CHAPITRE XVIII

Obie n'avait pas vu Riker arriver. Il était dans la grange en train de ramasser des œufs. Quand il eut terminé, il éteignit la lampe et l'accrocha à un clou. Au moment où il allait sortir, son panier à la main, il aperçut des flammes dans la maison, et, au même instant, Riker qui se précipitait vers la grange.

Il lâcha son panier, à demi paralysé de terreur. Il fila vers le corral, dans l'intention de sauter sur un cheval et de se sauver. Riker avait dû le voir, car il obliqua dans sa direction.

Obie atteignit le corral. Les flammes s'allongeaient démesurément. Sa mère et Abe étaient à l'intérieur de la maison. Il n'avait pas entendu de coups de feu ; ils étaient donc encore en vie tous les deux. Il ne pouvait pas s'enfuir et les laisser brûler. Il fit demi-tour et se précipita vers la cuisine. Une détonation retentit. Il atteignit la porte sans que l'autre ne le voie. Il hésita un instant. La chaleur était infernale. Prenant son courage à deux mains, il fonça dans la fournaise, tête baissée, en retenant son souffle. Il fut aveuglé. Impossible de voir ni Bess ni Abe. Les cheveux roussis, il ressortit.

Il aperçut l'ombre de Riker près du corral. L'homme poussa un braillement et se mit à courir vers lui.

Obie fila à travers la cour, droit devant lui, dans la direction de la ville. Devinait-il que Hawks arriverait par là ? Bess et Abe étaient morts, à présent. Riker le tuerait, lui aussi, s'il parvenait à le rattraper. Soudain, il se cogna contre un cheval attaché à des broussailles. La bête renâcla, recula brusquement, et se libéra. Instinctivement, Obie saisit les rênes et grimpa en selle.

Le cheval, terrifié par le feu et les détonations, partit aussitôt au grand galop. D'autres coups de feu retentirent aux oreilles d'Obie. Au bout d'une soixantaine de mètres, il se retourna : Riker, sur un autre cheval, quittait la cour et arrivait droit sur lui. Le gamin avait les jambes trop courtes pour atteindre les étriers. Leur ballottement frappait les flancs de la bête, l'incitant ainsi à maintenir son train d'enfer.

Il sentit en lui un vide affreux qui fit place à une haine farouche envers cet homme qui avait assassiné sa mère sept ans auparavant, son père, Bess, et son frère. « Si seulement j'avais un revolver ! » songea-t-il. Il tenta de filer vers la ville. Mais Riker déjoua son plan, le chassant dans une autre direction.

L'homme gagnait du terrain…

À environ trois kilomètres de là, il le rattrapa. Il le saisit par le bras et l'arracha de la selle. Le pauvre gosse heurta le sol violemment et roula cinq ou six fois sur lui-même avant de s'écraser contre un arbre. Étourdi, il essaya de se mettre debout. Le cheval ne s'arrêta qu'à trente ou quarante mètres de là.

Riker mit pied à terre. Il s'approcha d'Obie à grandes enjambées et le releva brutalement.

— Sale Peau-Rouge !

Il balança son poing qui écrasa la mâchoire de l'enfant. Obie tomba dans les pommes.

Quand il revint à lui, il était en travers d'un cheval. Celui de Riker. Il était retenu au pommeau par sa propre ceinture. Où donc ce type-là l'emmenait-il ? Certainement vers la maison pour qu'il alimente les flammes avec Bess et Abe. Riker ne serait pas inquiété. On mettrait leur mort sur le compte d'un incendie accidentel.

Son crâne lui élançait atrocement, et il avait dans la bouche un goût de sang. Il tourna légèrement la tête sur la gauche. Riker chevauchait devant lui : il tenait les rênes du cheval sur lequel était attaché Obie. Ils avançaient au trot.

Obie savait qu'il n'avait pas une minute à perdre. Avec difficulté, il parvint à déboucler sa ceinture. Il se retrouva sur la piste, à quatre pattes. Immédiatement, il bondit droit devant lui, ramassé sur lui-même, et disparut dans les ténèbres.

Riker poussa un juron. Il sauta prestement à terre et courut derrière lui.

Obie était encore tout étourdi. Mais il était pleinement conscient que son destin se jouerait au cours des quelques minutes qui allaient suivre. Il devait avoir une avance d'une vingtaine de mètres. Il s'arrêta derrière un cèdre et retint son souffle. Il prenait là un risque énorme, mais il savait que c'était la seule solution. Riker dépassa sa cachette et s'éloigna à toute vitesse en marmonnant des obscénités.

