7.
     Tu tires ou tu pends ?

 

    Le soleil est déjà bas sur l’horizon lorsque je quitte le CHU, après une journée de travail sans grand relief. J’ai travaillé sur trois expertises, rempli une kyrielle de papiers administratifs, revu la préparation du cours de médecine légale du lendemain pour de futurs magistrats, fait le point sur l’organisation du service avec mon équipe et vérifié la programmation des interventions (doux nom pour les autopsies) prévues. C’est avec la conscience du devoir accompli que je m’apprête à quitter mon bureau lorsque le téléphone sonne (ce qui, en soit, n’est pas vraiment une surprise, vu qu’il ne sait faire que cela, de préférence au moment où je préférerais qu’il se taise).

    La brigade de gendarmerie de Pleumartin souhaite ma présence sur les lieux de découverte d’un cadavre.

    — On a un doute sur un homicide éventuel, me confie le pandore.

    Le temps de prendre le sac à dos léger contenant le strict nécessaire pour cette intervention et je suis parti.

    Je roule un bon moment sur les petites routes du nord-est du département. L’automne est déjà bien avancé et les forêts de la Vienne ont pris une teinte vieil or du plus bel effet. J’aime ces moments de solitude au volant, l’autoradio calé sur une fréquence musicale apaisante. Je sais qu’une fois sur place je serai happé par les interrogations de la scène de crime. Alors, je savoure. Je note au passage quelques beaux territoires de chasse qu’il ne me déplairait pas d’explorer l’un de ces dimanches, bottes aux pieds et fusil à l’épaule. Puis, comme souvent, je me retrouve en pays de connaissance. Depuis vingt ans que je sillonne le département, je ne peux plus aller quelque part sans passer par le lieu d’une de mes précédentes interventions. Dans ma mémoire, la campagne poitevine est semée de centaines de macchabées. Cette fois, je reconnais le mauvais chemin qui conduit à une petite maison basse, un peu à l’écart de la route. Son occupant, un type d’une cinquantaine d’années, gisait dans une mare de sang, sur le carrelage de la pièce principale. J’avais noté de multiples petites blessures au bout des doigts, que la présence de nombreuses crottes de rat m’avait permis d’attribuer à nos amis les rongeurs. L’autopsie avait été difficile, je m’en souviens parfaitement. Le type, bien que refroidi, refusait obstinément de s’allonger sur la table à découper et gardait désespérément une position fœtale. Comme s’il se refusait à ma lame et voulait revenir aux origines. En fait, cette obstination post mortem révélait surtout le mal sournois qui frappait ce pauvre homme : une spondylarthrite ankylosante qui avait soudé les unes aux autres toutes ses vertèbres, l’obligeant à rester courbé. Il avait vécu ses dernières années le regard planté vers le sol, incapable de lever la tête, se bourrant d’aspirine pour lutter contre les douleurs de la maladie. Mais les vertus antalgiques de ce dérivé du saule ont un revers, de puissantes propriétés anticoagulantes. Et c’est ce qui avait tué notre bonhomme. L’autopsie avait révélé la présence d’une petite plaie d’un centimètre de long au-dessus de la racine du nez, là où se termine l’artère faciale, et un corps totalement exsangue. Il avait dû se cogner et tenter de stopper l’hémorragie en appliquant un linge sur la blessure. Dans la maison, de multiples serviettes-éponges, toutes pleines d’hémoglobine, gisaient sur le sol de la salle de bain, de la chambre et du salon. L’aspirine avait rendu ses manœuvres inutiles, empêchant la formation d’un caillot. L’artère avait débité à jet continu et notre homme avait succombé, totalement vidé de son sang, avant de subir les assauts des rats.

     

    Oups, tout à mes pensées, j’ai bien failli louper les gendarmes qui m’attendent, à la sortie d’un virage. J’enfonce la pédale de frein et m’arrête à la hauteur du véhicule bleu. Le temps de me présenter, le conducteur me demande de le suivre. Je m’enquille à sa suite sur un chemin de plus en plus étroit. La nuit est tombée. Nous roulons sur environ 3 kilomètres. Puis nous nous engageons dans une allée majestueuse, bordée de deux rangées d’arbres gigantesques. Au bout, une cour gravillonnée et la façade d’un château qui, dans la lumière de mes phares, a belle allure. Terminus.

