Chapitre 27
Guérande. Vendredi, 2 h.
Darlan avait garé sa BMW dans un chemin agricole, sous des arbres, à deux cents mètres à peine de la clôture encerclant l’usine Eltrosys.
L’entreprise était située légèrement en dehors de la ville et isolée de la zone d’activité qui bordait la route de La Baule. De dimensions modestes, à peine 3000 m², l’unique bâtiment de plain-pied était entouré d’une haute clôture anti-intrusion dont le sommet, courbé vers l’extérieur et muni de sectionneurs, en rendait impossible le franchissement. Selon Fred et Marie, la faiblesse du système de sécurité résidait dans les cinquante mètres de mur d’enceinte qui bordait le côté ouest du périmètre. Cet imposant mur de six mètres de haut en pierres de granit était un des rares vestiges du corps de ferme qui avait jadis occupé les lieux. Recouvert par endroits de petites fougères poussant dans les interstices entre les pierres, il contrastait aujourd’hui avec le modernisme de l’usine, construite quinze ans auparavant. Darlan s’était demandé si ce rempart avait été conservé par choix ou par obligation. Les clôtures s’arrêtaient aux limites du mur, et rien d’autre que la hauteur de l’obstacle ne semblait en interdire le franchissement. Les deux caméras de surveillance, placées à l’intérieur du périmètre filmaient respectivement le portail et la porte d’entrée du bâtiment principal de l’usine. D’après les angles de vue, Fred avait conclu qu’aucune des deux caméras ne pouvait avoir le mur dans son champ.
Dans la voiture, Fred, Darlan et Alexandra attendaient depuis cinq minutes, en finissant de revêtir la cagoule et les gants qu’ils avaient essayés quelques heures plus tôt.
Conformément aux prévisions de Fred, la lune, haute dans le ciel, était dans sa phase montante et quasiment pleine. L’astre éclairait la campagne avec suffisamment d’intensité pour que les apprentis cambrioleurs puissent envisager de se passer complètement d’éclairage additionnel. Pas un nuage ne troublait la pureté du ciel et les étoiles leur apparaissaient de plus en plus nombreuses à mesure que leurs yeux commençaient à s’accoutumer à l’obscurité. Ils distinguaient déjà les détails environnants. Les ombres des arbres se détachaient sur le fond de ciel étoilé. Le bitume de la route reflétait la lumière sélène et semblait briller dans la nuit d’une lueur blanchâtre. Aucune feuille ne bougeait, comme figée par un instantané. La chaleur commençait à s’immiscer dans la voiture aux fenêtres ouvertes. La fraîcheur de la climatisation n’était plus qu’un souvenir. Attentifs aux bruits extérieurs, redoutant d’entendre un bruit de moteur s’approcher, ils purent apprécier le concert nocturne que leur offrait la campagne bretonne environnante. Un chien aboya au loin sans qu’il leur soit possible de définir à quelle distance ni dans quelle direction il se trouvait.
– Encore cinq minutes et on y va, chuchota Darlan, surpris d’avoir à forcer la voix au-delà du murmure pour couvrir les bruits de la nuit.
– Pourquoi on attend ? demanda Alexandra.
Darlan répondit d’une voix neutre, luttant pour ne pas demander à Alex d’arrêter de poser des questions et de se concentrer uniquement sur la mission.
– Juste pour s’assurer que personne n’a remarqué la voiture, et parce que j’ai envie de profiter un peu de ce moment paisible.
La journaliste ne répondit pas à la boutade. Darlan, sans vraiment le chercher, s’était naturellement imposé comme leader. Fred et Marie avaient pensé toute l’opération, préparé les plans, listé le matériel, trouvé les endroits où se le procurer, mais il leur semblait également naturel de lui faire confiance.
Il s’en défendait, mais il aimait commander, décider, autant d’ailleurs qu’il détestait recevoir des ordres. Il n’avait pas oublié que ce trait de caractère lui avait valu pas mal de déboires dans sa jeunesse. Certainement une des raisons qui l’avait amené à travailler en solitaire.
