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  1. Olivaux Christian
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Chapitre 40

Lyon. DCRI. Vendredi, 13 h 40.

 

Le commissaire Giraud, le casque-micro sur la tête, communiquait directement avec l’équipe d’intervention dépêchée par la sous-direction de Nantes. Il avait dû intervenir directement auprès du siège à Levallois-Perret pour obtenir la direction des opérations. À sa grande surprise, c’est un ponte du ministère qui l’avait personnellement appelé pour lui annoncer que sa requête avait été acceptée et qu’il prenait la direction des opérations. Son correspondant avait même insisté pour que son adjoint Patrick Brune coordonne les recherches sur place. Giraud s’était exécuté. Il ne lui serait pas venu à l’esprit de discuter les ordres du ministère, même s’il n’était pas convaincu que Brune soit le meilleur choix. Il se demandait en revanche comment le nom de Brune était connu des plus hautes instances gouvernementales. Il était certes adjoint à la sous-direction de Lyon et ses états de service étaient exemplaires, mais rien ne justifiait que le ministère demande sa présence sur le terrain.

Le commandant était parti presque aussitôt pour la Bretagne, mais, aux dernières nouvelles, il n’était pas encore arrivé et l’assaut ne pouvait plus attendre. La rapidité avec laquelle l’équipe de Nantes s’était rassemblée et mise en place sur le site avait surpris tout le monde. Giraud restait persuadé que la sous-direction de Nantes avait ainsi voulu montrer son efficacité.

Le dialogue avec le lieutenant qui dirigeait le commando se déroulait comme il l’avait souhaité. Pas de mots inutiles, pas de discussion des ordres. Giraud n’était pas mécontent finalement que Brune soit absent. Toujours ce problème de confiance. Au moins, avec l’équipe de Nantes, il ne craignait pas les coups en douce ni les rapports édulcorés.

L’écran principal présentait la localisation du commando qui se tenait prêt à investir la propriété des Berthoin quand l’ordre serait donné. Arrivée sur place en un temps record, l’équipe, forte de huit hommes spécialisés dans les interventions à haut risque, était suivie en temps réel au PC opération grâce aux localisateurs GPS que chacun portait. Par ailleurs, chaque casque comportait une minicaméra intégrée dont les images étaient retransmises via le drone avion qui survolait la zone, télépiloté depuis un camion garé sur la colline de Guérande.

À six cents kilomètres de là, dans la salle de contrôle de Lyon, huit écrans distincts affichaient chacun les données transmises par les hommes du commando. Un neuvième, un peu à part, présentait les images retransmises par la caméra du petit avion. L’ensemble ressemblait à s’y méprendre à une régie de télévision.

 

C’est ainsi que, avant même l’arrivée de l’équipe d’intervention de Nantes, les hommes de Giraud avaient pu repérer un homme et une femme qui pénétraient dans la propriété en passant par un petit portail situé côté falaise. Après analyse des images, et bien que certains des policiers présents lui aient fait part de leurs doutes, il était persuadé d’avoir reconnu Darlan et la journaliste. La qualité des images était médiocre. Le drone subissait les assauts du vent et peinait à aligner un point plus de quelques secondes. Les gyroscopes intégrés à la caméra haute définition atteignaient leurs limites lorsque l’avion tressautait dans l’air comme une feuille morte à chaque rafale.

 

Les points représentant les membres du commando sur la carte satellite se déplaçaient le long de la propriété. Ils se postèrent à plusieurs endroits stratégiques d’où ils pouvaient stopper la fuite éventuelle des occupants de la maison. Ils étaient tous équipés d’une tenue de combat bleu nuit, d’un gilet pare-balles et d’un casque leur permettant également de communiquer. Deux d’entre eux suivirent la piste de Darlan et Alex en contournant la propriété et se positionnèrent devant le mur d’enceinte, s’apprêtant à le franchir dès que l’ordre d’assaut serait donné. Chacun des hommes connaissait avec exactitude la position des caméras de surveillance et se positionnait en conséquence pour ne pas être repéré. Le centre opérationnel avait en effet accès aux données confidentielles de tous les endroits protégés et surveillés. Ainsi, à travers cette base de données gigantesque, le service pouvait connaître le niveau de protection et l’emplacement des caméras, y compris chez les particuliers. Malheureusement pour Giraud, le système de caméras de la propriété des Berthoin fonctionnait en circuit fermé et n’était donc pas accessible de l’extérieur. Il connaissait les emplacements, mais ne pouvait pas en visualiser les images. Pour la première fois depuis qu’il était à la tête de la sous-direction de Lyon, il doutait de la décision à prendre. Il devait donner des consignes d’ouverture du feu, pour chaque événement : de la légitime défense à l’assaut. Le fait que Darlan se soit associé à un mouvement terroriste ne collait pas. Même si Brune lui soutenait que c’était quand même possible, étant donné le passé du policier. La fiche qu’il avait sous les yeux précisait qu’un couple avec deux enfants vivait là. Il ne pouvait se permettre la moindre bavure.

