CHAPITRE XIII

Jabez Riker ignorait qu'il avait été vu à l'est de Pinto par un certain Waller. S'il avait ensuite passé la nuit dans le campement des Anglais, c'est qu'il n'avait pas pu faire autrement. Deux chasseurs lui étaient tombés dessus à l'improviste et avaient insisté pour qu'il accepte leur invitation. Il n'avait pas voulu froisser Sir Joseph Doerr. De toute façon, ces gens-là seraient bien loin lorsqu'on apprendrait la mort d'Obie Latham.

Ne tenant pas à être aperçu à Table Rock, il fit un long crochet pour éviter la ville. Lorsqu'il arriva au ranch, celui-ci était désert. Seules quelques poules picoraient près de la grange. Il fit le tour de la maison, jetant un coup d'œil par chaque fenêtre pour bien s'assurer qu'il n'y avait personne.

De toute évidence, Mrs. Latham et ses enfants étaient partis depuis plusieurs jours. Leur absence avait certainement un rapport avec la mort de Frank Latham. Le shérif d'Adobe Wells avait dû écrire à sa veuve et elle était partie vers le sud pour enterrer Frank là-bas ou pour ramener son corps.

Dans ce cas, elle ne tarderait pas à rentrer. Il remonta en selle et se dirigea vers les montagnes, derrière le ranch. C'était un grand gaillard grisonnant, au visage buriné, qui mesurait un bon mètre quatre-vingt-cinq ; il ne pesait pas loin de quatre-vingt-dix kilos. Son épaisse moustache lui dissimulait les lèvres. Il avait des yeux bleus au regard glacial. Toute sa vie, il avait été chasseur de primes. Il n'aurait jamais envisagé de mener une autre existence.

Avec prudence, il prit donc la piste qui menait à travers les montagnes, évitant soigneusement la moindre rencontre avec un cavalier éventuel – que ce soit un Blanc ou un Navajo.

Deux jours plus tard, après un long détour pour brouiller les traces, il aboutit à une crête derrière la propriété des Latham. Une fois de plus, aucun signe de vie. Il attendit quelques heures. Finalement, il se décida à filer vers le sud. Il parcourut une vingtaine de kilomètres, toujours dans les montagnes, puis obliqua vers l'ouest. Arrivé à la voie ferrée, il la suivit, l'œil aux aguets.

Il s'arrêta à Flag Junction, une gare miniature qui ne comportait qu'un réservoir d'eau et le bureau du télégraphe. Il mit pied à terre, attacha son cheval à un poteau et entra dans l'unique bâtiment. Le télégraphiste leva les yeux.

— Je veux envoyer un télégramme, lui dit Riker.

Le gars lui glissa un bloc-notes. Riker rédigea son message. L'employé le lut :

— « Femme Frank Latham est-elle en ville ? Attends réponse. » – C'était adressé à Jake Ludlow, le Chien Rouge, Adobe Wells, et signé « Jabez ». – Ça vous coûtera cinquante cents.

Riker tendit une pièce d'un demi-dollar puis s'installa sur un banc. Au bout d'une demi-heure, le télégraphe cliqueta.

— J'ai votre réponse, mister : « Venue et repartie. »

Riker jura en sourdine :

— Envoyez un autre télégramme : « Quelle direction ? »

— Ça vous coûtera encore cinquante cents.

Riker se mit à arpenter la pièce… Cette femme avait dû se rendre à Adobe Wells pour réclamer le corps de Frank. À présent, elle était sur le chemin du retour. Il fronça les sourcils. Si elle avait pris le train la veille au soir, elle devait déjà être chez elle. Non, elle n'avait pas dû prendre le train. Pourtant, comment ramener un cercueil ?

Vingt-cinq minutes plus tard, le télégraphiste lui lança :

— Voici la réponse : « Partie à cheval nord-ouest avec deux enfants et shérif Hawks. »

Riker le remercia et sortit. Il remonta à cheval. Si cette femme avait pris la direction du nord-ouest avec ses enfants et le shérif Hawks, elle avait dû enterrer Frank à Adobe Wells. Mais pourquoi le nord-ouest ? Ce n'était pas par là que se trouvait le ranch. Pourquoi à cheval ?

« Pinto ! C'est ça ! » pensa-t-il. Ils avaient entendu dire qu'il était allé à Pinto, à la recherche de Lucky Chavez, et ils le poursuivaient. Obie avait dû dire à Mrs. Latham et au shérif que sa mère avait été tuée par deux hommes. Il avait certainement fourni une bonne description de lui.

Mais comment être sûr ? De toute façon, il avait tout intérêt à savoir où ils étaient. Tant qu'Obie ne l'avait pas identifié de façon positive, il était en sécurité.

Il suivit les rails en direction du nord, puis obliqua de nouveau vers l'ouest. Aurait-il la chance de tomber sur les Latham et Hawks ?

Il s'était éloigné de la voie ferrée d'environ vingt-cinq kilomètres lorsque la nuit arriva. Il s'arrêta et établit son camp. Il jugea préférable de ne pas allumer de feu et se contenta de viande séchée et de biscuits avant de s'allonger sous les couvertures.

Il repartit au petit jour. Il était presque une heure de l'après-midi quand il entra dans le campement des Anglais. Tous étaient à la chasse, à l'exception des domestiques et du cuisinier. Il s'adressa à un gars en livrée blanche :

— Une femme et deux gosses ne seraient pas passés par ici, il y a quelques jours ?

— Si.

— Un homme les accompagnait ?

— Non.

Riker commençait à être inquiet. Qu'était devenu Hawks ?

— Quelle direction ont-ils prise ?

— L'est.

— Vous n'êtes pas très loquace, hein ?

— Cette femme a dit que vous aviez tué son mari.

— C'est exact. Il était recherché pour meurtre. Je le conduisais chez le shérif lorsqu'il a tenté de s'échapper.

L'homme hocha la tête, mais il était évident qu'il ne le croyait pas. Riker rebroussa chemin. Il se sentait mal à l'aise : trop de gens l'avaient vu. Si Obie Latham était découvert assassiné, et qu'une enquête approfondie avait lieu, on risquait de se souvenir de lui.

Il existait une autre solution : la mort d'Obie devrait paraître accidentelle. Évidemment, il était plus simple de lui coller une balle dans le crâne, mais la nouvelle tâche qu'il devait s'imposer n'était pas insurmontable – surtout que Hawks était apparemment retourné à Adobe Wells.

Toujours en évitant Table Rock, il se dirigea vers le ranch des Latham. Arrivé sur la piste qui y conduisait, il aperçut des traces sur le sol. Il les examina de près. Certaines, qui remontaient à environ quarante-huit heures, étaient celles d'un seul cheval. À côté, celles, plus fraîches, de trois autres montures. Celles de Mrs. Latham et des enfants ?

Il décrivit un large arc de cercle pour aborder le ranch par l'est. Il mit enfin pied à terre, attacha son cheval à un arbre, et avança vers la crête. Caché derrière un cèdre, il observa la maison.

De la lumière brillait aux fenêtres. Un filet de fumée s'échappait de la cheminée. Dans le corral, il dénombra quatre chevaux. Qui pouvait bien être avec les Latham ?

Il s'accroupit et attendit.