Alexandra, pourtant forte de son caractère également assez indépendant, accepta son leadership sans trop discuter : sans lui, elle serait morte dans l’incendie de l’appartement de Fallière ; sans lui, elle n’aurait jamais eu l’idée de venir en Bretagne pour continuer l’enquête en pénétrant chez Eltrosys.
En revanche, la journaliste évitait soigneusement de lui faire croire qu’elle suivrait ses ordres sans discuter. Elle était persuadée que si elle adoptait une autre attitude, il continuerait à se comporter comme un gamin avec elle. Elle détestait son manque de tact, et plus encore sa brusquerie. Au risque de l’agacer, elle demandait donc des justifications à chacune des décisions du policier.
Pourtant, en fin d’après-midi, il était parvenu à se racheter en lui permettant de contacter sa chef et amie Françoise.
***
Après une demi-heure de travail ininterrompu sur l’ordinateur de Fred auquel il avait couplé certains de ses propres équipements, il avait finalement déclaré en lui tendant le casque micro :
– Ma chère Alexandra, vous pouvez appeler qui vous voulez, où vous voulez. Je souhaite bien du plaisir à ceux qui nous recherchent. J’en connais qui vont s’arracher les cheveux, finit-il avec un petit sourire.
– Comment avez-vous fait ? avait-elle demandé, remarquant qu’il semblait très désireux de lui donner les détails techniques de son « exploit ».
Darlan lui expliqua comment, à partir de l’équipement d’origine de Fred, déjà extrêmement bien protégé, il avait pu établir une chaîne de communication par un logiciel de téléphonie sur Internet. Outre le fait que naturellement, ce logiciel offrait un niveau de cryptage qui mettait à mal la plupart des systèmes d’espionnage, Darlan était parvenu à masquer la ligne par une succession d’adresses Internet réelles. Par jeu, il avait choisi l’adresse privée de Marc Pietri comme origine virtuelle de la communication. Il riait de la bonne plaisanterie qu’il faisait à son collègue, en espérant bien que celui-ci parviendrait à contourner toutes les protections jusqu’à cette soi-disant source.
Alexandra avait donc pu contacter son amie Françoise.
– Alex ? Où es-tu ? commença la rédactrice en chef, d’une voix où transparaissait une émotion mal contenue.
– Je ne peux pas te dire où je suis. Je voulais prendre de tes nouvelles. Tu as été libérée ?
– Oui… À cause de toi j’ai passé la nuit en garde à vue, sans pouvoir prévenir mon mari et mes enfants ! Sans pouvoir même contacter un avocat. J’ai été interrogée sans arrêt par quatre flics de la DCRI. J’ai passé un moment génial, termina-t-elle avec une vraie ironie teintée d’amertume.
– Comment ça, à cause de moi ?
– Tu t’es bien foutue de moi, Alex. Au début je ne voulais pas le croire, je t’ai défendue. Ils m’ont présenté les preuves, indiscutables. Un historique des déplacements, grâce à la position de ton téléphone. À plusieurs reprises, tu te trouvais comme par hasard au même endroit et au même moment que des membres présumés de l’attentat du TGV. Certains ont été pris, mais toi tu es toujours parvenue à passer entre les gouttes.
– Mais de quoi tu parles, Françoise ? Comment peux-tu imaginer un instant que j’aie quoi que ce soit à voir avec des terroristes ? C’est n’importe quoi !
– Tu me connais, je ne juge jamais sans preuve. Ils ont aussi des photos où on te voit avec Ben Al Kari, un de ceux qui ont été tués pendant la descente de police à Vénissieux, il y a six mois. Je ne crois pas qu’à ce niveau d’implication, ça puisse être encore du journalisme. Les flics sont convaincus que tu les aides, que tu les renseignes.
– Françoise ! C’est moi, Alex : tu me connais depuis longtemps. Comment peux-tu croire des conneries pareilles ?
