Chapitre 50
Paris. Salle de crise, niveau – 5. Rue des Saussaies.
Vendredi, 23 h 30.
– Si j’en crois les rapports en provenance de Saint-Nazaire, vous avez réussi à exfiltrer votre homme. Comment va-t-il ? demanda l’ancien général pour entamer la discussion.
– Max a la peau dure. Il ne pense qu’à continuer la mission. Pas de problème de ce côté-là.
– Où êtes-vous ?
– Chez des amis de Max, dans la région. Ils pratiquent la même activité que lui et acceptent de travailler pour moi afin de conclure cette affaire. Ils sont très efficaces, d’après Max. J’ai pu les voir à l’œuvre à l’hôpital.
Les cinq hommes présents dans la salle se regardèrent et, pour la première fois depuis plusieurs jours, un sourire se dessina sur le visage du haut fonctionnaire responsable de l’opération.
– Très bien, dit-il, enfin une bonne nouvelle ! Avez-vous des nouvelles de Darlan et de la journaliste ?
– Non, monsieur. Si vous me posez la question, j’en déduis que la DCRI n’a pas réussi à les retrouver non plus.
– Nous faisons en sorte que la DCRI ne les retrouve pas. J’ai personnellement déchargé la direction de Lyon de l’affaire. Je trouve que ce commissaire Giraud pose trop de questions. Il veut se faire pardonner de s’être fait avoir par le fameux Darlan. Je ne souhaite pas qu’ils enquêtent sur nos affaires plus avant.
– Si je peux me permettre, monsieur, c’est quand même grâce à eux que nous avons retrouvé leur trace à deux reprises. Je n’ai aucun moyen pour effectuer ces recherches moi-même et avoir une chance de les retrouver.
– Nous avons déjà réfléchi sur ce point. Puisque nous ne pouvons pas anticiper leurs mouvements, nous allons leur fournir les informations qui leur manquent pour arriver à leurs fins.
Le téléphone au milieu de la grande table resta silencieux pendant quelques secondes, traduisant la réflexion de Brune qui s’efforçait de comprendre la stratégie de ses commanditaires :
– Pardonnez-moi, monsieur, mais je ne vois pas bien en quoi cela va nous aider. Que suis-je censé faire maintenant ?
– Nous allons leur tendre une embuscade. Vous n’aurez plus à leur courir après. Nous reprenons l’avantage. Je vous dirais exactement où et quand les neutraliser. Préparez une équipe, renforcez celle que vous avez déjà. Je veux une action commando irréprochable.
Il se retourna vers l’ancien militaire :
– Charles, voyez les détails techniques et logistiques et organisez-moi ça pour qu’enfin nous puissions dormir tranquilles.
– Entendu, monsieur.
Brune intervint à nouveau :
– Puisque nous parlons logistique, les besoins vont maintenant être très différents. Vous comprenez bien que les hommes que je vais recruter ne sont pas bon marché, y compris les amis de Max qui nous ont aidés à l’hôpital. Il va me falloir des moyens considérables.
– Ne vous inquiétez pas pour ce point. Nous allons vous donner les moyens de remplir votre mission. Mais, de votre côté, ne nous décevez pas une fois de plus, je me suis bien fait comprendre ?
Brune éloigna le téléphone de son oreille et le regarda un instant, cherchant les mots justes. Il ne pouvait accepter ces menaces à peine voilées sans se défendre :
– Nous sommes mutuellement liés, monsieur, je réussirai cette mission si vous m’en donnez les moyens. Si vous souhaitez atteindre vos objectifs et que l’affaire ne s’ébruite pas, votre meilleure solution est encore de m’aider. Nous réussirons ou nous échouerons ensemble.
Le haut fonctionnaire se tourna vers les quatre autres hommes présents dans la salle et s’arrêta sur l’ancien général qui souriait. Il coupa le micro d’un geste rapide :
– Puis-je savoir ce qui vous fait sourire, Charles ?
– Je me dis qu’il a bien été formé. Vous pouvez être certain qu’il a pris ses dispositions au cas où ça tournerait mal. Je le connais, il ne bluffe pas. Nous devons effectivement l’aider à remplir sa mission ou nous sautons tous.
– Alors, faites ce qu’il faut ! Et qu’après demain tout soit définitivement terminé.
L’ancien général reprit la communication :
– Brune, rappelez-nous dès que vous aurez mis une équipe sur pied. J’insiste sur le fait que tous vos hommes seront liés par le secret le plus absolu.
– Entendu, mon général. Pas d’inquiétude sur le silence de mes hommes. Ce sont tous des professionnels. Dès lors qu’on ne cherche pas à les doubler, ils sont fidèles et efficaces.
– Vous savez que vous pouvez me faire confiance, alors pourquoi ai-je l’impression d’une menace à peine dissimulée ?
– Nous savons tous les deux de quoi je parle, mon général. Dès que la politique s’en mêle, les actions militaires sont en péril. Je ne tiens pas à être le bouc émissaire de cette affaire si ça tourne mal.
– Je vous donne ma parole que nos intentions sont claires : finissez la mission. Faites en sorte que personne ne puisse trouver le moindre élément permettant de remonter la chaîne, et vous serez grassement rétribués. Vous rejoindrez la zone d’action demain en fin d’après-midi. Je vous rappelle à quatorze heures précises pour vous donner les détails. D’ici là, recrutez le reste de l’équipe et trouvez les moyens techniques nécessaires.
– Ne vous inquiétez pas pour ce dernier point, nous avons largement ce qu’il faut.
– Dans ce cas, à demain.
Dès que la communication fut coupée, le haut fonctionnaire s’adressa à ses hommes :
– Je sais que vous ne partagez pas tous mon opinion, mais je reste convaincu que nous ne pouvons pas les laisser dans la nature après l’opération. Qui nous dit qu’ils ne vont pas nous faire chanter ? Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser peser une menace pareille.
– Vous faites erreur, monsieur. Tous ces hommes sont d’anciens militaires ou mercenaires. Ils savent très bien ce qui leur arriverait si l’un d’entre eux s’avisait de raconter quoi que ce soit.
– Je sais que vous, vous leur faites confiance, Charles, moi pas.
– Que prévoyez-vous ?
– Je vais faire en sorte que la DCRI intervienne dès que vos hommes auront effectué le travail. Mais pas la direction de Lyon qui doit rester à l’écart de l’affaire. Nous avons besoin de succès en matière d’antiterrorisme. Cette opération en sera un bel exemple.
– Je vois que vous avez pensé à tout, termina le général, hésitant à préciser sa pensée.
Il préféra se taire. Il supportait mal d’être associé à cette décision. Devoir sacrifier les hommes à qui il venait de parler, à qui il venait de donner sa parole, ne lui convenait pas. Durant sa carrière, il avait eu plusieurs fois des choix difficiles à faire et qui avaient parfois impliqué la mort de ses hommes. Mais jamais il n’avait sciemment décidé de sacrifier des soldats, juste pour les empêcher de parler. Il ne pouvait pas lutter contre les autres membres du groupe, trop de choses étaient en jeu. Il se prit pourtant à souhaiter que les choses continuent à ne pas se passer comme ils l’avaient prévu, qu’il n’ait pas à trahir sa parole, qu’il n’ait pas à vivre avec ça.