait duré cent ans, jusqu’à ce qu’un changement du cours du Diamant oblige les ancêtres de Sar Ianashu à émigrer plus haut dans la chaîne des Shoshan. Pour des raisons que je fus incapable de déterminer, après tous ces siècles, Sar Ianashu et Skyshan avaient tous les deux décidé de renouer avec cette vendetta.

« Mais ce n’est pas possible, leur dis-je. Vos griefs sont anciens. Les montagnes elles-mêmes ont changé d’apparence depuis le temps, et vous non ? Comment voyager ensemble de cette manière ? Y a-t-il un chevalier ishkan qui n’ait pas à déplorer de souffrances plus récentes infligées par les Meshiens ou un Meshien qui n’ait pas perdu un parent dans l’une de nos guerres ? Mon propre grand-père et beaucoup d’autres guerriers ont été tués au bord de ce fleuve il y a à peine dix ans. »

Sar Ianashu, un homme violent dont les muscles maxillaires ressortaient sous la peau ivoire tendue, finit par ouvrir la bouche dans l’intention de me contredire. Mais s’avisant de son imprudence, il changea d’avis et se mordit les lèvres. Désormais, j’étais son seigneur. Il avait prêté serment et il tiendrait parole. Honteux, il baissa la tête et Skyshan fit de même.

Entre-temps, le roi Hadaru avait rebroussé chemin pour voir ce qui se passait. Il observa en silence, à la fois jaloux que je m’adresse ainsi à l’un de ses chevaliers et heureux de voir que j’avais mis fin à cette petite querelle comme il l’aurait fait lui-même. Puis il reprit sa place en tête de nos colonnes. Quand vint le moment de remonter à cheval, Asaru s’approcha de moi et me dit : « Ceci ne peut pas durer. Des Ishkans et des Meshiens ensemble, c’est impossible. »

Et je lui répondis : « Non, tout se passera bien.

— Mais, Val, comment peux-tu en être sûr ?

— Eh bien, soit on croit dans l’homme, soit on n’y croit pas. »

En dépit de ces belles paroles, je surveillai mes hommes de près quand nous reprîmes la route. Mais la scène entre Sar Ianashu et Skyshan semblait avoir apaisé les rancœurs au lieu de les attiser. Le soir venu, nous campâmes gaiement à proximité du puissant fleuve Culhadosh. Je donnai la Pierre de Lumière à garder à Sar Ianashu et celui-ci surprit tout le monde en prêtant à Skyshan sa précieuse pierre à affûter constituée de poussière de diamant pressée. Après cela, ils se serrèrent la main pour sceller leur amitié. Bien que je n’aie pas proféré de menaces, tous deux savaient qu’il suffirait d’une dispute de plus pour qu’ils soient exclus des Gardiens. À quoi leur servirait-il d’obtenir satisfaction sur un point d’honneur vieux de mille ans si c’était pour subir une telle humiliation ?

Tandis que la viande d’agneau de notre repas grésillait sur le feu, je donnai à Estrella ce qui devait être la première d’une série de leçons d’équitation. Elle détestait passer toute la journée seule dans un chariot grinçant et, avec ses yeux vifs et quelques gestes de la main, elle m’avait fait comprendre qu’elle voulait chevaucher à côté de moi. Je choisis donc une jument douce parmi nos chevaux de rechange et installai Estrella dessus. Avec ses jambes maigres enserrant les flancs marron de la jument, elle paraissait presque trop petite pour monter un cheval de grande taille. De plus, elle n’avait pas la possibilité de rassurer la superbe jument qui hennissait doucement avec des paroles affectueuses. Cependant, elle lui parlait autrement. Ses mains gracieuses caressaient sa crinière et lui communiquaient sa certitude qu’elle ne lui ferait pas de mal. En voyant les yeux vifs et noirs d’Estrella plonger dans l’œil sombre de la grosse tête que l’animal tournait vers elle, il me sembla qu’elle l’aimait immédiatement et que la jument l’avait senti. Et tout en guidant le cheval et l’enfant dans les champs au bord de la rivière, je me dis qu’Estrella ne tarderait pas à pouvoir chevaucher avec les chevaliers et les autres membres de notre compagnie.