– Tu fais comme tu veux. Moi je te conseille de te rendre à la police immédiatement. Pour le reste, je pense que tu comprends que nous devons mettre fin à notre collaboration. Le journal ne peut pas se permettre de continuer à employer quelqu’un qui est clairement lié au terrorisme. Je n’ai rien de plus à te dire, Alex.
– Tu me vires ?
Alex n’obtint pas de réponse. Elle regarda l’écran de l’ordinateur pendant encore trente secondes après que l’icône de communication se soit éteinte. Françoise avait raccroché. Elle reçut la nouvelle de son éviction comme une gifle. Comment sa meilleure amie pouvait-elle être convaincue des propos qu’elle venait de lui tenir ?
Darlan avait suivi la conversation, au moins les mots qu’Alexandra avait prononcés, suffisamment pour comprendre l’essentiel et la détresse de la jeune femme. Il posa la main sur son épaule et la regarda dans les yeux. Elle se déroba, évitant son regard.
– Ne soyez pas surprise. C’est une technique bien connue. Votre amie Françoise a eu devant les yeux des preuves bidon, mais difficilement détectables. Le but était de lui faire croire que vous êtes complice d’un mouvement terroriste. Derrière ça, il y a deux objectifs : déstabiliser le suspect interrogé et isoler celui qu’on recherche encore.
Alexandra regarda le policier sans comprendre :
– Vous voulez dire que la police française est capable d’inventer des preuves quand c’est nécessaire ?
– Pas la police, les services de renseignements et de contre-terrorisme. Vous vous en souvenez sans doute, après l’attentat du TGV, le gouvernement a pris des mesures exceptionnelles, qui ont été votées par le Parlement. Des mesures, proches dans leur application, du Patriot Act américain. Elle donne des pouvoirs quasiment illimités au service, sans qu’il ait à se justifier dans le détail, ni à s’encombrer d’avocats pendant les gardes à vue. Des suspects peuvent ainsi être gardés au secret sans procès pendant une durée illimitée ; nous pouvons espionner, écouter, suivre, interroger absolument tout le monde, sans avoir véritablement à rendre des comptes. Les seuls arbitres sont les commissaires et, au-dessus, le ministère de l’Intérieur.
– Vous voulez dire que vos copains viennent de ruiner ma carrière, simplement parce qu’ils nous prennent pour des terroristes ?
– Je ne peux malheureusement rien y faire. Je sais que ça ne va pas vous aider à accepter, mais, moi aussi, je viens de faire une croix sur ma carrière. Notre seule option maintenant, c’est de réussir ce que nous avons entrepris et prouver que nous sommes innocents.
***
Alexandra sortit de ses pensées alors que Darlan décidait que l’heure était venue de passer à l’action :
– Je pense qu’on peut y aller maintenant, lança-t-il après avoir une dernière fois vérifié qu’aucun véhicule ne s’approchait de la zone, heureusement peu fréquentée, où se trouvait le mur qu’ils avaient décidé de franchir.
Ils s’éloignèrent de la voiture en direction de la clôture d’enceinte en prenant soin de marcher dans l’ombre des arbres pour rester invisibles d’un observateur éventuel. Darlan prit la tête de l’équipe. Les trois silhouettes cagoulées se déplaçaient comme des ombres mouvantes. Le mur fut rapidement atteint. Sous l’éclairage lunaire, il leur parut plus haut que ce qu’ils avaient évalué l’après-midi. Par endroits, des lierres avaient envahi la pierre. À d’autres, des petites fougères poussaient sur des lits de mousse. Toutefois, la plus grande partie du mur restait vierge de toute végétation.