Obie attendit un moment, puis, à pas de loup, retourna aux bêtes. Il les atteignit au moment précis où Riker décidait de rebrousser chemin.

Saisissant les rênes du cheval sans selle, il enfourcha l'autre. Enfonçant ses talons dans les flancs de l'animal, il l'obligea à s'élancer au galop. Deux détonations retentirent. Une balle lui érafla l'épaule. Il se pencha davantage. Riker ne pourrait le rejoindre. Il ne s'arrêta qu'au bout de plusieurs centaines de mètres, l'oreille tendue. Pas un bruit. Riker devait être hors d'haleine.

Il tremblait comme une feuille et ne pouvait s'empêcher de claquer des dents.

Bess, Abe, son père, sa mère. Tous morts. Il ne lui restait plus rien. Il avait échappé momentanément à Riker, mais ce sauvage ne renoncerait pas à le poursuivre pour lui faire subir le même sort qu'à ses parents.

La rage l'envahit de nouveau. Riker devait payer. Comment ? il n'en avait encore aucune idée. Mais il trouverait bien le moyen de se venger.

Le shérif Hawks avait seulement fait semblant de prendre le train pour Adobe Wells. Il ne tarderait pas à retourner au ranch. Quand il verrait l'incendie, il s'imaginerait que tous trois avaient péri.

Bien sûr, il traquerait Riker, mais il serait impuissant avant le lever du jour. Si Obie pouvait d'une façon ou d'une autre amener cette brute à revenir au ranch, peut-être qu'avec son aide, le shérif parviendrait à le coincer.

Pour ceci, une seule solution : il devait faire croire à Riker que celui-ci avait une chance de le rattraper. C'était risqué, évidemment. Le gars était armé. Mais il n'avait pas le choix. S'il filait vers le ranch, Riker le suivrait certainement.

Il attendit. Au bout de cinq minutes, il entendit le type approcher. Il élança sa bête en avant, sans lâcher les brides de l'autre. Puis il continua au trot, permettant ainsi à Riker de gagner du terrain. Brusquement, un coup de feu ébranla l'atmosphère. Puis un deuxième. Et un troisième. Il accéléra l'allure pendant un demi-kilomètre…

Il s'arrêta de nouveau. Son épaule le chatouillait désagréablement. Il perdait un peu de sang.

Riker s'approchait au pas de charge. Obie repartit. Le salopard faillit attraper la queue du cheval que montait l'enfant. Il jura et appuya encore une fois sur la détente de son colt.

Obie commença à se demander si sa manœuvre allait être couronnée de succès. Le gars n'était pas un imbécile. Il ne se laisserait pas rouler très longtemps. Et si, au lieu de le poursuivre, il décrivait un arc de cercle pour l'attendre dans les broussailles, là, devant lui ? Il devait changer de tactique et foncer jusqu'au ranch.

Une balle lui siffla aux oreilles. Une fois de plus, il l'avait rudement échappé belle. Soudain, une masse bondit sur sa droite. Obie avait pris sa décision trop tard. Riker s'agrippa à la bride du deuxième cheval. L'enfant frappa sa monture avec l'énergie du désespoir. Si le chasseur de primes parvenait à enfourcher l'autre bête, c'en était fait de lui.

La crête surgit devant lui. L'incendie embrasait le ciel. Il se mit à brailler :

— Shérif ! Shérif Hawks !

Pas de réponse. L'estomac retourné, il se rendit compte que sa fin était proche. Il poussa un hurlement de détresse. La bête qu'il montait, épouvantée, bondit littéralement en avant. L'autre monture suivit. Riker, surpris, lâcha la bride et glissa dans la neige.

Dans un galop d'enfer, Obie parvint dans la cour. Il n'y avait plus qu'un cheval dans le corral. Il alla ouvrir la barrière pour le chasser avant que Riker ne s'en empare. De nouvelles détonations. Riker, un genou par terre, le colt dans la saignée du bras gauche, visait le gosse. La plaisanterie avait suffisamment duré !

Le cheval d'Obie fit un écart et s'effondra, atteint d'une balle en pleine tête. Obie fit un vol plané ; la neige amortit la chute. S'il restait à la lumière des flammes, Riker lui ferait subir le même sort qu'à la bête.

Il enfourcha l'autre animal, qui contourna la maison, et disparut dans les ténèbres. Riker courut comme un dératé vers le corral.