CHAPITRE XVI

Hawks arriva chez les Latham au crépuscule. Le malheureux n'en pouvait plus. Où était Riker ? Le guettait-il depuis la voie ferrée ? Ou bien se trouvait-il tapi dans un coin du ranch, à présent ?

Seuls Bess et Abe l'accueillirent dans la maison.

Le shérif fronça les sourcils :

— Où est Obie ?

— Dans la grange, répondit Bess. Pourquoi ?

— Il ne faut pas qu'il s'éloigne.

— Je vais l'appeler. – Du seuil de la porte, elle héla le gosse. – Qu'est-il arrivé ? Vous rentrez plut tôt que d'habitude, aujourd'hui.

— Riker est allé jusqu'à la voie ferrée, et là, il a usé d'un stratagème. Il a cru me rouler, mais je n'ai pas été dupe. Il est certainement revenu ici. Je dois à tout prix le forcer à agir.

— Qu'allez-vous faire ?

— Demain, j'irai jusqu'à Table Rock. Je prendrai le train, comme si je devais me rendre à Adobe Wells.

— Et ensuite ?

— Je descendrai au bout d'un ou deux kilomètres, rebrousserai chemin et me procurerai un autre cheval. Je me repointerai ici en douce. Nous verrons bien ce qui se passera.

Obie entra à ce moment-là. Hawks lui indiqua le plan dans les grandes lignes. Le gosse parut d'abord intéressé, puis il ne put cacher sa frayeur. Il n'avait que douze ans !

Le shérif savait qu'il prenait des risques en quittant le ranch. Pendant son absence, Riker pouvait attaquer. Mais Bess était une femme solide, pleine de ressources. Elle et ses gosses seraient capables de résister entre la tombée de la nuit et l'heure à laquelle il reviendrait.

Au cours du dîner, il remarqua que la jeune femme était en proie à une certaine nervosité. Rien d'étonnant ! Pendant des jours elle et ses enfants avaient joué au chat et à la souris avec Riker. À présent, le dénouement était proche.

Après le repas, il se plaça près de la fenêtre de la cuisine et entreprit de se raser. Riker le surveillait peut-être. Il s'efforça de paraître calme et de donner l'impression d'avoir abandonné la partie.

Le lendemain matin, il ferra les trois pommelés que Bess avait achetés à Adobe Wells. Obie actionnait le soufflet de forge, observant le moindre de ses gestes. Quand il eut terminé, il se tourna vers l'enfant :

— Tu tiendras le coup, fiston ? – Le gosse hocha la tête. Il savait pertinemment ce que ce grand gaillard voulait dire. – Ce soir, vous resterez tous les deux, ton frère et toi, dans la maison, avec votre mère, jusqu'à ce que je revienne. O.K. ?

— Oui, M'sieur.

— Quoi qu'il arrive.

— Très bien, M'sieur.

Il lui tapota la joue. Il ne voyait pas ce qui pouvait survenir au cours de son absence. Riker n'allait tout de même pas se risquer à tuer les trois membres de la famille. Et il n'oserait certainement pas supprimer Obie en lui tirant dessus délibérément.

Non. Riker devrait s'arranger pour que la mort d'Obie paraisse accidentelle, de façon à ne pas être inquiété par la suite. Trouver un alibi prouvant qu'il était loin des lieux du drame. Sur ce dernier point, Hawks lui faisait confiance.

Le shérif ne quitta le ranch que dans l'après-midi, aussi décontracté que possible. Au bout de quelques centaines de mètres, il se retourna et agita la main. Bess répondit à son salut. Les gosses étaient déjà rentrés dans la maison.

Il maîtrisa son envie de lancer sa bête au galop ; sa nervosité grandissait au fur et à mesure qu'il avançait. Plusieurs fois, il fut à deux doigts de rebrousser chemin. Non seulement la vie d'Obie était en danger, mais également celles d'Abe et de Bess.

Sans aucun doute, Riker l'observait. Vraisemblablement, il ne le quitterait pas des yeux tant qu'il n'aurait pas mis les pieds dans le train.

Mais Riker ne pouvait pas suivre le train. Une fois que le shérif serait parti, n'irait-il pas accomplir le sombre dessein qu'il mijotait depuis si longtemps ?

Hawks arriva en ville à cinq heures. Il conduisit son cheval à l'écurie. Le jeune Navajo fit la grimace en voyant dans quel état sa bête lui était restituée. Hawks lui glissa un bon pourboire, puis se dirigea vers la gare et alla s'installer sur un banc dans la salle d'attente. Il se tint à quatre pour ne pas montrer son agitation.

Lorsque le train arriva, il faisait nuit noire. Le shérif se plaça près du chef de gare qui balançait sa lanterne. Au moment du départ, il grimpa dans un compartiment. Riker ne pouvait manquer de le voir.

Il s'installa près d'une fenêtre et déploya ostensiblement un journal qu'il trouva sur la banquette.

Les minutes passèrent. Quinze. « Mais qu'est-ce qu'ils foutent, sacré nom d'un chien ? » Vingt…

Il allait se lever pour interroger le chef de gare lorsque le train s'ébranla.

Son canard toujours devant les yeux, il attendit que le train ait parcouru un bon kilomètre. Alors, il bondit dans le couloir et se précipita dans le fourgon à bagages. Le chef de train le regarda, ahuri. Le shérif lui montra son insigne :

— Je suis Rudy Hawks. Dites au chauffeur de ralentir. Je dois descendre. Ne vous occupez pas du reste. Et… motus.

Le train disparut dans la nuit. Déjà, Hawks fonçait comme un dératé vers le corral où il avait ramené le cheval une heure auparavant. L'endroit était désert. Il ne fit ni une ni deux.

Il balança sa valise dans un coin, choisit un rouan et, sans chercher à le seller, l'enfourcha aussi sec.

Une minute plus tard, il avait quitté la ville. Bien avant d'atteindre la propriété, il sut qu'il avait commis une grave erreur. Peut-être fatale.

Il se pouvait que Riker l'ait vu partir dans le train. Mais n'en avait-il pas profité pour foncer aussitôt au ranch à bride abattue ?

Il avait donc dans ce cas une heure et demie d'avance sur lui. De quoi réaliser pas mal de projets. Par exemple, celui d'anéantir toute une famille. Faire griller maison, grange… et détruire ainsi la moindre preuve de son forfait. Il pouvait aussi kidnapper Obie et trouver le moyen de faire passer sa mort pour un accident.

Il pressa sa bête… L'idée que Bess puisse disparaître lui était intolérable. Il se rendit compte alors quelle place elle avait pris dans sa vie.

*
*  *

Riker, effectivement, n'avait pas perdu de l'œil un seul geste de Hawks jusqu'au départ du train. Rien n'avait échappé à son regard vigilant. Tout portait à croire que sa ruse avait réussi.

Au trot, il se dirigea vers le ranch. Hawks rentrait à Adobe Wells. Mais…

Mais Riker ne sous-estimait pas le shérif. Ce gars-là pouvait d'un instant à l'autre sauter du train et rappliquer.

Qu'à cela ne tienne ! Il avait tout de même le temps de mettre son plan à exécution.

À condition d'agir sans tarder.