20.
Attention bébé à bord
Il paraît qu’aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années. Pour celles qui n’ont pas cette chance, ce sont les emmerdements qui ne tardent pas à venir. Le petit Corentin en sait quelque chose. À l’âge de 2 mois, il est hospitalisé pour une « hypotonie », c’est-à-dire un affaissement général du tonus musculaire et une grande pâleur. Des examens sont réalisés en urgence. Mais ni les analyses ni l’échographie au travers de la fontanelle, cette petite membrane qui sépare les os du crâne du bébé pas encore soudés entre eux, ne permettent de trouver les causes de cette faiblesse générale. Faute de mieux, les pédiatres concluent à un reflux gastro – œsophagien, une très désagréable remontée du biberon à peine ingéré qui se traduit par des vomissements et une sous-alimentation pouvant expliquer la baisse de tonicité de l’enfant. Corentin peut rentrer chez lui avec ses parents, muni d’un traitement diététique et médical.
Vingt jours plus tard, le garçon est de nouveau hospitalisé en urgence pour un malaise et une hypotonie sévère, accompagnés d’épisodes de perte totale de contact de plusieurs minutes avec son environnement. L’enfant éveillé ne répond plus à aucune sollicitation, il est en état de mort apparente. Les médecins s’interrogent. L’équipe du Samu qui l’a réanimé évoque une forme particulière de crise convulsive qui se manifeste parfois non pas par de grands mouvements désordonnés, mais justement par une hypotonie générale. Le diagnostic précédent du reflux gastro – œsophagien suggère aussi une éventuelle « fausse route », le passage du biberon dans les voies respiratoires pouvant entraîner insuffisance respiratoire, malaises, perte de tonicité. Le débat entre les tenants de ces deux diagnostics est tranché par le scanner cérébral : le cerveau de Corentin a saigné. Stupeur des pédiatres, qui ordonnent aussitôt le transfert de l’enfant au CHU de Poitiers.
Placé en observation, Corentin reste dans un état stationnaire. Puis, quatre jours après son admission, il est pris de convulsions. Une nouvelle échographie au travers de la fontanelle montre cette fois un « décollement crânio-cérébral ». Nouveau scanner. Corentin présente un important hématome sous-dural, résultat d’un saignement entre le cerveau et son enveloppe, la dure-mère. Les clichés révèlent également l’existence des lésions de contusion cérébrale, comme si le cerveau avait été… secoué ?
Le grand mot est lâché. Secoué. Pour tous les spécialistes de la petite enfance, le « syndrome du bébé secoué » correspond à un acte de maltraitance. L’enfant pleure sans raison apparente, les parents craquent et le secouent comme un prunier. La tête du bébé, bien trop lourde pour ses petits muscles du cou, part dans tous les sens, provoquant une mise en mouvement du cerveau qui se cogne contre la boîte crânienne. Hémorragies, hématomes, lésions cérébrales, les dégâts sont catastrophiques ; selon une étude récente, 10 % des bébés secoués décèdent dans les jours ou les semaines qui suivent, et 75 % en garderont des séquelles parfois très lourdes (retard mental, hémiplégie, épilepsie, perte de la vue). Le tableau est suffisamment noir pour que les soignants redoublent d’attention envers le petit Corentin.
Les soins prodigués au bébé permettent de résorber partiellement l’hématome qui oppresse son petit cerveau. Le liquide accumulé entre la dure-mère et l’encéphale est ponctionné au travers de la fontanelle. Deux jours plus tard, nouvel examen, cette fois-ci au moyen de l’imagerie à résonance magnétique. L’IRM permet aux médecins de distinguer des lésions de deux âges différents, de plus de cinq jours à gauche et de plus de trois semaines à droite. Le soupçon de maltraitances se renforce, car celles-ci sont souvent répétées.
L’hypothèse trouve sa confirmation avec l’examen du fond de l’œil de l’enfant. La présence d’hémorragies de la rétine, liées à la déchirure de petits vaisseaux lorsque le cerveau est violemment projeté en arrière par le mouvement de la tête, est caractéristique du secouage. Tout cela conduit l’équipe médicale à faire un signalement auprès du procureur de la République.