Après dîner, je découvris que le roi Hadaru était un merveilleux conteur. Il nous invita Asaru et moi, et plusieurs autres personnes, à le rejoindre autour de son feu de camp pour boire une délicieuse et très rare eau-de-vie de Galda. Il raconta les hauts faits des ancêtres ishkans à la bataille du Col de l’Arc-en-ciel, en l’an 37 de l’Âge des Épées, bataille qui marqua la première victoire valari sur les armées d’invasion sarni et son premier combat avec un autre peuple. Puis, au son des pierres à affûter glissant le long de leur épée selon le rituel nocturne des guerriers, il récita quelques vers anciens, chers au cœur de tous les Valari :

L’épée devient l’âme du guerrier.

Sa lame brillante aiguisée par les souffrances.

La force et le courage la maintiennent intacte,

La foi et l’honneur assurent sa pureté.

 

L’âme du guerrier devient son épée

Pourfendant l’obscurité, la douleur et la peur,

Son éclat de diamant toujours lui indique

L’éclatante, la pure et unique lumière.

 

Quand il eut fini, il leva son verre vers moi et dit : « Un jour, Valashu Elahad, j’aimerais en apprendre davantage sur l’épée que vous portez, dit-on, en vous. »

Le lendemain matin, nous traversâmes de bonne heure le Culhadosh qui est le plus grand des fleuves arrosant les Montagnes du Levant. Et nous pénétrâmes dans Taron qui est le plus peuplé des Neuf Royaumes. Avec ses nombreuses fermes éparpillées le long du Culhadosh, le paysage était magnifique. Sur ce sol noir et fertile, les Taroners produisaient de l’orge et de l’avoine, du blé et du seigle, et un nombre non négligeable de guerriers et de chevaliers qui avaient mis leur épée au service du roi Waray à Nar. Nous en croisâmes un petit escadron qui se rendait au tournoi. Leurs boucliers arboraient des sangliers bleus, des corbeaux noirs et d’autres emblèmes que je ne connaissais pas. Si les Taroners furent contrariés de voir une aussi importante compagnie de chevaliers étrangers traverser librement leur pays, ils n’en laissèrent rien paraître. Cependant leur chef, un certain lord Eladaru, s’étonnant de voir des Ishkans accompagner des Meshiens, déclara : « Si, comme on l’a prédit, nous sommes vraiment à la fin d’un âge, ce doit être son premier miracle. »

Et quand le roi Hadaru eut demandé avec fierté à Sar Marjay, l’un de ses neveux, d’apporter la Pierre de Lumière, lord Eladaru cligna des yeux et s’exclama : « Apparemment, je me suis trompé. Des Meshiens confiant la garde de la Pierre de Lumière à un Ishkan, voilà le plus grand des miracles. Il ne manquerait plus que le roi Kurshan trouve réellement le moyen de parcourir les étoiles ! »

Après nous avoir souhaité un bon voyage, lord Eladaru rassembla ses hommes et partit devant nous. Je les vis disparaître vers l’est sur la route qui contournait les basses collines verdoyantes.

Freinés par notre important équipage, nous suivîmes plus lentement. Nous traversâmes des champs de tournesols et des vergers de pommiers, puis quelques milles de prairies vallonnées où paissaient des chèvres et des moutons. À la fin de notre première journée à Taron, la belle route pavée se transforma en chemin de terre. Comme cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas plu, sa surface avait séché sous le soleil brûlant. Les sabots des chevaux, et plus encore les roues des chariots, pulvérisaient la terre en produisant d’épais nuages de poussière. Galoper derrière le roi Hadaru et ses chevaliers devenait insupportable. Les yeux nous piquaient et nous avions les lèvres et les dents couvertes de terre. Nous étions obligés de nous protéger le visage avec notre écharpe pour ne pas étouffer. Maram se plaignit de devoir chevaucher derrière le roi Hadaru. Tout en s’essuyant la barbe et en plissant ses yeux pleins de sable, il déclara : « Maintenant que nous sommes à Taron, les Ishkans devraient marcher derrière nous. À eux de manger notre poussière. »