    Je gravis l’escalier de pierre qui mène à la porte principale. Elle est entrouverte. Je n’ai qu’à la pousser pour entrer dans un hall somptueux bourré à craquer. À croire que tout le corps de la gendarmerie s’y est donné rendez-vous. Le directeur d’enquête m’accueille.

    — Merci d’être venu si vite, docteur. Voilà, on a une victime là-haut, le propriétaire des lieux. Il héberge des amis depuis des années. Enfin, quand je dis des amis… D’après eux, le proprio était très perturbé, et dépressif, au bord du suicide. Pourquoi pas ? me direz-vous. Mais il y a à la cave une drôle de mise en scène, genre simulacre de pendaison. Puis ils disent qu’ils ont entendu un coup de feu dans le bureau. Ils nous ont appelés directement, sans même prévenir le Samu. En disant qu’il était mort, qu’il s’était suicidé. Quand on est arrivé, il était déjà raide. Tout ça est quand même bizarre.

    — Bizarre ? Vous avez dit…

    — Oui, bizarre, vous allez voir, tout ça, c’est bizarre.

    Dans ce « tout ça » en vrac, les « ils » que l’enquêteur me désigne d’un mouvement de la tête, ce sont trois hommes prostrés sur les marches de l’escalier en marbre montant à l’étage. Sous l’œil attentif de deux gendarmes méfiants. Presque déjà en garde à vue, en quelque sorte. Ou quasiment coupables.

     

    Comme à mon habitude, je ne me précipite pas vers le cadavre. Il ne risque pas de s’envoler. Je préfère toujours, lorsque les circonstances le permettent, m’imprégner d’abord de l’atmosphère générale et de la disposition des lieux.

    Premier temps, la visite de la cave. Et quelle cave ! Comme dans mes rêves ! Hélas, je suis loin d’avoir la même à la maison. Des centaines de bouteilles, rien que des grands crus, sont alignées le long des murs, sous les voûtes centenaires. Mais l’heure n’est pas aux libations : abandonnant à regret la contemplation des bouteilles, je me concentre sur le tabouret renversé, au centre de la pièce, et sur la cordelette qui pend dans le vide, juste au-dessus, encore nouée à une poutre. Aurait-il changé d’avis au dernier moment, pour trouver un moyen plus rapide ? Et ainsi renoncer aux souffrances, forcément terribles dans l’inconscient collectif, de l’agonie de la pendaison ? En tout cas, le nœud coulant mortel est encore largement ouvert, prêt à accueillir avec bienveillance toute tête qui le souhaiterait.

    Sur le tabouret, une empreinte de chaussure.

    — Docteur, on a vérifié, me précise l’enquêteur en chef, c’est bien la chaussure de la victime. La gauche.

    — Il est gaucher ?

    — Non, enfin, on ne sait pas. C’est important ?

    — Pour la suite, peut-être.

    — Je ne vois pas le rapport entre la chaussure et la main, sauf s’il tire… comme un pied !

    — Je vous expliquerai.

    Deuxième temps : nous remontons à l’étage, direction la bibliothèque. Entre les étagères couvertes de livres, deux râteliers d’armes sont plaqués au mur. Le premier recèle assez de fusils et de carabines pour satisfaire le chasseur le plus exigeant. Dont de superbes Chapuis au bois de noyer somptueux. Des armes d’un prix peu imaginable. Le second est uniquement garni d’armes de poing, une vingtaine de pistolets et revolvers.

    — Elles sont toutes détenues régulièrement et appartiennent à la victime et aux trois autres types. Tous des fanas de tir.

    — Eh oui. Pour tirer un coup, faut être armé !

    Ma plaisanterie tombe à plat. Le signe que l’affaire est grave.

    Je n’avais encore jamais vu un tel arsenal chez un particulier. Un logement vide marque la place d’une arme de poing disparue.

