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  1. Olivaux Christian
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Chapitre 52

Montmeyran. Samedi, 8 h 30.

 

Philippe Darlan s’éveilla doucement. Émergeant d’un rêve dont les brumes s’effaçaient déjà, il ne lui restait qu’une impression générale de bien-être et d’enthousiasme. Il tarda à ouvrir les yeux. Un rayon de soleil lui caressait le visage et diffusait une douce chaleur. Il laissa refluer les souvenirs de la veille. Peu à peu, les images lui revinrent : leur « casse » à la mairie du village s’était déroulé avec une facilité déconcertante. Anne les avait conduits directement jusqu’à l’arrière de la grande bâtisse. Elle s’était garée très naturellement sur un petit parking attenant, malgré les avertissements d’Alexandra qui craignait que quelqu’un du village puisse la reconnaître, ou reconnaître sa voiture. Les événements lui avaient donné tort. Ils n’avaient croisé personne pendant toute l’opération. Anne avait ouvert, avec sa clé, une porte annexe, à l’arrière, comme si elle se rendait à son travail. Trouver le trousseau qui ouvrait le local où étaient remisés notamment tous les accessoires légaux utilisés à chaque élection n’avait été qu’une formalité. Ils découvrirent dans ce local deux machines à voter, flambant neuves, n’ayant servi qu’une fois à l’occasion du premier tour de l’élection présidentielle.

En prendre une, tout refermer et revenir à la maison familiale d’Alexandra n’avait pas pris plus de cinq minutes. Darlan avait posé l’encombrante machine de vingt kilogrammes sur la table de la salle à manger. Refermé, l’objet ressemblait à une valise de bonne taille. Le policier avait immédiatement entrepris d’actionner les fermetures qui maintenaient le couvercle. Anne l’avait arrêté dans son élan, insistant pour fêter leur succès en débouchant une bouteille de champagne. Il avait dû se laisser aller aux réjouissances et à l’enthousiasme communicatif de la mère d’Alexandra. Il se rappelait être monté se coucher vers trois heures, la tête embrumée par l’alcool, un peu frustré de ne pas avoir déjà commencé son travail sur la machine.

 

Un souvenir précis le fit sortir brusquement de l’état de somnolence dans lequel il baignait encore. Il ouvrit les yeux. Ébloui par un rayon de soleil qui perçait entre les lourds rideaux mal joints, il ne distinguait rien d’autre que cette clarté trop forte pour être soutenue du regard. Il se redressa sur un coude pour sortir de l’axe de cette lumière vive qui marquait son entrée dans la chambre en illuminant une multitude de particules en suspension dans l’air. Quelques secondes lui furent nécessaires pour que sa vision s’adapte à la relative pénombre du reste de la pièce.

Ainsi qu’il en avait gardé le souvenir, il découvrit Alexandra, encore profondément endormie de l’autre côté du lit. La veille, au moment de monter se coucher, Anne avait réalisé qu’elle n’avait préparé qu’une seule chambre, convaincue que sa fille venait lui présenter son fiancé. Alexandra avait coupé court à toute tentative de sa mère pour éviter que Darlan et elle aient à coucher dans le même lit. Ils pouvaient parfaitement dormir ensemble, en amis avait-elle dit. C’est ainsi qu’ils s’étaient endormis côte à côte, après qu’Alexandra lui eut souhaité bonne nuit et déposé un rapide baiser sur la joue.

Darlan observa la jeune femme qui lui faisait face. Le soleil diffusait sa lumière dans la chevelure brune étalée sur l’oreiller. Le tee-shirt décolleté qu’elle avait enfilé sur ses sous-vêtements ne cachait pas grand-chose de ses formes. Sa poitrine se soulevait lentement au rythme de sa respiration calme. Elle dormait avec une jambe au-dessus du drap et l’autre en dessous, ce qui fit sourire le policier. Il avait toujours cru que son ancienne copine, Flora, était la seule à se livrer à cette gymnastique particulière pour dormir. Son regard s’attarda un instant sur les courbes gracieuses de la jambe visible de la jeune femme avant qu’il s’aperçoive qu’elle venait d’ouvrir les yeux :

– Est-ce à ton goût ? commença-t-elle tout en fronçant les sourcils, comme on gronde un enfant, juste avant de remonter le drap sur elle.

– Bonjour, répondit-il, mal à l’aise. Tu as bien dormi ?

– Comme un bébé, même si je n’aurais pas été contre une petite heure de plus. Tu es réveillé depuis longtemps ?

– Quelques minutes. Moi aussi j’aurais bien dormi davantage, mais j’ai passé une partie de la nuit à démonter cette foutue machine à voter dans ma tête et j’ai hâte de me mettre au boulot pour trouver ce que nous cherchons. Désolé de t’avoir réveillée, se crut-il obligé d’ajouter.

– J’ai senti ton regard sur moi.

– Encore désolé, mais je ne vais pas me mettre un bandeau sur les yeux.

– Ne le sois pas, c’est moi qui ai insisté pour que ma mère ne prépare pas l’autre chambre à trois heures du matin, c’était mieux comme ça, non ?

– J’aurais pu profiter de la situation, osa-t-il en souriant, tu vis dangereusement.

– Mais tu ne l’as pas fait, merci ! répondit-elle d’un ton plus sec en affichant un sourire forcé, et je te suis reconnaissante de ne pas avoir essayé.

