Chapitre 25
Batz-sur-Mer. Jeudi, 19 h 10.
Lorsqu’ils revinrent à la maison sur la falaise, chargés de trois grands sacs, le soleil commençait à décliner dans le ciel, sans pour autant perdre encore de sa lumière. Marie les accueillit dans le grand salon avec enthousiasme en leur montrant les tenues « spécial cambrioleur » qu’elle venait d’acheter à Saint-Nazaire. Tee-shirt noir et pantalon de toile assortis pour les hommes, et une combinaison justaucorps une pièce pour Alexandra. La panoplie comportait également, pour tous, une cagoule et des gants. Fred réagit le premier :
– Non chérie, c’est pas possible, on avait dit seulement une cagoule et des gants, pas tout cet attirail ! s’emporta-t-il.
– Ne me gâche pas mon plaisir, répondit-elle avec autorité en replaçant une mèche brune dans sa coiffure abondante. Tu ne veux pas que je participe ce soir. Alors, au moins laisse-moi m’occuper des costumes. Ce n’est pas négociable. Vous n’allez pas à une partie de pêche et c’est sérieux. Tout doit être pensé, vous risquez gros si vous vous faites arrêter.
– Mais enfin, Marie, on ne va pas mettre ça…
– Ce n’est pas négociable, termina-t-elle avec un sourire entendu.
– Bon, si tu insistes, capitula-t-il en s’excusant d’un regard auprès de ses amis.
– J’insiste ! termina-t-elle.
Alexandra manipula la combinaison qui lui était destinée. Elle trouvait un peu caricatural de s’habiller tout en noir pour une opération comme celle qu’ils envisageaient, pas franchement convaincue que le fait de se déguiser pour faire comme dans les films soit vraiment utile. D’autre part, elle se serait bien contentée des mêmes équipements que les hommes :
– Vous êtes sûre que je dois enfiler ce truc ? demanda-t-elle.
– Bien sûr que tu dois, répondit Marie avec beaucoup de sérieux. Elle avait adopté spontanément le tutoiement avec elle. Tu verras, tu te sentiras à merveille là-dedans, et je suis certaine que ça va t’aller comme un gant. C’est à la fois souple et résistant. D’ailleurs, je veux tous vous voir dans dix minutes ici, équipés complètement pour que je puisse vérifier que tout va bien.
Fred regarda Darlan et Alex en souriant et en secouant la tête :
– Soyez assurés que ça ne m’amuse pas non plus, mais je connais Marie, si elle a décidé que nous devions mettre ça, je ne vois pas bien comment nous pourrions faire autrement. Ses ancêtres bretons lui ont transmis le gène de la ténacité.
– Ça fait plaisir à entendre, mon chéri !
Darlan connaissait assez ses amis pour savoir que sous cette attitude désinvolte, ils avaient travaillé d’arrache-pied sur la préparation de leur « mission » et que l’humour débridé dont ils faisaient preuve masquait en fait leur angoisse d’oublier un point essentiel.
Dix minutes plus tard, Marie s’était installée sur le canapé du grand salon avec une vue directe sur le hall d’entrée et l’escalier monumental qui conduisait aux étages. La pièce, haute de plafond, était richement décorée d’un mélange harmonieux de meubles anciens et de décorations modernes. Les murs blancs étaient ornés de tableaux colorés ou d’objets d’origines diverses ramenés au gré des voyages. Le tout, sans être trop chargé, donnait à la pièce un cachet et une chaleur qui mettait immédiatement à l’aise les hôtes qui y pénétraient.
Les jumeaux, assis de part et d’autre de leur mère, attendaient patiemment le défilé qui s’annonçait. Elora avait même pris soin de prendre un cahier dans lequel elle avait tracé trois colonnes dans l’intention de noter Fred, Philippe et Alex. Sur les conseils de sa mère, elle avait prévu trois critères : élégance, défilé et… sérieux…
Les deux premiers à paraître furent Darlan et Fred qui descendirent l’escalier d’un pas rapide, pressés d’en finir avec l’examen.
Marie détailla les deux hommes avec attention, sans qu’il leur fût possible de déterminer si elle s’attachait à l’aspect technique ou si elle s’amusait de leur faire jouer le rôle de mannequin pour son propre plaisir et celui de ses enfants. Habillés en noir à l’identique : tee-shirt à manches longues, pantalons de treillis noir, cagoule et gants assortis, les deux hommes n’étaient reconnaissables qu’à leur silhouette : Darlan, plus grand et élancé, Fred plus râblé et les épaules plus carrées. Après quelques instants de silence, elle lâcha enfin un commentaire.
– Tu es à croquer, mon chéri, dit-elle avec un grand sourire à son mari. On dirait vraiment un braqueur de banque, comme dans les films. Moi qui aime les bad boys, je suis gâtée… Et toi Philippe, heureusement que je suis mariée à ton complice, sinon je ne répondrais de rien.