Conformément au plan qu’ils avaient soigneusement préparé, Fred avait la charge du matériel de franchissement et de son utilisation. Il sortit de son sac le grappin et la corde. Avec des gestes précis qui firent penser à Alex qu’il s’était beaucoup entraîné, Fred enroula la corde dans sa main gauche en vérifiant qu’aucune boucle ne risque de s’accrocher lorsqu’il effectuerait son lancer. La journaliste se recula de deux pas pour évaluer le geste que Fred aurait à faire pour passer le grappin par-dessus le mur. Au moment où son regard portait sur le haut de l’enceinte, elle perçut un bref reflet brillant. Elle fut assaillie par un pressentiment.
Fred tenait la corde de la main gauche et commença à imprimer des mouvements de balancier de la main droite.
Alex bougea la tête pour se replacer exactement au même endroit et selon le même angle, pour revoir ce qui avait attiré son regard. Dans son mouvement, elle discerna cette fois un fil tendu sur le sommet du mur, visible à deux endroits entre les petites fougères qui habillaient le haut du mur, sans doute trop fin pour qu’ils aient pu le distinguer de jour. Au moment où Fred allait lâcher la corde en haut de la trajectoire qu’il venait d’imprimer au grappin, Alexandra se précipita et, avec son bras, arrêta le mouvement au milieu de sa course.
– Non, attends, cria-t-elle.
Le grappin alla cogner dans le mur à mi-hauteur dans un fracas métallique.
– Qu’est-ce qui te prend ? lança Darlan d’un ton sec, stressé par le bruit qui avait mis tous ses sens en alerte. Il avait usé du tutoiement envers la jeune femme sans même s’en rendre compte.
– Moins fort, souffla-t-elle en se tournant vers lui. Il me prend qu’il y a un fil, là-haut. Certainement une alarme, sinon je ne sais pas ce qu’il ferait là.
Fred s’approcha d’elle et se tordit le cou pour trouver le bon angle. Il finit par apercevoir lui aussi le mince trait reflétant la lumière au milieu des fougères
– Je le vois aussi. Merci Alex, dit Fred. Sans ton coup d’œil, on commençait par activer une alarme avant même d’être entré.
Darlan s’excusa :
– Excusez-moi, Alexandra, je me suis demandé un instant ce qui vous passait par la tête.
– Merci Philippe, mais je crois que tu peux continuer à me tutoyer maintenant que tu as commencé.
– O.K., répondit-il distraitement. C’est bien, mais maintenant il va falloir trouver un autre moyen de pénétrer à l’intérieur, on va devoir essayer de couper le grillage en dérivant les fils.
– Ça ne marchera pas. C’était ma première idée, mais il y a plusieurs fils, dont certains sont spécifiquement prévus pour déclencher l’alarme si on les court-circuite. Marie a pu se procurer les plans du système de surveillance de l’usine, mais pas ceux des clôtures. Je ne parierai pas là-dessus.
– Je vais grimper, déclara Alex très simplement.
Depuis une minute, elle observait l’arrangement des pierres, visualisant celles qui feraient un bon appui pour ses pieds, et d’autres dont les interstices paraissaient suffisamment profonds pour offrir une prise à ses doigts fins, évitant toutes les zones recouvertes par la végétation qui cachait les détails du mur.
– Tu es sûre que tu veux grimper ça ? s’interrogea Fred, sceptique. Il n’y a pas de prises.
– Demande à Darlan, il va te dire que la grimpe à main nue est un des mes sports de prédilection. Étant donné que Marie a eu la bonne idée de m’acheter la tenue idéale pour la grimpe, je ne vais pas me priver. Et puis, ça fait longtemps que je n’ai pas eu un pauvre mur de six mètres à me mettre sous la dent.
– Tu peux m’appeler Philippe, coupa le policier, vexé que la jeune femme l’appelle par son nom de famille, comme le faisait la plupart de ses collègues.
– Bon, maintenant que les présentations sont faites, on fait quoi ? intervint Fred.
– Donne-moi l’extrémité de la corde.
Alexandra la noua autour de sa taille et sans plus de préalable, s’approcha du mur. Elle y apposa les mains, cherchant à déterminer la rugosité de la pierre, à vérifier si elle était friable. Après quelques secondes, elle enleva ses gants et sa cagoule, qui l’empêchait de respirer à sa guise. Elle revint vers Fred pour les lui donner.