     

    Il est temps de saluer le défunt. Nous passons dans le bureau. Le corps est devant l’ordinateur, effondré sur le fauteuil de cuir noir, la tête reposant sur le clavier. Je fais un pas en direction du mort qui se venge immédiatement : mon pied s’enfonce dans quelque chose de mou et spongieux qui fait « splouitch ». Je braque ma grosse torche de plongeur, inséparable de mes levées de corps, vers le sol. Le tapis est gorgé de sang. Un magnifique tapis persan aux motifs richement détaillés, manifestement un tapis de soie. Comme quoi, même la mort ne met pas fin à la lutte des classes. Chez les pauvres, on saigne sur le lino. Remarquez, c’est plus vite nettoyé. Faut voir le bon côté des choses. En attendant, heureusement que je porte des surchaussures ! Je n’ai plus qu’à les changer, pour ne pas marquer le sol d’autres traces sanglantes.

    Sur la tempe gauche, côté peau, un projectile a laissé sa marque, sous la forme d’un bel orifice d’entrée, rond et régulier. Tout autour, la poudre a laissé une auréole noire sur la peau qui est légèrement brûlée. Je passe à droite, et là, surprise : j’ai une vue directe sur l’orifice d’entrée de la tempe gauche, mais cette fois côté os. Le crâne a disparu. Sous l’effet des gaz de combustion de la cartouche, il a littéralement explosé. Du tissu cérébral il ne persiste que le cervelet ; le reste est dispersé, pour partie au sol, pour partie sur le mur opposé, copieusement maculé de petites particules blanchâtres. Je m’explique mieux l’état du tapis : l’activité cardiaque s’est poursuivie tant que le corps contenait du sang, jusqu’à le vider complètement. L’arme récupérée par les enquêteurs sur le sol est un revolver Smith et Wesson de calibre 357 magnum, muni d’un canon de quatre pouces. Barillet plein, une seule cartouche percutée.

    — Les autres munitions n’ont pas été percutées. Ils font eux-mêmes leur rechargement. Pas prudents, les gars, d’ailleurs. Il y a deux revolvers de même calibre dont la carcasse a été déformée par une surcharge. Ils aiment que ça secoue, manifestement. C’est sans doute pour cela que la tête a éclaté. Vu la documentation qu’on a retrouvée et vu le type d’ogive, on dépasse largement les 1 100 joules !

    Je regarde le gendarme d’un air interrogatif.

    — Les ogives, elles sont interdites à la vente. Je ne sais pas où ils les ont trouvées. Ce sont des pointes de tungstène pour percer les moteurs de voiture. Alors, un crâne ! Et pour les traces de poudre, on a déjà fait les prélèvements, docteur. Il a bien des traces très denses sur la main.

    En effet, lors d’un tir, des résidus de poudre se déposent sur la main du tireur. Les techniciens de scène de crime ont dans leurs valises de petits « tamponnoirs » en forme de diabolos et munis d’une surface collante. Procédant par petites touches, les techniciens peuvent ainsi récupérer les grains de poudre incrustés dans la peau. La présence d’une forte densité de poudre sur la main qui a tiré est un argument fort pour désigner l’utilisateur de l’arme. Pff, ils ont fait vite ! Je me demande comment.

    — Donc il est gaucher…

    — Faudra m’expliquer, je ne la comprends pas, votre histoire de gaucher.

    — Encore un peu de patience.

    Devant le cadavre, l’écran de l’ordinateur affiche un texte annonçant clairement l’intention et son explication : l’impossibilité d’aimer plusieurs hommes en même temps. Ce type tirait beaucoup, mais il n’arrivait pas à savoir quelle cible il devait viser.

    — Mais n’importe qui a pu taper le texte, docteur.

     

    J’examine maintenant la pièce plongée dans la pénombre. De nombreuses toiles sont accrochées aux murs. Quelques personnages, des paysages. Et des natures mortes. Elles aussi. Je m’arrête un instant devant un tableau pour le moins insolite représentant deux poissons. Ma torche ne laisse aucune zone d’ombre.

    — Dites, chef, vous avez raison. Il y a quelque chose qui cloche.

    Le gendarme se précipite vers moi

    — Quoi donc, docteur ?

    — Regardez.

    — Oui, c’est une nature morte.

    — Forcément, vu le contexte. Et encore ?

    — Vous êtes joueur, aujourd’hui. À quoi dois-je m’attendre ?