– C’était ça ton idée ? Organiser ce petit défilé pour nous chambrer ? demanda Fred, en se retenant pour ne pas pouffer de rire devant la mine réjouie de sa femme, heureuse de faire marcher les deux hommes.
– Note bien, intervint Darlan entrant dans le jeu de ses amis, qu’en ce qui me concerne et vu ma couleur de peau, je pense que je peux me passer de la cagoule, non ? D’autant que je ne supporte pas trop ces machins. De plus, on crève de chaud là-dessous !
– Pas du tout, ça te va très bien, vous en pensez quoi, les enfants ?
– Maman, on peut avoir un costume comme ça aussi ? demanda Amaury, le jeune garçon, ce serait super pour jouer avec mes amis...
– Je te promets que je vous en ferai un très bientôt, mais pour l’instant, c’est une affaire de grands. Et toi Elora, tu leur mets combien ?
– J’ai mis dix-huit à papa et vingt à Philippe.
– Pourquoi j’ai seulement dix-huit ? s’étonna Fred.
– Il m’a promis de nous emmener à Disneyland Paris.
– Je proteste ! Le jury a été acheté.
– Bon, peut-être que je vais augmenter ta note si on peut aller avec vous ce soir. On sait que vous allez faire des trucs super cools.
– Pas cette fois, répondit Marie. Là, c’est vraiment un truc de grands, mais si tu es sage, tu pourras emmener Alexandra et Philippe jusqu’au bateau demain.
– En passant par notre passage secret ?
– Oui, mais si tu en parles, ce ne sera plus un secret. D’accord ?
– C’est moi qui vais leur montrer, décida son frère.
– Non ! Maman, c’est déjà lui qui l’a fait la dernière fois.
– C’est pas vrai, j’ai juste ouvert la porte dans la cave !
– Papa, tu m’avais promis que ce serait moi qui pourrai leur montrer…
– Stop ! intervint Fred en forçant la voix, habitué aux querelles sans fin entre ses deux enfants. Amaury, tu montreras à Philippe et Elora tu emmèneras Alexandra, chacun votre tour, ça vous va comme ça ?
Les deux enfants se regardèrent, tentant de déterminer si l’un ou l’autre en retirait un quelconque avantage. Finalement, ils acquiescèrent d’un hochement de tête.
– Qu’y a-t-il de si passionnant à visiter ? demanda Alexandra qui était restée jusque-là derrière les hommes et partiellement cachée par la porte.
– C’est un secret, répondit Fred tout en enlevant sa cagoule, si je te le dis, va falloir que je supporte les reproches de ces deux-là pendant une semaine au moins.
Darlan s’était retourné au son de la voix derrière lui. Il resta un instant à regarder Alexandra puis laissa échapper un sifflement admiratif dont il regretta aussitôt la grossièreté. La jeune femme portait le vêtement noir à même la peau. Celui-ci soulignait avec élégance ses formes à la fois déliées et musclées. Ainsi vêtue et avec la cagoule dissimulant son visage et ses cheveux, elle semblait plus grande et élancée qu’à l’habitude. Une silhouette féline, pensa le policier, incroyablement attirante. Il dut reconnaître qu’elle ne le laissait pas indifférent. Il sentit en lui un frisson agréable qui ne s’était pas manifesté depuis longtemps. Il la trouvait toujours aussi agaçante et insupportable, c’était un fait, mais il venait de découvrir que sous le caractère capricieux et imprévisible de la journaliste se cachait une très jolie femme. Il avait fallu qu’elle disparaisse entièrement sous un vêtement pour qu’enfin il la remarque.
Marie, toujours attentive, ne manqua pas de remarquer le regard appuyé que Darlan posait sur sa compagne de cavale. Consciente de l’embarras qu’Alexandra éprouvait à réaliser l’exercice de l’examen des tenues et du regard sans équivoque du policier, Marie s’en tint à des propos purement pratiques et professionnels :
– Ma chère Alex, je pense qu’avec ça, tu seras complètement invisible dans le noir et que tu ne ressentiras aucune gêne pour franchir le mur avec la corde. Tu me fais penser à Catherine Zeta-Jones dans le film Haute Voltige. Tu te sens bien dedans ?
– Si j’omets le fait d’avoir l’impression de me balader nue, je dirais que cette combinaison est très agréable à porter, c’est comme une seconde peau. J’espère juste qu’elle ne va pas se déchirer au moindre geste. Quant à me comparer à Catherine Zeta-Jones, c’est gentil, mais j’aimerais bien avoir ses formes.
Darlan s’apprêta à dire quelque chose puis se ravisa.
– Rassure-toi, c’est très résistant, continua Marie. Et pour passer le mur, tu n’auras pas grand-chose à faire, les deux costauds là te tireront.
– À moins que ce ne soit moi qui les aide à monter, répondit Alex qui souriait sous sa cagoule.