Au cours de notre deuxième journée à Taron, Maram eut toutes les raisons de regretter la poussière de la veille : vers midi, de gros nuages noirs venus de l’ouest provoquèrent un déluge qui dura des heures. La pluie transforma la route en un bourbier marécageux plein de nids-de-poule pareils à de grosses flaques marron. À deux reprises, l’un de nos chariots s’embourba dans cette boue. Les chevaux se traînaient, nous dûmes ralentir notre allure. Tout en clignant des yeux pour me protéger de la pluie oblique, j’écoutais les bruits de succion que faisaient leurs sabots dans la terre spongieuse. Le ciel gris paraissait trop bas, trop chargé. L’air était trop détrempé, j’avais l’impression d’étouffer. Je sentis quelque chose de froid, d’humide et de sombre qui me reniflait le ventre comme le museau d’un animal sauvage. Je sentis quelque chose qui tirait sur mon estomac. J’avais l’impression que des dents acérées me déchiraient les entrailles et que de longues griffes me labouraient le dos. Cette horrible sensation semblait venir de quelque part derrière moi ; cela me rappela l’époque où Maram, maître Juwain, Atara et moi étions poursuivis par les terribles Gris au fin fond de l’Alonie. Toutefois, ce qui me poursuivait maintenant, à découvert sur cette route boueuse, ne paraissait pas éprouver de haine envers moi, seulement une envie féroce de lacérer et de détruire.

Ce soir-là, nous installâmes notre camp dans une prairie bien drainée au-dessus de la route. Après la leçon d’équitation d’Estrella, je tins conseil dans ma tente avec Maram, maître Juwain et mes frères et je leur fis part de mes appréhensions. Immédiatement, Maram soupira : « Oh non ! pas les Visages de Pierre ! J’aimerais mieux affronter Morjin en personne. Si ce sont eux, malheur à nous !

— Ne t’inquiète pas », lui dis-je. Je me rappelais très bien l’impression de souillure que j’avais ressentie quand les Gris tentaient d’aspirer mon âme et de me torturer. « Cette fois, ce n’était pas pareil.

— C’était comment, alors ?

— J’ai eu l’impression qu’il y avait quelqu’un derrière moi qui voulait me tuer. »

Yarashan, qui n’appréciait pas beaucoup les nouveaux Gardiens, déclara sans hésiter : « L’un des Ishkans ?

— C’est impossible, répondis-je. Chez celui qui me poursuit, le désir de tuer est trop… puissant. »

Yarashan secoua sa belle tête d’un air sceptique. Le don étrange que j’avais d’éprouver les émotions des autres le perturbait, et ce d’autant plus qu’il en était lui-même totalement incapable. « Il peut très bien s’agir d’un des Ishkans, Val. Le roi Hadaru les a choisis personnellement, n’est-ce pas ? Et s’il avait ordonné à l’un d’eux de te tuer ? »

Il poursuivit en expliquant que le roi Hadaru ne souhaitait certainement pas que je sois le Maîtreya. Même s’il avait parlé avec noblesse d’unir les Valari, il devait probablement espérer prendre la tête d’une alliance contre Morjin. Si j’étais tué, il trouverait bien un moyen d’utiliser les nouveaux Gardiens pour s’emparer de la Pierre de Lumière.

« Tu as un sens aigu de l’intrigue et de la stratégie », lui dis-je.

Le visage de mon frère s’illumina comme s’il venait de me battre aux échecs et était fier de m’expliquer mes erreurs. « Ce que tu viens de dire semble logique, mais quelque chose ne va pas.

— Ah oui, et quoi ?

— Le roi Hadaru n’est pas un meurtrier, il ne lancerait pas un assassin à mes trousses.

— Tu en es sûr ?

— Aussi sûr que je le suis de Ianashu et des nouveaux Gardiens. Aussi sûr que je le suis de Skyshan, de Sunjay et des Gardiens que j’ai moi-même choisis. »

Yarashan se tourna vers Asaru comme si ma naïveté l’exaspérait. Asaru dit alors : « Il y a une autre possibilité. Peut-être que la goule nous a suivis quand nous avons quitté Mesh. »

Cette suggestion me fit frissonner. Je contemplai par l’ouverture de ma tente les montagnes qui plongeaient dans l’obscurité autour de nous. Si une goule se dissimulait dans les prés ou dans les champs environnants, je ne la sentais pas.

