CHAPITRE XIV

Morgan tourna la tête en entendant l'aboiement rauque d'une carabine. C'était Slaughter qui avait tiré en tenant l'arme au-dessus de la tête de son cheval. Mais l'animal effrayé par la détonation, baissa l'encolure en se mettant à ruer. Le cavalier laissa échapper son arme et s'agrippa des deux mains au pommeau de sa selle. Le cheval rua une seconde fois. L'homme, obligé de lâcher prise, fut désarçonné, projeté en l'air, et alla retomber lourdement sur le sol.

Morgan savait bien que cet incident ne mettrait pas un terme à ses ennuis, mais la chute de Slaughter lui permettrait tout de même de gagner un peu de terrain. Devant lui, il apercevait Curt Grego qui, courbé sur l'encolure de son cheval, continuait à fuir.

Un vent glacial fouettait maintenant le visage de Morgan. Il leva les yeux. Les nuages, de plus en plus denses, semblaient se rapprocher du sol à une vitesse vertigineuse, et il souhaitait qu'il se mît à neiger. Une bonne rafale refroidirait peut-être toutes ces têtes chaudes qui composaient le détachement. Il pensait bien atteindre la ville sans encombre, mais il doutait de pouvoir y arriver plus de cinq minutes avant le gros de la troupe. Pour le moment, il lui fallait oublier Curt, l'essentiel étant de conduire Jerome jusqu'à la prison où il se trouverait en sécurité, hors d'atteinte des fureurs de la foule déchaînée.

Soudain, son cheval enfonça un pied dans un trou de marmotte, trébucha et tomba sur les genoux. Mais l'animal, en cherchant à se relever, le projeta en avant. Passant par-dessus l'encolure, il alla s'écraser sur la pente où il se mit à rouler, perdant sa carabine et son chapeau. Il réussit enfin à freiner sa chute et à s'arrêter, le souffle coupé. Il se redressa péniblement sur les mains et les genoux et chercha des yeux sa carabine. Il l'aperçut enfin et parvint à se remettre sur pied pour aller la récupérer d'un pas chancelant.

Une détonation retentit, puis une autre. Il aperçut les hommes du détachement qui arrivaient à bride abattue et étaient maintenant à moins d'un quart de mille de distance. Il ramassa son arme et son chapeau et rejoignit son cheval. Il sauta en selle, éperonna sa monture qui bondit et partit comme une flèche. Deux autres coups de feu claquèrent derrière lui, et une balle effleura la croupe de son cheval qui baissa la tête et faillit le désarçonner une seconde fois. D'une main il s'accrocha au pommeau, et de l'autre tirant sur les rênes parvint à faire relever la tête de l'animal effrayé. Il lâcha ensuite le pommeau pour reprendre dans sa main la carabine qu'il avait réussi, non sans mal, à maintenir sous son bras.

Grego n'avait maintenant que peu d'avance sur lui. Derrière, les carabines continuaient à aboyer, mais aucune balle ne l'atteignit. Il avait réussi, jusqu'à présent, à soutenir une allure rapide, mais il savait que cela ne durerait pas, car le cheval, qui avait dû se fouler un pâturon, commençait à boiter. Puis il constata que Grego avait disparu. Encore étourdi par sa récente chute, il mit un certain temps à se rendre compte que l'horizon avait, lui aussi, disparu derrière le rideau d'une épaisse rafale de neige. Quelques minutes plus tard, il s'enfonçait dans la tourmente. Les premiers flocons étaient petits et légers, mais à mesure qu'il avançait ils se faisaient plus gros. Son visage et ses mains étaient déjà trempés.

Il avait l'impression que ses poursuivants avaient perdu du terrain. Ils devaient maintenant se trouver à plus de trois cents yards et ils avaient cessé de tirer. Son cheval commençait à trébucher dangereusement lorsqu'apparurent enfin, à travers la bourrasque, les premières maisons d'Arapaho Wells. Morgan songea qu'il n'y aurait personne dans les rues, ce qui lui permettrait d'emmener plus facilement Jerome jusqu'à la prison. Il entra dans la ville et longea la Grand-Rue sans rencontrer une âme, mais il entendait derrière lui des coups de feu et des cris. Il tourna à l'angle de la 3e Rue et se dirigea vers la maison de Jerome.