L’état de l’enfant s’améliorant, malgré une hypotonie musculaire persistante du tronc, les parents sont autorisés à le ramener à la maison. Pas pour longtemps. Un violent épisode de fièvre et une augmentation du volume de l’hématome cérébral le ramènent aux urgences du CHU. Là, il subit une intervention chirurgicale délicate, puis, après une courte phase de convalescence, retourne chez lui.
Entre-temps, la procédure pour maltraitance s’est enclenchée. Les parents, interrogés par les gendarmes, nient tout acte de violence sur leur fils. Évidemment. C’est toujours comme cela. Lorsque les mains secoueuses ont laissé des traces, les secoueurs invoquent généralement la chute de la table à langer ou dans la baignoire. Le papa est le premier suspect, question de statistiques. Dans les affaires de bébé secoué traitées par la justice, les agresseurs sont, par ordre décroissant, le père biologique, le conjoint de la mère, la baby-sitter et la mère biologique. Ah, la famille…
Mais curieusement, lors des interrogatoires, ni le père ni la mère de Corentin n’ont invoqué les prétextes habituels. Non, Corentin n’est pas tombé. Non, il n’a pas fait de malaise. Non, il n’a pas été secoué.
Mais devant l’insistance des gendarmes, un tantinet agacés, ils ont fini par lâcher un détail qui a son importance. Dans la voiture, le père a remarqué que, lors des premiers trajets en compagnie de Corentin, malgré le siège-auto, la tête du bébé bougeait beaucoup. Enfin un semblant d’explication. Fausse, sans doute. Mais aucune piste ne doit être éliminée. Les enquêteurs décident d’aller examiner le véhicule. Et le siège-auto de Corentin.
Le papa ne se fait d’ailleurs pas prier pour exhiber son engin, une Subaru Impreza. Sur laquelle il a fait apporter quelques « améliorations » par un professionnel de la chose, au motif d’aller faire des temps sur un circuit fermé. Nouveaux ressorts et amortisseurs, suspension retravaillée, rigidité améliorée, pneus larges à gomme molle, car ce qui compte, ce n’est pas le budget, mais la performance. Accessoirement, il a installé des sièges baquets et des harnais.
— Et depuis, elle va mieux ?
— Elle peut, vu ce que cela m’a coûté !
— Soyez plus précis.
— Ben, j’ai dû gagner quelques chevaux…
— Et encore ?
— Ben, sans doute un peu plus de 310 chevaux. En vitesse, maxi un peu plus de 250. Mais sur circuit, jamais sur route. Et de 0 à 100 en un peu moins de 4’’ 5… Elle est belle, non ?
— Vous nous confirmez que c’est dans cette voiture que vous avez installé le siège de Corentin ?
— Tout à fait. Et j’ai fait quelques petites virées avec lui. À chaque fois il rigolait comme un perdu. Enfin, au début, parce qu’ensuite il se mettait à pleurer. Là, j’arrêtais tout de suite.
— Et vous alliez où, pour faire cela ?
— Sur une petite départementale, pas loin de chez moi. Sur 5 kilomètres, le macadam a été refait, il n’y a pas un gravillon et l’adhérence est bonne. En plus, il y a beaucoup de virages, on peut s’amuser sans aller vite.
— Vous l’avez fait souvent ?
— Non, je ne me souviens pas. Maintenant que j’y pense, c’était chaque fois avant ses malaises. C’est ça, deux fois.
— On aimerait voir le siège.
— Il est dans la voiture de ma femme.
Un superbe siège dont le tissu est en parfaite harmonie avec les garnitures intérieures de la Subaru.
— Mais c’est un groupe 1 ! Corentin n’a pas un âge suffisant pour être dans ce type de siège ! Vous savez que vous êtes en infraction, avec ce siège ?
En fait le siège enfant est totalement inadapté à la stature du petit Corentin. Le papa explique, un peu embarrassé, que la couleur des sièges des groupes 0 et 0+ réservés aux nourrissons ne s’accordait pas avec l’intérieur de sa belle auto. À ceci près qu’un siège de groupe 1 est conçu pour des enfants dont le poids est compris entre 9 et 18 kilos.
— Il est hors de question de trimballer votre enfant dans ce siège, monsieur. Vous irez acheter un groupe 0 ou 0+. Vous n’avez pas d’autre enfant ? Bon, on repart avec le siège, je vous le rendrai quand vous me montrerez votre achat à la gendarmerie. Et dès demain, je vous prie. Et quelle que soit la couleur, c’est entendu ?