– Je les remettrai dès que tu m’auras rejointe de l’autre côté.
Les deux hommes regardèrent, ébahis, la jeune femme commencer à escalader le mur avec souplesse. Collée à la paroi, elle choisissait ses prises avec soin. Elle atteignit le sommet trop tôt à son goût. Grimper de nuit dans ces conditions avait réveillé en elle ce goût pour les sensations fortes qui l’enivrait et lui procurait un profond bien-être. Le tissu fin et souple du justaucorps lui offrait une totale liberté de mouvement. Elle se promit de remercier Marie et de renouveler l’expérience sur une paroi digne de ce nom. Elle effectua un rétablissement tout en force et en souplesse pour se retrouver accroupie sur le haut du mur, dont la largeur atteignait les quatre-vingts centimètres.
Elle distinguait le fil qui courait sur le faîte sur toute la longueur, tendu tous les deux mètres sur des piquets métalliques scellés dans la pierre. Alex évalua la hauteur du fil au-dessus du mur à trois centimètres, ce qui devait lui suffire pour glisser la corde en dessous.
– Ça va ? hasarda Darlan, très impressionné par la performance de la jeune femme.
– Très bien. Ça fait un moment que je ne me suis pas amusée comme ça. Je vais remonter le grappin et le fixer de l’autre côté pour vous permettre de grimper avec la corde.
Elle s’attela à la tâche sans attendre la réponse. Elle sélectionna avec soin la pierre dans laquelle elle fixa le grappin, tira sur la corde pour s’assurer de la prise puis lança l’autre extrémité aux deux hommes après l’avoir passée sous le fil d’alarme. D’en haut, elle ne distinguait que deux formes noires. Fred monta le premier, les pieds contre le mur en s’aidant de la corde. Alex fut surprise de constater qu’il s’en sortait très bien malgré sa corpulence. Arrivé en haut du mur à peine essoufflé, Fred s’écarta un peu pour permettre à Darlan de les rejoindre. Celui-ci, chargé du sac à dos généreusement rempli du matériel préparé, parvint également à grimper sans difficulté.
Du haut de leur perchoir, ils purent vérifier que la disposition du bâtiment principal correspondait aux informations qu’ils avaient recueillies. Les trois comparses enjambèrent le fil avec précaution et regardèrent attentivement le bas du mur, côté usine, cherchant à détecter la présence d’un éventuel autre système d’alarme.
– Bon, je crois que nous pouvons descendre de l’autre côté, proposa le policier. Je ne vois pas d’autre fil.
Descendre à l’intérieur de l’enceinte de l’usine ne leur prit que quelques minutes. Ils devaient maintenant localiser puis couper le fil de la caméra de surveillance de l’entrée. Après avoir étudié la configuration du système de sécurité de l’entreprise, Marie avait acquis la certitude que les caméras ne faisaient pas l’objet d’une surveillance en temps réel. Les images ne devaient être consultées à distance par une société de surveillance qu’en cas de déclenchement de l’alarme.
Ils parcoururent les trente mètres de terrain gazonné qui les séparaient du bâtiment lui-même, s’efforçant de rester à l’ombre des quelques arbres disponibles pour progresser. Darlan eut la sensation, pendant un instant, de se retrouver dans un des stages qu’il avait suivis pendant son entraînement à l’école de police, le stress du « réel » en plus.
Arrivé par le côté du bâtiment, Fred put se faufiler jusqu’au mur situé derrière la caméra. Il parvint très rapidement à couper les fils avec une pince qu’il sortit d’une trousse fixée à sa ceinture. Il s’attacha ensuite à déconnecter le senseur du projecteur situé juste devant l’entrée principale d’Eltrosys, ce qui s’avéra encore plus facile. Au total, le trio ne resta dans la lumière qu’une vingtaine de secondes.
