CHAPITRE XIX

Hawks était à cinq ou six cents mètres de la maison lorsqu'il entendit la première détonation. Il dressa l'oreille. Un deuxième coup de feu claqua.

« Inutile de continuer les recherches » songea-t-il. « Riker a rejoint le pauvre petit et l'a abattu… J'ai l'air fin avec cette lanterne ! » Il la souffla et regrimpa à cheval.

— Mr. Hawks ? murmura Bess d'une voix blanche.

— Oui ?

— Vous abandonnez ?

Feignait-elle de ne pas avoir entendu les déflagrations ?

— Mieux vaut filer dans la direction des coups de feu.

— Vous pensez que Riker a rattrapé Obie ?

— Euh… Oui…

Elle observa le silence. Son enfant était mort…

Soudain, deux autres détonations éclatèrent. Suivies d'une troisième. Elles provenaient d'une autre direction. Hawks éperonna sa monture :

— Allons-y ! Obie a dû lui échapper ! Et Riker tire à l'aveuglette.

Au bout de quelques instants, nouveau coup de feu.

Le shérif fonçait à un train d'enfer. Il arriva sur une crête d'où il aperçut la maison à demi consumée, et un cheval qui s'enfuyait, monté par Obie. En même temps, il vit Riker : ce salaud-là, un genou au sol, vidait consciencieusement son arme sur le gosse.

Le shérif était placé devant une alternative : il pouvait arroser ce fumier de l'endroit où il se trouvait – mais la distance était trop grande ; ou bien, laisser là Bess et Abe, et se rapprocher du chasseur de primes. Il opta pour la deuxième solution :

— Restez ici. Ne quittez cette crête sous aucun prétexte.

— Bien, Mr. Hawks.

Il descendit la pente.

Le premier étage de la maison s'effondra dans une immense gerbe d'étincelles, illuminant toute la cour et la grange. Le bruit couvrit le martèlement des sabots du cheval du shérif.

Riker pénétra dans le corral pour s'emparer de la dernière bête qui, affolée, tournait en rond. Il réussit à l'attraper avec une corde, au moment où Hawks passait en trombe devant l'incendie. Le gars l'aperçut.

Le shérif, désavantagé sur sa monture, comprit immédiatement le danger qu'il courait. Il sauta dans la cour et fila vers la grange. Riker dégaina. La balle frôla l'épaule de Hawks et s'enfonça dans le mur de la grange. À l'abri derrière l'aile gauche de la bâtisse, Hawks riposta. Riker était coincé. Tant que le shérif resterait là, il ne pourrait grimper à cheval pour se sauver.

Mais cette situation ne pouvait s'éterniser. L'un des hommes devait prendre une décision.

Soudain, Hawks entendit la voix de Bess :

— Riker ! Pas un geste ! Ma carabine est braquée sur vos reins. Je n'hésiterai pas à en faire usage.

Le shérif risqua un œil. Riker était figé au milieu du corral. Hawks ne vit pas la jeune femme. Elle lança :

— Mr. Hawks ?

— Oui ?

— Désarmez cet individu. Je répugnerais à lui tirer dessus. Mais s'il m'y oblige, je n'hésiterai pas.

Le ton était péremptoire.

Hawks s'avança, le colt pointé droit devant lui. Il s'approcha de Riker, et lui prit son revolver qu'il fourra dans son ceinturon :

— Retournez-vous !

Il sortit une paire de menottes de la poche de sa veste. Riker n'offrit pas la moindre résistance. Un déclic. La carrière du chasseur de primes venait d'être prématurément brisée.

À ce moment-là, Bess sortit des ténèbres… complices. Hawks la regarda, ahuri. Elle ne tenait aucune arme à la main. Incrédule, il bafouilla :

— Et… votre… carabine ? Qu'en avez-vous fait ?

— Ma carabine ? Elle est dans la cuisine.

— Quoi ? – Il manqua s'étrangler. – Vous voulez dire que vous l'avez eu au bluff ?

— Appelez ça comme vous voudrez, Mr. Hawks.

Un instant, il resta bouche bée, puis, brusquement, il se mit à brailler :

— Mais, bon sang de bonsoir, il aurait pu se retourner et vous abattre presque à bout portant ! Je n'ai jamais vu une femme aussi… aussi…

— Oui, Mr. Hawks.

— Oui, Mr. Hawks… Oui, Mr. Hawks… C'est tout ce que vous trouvez à dire ?

— Je suis vraiment désolée, Mr. Hawks.

— Désolée… Désolée ! Où est Abe ?

— Sur la crête. Là où vous nous avez demandé de rester, Mr. Hawks.

— C'est bon, c'est bon… Mais… cessez de m'appeler Mr. Hawks ! – Il poussa Riker d'une bourrade dans le dos. – Allez, ouste ! Avancez !

En passant devant l'amoncellement de braises, il demanda à Bess :

— Qu'allez-vous faire, à présent ?

— Nous vivrons dans la grange en attendant la construction d'une autre maison.

Une semaine auparavant, il aurait bien rigolé. À présent, il s'abstint de tout commentaire désobligeant. Elle était capable de tout, cette femme !

— Si vous voulez, je peux mettre en vente le ranch d'Adobe Wells.

— J'allais vous en prier, Mr… euh… Et n'oubliez pas de déduire les taxes que vous avez eu la gentillesse de verser.

Abe dégringolait la pente… Bess le pressa contre son sein.

Hawks conduisit Riker dans la grange, détacha un instant ses menottes et lui ordonna de passer les bras autour de l'un des poteaux qui maintenaient le toit. Clac. De nouveau, le métal lui emprisonna les poignets.

Sur ces entrefaites, Obie retourna dans la cour. Il se précipita dans les bras de sa mère. Hawks vint vers lui :

— L'oiseau est dans la cage, fiston. Demain, je l'emmène à Adobe Wells. Il devra répondre de l'assassinat de tes parents.

— Nous n'allons pas prendre racine dans la cour, dit Bess. Nous ferions mieux, je crois, d'aller dans la grange pour nous y aménager un dortoir.

— Bien, Mrs. Latham.

Le lendemain, Hawks repartirait à Adobe Wells le cœur gros. Mais il savait qu'il reviendrait à Table Rock. Il attendrait que les plaies se referment, que les blessures guérissent.

Il avait suffisamment bourlingué pour savoir qu'une femme comme Bess, un homme ne la rencontre qu'une seule fois dans sa vie.

Fin