    — Il y a une anomalie. Enfin, deux.

    — Si c’est une plaisanterie…

    — Vous me connaissez. Oubliez qu’il s’agit d’une peinture et analysez ce que vous voyez, vous allez voir, c’est intéressant.

    — Bon, c’est du poisson, enfin, deux poissons, un dans un filet, l’autre au bout d’une ligne. On dirait d’ailleurs qu’il frétille encore.

    — Mais encore ?

    — Je ne vois pas. Si, il y a un trou dans la toile. Pardon, dans le poisson. Oh, mais vous avez trouvé la balle !

    — Oui, elle est sans doute dans le mur, derrière. Mais il y a une autre anomalie.

    — Je ne vois pas.

    — Il y a un os dans le poisson. Ce n’est pas normal, pour du poisson.

    Un morceau de la boîte crânienne du défunt est venu se planter au beau milieu de la peinture, accompagné de quelques fragments de cerveau…

    — Et en plus il a fallu tirer dessus pour l’achever. Le poisson.

    Le gendarme soupire.

    — Bon sérieusement, docteur, vos conclusions ?

    — Vous les connaissez déjà. Je ne vois même pas pourquoi vous m’avez fait venir ici. C’est pour cela que je me lâche avec ces plaisanteries douteuses.

    — On veut que l’affaire soit carrée, alors, par précaution, on a préféré vous appeler. Pour vous, l’hypothèse du suicide est compatible avec vos observations ?

    — Tout à fait. Mais si vous imaginez qu’il a été contraint au suicide, il serait plus sage de faire une autopsie.

    Rendez-vous est pris à l’institut médico-légal pour le lendemain.

     

    Mon directeur d’enquête est à l’heure, en grande tenue de protection, comme toute personne devant assister, pour une raison ou une autre, à une autopsie. Il s’agit autant de se défendre contre d’éventuelles contaminations que d’éviter une pollution des indices par de l’ADN extérieur. Je peux opérer. Je commence par faire les « crevés », ces grandes incisions qui servent à vérifier la présence ou non de traces de violence sous la peau. Cette fois, je ne fais pas dans le détail. Pour ne rien rater, je réalise un écorché complet des zones de contention, poignets, avant-bras, chevilles et cuisses. Rien à signaler. Et la victime ne présente aucune trace de cordelette au niveau du cou.

    — Il a bel et bien renoncé. La pendaison, cela doit être une souffrance atroce, commente un des gendarmes.

    — C’est ce qui se raconte. En fait, une communication fort intéressante, dans un congrès de médecine légale, s’est penchée sur des vidéos de pendaisons, récupérées à l’occasion de pendaisons volontaires ou accidentelles lors d’affaires médico-légales.

    — Comment cela peut-il être accidentel et filmé ? C’est incohérent !

    — Pas du tout. La pendaison est souvent simulée dans des pratiques érotiques. Le film permet de revivre la scène. De temps en temps, le pied glisse ou le client se pend trop et s’étrangle dans son propre jeu.

    — Et alors ?

    — Alors, il semble que la perte de conscience soit très rapide. Entre dix et trente secondes. Le reste, les soubresauts du pendu, ce n’est pas lié à la douleur, ce sont des mouvements involontaires après la perte de conscience. Je ne suis pas sûr que ce soit très douloureux. D’ailleurs, ceux qui en réchappent ne rapportent pas de douleurs terribles. Juste un bon mal de crâne. En tout cas, c’est plus propre que l’arme à feu. Surtout pour les tapis.

    Je parviens à prélever le peu de sang qui reste dans le cœur de ma victime. L’échantillon part en toxicologie, pour analyse. L’affaire est aussi carrée que pourrait le souhaiter mon gendarme. Je rédige mon rapport en ce sens, puis j’oublie l’affaire.

     

    Jusqu’au jour où le procureur de la République m’appelle.

    — Docteur, j’ai un problème dans votre affaire du suicidé du château. Celui avec la nature morte aux poissons.

    Mince, le gendarme a cafté.

