Chapitre 20
Paris. Salle de crise, niveau – 5. Rue des Saussaies. Jeudi, 1 h 40.
Le téléphone occupant le centre de la grande table ovale résonna de la voix lointaine :
– Monsieur, je crains que nous ayons conclu un peu trop vite que le problème était réglé.
– Je vous écoute, dit l’homme qui dirigeait l’entretien, d’une voix où transparaissait l’énervement.
– Nous venons d’avoir la confirmation que la fille ne se trouvait pas dans l’appartement.
– Êtes-vous certain de cette information ?
– Oui, monsieur. Les pompiers n’ont trouvé aucun corps.
– C’est très regrettable. Votre homme, que vous trouviez si habile, a, semble-t-il, trouvé ses limites et la journaliste est dans la nature.
– Nous allons la retrouver, nous avons mis tous ses contacts, famille, amis, sous surveillance, elle va bien finir par contacter quelqu’un.
– A-t-elle trouvé quelque chose chez Fallière ?
– Je l’ignore, mais nous avons la certitude que quelqu’un d’autre cherche des renseignements sur lui, peut-être même qu’il aide la journaliste. Quelqu’un qui s’est connecté sur le compte mail de Fallière et a enregistré des fichiers. Quelqu’un qui manifestement est à la pointe en matière de recherche de renseignements.
– Vous savez ce qu’ils ont pu trouver ?
– Non, monsieur, nous n’avons pas pu bloquer l’ensemble des fichiers, il nous manque ceux des dix derniers jours. J’ai lu le reste, et je n’ai rien trouvé qui puisse leur permettre de continuer leurs enquêtes. La plupart des messages concernaient les inquiétudes de Fallière quant au vol de son brevet.
L’homme regarda sa Rolex or, symbole de réussite dans son monde. Le cadran scintilla sous l’éclairage artificiel de la salle. Le temps était compté. Chaque minute qui passait augmentait le risque que la vérité soit rendue publique. Il ne pouvait le permettre. Les consignes qu’il avait reçues ne laissaient place à aucune interprétation. Il portait la responsabilité du résultat comme des échecs éventuels. Mais il savait aussi que son rôle, au-delà de la façade, résidait dans celui de fusible si jamais l’affaire s’ébruitait. Il observa attentivement les quatre hommes autour de la table. Il les avait tous choisis, on lui avait laissé ce privilège. Il leur faisait confiance. En revanche, il sentait beaucoup moins le correspondant en place à la DCRI de Lyon. L’homme lui semblait trop sûr de lui et trop pressé de réussir pour s’attirer ses bonnes grâces, et mériter les somptueux émoluments que l’affaire allait lui rapporter.
Il relut attentivement les conclusions du rapport que son contact avait fait parvenir. Il devait reprendre l’avantage sans tarder, stopper cette fuite qui n’aurait jamais dû se produire et qui semblait se déplacer chaque fois qu’ils traitaient le problème :
– Trouvez-moi celui qui aide la fille. J’ai lu votre rapport. Vous concluez que celui ou celle qui a les capacités de vous contrer doit avoir une formation et des outils similaires aux vôtres. Le cercle de recherche est forcément restreint. Peut-être est-ce quelqu’un que vous avez déjà eu dans l’équipe, ou qui a effectué un stage, ou un expert civil sous contrat comme vous en employez parfois. Trouvez la connexion. Et ne nous décevez pas, vous savez ce qui est en jeu.
– Nous y travaillons, monsieur. Comme je le disais, ce genre d’oiseau est plutôt rare, donc très probablement déjà fiché.
L’homme au téléphone fit une courte pause, se racla la gorge puis reprit, comme gêné.
– Encore une question, si vous le permettez.
– Je vous écoute.
– J’ai la désagréable impression que par manque d’informations, le contrôle de la situation m’échappe. Je ne sais pas si j’arriverai à étouffer toutes les fuites. Je suis tout dévoué à la mission que vous m’avez confiée, mais je pense que je serais plus efficace si je savais quel secret je dois couvrir. Je découvre tout à mesure et souvent lorsqu’il est trop tard.
– Je comprends, mais je ne peux, hélas, rien vous révéler de plus. Nous vous donnons les informations qui vous sont utiles, rien d’autre. Très peu de personnes sont dans la confidence. Cela doit rester la règle. Contentez-vous de savoir que vous servez les plus hautes instances de l’État et que vous serez récompensé à la hauteur de vos prestations. C’est l’accord que nous avons passé.
Le ton était sans équivoque et son interlocuteur jugea plus prudent de faire marche arrière.
– Bien, monsieur.