Sans répondre, Darlan haussa les épaules et sortit du lit, seulement vêtu d’un caleçon. Il prit ses habits sur la chaise et se dirigea de la chambre vers la salle de bains. Alexandra le regarda s’éloigner, s’attardant à son tour sur ses épaules et son dos musclés. Elle se retourna, portant son regard vers la fenêtre cachée par les rideaux. Pour la première fois depuis qu’elle avait quitté cette maison, tant d’années plus tôt, elle se sentait libérée d’un poids. Elle prenait seulement conscience d’avoir porté ce fardeau pendant une éternité. Elle se demandait maintenant pourquoi elle avait attendu si longtemps pour crever l’abcès. Alexandra ressentait un bouillonnement intérieur dont elle ne savait pas déterminer la nature. Contrairement à ce qu’elle venait d’affirmer au policier, elle était également réveillée depuis un bon moment, repassant dans sa tête toutes les idées qui avaient guidé sa conduite envers sa mère jusqu’à la veille. Tout était possible maintenant.

Elle avait senti Darlan bouger à côté d’elle, le fil de ses pensées s’était rompu, la ramenant dans un quotidien où ils devaient encore faire tant de choses alors qu’elle n’aspirait qu’à goûter à son bonheur tout neuf.

Elle était consciente de s’être montrée froide et certainement trop distante envers lui. Il lui avait donné la force d’enfin lâcher prise, d’accorder son pardon. Il méritait pour cela une attitude différente, au moins des remerciements. Elle ne lui avait rien dit, craignant qu’il ne se méprenne sur ses intentions ou ses sentiments. Elle venait de faire sauter un verrou émotionnel et n’avait pas envie de remplir cet espace trop vite, elle voulait se donner le temps de vivre. Darlan ne pouvait pas comprendre à quel tourbillon de pensées elle faisait face. Il devait se concentrer sur leur mission et rien d’autre pour l’instant.

Lorsqu’elle descendit, une demi-heure plus tard, le policier était affairé devant la machine ouverte. Seulement muni d’un tournevis, il était parvenu à ouvrir la plaque supérieure et à découvrir l’électronique qu’elle cachait.

– Tu as trouvé quelque chose ?

– Non, pas encore, je viens juste d’ouvrir. Je reconnais la carte mère ici, le composant de Fallière là. Ce que nous cherchons est certainement localisé dans une des autres parties de la machine.

En même temps qu’il parlait, il suivait les fils jusqu’aux différents accessoires et cartes électroniques périphériques. Il repéra ceux qui menaient aux touches de sélection qui permettaient aux électeurs de faire le choix d’un candidat. Alexandra le regardait, concentré sur sa tâche comme s’il devait désamorcer une bombe. La porte d’entrée claqua et, quelques secondes plus tard, Anne apparut au seuil de la salle à manger :

– Déjà debout, les jeunes ? Je vous ai rapporté du pain frais et des croissants.

– Rien du côté de la mairie ?

– Pas pour l’instant, je ne pense pas que la disparition de la machine soit découverte avant cet après-midi. L’équipe qui organise le scrutin n’a aucune raison de se précipiter ce matin. Les machines ont été vérifiées la semaine dernière par des gens de l’APAVE. Ils les ont déclarées conformes, les ont scellées et depuis, elles n’ont pas bougé. Chez nous, personne ne fait la différence entre ces engins et une urne.

Elle s’approcha de la machine, curieuse et pensive :

– C’est donc ce machin qui peut remettre en cause la démocratie dans notre pays ? J’ai toujours pensé que les coups d’État étaient organisés par des militaires qui prenaient le pouvoir ou le conservaient en utilisant la force. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, si une simple machine peut décider du sort d’un pays…

– Ce n’est pas perdu, maman, nous avons jusqu’à dimanche matin pour comprendre et trouver un moyen de changer les choses. Et si quelqu’un peut trouver une solution, c’est bien Philippe.

Darlan avait suivi la conversation. Il releva la tête en entendant son nom :

– J’espère que tu ne me prêtes pas trop de talents, Alexandra. Nous n’y arriverons pas tout seuls. Heureusement, nous avons beaucoup d’amis qui rêveraient d’être à ma place et qui vont se faire un plaisir de nous aider. J’ai déjà un texto de Fred qui nous demande les premières images.

Sans commenter ses propos, la journaliste se fit néanmoins la remarque que les amis dont parlait Darlan étaient surtout les siens, des vrais amis sur lesquels il pouvait compter. Elle fit le parallèle avec ses propres connaissances. Sa page Facebook ne comptait pas moins de soixante-dix amis. Elle en fréquentait régulièrement une petite dizaine. Elle n’en voyait aucun à qui elle aurait pu demander de l’aide, aucun qui lui serait assez fidèle pour prendre des risques pour elle. Paradoxalement, le seul homme qui ait jamais risqué sa vie pour elle était là, devant elle, la tête penchée dans les entrailles de la machine, et il ne se connaissait que depuis trois jours.

Darlan se redressa, et s’adressant à Anne :

– J’aurais besoin de prendre des photos pour les envoyer par Internet à nos amis en Bretagne. Ils sont autrement plus doués que moi en électronique. Vous auriez ça ?

– J’ai un petit appareil numérique et mon ordinateur est dans le bureau, là à côté. Prenez et utilisez ce dont vous avez besoin.

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