Air consterné du papa.
— Vous croyez que cela peut venir du siège ? C’est vrai que sa tête ballottait dans tous les sens.
— Je ne sais pas. On va étudier ce problème. Mais ce qui m’intéresserait, c’est aussi de voir comment vous conduisez votre bolide, histoire de comprendre si Corentin a pu être secoué dans son siège.
— Quand vous voulez, mais sur le circuit, je tiens pas à avoir un PV pour excès de vitesse…
Tout ceci est consciencieusement noté dans le procès-verbal d’audition.
Rendez-vous est pris quelques semaines plus tard au circuit du Vigeant, requis pour deux petites heures. Va falloir faire vite !
Les gendarmes ont apporté leur outil de travail : ils ont fait venir leur Subaru Impreza qui prend les chauffards en chasse régulièrement sur l’A10. Un modèle WRX largement modifié, avec son pilote surentraîné aux interceptions en toute sécurité. Un gars d’un calme olympien, car il n’y pas de place pour les agités au volant d’une Subaru de la gendarmerie.
— Bon, vous nous avez dit que vous aimiez bien la conduite sportive. Et que c’est peut-être ça qui a secoué votre fils. Nous, on veut bien, mais on veut voir. Le but, pour vous, c’est juste d’essayer de nous suivre. Si vous y arrivez. On a monté une caméra à l’arrière. Histoire de voir si vous savez secouer votre engin. Compris ?
— Oui, oui.
— Mais ne vous plantez pas !
— Non, non.
— On s’est mis un handicap, on est deux dans la voiture. Vous connaissez le circuit ou vous avez besoin de quelques tours ?
— J’y suis déjà venu un peu. Mais il faut que je chauffe les pneus…
Un vrai pro.
— OK, on fait un tour pour les pneus, et ensuite rendez-vous sur la grille de départ pour un tour enregistré.
Dans le rétro des gendarmes, le pro zigzague à qui mieux mieux, accélère brutalement, freine, comme s’il était dans son tour de chauffe en F1. Très concentré.
— Pff, t’as vu ça, le cinéma !
— J’espère qu’il sait piloter un minimum, ils ne sont pas toujours fins, les pilotes, ici !
— Que veux-tu, tu ne peux pas leur demander la lune. Sur cent qui viennent ici, il n’y a pas beaucoup de vrais pilotes. La plupart, c’est pour s’amuser ou se faire plaisir. Ou un peu peur. Bon, c’est mieux qu’ils viennent là plutôt que de faire les cons sur les routes.
— Garde la distance, le largue pas tout de suite, attends tout à l’heure.
— Ouais. J’aime bien leur laisser croire. C’est comme sur l’autoroute !
Dans sa Subaru modifiée, le pro est sur un nuage. Il vit son rêve de toujours : jouer aux gendarmes et aux voleurs dans une vraie course-poursuite ! Et en plus, avec caméra embarquée ! Les pensées se bousculent, c’est l’heure de gloire. Mais son orgueil est titillé : « Qu’est-ce qu’il croit, l’autre naze, qu’il va me gratter au démarrage ? Tu vas voir, mon poulet ! »
Les pneus sont chauds, le pro aussi. Les deux Subaru décalées sur la ligne de départ, celle du pro légèrement en arrière. Le gendarme enclenche la caméra.
— Tu l’as dans le champ ?
— Oui, oui. Il est parfait…
C’est parti !
Des deux côtés, le départ est foudroyant. Mais brutalement, dans la voiture de gendarmerie, ça tourne au vinaigre :
— Ah, putain, le con !
— T’as loupé ton départ ou quoi ?
— Pas du tout ! Putain, c’est quoi cette caisse ? Putain de bordel de meeerde !
Le garçon a perdu son calme. Ce langage peu châtié est loin de ses habitudes, mais là, il est piqué au vif ! Son départ a été exemplaire. Comme toujours à l’entraînement ! La voiture répond comme à son habitude, une merveille. Et pourtant ! Avant même la première courbe du circuit, le pro a installé le cul de sa voiture au nez du capot de la gendarmerie.
Avantage : le pro ! Et ça ne fait que commencer. Là où la gendarmerie glisse des quatre roues sur le macadam dans la courbe, la Subaru du pro semble rivée sur des rails. L’effet miracle des gommes spéciales bien chaudes ! Au point que, emporté par l’image obsédante de ce cul provocateur, le gendarme oublie que la courbe finit en se resserrant. Il échappe de peu à la sortie de route et perd un peu plus de temps.
