Chapitre 57
Paris. Hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce.
Mercredi,10 jours plus tard.
Alexandra commençait à reprendre ses esprits. Depuis une durée qu’elle n’arrivait pas à estimer, en fait plusieurs jours, elle oscillait entre des périodes de sommeil et des moments d’éveil, sans jamais cependant recouvrer toute sa lucidité.
La tête posée de côté sur l’oreiller, la journaliste ouvrit les yeux et prit enfin conscience de son environnement, seule dans une petite chambre d’hôpital aux murs tristes. La grande fenêtre, opacifiée par des rideaux, ne lui permettait pas de voir à l’extérieur. Le bruit régulier qu’elle entendait contre les vitres lui fit penser à la pluie. Sur le côté de son lit, un appareillage médical affichait ses constantes. Elle bougea lentement la tête de l’autre côté pour découvrir une perfusion en place au creux de son bras droit. Accrochée à la potence, elle avisa la sonnette permettant de contacter le personnel médical. Bougeant doucement son bras, elle ressentit une douleur à l’épaule. Elle continua néanmoins son geste et appuya sur le bouton.
La porte s’ouvrit quelques secondes plus tard. L’infirmière qui entra, une jolie femme d’une cinquantaine d’années, teint mat et longs cheveux bruns arrangés en chignon, était accompagnée par un homme en costume sombre.
– Bonjour, commença-t-elle d’une voix chantante en s’approchant du monitoring, tandis que l’homme se plaçait debout dans un coin de la pièce en croisant les bras.
Elle jeta un coup d’œil sur les écrans, puis recula pour ouvrir le rideau occultant la fenêtre. Son geste dévoila quelques toits arrosés par la pluie qui tombait à grosses gouttes. Le ciel, gris et chargé, indiquait que l’averse allait durer encore un bon moment.
– Où suis-je ? balbutia Alexandra, la bouche sèche et ankylosée.
L’infirmière redressa légèrement son lit, l’aida à se replacer sur son oreiller et régla la perfusion :
– Vous êtes à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Vous êtes sortie du coma depuis trois jours. Maintenant, tout va bien.
– Du coma ? Depuis combien de temps suis-je là ?
– Vous nous avez été amenée il y a dix jours avec deux blessures par balles et un traumatisme crânien. Rassurez-vous, vous êtes tirée d’affaire, vous avez reçu une balle dans l’épaule et l’autre a ricoché sur le haut de votre crâne. Le chirurgien a dû vous faire un petit trou pour diminuer la pression intracrânienne.
Alexandra passa machinalement sa main dans ses cheveux pour découvrir qu’un bandage lui recouvrait partiellement la tête.
Par bribes, les dernières images qu’elle avait enregistrées lui revinrent en mémoire. Le centre émetteur d’Allouis, Darlan, s’effondrant sur elle, sans vie. Le sang qui coulait sur elle. L’émotion la submergea et des larmes s’accumulèrent au bord de ses yeux :
– Un homme était avec moi, il a été touché aussi, pouvez-vous me dire comment il va ?
L’infirmière échangea un regard avec l’homme avant de répondre, mais Alexandra n’eut pas le temps de voir le geste qu’il lui renvoya :
– Je n’ai pas la réponse à votre question. Lorsque l’hélicoptère vous a déposée, vous étiez seule.
La nouvelle tomba sur les épaules de la journaliste comme une certitude. Le policier n’avait pas survécu, les autres non plus. Elle mesura l’ampleur du gâchis de toute cette affaire. Tant de violence, tant de morts, pour rien. Elle resta un instant incapable de parler, puis se força à prononcer d’une voix mal assurée :
– Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ?
– Je suis désolée, madame. Je suis infirmière en chef. Je m’occupe de questions d’ordre purement médical. Pour le reste, adressez-vous à monsieur.
Le ton sec qu’elle employait indiquait que l’infirmière ne cautionnait pas la présence de cet homme dont la profession ne devait pas avoir grand-chose à voir avec le milieu hospitalier. Elle nota quelque chose sur la planche accrochée à l’extrémité du lit et quitta la pièce. La journaliste porta son regard sur l’homme. Entre trente et trente-cinq ans, chauve, les yeux sombres, il ne lui inspirait aucune confiance. Mais elle voulait des réponses aux questions qui se bousculaient dans sa tête :
– Qui êtes-vous ?
L’homme ne bougea pas pendant près de dix secondes, se contentant de la regarder, au point qu’Alex se demanda s’il avait entendu la question. Elle répéta, plus fort, d’une voix qui masquait mal les sanglots qui montaient dans sa gorge :
– Vous pouvez me répondre ? Qui êtes-vous, et que s’est-il passé ?
L’homme s’approcha :
– Je suis le lieutenant Gatel, de la DCRI. Je suis chargé de votre protection.
– Ma protection ? Pourquoi me protéger ?
– Votre croisade a fait pas mal de remous, assez haut, et il y a maintenant beaucoup de gens qui vous en veulent. Le temps que ça se tasse, nous vous gardons sous protection.
Alexandra, qui recouvrait ses esprits à mesure que les dernières traces des drogues qui l’avaient maintenue en sommeil se dissipaient, eut envie de savoir… s’ils avaient pu changer les choses :
– Qui a gagné les présidentielles ?
– L’extrême droite. La Présidente prend ses fonctions aujourd’hui même.
La nouvelle la saisit avec brutalité. Ainsi, ils avaient réussi à éviter la fraude, mais à quel prix ! La démocratie n’avait pas été bafouée, les électeurs avaient décidé de l’avenir du pays, pas les tricheurs du gouvernement précédent. Elle comprenait mieux les mots de l’homme qui lui faisait face. Avec Darlan, ils étaient parvenus à mettre en échec les plus hautes instances de l’État, mais avaient permis la venue au pouvoir d’une force politique qu’elle craignait. Elle aurait aimé partager ses réflexions avec lui. Elle ressentit un grand vide en elle. Le policier lui manquait, avec sa gaucherie, son manque de tact, sa brusquerie, mais aussi avec ses faiblesses, le regard qu’il portait sur elle. Elle tourna la tête, se laissant envahir par le chagrin.
Le lieutenant ne chercha pas à comprendre les raisons de ses larmes et préféra laisser la jeune femme. Il se dirigeait vers la porte au moment où elle l’interrompit.
– Pouvez-vous demander qu’on m’apporte une télévision ? J’aimerais beaucoup savoir ce qui s’est passé depuis dix jours.
– Je vais voir ce que je peux faire. Et si vous avez besoin, n’hésitez pas à sonner.