La voix du chef du groupe d’intervention résonna dans la pièce :

– En place et prêt à intervenir... C’est quand vous voulez.

– Bien, attendez mon ordre, répliqua-t-il d’un ton sec.

Agacé de se faire presser par ses équipes, le commissaire Giraud hésitait. Dans un coin de son esprit, il devinait qu’une donnée essentielle lui manquait.

Pendant la nuit précédente, il s’était réveillé vers quatre heures, comme à chaque fois qu’il ne parvenait pas à évacuer le stress de son travail ou qu’il s’était endormi avec une question restée sans réponse. Il s’était levé pour aller marcher dans le parc de la Tête d’Or près duquel il habitait. Le parc était fermé au public la nuit, mais il possédait la clef du portail d’une des sept entrées. Un ami, responsable de la roseraie, la lui avait confiée. Il était ainsi un des rares privilégiés à pouvoir se promener la nuit parmi les quelque soixante mille rosiers répartis en plus de trois cents variétés.

 

***

 

C’est là, marchant tranquillement dans la nuit pas assez fraîche à son goût, dans les allées bordées d’arbres chargés de feuilles naissantes, qu’il s’était repassé les événements qui avaient abouti à l’actuelle situation. La fusillade de l’usine ArG avait été attribuée sans aucun doute au groupe terroriste responsable de l’attentat du TGV. Giraud avait été personnellement remercié par le ministre de l’Intérieur pour avoir « montré l’efficacité de l’État dans le traitement de l’affaire ». Flatté sur le moment, il n’avait cherché qu’à aller plus loin et à réussir à démanteler le réseau coûte que coûte, espérant ainsi répondre au souhait du chef de l’État. Celui-ci avait déclaré, au soir de l’attentat du TGV qui avait fait plus de cinq cents victimes : « Nous mettrons tout en œuvre pour retrouver et sanctionner les auteurs de ce crime infâme et lâche. » Le commissaire s’était vu très rapidement attribuer, ainsi qu’à ses homologues des autres sous-directions, des pouvoirs augmentés, des moyens illimités pour retrouver les auteurs de ces crimes. L’autorisation de constituer des fichiers sans contrôle, le droit d’écouter et de surveiller l’ensemble des communications avaient été accordés par décret, avec la bénédiction de la plupart des Français et même de bon nombre de membres de l’opposition. Le traumatisme de l’attentat avait eu raison du besoin de liberté et de respect de la vie privée dans la population. Le commissaire y avait vu un moyen rapide de progresser, débarrassé des contraintes légales. À l’époque, il s’était convaincu que s’il parvenait à identifier et à arrêter les auteurs de l’attentat, il pourrait être promu sous-préfet, voire préfet. Deux ans déjà, et toujours pas de résultats décisifs.

Ce soir, remontant une allée, seul au milieu de cette étendue de verdure, il commençait à douter. Quel pouvait être réellement le rapport entre les attentats, la fusillade chez ArG, Fallière, assassiné en pleine rue, le fait que son appartement ait été incendié, la journaliste, puis Darlan, qui, il le savait maintenant, avait installé chez lui une réplique des moyens disponibles au centre ? Son adjoint Patrick Brune lui avait pourtant toujours présenté des arguments convaincants, et qui allaient toujours dans son sens : un règlement rapide de l’affaire.

Il devait reconnaître qu’au-delà des récents événements, les multiples enquêtes sur l’attentat du TGV n’avaient produit que peu de résultats. Juste après les événements, les indices retrouvés sur place et un communiqué envoyé à l’Agence France-Presse et à la chaîne Al Jazeera, les avaient très rapidement dirigés vers la mouvance islamiste d’Al-Qaida au Maghreb islamique. Toutes les enquêtes, les filatures, les écoutes, les interrogatoires avaient permis d’identifier quelques membres du commando. Certains d’entre eux avaient mis fin à leurs jours lors de leur interpellation. L’enquête sur l’attentat de la tour Eiffel n’avait rien donné non plus. Plusieurs pistes intéressantes remontaient jusqu’aux commanditaires, mais tous les efforts pour les identifier et les localiser demeuraient vains. Depuis, il y avait bien eu plusieurs descentes médiatisées dans les cités lyonnaises, qui n’avaient donné lieu qu’à quelques gardes à vue pour trafic de stupéfiants ou détention d’armes illégale, mais rien de conséquent. Le seul effet réel des actions engagées avait été la diminution spectaculaire de la délinquance, notamment dans les quartiers.