— Tu disais quoi ? Que ce n’était pas une flèche ? On a l’air fin !
— Fais pas chier !
Manifestement, le pro est sur son terrain et connaît son circuit par cœur. À la fin des premières courbes qui marquent l’entrée de la grande ligne droite, il a déjà plusieurs grandes longueurs d’avance. Dans l’habitacle de la gendarmerie, les gros mots fusent. La suite est censurée. Question de décence. C’est perdu pour les gendarmes. Du coup, le pilote lève le pied.
— N’empêche ! Et en plus, il va se vanter. On va carrément avoir l’air con.
— T’inquiète pas, j’ai une surprise pour lui. De quoi le calmer. T’as personne qui entendra parler de ça. Même pas la hiérarchie.
— Surtout pas, tu veux dire !
— Ouais, y a pas intérêt ! Sinon, on est mal…
Avant que la gendarmerie ne franchisse la ligne d’arrivée, le pro a mis un point d’honneur à sauter de son véhicule et attend ses poursuivants le coude négligemment appuyé sur le toit.
— En plus, il se fout de notre gueule !
— Il y a de quoi, non ? Bon, soit honnête, il a été meilleur que nous.
— Putain, j’aimerais avoir l’adresse de son préparateur !
Réunion de synthèse sur place.
— Bon, le bilan, c’est qu’effectivement vous savez secouer votre tire.
— Merci.
— Mais votre moteur est manifestement plus puissant !
— Dites tout de suite que je n’ai pas de mérite !
— Ce n’est pas ce que je dis.
— OK. Je vais être gentil, je vais vous dire vos erreurs.
Le pilote gendarme s’étrangle. Mais avant qu’il puisse protester :
— D’abord, vous m’avez pris pour une brèle avec mon air con. C’est vrai qu’ici, sur le circuit, il y en a qui ne sont pas terribles. Mais attention, vous avez aussi beaucoup de vrais compétiteurs. Faut pas sous-estimer l’adversaire. La preuve, vous rigoliez en me voyant zigzaguer dans votre rétro. Mais la température des pneus, c’est essentiel en compète : 5 °C de moins et vous êtes dans les choux. Détail que vous avez oublié, parce que, pour vos interceptions, vous démarrez toujours pneus froids. Moi, si je fais ça en course, un jour ou l’autre, je me tue. Vous, vous avez fait comme d’habitude et vous n’avez pas chauffé vos pneus.
— Hum !
— Moralité, avec vos pneus froids, le temps d’arriver à la première courbe, vous aviez déjà perdu la course.
— Ce n’était pas une course. On voulait voir ce que vous appeliez une conduite sportive. Vous deviez rester derrière.
— Ça, vous ne me l’avez pas dit ! Et pour ce qui est de la conduite, vous avez vu.
Le gendarme qui a récupéré son calme reste silencieux.
— Après, quand je vous ai montré mon cul…
— Restez poli, hein !
— Osez dire que ça ne vous a pas énervés !
Le gendarme attend la suite.
— Donc, disais-je, quand je suis passé devant, ça vous a énervés et vous êtes arrivés trop vite dans la deuxième partie de la courbe, celle qui se resserre. Le gros naze, lui, devant vous, avec ses pneus bien chauds, il est passé comme sur des rails. Et vous, vous avez failli partir dans le décor.
Ce dialogue est une torture gendarmesque.
— Quoi d’autre ?
— Après, c’était facile, avec mes pneus chauds. Vous savez, ils me coûtent une fortune. Mais quand on veut des résultats, il faut prendre les moyens. D’ailleurs, pour tout vous dire, j’ai fait peaufiner mon engin avant de venir. Et pour les gommes, c’est une monte spéciale. Rien que pour aujourd’hui. Rien que pour vous.
— …
— Ensuite, la différence dans les courbes, ce n’est pas dans la ligne droite que vous allez la rattraper ! C’est que moi aussi j’ai un moteur… Résultat, à la fin des 3 kilomètres j’aurais eu le temps de me rouler une clope ! Par contre, je suis déçu pour la vidéo. Vous auriez dû mettre aussi une caméra devant ! Pensez-y la prochaine fois !