    — Je viens de recevoir le rapport de votre confrère toxicologue. Vous me dites que la victime est morte d’une balle dans la tête. Lui m’assure qu’il a retrouvé des doses mortelles d’antidépresseurs dans le sang. Il va falloir choisir. Il est mort d’une balle dans la tête ou par intoxication médicamenteuse ? Mettez-vous d’accord tous les deux.

    Je soupçonne un très court instant une vengeance posthume de mon client. N’aurait-il pas apprécié mon autopsie ?

    Mais j’ai un gros problème, en effet. Aurait-on empoisonné le défunt avant de lui tirer dessus ? L’un des trois amants éplorés pourrait-il avoir commis l’irréparable ? Passerait-on du drame de la dépression à celui de la jalousie ? Je devine les questions qui pointent sous les propos du magistrat. Je les écarte d’emblée, à cause du sang sur le tapis. Si le coup de feu avait été tiré post mortem, jamais l’hémorragie n’aurait eu cette intensité, la pompe cardiaque étant déjà à l’arrêt. À l’inverse, les derniers battements du cœur, dans les secondes ou minutes qui ont suivi le tir, ont expulsé par la plaie assez de sang pour transformer la carpette en marais des Carpates. CQFD[7].

    Je reconnais toutefois que cette divergence d’avis fait désordre. Je prends contact avec mon confrère toxicologue, qui travaille à quelques étages au-dessus de moi, dans le CHU. Il est sûr de ce qu’il avance. Moi aussi. Par précaution, il refait ses analyses, qui donnent les mêmes résultats. C’est l’incompréhension. Jusqu’à sa question :

    — D’où vient-il, ton sang ?

    — Ben, du cœur !

    — T’aurais pas dû.

    — J’aurais pas dû quoi ?

    — Le prélever dans le cœur.

    — T’es rigolo, le corps était vide. Et encore, j’ai dû faire des efforts pour te ramener l’échantillon, tout le sang était parti sur le tapis. Tu aurais vu son état, un vrai crève-cœur !

    — Tu n’as pas pensé à l’humeur aqueuse ?

    — Je n’étais pas d’humeur à cela…

    — C’est malin ! En tout cas, j’ai ta réponse. C’est toi qui as raison, mais en même temps, mon résultat est exact et je n’ai pas tort.

    Subtil ! Le fin mot de l’histoire, c’est le sang. Cardiaque. J’aurais mieux fait de récupérer le sang du tapis. La présence de doses élevées de toxiques est le résultat d’un phénomène biologique. De son vivant, notre individu a absorbé des médicaments pour sa dépression. Sans avoir de pensée suicidaire à ce moment-là. Ces produits se sont répartis dans tout l’organisme, y compris le muscle cardiaque. À un taux normal. Dans le jargon, on parle de taux thérapeutique. Puis, dans sa déprime, il a décidé d’en finir et s’est tiré une balle dans la tête. En tout cas, au moment du coup de feu, son cœur battait toujours.

    Durant les heures qui ont suivi le décès, les cellules du cœur ont relâché ces molécules qui se sont retrouvées dans un volume très réduit de sang résiduel, aboutissant à une concentration apparente anormalement élevée. Cela s’appelle la redistribution post mortem. Conclusion, c’est un vrai suicide par arme à feu.

     

    Lorsque j’explique cela au directeur d’enquête, il soupire.

    — D’accord. J’ai tout compris. Sauf un truc.

    — Quoi ?

    — Votre histoire de gaucher. La trace de la semelle gauche sur le tabouret, dans la cave.

    — Bon, notez que c’est seulement un indice parmi d’autres, ce n’est pas une preuve. Il y a des exceptions, mais un droitier tire avec la main droite, parce que son membre droit est le plus musclé et le plus fort. En général, mais il y a aussi des exceptions. Il vise également avec son œil droit, qui est son œil directeur. Et c’est également sa jambe droite qui est (habituellement) la plus forte. C’est celle avec laquelle il va (habituellement) prendre appui pour sauter. Ou pour monter sur un tabouret. Pour le gaucher, c’est l’inverse. Habituellement. Il y a des exceptions.

    — Donc, pied gauche, main gauche, tempe gauche… pan et suicide. Habituellement. Et si votre principe d’exception s’était appliqué ?

    — Ben… !

     

    Affaire classée, chef.