Largement commentés par une presse acquise à la cause du gouvernement, les résultats présentés dépassaient largement la réalité des choses. On expliquait au peuple que la débauche de moyens et la mise en place de la centralisation des fichiers avaient contribué à éviter d’autres attentats. Les dernières semaines avant la fusillade de l’usine ArG, Giraud avait commencé à exprimer des doutes sur l’utilité de conserver le dispositif complet, sur le bien-fondé de la surveillance constante d’une partie de plus en plus grande de la population, en contradiction complète avec les règles de la démocratie et de la sauvegarde des libertés individuelles. Cet attentat avait relancé l’affaire et il s’était montré intraitable avec ses hommes. Il avait voulu réussir, vite. La nouvelle piste devait absolument porter ses fruits. Il avait décidé d’employer tous les moyens à sa disposition, sans aucune censure. Malheureusement, la dénonciation anonyme qui avait conduit à cette opération n’avait débouché sur rien de concret. Cela lui avait offert une nouvelle légitimité pour justifier le budget conséquent alloué à cette affaire. Budget qui venait d’être renouvelé pour un an par la commission… À lui de réussir effectivement à remonter la filière cette fois.

À l’évocation de ces souvenirs, il craignait aujourd’hui de s’être laissé emporter vers des conclusions sans réel fondement. Il avait étudié avec attention, le matin même, les dossiers de Darlan, de Fallière et de la journaliste ; étudié comme il aurait dû le faire depuis le début, au lieu de se contenter des rapports de synthèse que lui préparait consciencieusement son adjoint Patrick Brune. Il se souvint de l’avoir pourtant félicité plus d’une fois pour la clarté de ses rapports, lui demandant juste de présenter son opinion et pas seulement les faits, ce à quoi Brune répondait qu’il se devait d’être factuel et précis et en aucune manière faire cas de son interprétation personnelle. Giraud prenait maintenant conscience que cette erreur de jugement lui avait fait perdre beaucoup de temps. Cette impression de s’être fait manipuler par le commandant le perturbait. Les dossiers dont il venait de prendre connaissance, constitués par les hommes et femmes qu’il commandait, présentaient une vérité toute différente des rapports de Brune.

Fallière apparaissait comme un inventeur génial, trop passionné par ses travaux en électronique pour avoir pu conserver son mariage, un idéaliste aussi. La journaliste Alexandra Decaze, au vu de la teneur de ses articles et de son parcours, ne pouvait en aucun cas être liée à une mouvance islamiste. Concernant Darlan, le suspect idéal, d’origine africaine, ancien repris de justice, qui espionnait le service depuis son domicile, la manipulation était encore plus évidente. Le rapport indiquait qu’il était surtout impliqué dans des histoires de hacking ayant pour objectif de réparer des injustices. Il était plus proche d’un Robin des Bois des temps modernes que d’un terroriste. Même si son enfance agitée avait pu le mettre en relation avec des individus peu recommandables, il était clair que depuis son intégration dans le service, et grâce à ses talents particuliers, il avait fourni une multitude d’informations précises en un temps record.

À aucun moment, les enquêteurs n’avaient pu trouver le moindre lien entre ces trois personnes et un groupe terroriste islamiste.

Une question se posait alors : pourquoi Brune tenait-il tant à les désigner comme complices du réseau responsable des attentats ? Était-ce la volonté de fournir des résultats et répondre ainsi aux demandes pressantes de leur hiérarchie, ou était-ce autre chose ? Était-ce un moyen de le discréditer lui, pour prendre sa place ? Brune n’avait jamais caché ses ambitions, mais de là à orienter une enquête pour arriver à ses fins…

Ses pas l’entraînèrent vers le lac. Le calme de la nuit était perturbé par les bruits insolites en provenance du parc zoologique tout proche. Ces cris d’oiseaux, de fauves, de singes contribuaient au dépaysement qu’il recherchait, le projetant instantanément vers des contrées lointaines.

 

***

 

Il regardait l’écran principal au mur. Les points correspondant aux membres du commando étaient toujours immobiles. Prêts à intervenir dès qu’il en donnerait l’ordre. Au moment de prendre sa décision, au moment de lancer l’assaut, il espérait ne pas se tromper.

La voix du chef de l’équipe d’intervention le tira de ses réflexions :

– Commissaire, nous venons d’entendre un coup de feu, permission de lancer l’assaut ?

Il n’était plus temps de tergiverser :

– Allez-y, avec précaution, je veux quelque chose d’impeccable. Tir de légitime défense si nécessaire. Je vous rappelle qu’il y a sans doute des civils et des enfants à l’intérieur. Rappelez-moi quand vos hommes sont en position pour entrer dans la maison.

– Bien reçu.

En quelques secondes, les points marquant la position des membres de l’équipe d’intervention se dispersèrent et pénétrèrent dans la propriété.

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