Le gendarme tire sa tronche des mauvais jours.
— Bon, ça va, ne vous vexez pas, je vous explique. J’adore les courses. Tout mon fric passe dedans. C’est sur ce circuit que je me prépare et ça fait des années que je gagne des coupes. Alors là, l’occasion était trop belle ! Une course même d’un tour sur un circuit qu’on connaît par cœur et une interception sur une autoroute, ce n’est pas la même chose ! Vous aviez perdu d’avance. Mais ça vous fera des souvenirs à raconter !
— Bon, d’accord, je ne vais pas faire le mauvais perdant, je vous offre à boire. Mais avant, j’ai un coup de fil à passer.
— D’ac, mais sans alcool ! On se retrouve au bar…
Et le pilote gendarme disparaît.
Quelques verres sans risques plus tard :
— Bon. On va faire notre rapport. Au fait, avant de partir, pas un mot de notre petite course !
— Vous rigolez ? Ce n’est pas parce que vous avez fermé le circuit pendant deux heures que ça ne va pas se savoir ! Nous avons fait une course tout ce qu’il y a de plus réglo. On n’a pas fait de pari, mais vous m’avez pris pour un gros naze et vous avez perdu. Forcément que cela va rigoler dans le paddock !
— À votre place, je réfléchirais et j’éviterais !
— Avouez que c’est trop drôle ! Je ne vais pas louper ça ! Bon, allez, salut, sans rancune, et si vous voulez une petite leçon de pilotage, n’hésitez pas ! Il y a ce qu’il faut ici.
Et le pro s’en va, l’air goguenard.
— On n’est pas dans la merde !
— Mais non…
— Putain, ça va forcément remonter au colonel !
— T’inquiète pas…
— Je ne te comprends pas. Cela te plaît par avance de te faire foutre de ta gueule comme ça ?
— Reste zen… Il ne le fera pas.
— Tu paries quoi ?
— Rien du tout, ça ne serait pas honnête, tu vas perdre. Mais je t’offre un verre. Après, on rentre. Et je t’invite à une petite surprise…
En fait de surprise, c’est le pro qui, au même moment, en a une grosse sur la D10 voisine. En pleine ligne droite, un gendarme l’intercepte. Pourtant, il en est sûr, il n’a pas dépassé le 90.
Un quart d’heure plus tard, la Subaru des gendarmes arrive.
— Vous avez un problème ?
— Ben oui, il y a vos collègues qui m’emm… bêtent avec un problème de carte grise.
— Logique. C’est moi qui les ai prévenus, je ne voulais pas qu’ils vous ratent ! J’ai vérifié la carte de votre bolide au fichier. Elle date de son achat, non ? Et depuis les modifications qui ont changé la puissance du véhicule, pour ne parler que de cela, vous n’êtes pas passé au service des mines… Donc, sur circuit, rien à dire, mais sur la route, vous êtes en infraction. Et quand je dis en infraction, cela promet un beau cumul. En plus, va falloir rentrer à pied… À bientôt !
C’est ainsi que je suis commis pour donner un avis médical sur l’origine des lésions de l’enfant par inobservation du règlement sur les sièges-auto destinés aux enfants. Après étude du dossier, le « secouage automobile » apparaît une hypothèse cohérente vu la description faite par son auteur. Et compatible avec la chronologie : secouage, malaise, secouage, malaise… Toutefois, pour conforter mon analyse, je recherche dans la littérature scientifique les études portant sur des cas similaires. J’épluche les revues médicales les plus connues, puis celles à diffusion plus confidentielle, j’explore les journaux professionnels, je ratisse les bulletins techniques, en vain.
Il me faut de longues heures de travail et un peu de chance pour débusquer, dans la revue trimestrielle de l’Institut belge de sécurité routière, le résultat d’une enquête préliminaire réalisée aux États-Unis. Enquête qui fait état des « risques de certains comportements de conduite automobile pour les enfants, indépendamment des accidents, lorsque le siège-auto n’est pas adapté ». Le Pr Ramet, pédiatre à l’université d’Anvers, insiste sur les éléments importants, à savoir « le caractère répété des accélérations et décélérations, un épisode unique n’apparaissant pas suffisant pour causer les lésions observées ».
On ne le répétera jamais assez. Le siège-auto doit impérativement être adapté à l’enfant, et non à la garniture de l’habitacle.