« On devrait poster des gardes supplémentaires ce soir, continua Asaru. Et on devrait en mettre autour de ta tente, Val. Des hommes dont nous sommes totalement sûrs, au cas où l’un des Ishkans serait bien un assassin. »

Depuis que nous avions repris la route, nous avions adopté une règle qui voulait que tous les soirs je récupère la Pierre de Lumière pour la garder dans ma tente au centre de notre camp.

« Non, on ne mettra pas de gardes autour de ma tente, répondis-je à Asaru. Que leur dirions-nous ? Que nous nous méfions de ces Ishkans qui sont désormais leurs compagnons ? Et que penseraient les Ishkans de leur rôle de Gardiens en découvrant que les Meshiens cherchent à se prémunir contre eux ? »

Maître Juwain, qui était resté silencieux jusque-là, soupira en se frottant la nuque. « Très bien. Dans ce cas, puisque la pluie a cessé, je m’installerai devant ma tente comme si je prenais le frais. Si quelqu’un s’approche de la vôtre, Val, je trouverai un moyen de le retenir et de donner l’alarme.

— Euh… vous avez l’intention de rester debout toute la nuit ? lui demanda Maram.

— Est-ce que vous offrez de me relever et de prendre un tour de garde ? »

Maram, qui à mon avis n’avait rien proposé de tel, regarda maître Juwain, puis mes frères. De leurs yeux noirs et inflexibles, ils le dévisageaient avec l’air de lui demander s’il avait vraiment l’esprit d’un chevalier valari comme le proclamaient les deux diamants de sa bague.

« Je suppose que si je rate un peu de sommeil cette nuit, je n’en mourrai pas, déclara-t-il finalement en me donnant une grande claque sur l’épaule. De toute façon, je ne dormirais pas tranquille en sachant qu’une goule traque mon meilleur ami. »

Il fut donc décidé que Maram prendrait le second tour de garde. Asaru et Yarashan, dont la tente était plantée juste à côté de la mienne, feraient le guet pendant les dernières heures de la nuit.

Là-dessus, tout le monde sauf maître Juwain alla se coucher. J’étalai mes fourrures à l’intérieur de mon immense tente, posai à côté de moi mon échiquier et le coffret en bois qui contenait les trente-deux pièces d’ivoire et d’ébène, puis plaçai la Pierre de Lumière dessus. Ensuite, je m’étendis pour contempler les étoiles par le rabat ouvert dans le toit de ma tente. J’essayai de percevoir parmi les nombreux Gardiens à l’extérieur une envie de me tuer, glaciale et pénétrante, mais je ne sentis rien. J’étais certain de ne pas pouvoir dormir. Cela me faisait de la peine d’imaginer maître Juwain assis devant sa tente des heures durant pendant que je m’agitais en essayant en vain de prendre un peu de repos. Puis il me vint à l’esprit une méditation qu’il m’avait enseignée une nuit, au cœur du Vardaloon, alors que cela faisait d’interminables heures que des nuées de moustiques vrombissaient à mon oreille. Je fermai les yeux pour la mettre en pratique. Mon esprit se libéra et le temps commença se dissoudre. Dehors, les petits bruits du camp et le chant des grillons dans les prés s’évanouirent tandis que grandissaient en moi le calme et le désir de me perdre dans le royaume éternel de l’Unique.

J’étais plus fatigué que ce que je croyais et je dus m’assoupir rapidement et dormir quelques heures. Je n’eus pas vraiment conscience de ce qui me réveilla ; peut-être le tourbillon de petites lumières de Flick virevoltant furieusement dans l’obscurité au-dessus de moi. Pendant un moment, je demeurai suspendu dans une sorte d’inconscience, incapable de me raccrocher à la vue, aux sons et aux odeurs de la terre ni même au sentiment de ma propre existence. Et puis soudain, la conscience me submergea comme les eaux glaciales d’un fleuve. Je suffoquai et une vague de terreur affola mon cœur qui se mit à battre la chamade. Ouvrant les yeux, j’aperçus la silhouette masquée de l’un des Gardiens qui se dirigeait vers moi. Dans sa main levée, il brandissait une masse d’arme. Quand il se rendit compte que je l’avais vu, il bondit en avant d’un mouvement brusque et abaissa vivement sa masse en direction de ma tête.