– C’est bon, déclara-t-il, en se retournant vers Darlan et en découvrant que celui-ci avait enlevé sa cagoule.
Ce dernier se justifia d’un haussement d’épaules, convaincu qu’avec la déconnexion des caméras et du projecteur de l’entrée, il ne pouvait pas être reconnu. Pour le reste, il considérait que sa couleur de peau constituait un camouflage suffisant.
Il ne pouvait deviner que quinze mètres plus loin, fixée à un réverbère, une caméra qu’ils n’avaient pas détectée filmait la scène et chacun de leurs mouvements. Il ne savait pas davantage que ces images étaient analysées et que son visage venait d’être reconnu par un logiciel sophistiqué.
Ils se retrouvèrent tous les trois devant le volet métallique fermé. Fred, bon dernier, enleva à son tour sa cagoule.
Sur le côté, un boîtier permettait de remonter le volet à l’aide d’une clé, l’alarme devant, quant à elle, être neutralisée par une carte à présenter devant la borne. Heureusement, Marie leur avait fourni une carte test, sorte de passe-partout électronique, qu’elle avait rapportée de son entreprise. Cette carte spéciale avait la particularité d’être reliée à un boîtier qui savait régénérer tous les codes utilisés pas les différents clients. L’existence de ces boîtiers et de ces cartes, destinées exclusivement aux techniciens de maintenance pour les dépannages, n’était pas connue du public et ce point n’était jamais évoqué lorsque des clients abordaient le chapitre de l’inviolabilité des mesures de protection. Marie devait absolument remettre l’équipement à sa place dès le lendemain matin pour éviter qu’un des techniciens ne s’aperçoive de sa disparition.
Suivant les recommandations de Fred, Darlan positionna la carte à un centimètre du récepteur et la maintint ainsi, sans bouger. Pendant ce temps, son ami manipulait un micro PC. Il lança une commande dont la fonctionnalité consistait à tester une par une toutes les séquences de code à un rythme très soutenu. En moins d’une minute, un voyant passa au vert sur l’écran de l’ordinateur et un petit clic se fit entendre de l’autre côté du volet métallique.
Malgré leur sans-faute jusque-là, aucun des trois équipiers ne dit un mot. Ils avaient tous en tête l’objectif de la mission. Alexandra brisa pourtant le silence d’une petite voix étouffée qu’elle aurait voulu désinvolte :
– C’est une impression, ou c’est trop facile ? Je m’étais imaginé plein de difficultés et finalement on a mis moins de dix minutes pour arriver jusque-là.
– Facile, tu plaisantes ? répondit Fred. Ce sera facile si on repart d’ici un petit quart d’heure avec les informations que nous sommes venus chercher, sans avoir déclenché la moindre foutue alarme. Pour l’instant, il nous reste à ouvrir ce volet et à localiser le serveur caché du reste du réseau.
Au moment où il finissait sa phrase, le volet métallique commença à s’ouvrir dans un bruit de claquements et de grincements qui semblait pouvoir s’entendre à des kilomètres à la ronde. Darlan souriait. Il n’avait pas perdu la main.
– Comment as-tu fait ? demanda la journaliste, le voyant manipuler deux petites tiges métalliques dont les extrémités étaient enfoncées dans la serrure du boîtier de commande du volet.
– Je te l’ai déjà dit, je n’ai pas commencé comme flic. J’ai même fait de la taule... Un de mes compagnons de galère était un expert dans l’art de crocheter les serrures et de contourner les alarmes. Après nos libérations respectives, nous sommes restés en contact. Il m’a appris son art, et moi le mien. J’ai pourtant la conviction qu’il est bien meilleur en hacking aujourd’hui que je ne le serai jamais en crochetage. Mais bon, un truc aussi simple que ce volet, c’est dans mes cordes.
– Apparemment, tu n’as pas perdu la main, c’est déjà ça, termina Fred, la main sur la poignée.
– On y va ?