Dans un désir désespéré d’échapper à cette mort brutale, tout mon corps se contracta. Je redressai brusquement la tête pour éviter la trajectoire de la masse tout en roulant sur le côté pour m’emparer de la Pierre de Lumière. Cependant, je ne fus pas tout à fait assez rapide et la masse en fer m’érafla le côté du crâne et m’étourdit. Au-dessus de moi, le chevalier leva de nouveau sa masse et fondit sur moi. Par je ne sais quel miracle, je réussis à agripper son bras pour l’empêcher de m’assommer, mais de son autre main, il saisit mon poignet qui tenait la Pierre de Lumière. Dans le corps à corps qui suivit, il s’appuya de tout son poids sur moi et avec l’acharnement d’un lion, se tortillant et se démenant, il tenta de m’enfoncer sa masse dans les dents tout en me plantant son genou dans le ventre. Je sentais le cuir tâché de sueur de son armure et l’odeur de lilas qui se dégageait de l’écharpe blanche nouée autour de son cou. Pendant que nous livrions cette lutte à mort en nous roulant sur le sol, il continuait à essayer de lever sa masse. La puissance incroyable de son corps et de son être me stupéfiait. Il ne se passerait pas beaucoup de temps avant qu’il ne se libère de mon étreinte faiblissante et ne m’ouvre le crâne. De toute la force de mes poumons, je criai enfin : « Non ! »

Très loin, me sembla-t-il, j’entendis des bruits d’épées qu’on tirait de leurs fourreaux. Puis quelqu’un s’écria : « Ça vient de la grande tente ! Ce doit être lord Valashu ! »

Au-dessus de moi, le chevalier réussit finalement à m’enfoncer sa masse dans la gorge. Je fis glisser ma main vers le manche en bois de l’arme et le saisis. Mais je ne parvins pas à la lui arracher et il appuya dessus avec une force terrifiante. Je hoquetai, suffoquai tandis qu’il essayait de s’emparer de la Pierre de Lumière dans ma main. Mais je m’accrochais à la petite coupe de toutes les forces qui me restaient.

« Lord Valashu, on arrive ! »

Brusquement, le chevalier meurtrier lâcha et ma main et la masse et, sautant sur ses pieds, s’élança vers l’ouverture de la tente. À travers le halo rouge de mon esprit engourdi, alors que je peinais à retrouver mon souffle, je le vis ouvrir la bouche et crier : « Il s’échappe ! »

Puis il sortit en trombe de ma tente au moment où Sunjay Naviru et deux autres Gardiens se précipitaient à l’intérieur. Ils vinrent directement à côté de ma couche de fourrures et pendant que l’un des Gardiens brandissait une lampe à huile, Sunjay commença à regarder si j’étais blessé. J’essayai de me rasseoir, de parler, mais n’y parvins pas immédiatement. Je montrai du doigt l’ouverture de la tente. Sunjay posa sa main sur ma poitrine et dit : « Tout va bien, Val. Tout va bien. Celui qui vous a fait ça ne s’échappera pas. »

Soudain, je compris que Sunjay croyait que le chevalier qui avait tenté de me tuer s’était lancé à la poursuite d’un prétendu assassin. Les deux autres Gardiens dans ma tente et tous ceux qui étaient dans le camp avaient dû croire la même chose, car j’entendis une dizaine de voix reprendre le cri : « Il s’échappe ! »

Je secouai ma tête pleine de sang de gauche à droite aussi fort que je pus. Puis, recouvrant enfin la parole, je dis d’une voix rauque : « C’est lui qui a essayé de me tuer !

— Qui ça, Val ?

— Celui qui… était là. » Soudain, j’eus un sursaut en me rendant compte que je savais qui était l’homme qui m’avait abandonné sa masse et la Pierre de Lumière. « Celui que vous avez laissé s’enfuir : Sivar de Godhra. »

Sunjay rougit de colère et de honte en apprenant qu’il s’était laissé dupé par cette ruse. Quant à moi, je n’arrivais pas à croire que l’un des miens, le fidèle Sivar, ait pu me trahir et se montrer ensuite assez malin pour berner Sunjay et parvenir à s’enfuir.

Dédaignant une douleur lancinante à la tête, je m’assis et enfilai mes bottes incrustées de diamants. Puis je sortis en trombe de ma tente et me précipitai dans le camp qui commençait à s’animer. Des hommes portant des torches criaient tandis que d’autres ouvraient brusquement le rabat de leur tente pour voir si nous étions attaqués au milieu de la nuit. À l’est, dans le camp voisin du roi Hadaru et des Ishkans, on voyait s’allumer des torches et on entendait des hurlements de chevaliers craignant un complot contre leur roi.

« Fouillez le camp ! ordonnai-je en tirant mon épée. Trouvez Sivar ! »

Il ne fallut pas longtemps aux Gardiens pour remplir cette mission parce que le camp était petit et qu’à part dans les tentes ou au-dessous, il n’y avait nul endroit où se cacher. La fouille rapide n’offrit qu’une surprise, Maram, qui s’était endormi à l’extérieur de sa tente et que les clameurs de cent vingt chevaliers courant de tous côtés n’avaient pas réussi à réveiller.

Soudain, l’une des sentinelles du nord du camp se rappela avoir vu Sivar près de la palissade juste après le début de l’agitation générale. Un examen de cette barrière en bois révéla que quelques branches avaient été déplacées à l’endroit où quelqu’un l’avait vraisemblablement enjambée. Omaru Tarshan, le garde, était atterré d’avoir failli à son devoir. Mais je le mis à l’aise en lui faisant remarquer que la palissade et les sentinelles étaient censées empêcher les ennemis de pénétrer dans le camp, pas les Gardiens assassins de s’échapper.

C’est alors que le roi Hadaru et ses chevaliers arrivèrent en renfort. Le roi pénétra dans notre camp et me demanda : « Que s’est-il passé ?

— L’un de mes chevaliers est devenu fou, il a essayé de voler la Pierre de Lumière. »

Là-dessus, j’ordonnai qu’on fouille les prés environnants. Des hommes portant des torches allumées se déployèrent en un cercle grandissant sur l’herbe encore plongée dans l’obscurité. Un peu plus tard, au nord, derrière un bosquet de mûriers, un Gardien s’écria qu’il avait trouvé Sivar. Je chargeai en direction de ces arbres avec vingt Gardiens, suivi de près par le roi Hadaru. Me guidant à la lumière de la torche du premier Gardien, je pénétrai dans le bosquet. Et là, allongé sur le dos au pied d’un arbre, j’aperçus Sivar. Le regard vide, il tenait entre ses mains une dague ensanglantée et avait la gorge tranchée d’une oreille à l’autre. Il semblait s’être donné la mort.

« Eh bien, qu’est-ce que cela signifie ? s’exclama le roi Hadaru en arrivant près de moi. Regardez ! Un Meshien transformé en traître !

— Non, dis-je, ce n’était pas un traître. Pas vraiment. »

Asaru et Yarashan, accompagnés de Lansar Raasharu, Baltasar et Sunjay me rejoignirent sous les mûriers dont les feuilles grossièrement découpées s’agitaient d’une manière sinistre. Puis maître Juwain, à bout de souffle, nous rattrapa suivi de lord Harsha qui arrivait en boitillant aussi rapidement que possible. Quand son œil unique reconnut derrière la lumière des torches la silhouette allongée de Sivar, il s’écria : « C’est affreux ! Mon petit-neveu ! Je l’avais moi-même recommandé comme Gardien ! Comment est-ce possible ?

— C’était une goule », expliquai-je. Une douleur aiguë me transperça le cœur, car, désormais, il n’y avait plus de doute. « Ce doit être lui qui a utilisé la pierre du sommeil contre les Gardiens au château. Il a dû attendre cette nuit pour avoir une deuxième opportunité de s’emparer de la Pierre de Lumière. »

Je sortis la coupe en or pour montrer à tout le monde qu’elle était en sécurité. Mais à mes yeux, dorénavant ni elle ni rien d’autre ne serait plus jamais en sécurité.

Le noble visage de Lansar Raasharu affichait un masque de colère. Montrant Sivar du doigt, il demanda : « Si cet homme était une créature de Morjin, pourquoi s’est-il donné la mort ?

— Pour éviter d’être capturé et interrogé, répondis-je. De toute façon, maintenant que je l’avais reconnu, il n’était plus d’aucune utilité pour Morjin.

— D’accord, mais pourquoi se tuer ici ? Ce maudit Crucifieur n’aurait-il pas pu lui ordonner simplement de se trancher la gorge dans votre tente ? »

À cet instant, nous échangeâmes tous un regard. Même à mille milles de là, l’influence de Morjin semblait peser lourdement sur nous, écrasant le petit bosquet comme un gant de fer et s’étendant jusqu’au campement au-dessous de nous pour lacérer nos toiles de tente.

Ce fut maître Juwain qui trouva une réponse à la question de lord Raasharu. Hochant sa tête chauve dans sa direction, il expliqua : « Quelquefois, les goules conservent assez de conscience pour haïr leur maître et même s’en libérer quelques instants. C’est peut-être ce qui s’est passé pour Sivar. Jusqu’à ce que le Dragon le retrouve ici, caché sous ces arbres. »

Je levai la main comme pour repousser le mauvais œil de Morjin. Maintenant que Sivar était mort, je savais que Morjin n’avait plus aucun moyen de voir cet endroit ni ses environs. Mais à cet instant terrible, devant la gorge tranchée de Sivar qui se remplissait de sang noir, j’avais l’impression que le Dragon Rouge pouvait observer toutes les parties du monde qu’il voulait.

« Une goule », dit maître Juwain d’une voix chargée de tristesse. Il se tourna pour examiner l’entaille que la masse de Sivar m’avait faite sur le côté de la tête. « C’est un miracle qu’il ne vous ait pas tué, Val.

— Il avait… une telle puissance. »

Je n’ajoutai pas que Sivar, agissant selon la volonté de Morjin, était possédé par sa force maléfique.

« Attendez, Val, ajouta maître Juwain. Faites-moi voir vos yeux. »

L’un des Gardiens brandit une torche et, au même moment, pénétrant par mes yeux, un éclair de lumière me traversa la tête. Le kirax avec lequel Morjin m’avait un jour empoisonné parut s’embraser dans mon sang comme si le Dragon Rouge en personne avait soufflé en moi son haleine enflammée. C’était comme de l’acide rongeant chacun des nerfs de mon corps et multipliant la douleur par cent.

« Qu’il soit maudit ! s’écria Lansar Raasharu, comme s’il avait épousé ma haine pour Morjin. Qu’il soit maudit pour cela ! »

Quand maître Juwain eut vérifié que je n’avais pas de commotion cérébrale, Lansar Raasharu me regarda en rendant grâce au ciel que je n’aie rien de grave. Je me demandai s’il ne possédait pas une petite partie de mon don. Sa dévotion envers moi me faisait l’effet d’un bouclier qu’il brandissait pour me protéger en restant lui-même à découvert, et je lui en fus reconnaissant.

« Et maudit soit Sivar pour nous avoir trahis ! » ajouta-t-il.

Je baissai les yeux vers le corps de Sivar. « Non, ne le maudissons pas, car il s’est damné lui-même. Cela pourrait arriver à n’importe qui.

— À n’importe qui de faible, peut-être. À n’importe qui de déloyal qui se détournerait de la Loi de l’Unique. »

Sans répondre, je plongeai mon regard dans les yeux morts de Sivar. Même de grands anges comme Angra Mainyu s’étaient détournés de l’Unique, pensai-je.

« Que faut-il faire maintenant, lord Valashu ? me demanda Lansar Raasharu.

— Enterrons-le. Avant d’être une goule, Sivar était Sar Sivar et nous étions nombreux à l’aimer. »

Un des amis de Sivar enveloppa son corps dans sa cape et six Gardiens le ramenèrent au campement pour préparer l’enterrement. Le roi Hadaru et ses chevaliers rejoignirent le camp des Ishkans pour prendre un peu de repos avant la fin de la nuit. Je me retirai dans ma tente. Maître Juwain vint m’y retrouver avec une tisane chaude pour calmer ma gorge martyrisée. Puis, pendant que je commentais avec Asaru et Yarashan le désastre de la nuit, il recousit l’entaille sur le côté de mon crâne. Un petit moment plus tard, Maram passa la tête à l’intérieur et se joignit à nous à son tour. Yarashan lui reprocha violemment de s’être endormi en montant la garde et d’avoir mis ma vie en danger. Mais au cours de notre quête à travers Ea, Maram avait assuré de nombreux tours de garde pendant de longues nuits et je savais qu’il ne s’était pas simplement accordé un petit somme. Et il nous le confirma, expliquant en partie comment Morjin avait failli provoquer ma mort.

« Je ne me suis pas endormi, répondit-il, vexé, à Yarashan. Vers la fin de ma garde, Sivar s’est approché de moi avec un verre d’eau-de-vie. Il m’a dit qu’excité par le tournoi qui devait commencer après-demain, lui non plus n’arrivait pas à dormir. Il m’a demandé s’il pouvait boire un dernier verre avec moi avant d’aller se coucher. Je me suis dit, pourquoi pas ? puisqu’il ne me restait que quelques minutes avant d’aller réveiller Asaru. Sivar était vraiment quelqu’un de gentil, tout le monde le disait, et je lui étais reconnaissant de cette petite attention. Mais on avait dû verser un somnifère dans l’alcool. Je me rappelle avoir parlé avec lui de la compétition de lancer de javelot… et puis plus rien. »

Ses soupçons furent confirmés quand il rapporta son verre à maître Juwain pour l’examiner. Ce dernier renifla le résidu d’alcool encore humide et annonça : « Traque de nuit ». C’est une potion utilisée par les Kallimuns. C’est probablement Salmélu ou l’un des Prêtres Rouges qui l’ont fournie à Sivar avec la pierre du sommeil qui a eu raison des Gardiens dans la salle du trône du roi Shamesh. »

Pendant un moment, maître Juwain, Maram et Asaru se demandèrent comment Morjin avait transformé Sivar en goule. Avait-il des espions à Mesh qui avaient remarqué que la volonté de Sivar montrait quelques faiblesses ? Sivar avait-il plongé dans les sombres mystères de l’esprit pour découvrir que le Dragon Rouge l’attendait dans la plus profonde et la plus désolée des cavernes ? Personne ne le savait. Au bout de quelque temps, Yarashan se lassa de chercher à expliquer l’inexplicable. « En tout cas, déclara-t-il, la goule a été démasquée et tuée, et nous devons nous en réjouir. »

Mais Maram qui me comprenait mieux que personne, me regarda et dit : « Oh Val, la prophétie, quel malheur !

— La prophétie ? Quelle prophétie ? » demanda Yarashan. Il avait beau être intelligent, la sensibilité n’était pas son fort. « La prophétesse a dit qu’une goule détruirait les rêves de Val. Eh bien, elle se trompait. Val l’a repoussée, comme un vrai Elahad, et la goule a été obligée de se détruire elle-même.

— Non, Yarashan », répondis-je. Les événements de la nuit m’avaient presque arraché le cœur. « Je… j’étais si sûr de Sivar. Et de tous les Gardiens. De leur cœur, de leur être si lumineux.

C’était ça le rêve. Désormais, comment être sûr de quoi que ce soit ? »

Comment, me demandai-je, revendiquer un jour le titre de Maîtreya si je n’étais même pas sûr de moi-même ?

Bien sûr, Yarashan n’avait pas de réponse à m’apporter. Ni Maram, Asaru ou même maître Juwain. Nous passâmes le reste de la nuit debout à parler. Finalement, quand le soleil comme une boule de feu se leva à l’est au-dessus des collines verdoyantes, l’heure de lever le camp arriva. Il restait à organiser un enterrement. Il fallait affronter, et si possible remporter, les épreuves du tournoi. Et, surtout, il fallait s’opposer à Morjin, le Crucifîeur, le Seigneur des Mensonges, à chaque instant et avec toute la force et toute la pureté de notre cœur, sous peine de finir comme Sivar de Godhra, cet homme sans âme condamné à errer sans but parmi les étoiles jusqu’à la fin des temps.