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Le lundi, comme elle l'a prévu, Valérie fonce droit sur l'obstacle.
À mi-voix, à peine plus fort qu'à confesse - étagère oblige -, elle asticote son client à propos des anomalies constatées sur ses retraits aux montants inaccoutumés, représentant des pourcentages précis, au centime près, des virements de la Sobotrapp.
D'abord, Laurent dément. Puis, devant l'évidence des chiffres qu'elle tire de Patouche et qu'elle lui donne à lire sur l'écran, il s'indigne. Tout a été fait selon les règles; comme ces mouvements de fonds étaient supérieurs à 10 000 francs ou à leur équivalent euro, il a toujours prévenu la caisse de la banque avant son passage.
Alors, Valérie s'énerve.
- Ce n'est pas ce que je veux entendre, monsieur Dubreuil. Je ne peux vous aider que si vous m'aidez à y voir clair. La Sobotrapp vous a-t-elle, oui ou non, fait signer des marchés contre rétrocession de commissions occultes?
Laurent remonte sa mèche. Elle ne sait pas qui est derrière la Sobotrapp, je ne suis pas obligé de parler de Moran.
Valérie attend, tortillant une ondulation de cheveux d'un ongle aujourd'hui nacré.
Elle soutient le regard qui se désole... Le grand garçon blême semble rétrécir sur son siège.
- Oui... J'avais besoin de contrats pour lancer mon affaire... Ils ont dit qu'ils m'aideraient à trouver des chantiers, que je les facturerais comme je voudrais et que... il suffirait que je leur ristourne 15 %.
- Mais c'est énorme !
- Ce n'était pas grave, puisque, en principe, j'aurais pu pratiquer le prix que je voulais. Eux, ils me garantissaient soixante à soixante-dix appartements par an, et toutes les parties communes qui allaient avec.
- En principe?
- Oui... Pourquoi j'ai dit en principe? Ça a été comme ça sur les trois premières commandes qui sont arrivées tout de suite... J'ai embauché du personnel, ça tournait fort.
- Et puis?
- Et puis... Il va falloir que je parle de Moran... C'est impossible. Im-pos-sible ! Je vous en ai assez dit... Ce que vous avez remarqué est vrai; point barre... Voilà.
- Ça ne me suffit pas. Je ne peux vous aider que si vous et moi parvenons à la même conclusion. Et, pour qu'il en soit ainsi, il faut me montrer toutes les cartes.
- Montrez les vôtres !
Il se dandine, mal à l'aise, visiblement époustouflé par son propre aplomb.
Au café, il a fait la tête chaque fois que je lui ai parlé de Moran... Il sait forcément que la Sobotrapp est gérée par Cécily Moran... Faut que je donne un gage... Allez ! je me mouille.
- L'autre jour, au café, nous avons parlé de l'important marché que vous aviez signé, lors de votre création d'entreprise, pour les Balcons de l'Estuaire de Jean-Denis Moran...
- Oui.
- Notre banque assurait le leadership du crédit promoteur... J'ai jeté un coup d'oeil sur le dossier... Une belle affaire. C'était un beau coup pour un début.
- Un beau piège à con! J'ai dû faire des jaloux. S'ils avaient su!
- Or, dans les virements que vous avez reçus, aucun ne provient ni de Moran SA, ni d'un compte affecté à ce programme... À la banque, nous avons deux types de documents concernant cette réalisation. Le premier, au stade de l'étude du concours financier, porte le nom des entreprises « pressenties », et le second, reçu lors de la livraison, mentionne celui des entreprises qui ont exécuté les travaux. Environ deux tiers des entreprises prévues n'ont pas été retenues. En ce qui vous concerne, les travaux de peinture et revêtement devaient être confiés à Servacolor... Vous savez pour quelle raison ça n'a pas été le cas?
- Aucune idée. Je ne sais même pas qui c'est.
- Une SARL dont le gérant est injoignable... Vous, pour ce marché-là, vous avez signé avec Sobotrapp?
- Oui.
- De qui Sobotrapp tenait le marché? De Moran ou de Servacolor?
- J'en sais rien puisque, je vous dis, c'est la première fois que j'entends parler de Servacolor.
— Est-ce qu'il me ment? Chez Sobotrapp, avec qui avez-vous signé votre contrat de sous-traitance?
- « Mes » contrats.
- Il y en avait un par bâtiment?
- Par étage.
- Par étage de bâtiment? !
- Oui... Les paiements se faisaient grâce à des situations hebdomadaires de travaux... Tous les huit, dix jours, ils venaient; ils constataient l'avancement; ils viraient les fonds... J'avais à m'occuper de rien, c'est eux qui établissaient la facture; comme si c'était moi qui l'avait rédigée... Le système était simple. Ils étaient exigeants sur la qualité du travail et se réservaient le droit d'y mettre fin, s'ils jugeaient que l'étage achevé n'avait pas été correctement réalisé.
- De ce fait, vous pouviez être congédié, du jour au lendemain.
- Oui... Moi et toute l'équipe.
- Et la qualité du travail, qui la jugeait?
- Le patron.
- M. Moran?
J'en ai trop dit... Je suis sûr qu'elle ne pose que des questions dont elle connaît la réponse.
— Il est à deux doigts de craquer... Laissez-vous aller à dire la vérité, monsieur Dubreuil... Je suis convaincue que cela vous soulagera. J'ai l'impression de parler comme un flic lors d'une garde à vue.
Il la dévisage avec ses gros yeux marron. Dis-toi qu'elle est ton alliée... Au point où j'en suis, je n'ai plus grand-chose à perdre...
- C'est Jean-Denis Moran qui jugeait si vous poursuiviez ou non?
Est-ce qu'elle a couché avec lui ?... Après tout, je me trompe peut-être... D'ici qu'elle ne défende que les intérêts de Moran !
- ... C'est Moran qui décidait?
— Comme un despote, il avait le droit de vie ou de mort sur vous et votre équipe?
- Elle dirait pas ça, si elle était son alliée... Oui.
Cela a été un souffle à peine audible.
- Sincèrement, monsieur Dubreuil... Il ne se déterminait pas qu'en fonction de la qualité du travail... Il tenait compte aussi - et pourquoi pas, surtout - du versement du bakchich qu'il réclamait... Si vous aviez payé la rançon hebdomadaire, vous pouviez continuer... Dans le cas contraire, la Sobotrapp aurait cherché un autre sous-traitant... Je me trompe?
- Elle a tout compris... Elle n'a pas couché avec lui... Elle le déteste autant que moi... J'en ai marre, faut que ça sorte! Vous ne vous trompez pas.
- Vous veniez retirer les espèces chaque semaine... Vous les lui remettiez directement?
- Non... À sa femme.
- La patronne de la Sobotrapp?
- Oui.
- Elle était au courant du chantage de son mari?
- Ah ! totalement ! Ça l'amusait beaucoup ! Si vous voulez mon avis, cette fille, elle a une case de vide ! Elle est très jolie, mais ils ont paumé des pièces au montage !
- J'ai calculé que, sur le seul chantier des Balcons, vous lui avez versé près de 80 000 euros.
- Ça doit être ça.
- Plus de cinq fois les fameux 14 000 qui vous manquent.
- Je sais.
- Deux choses que j'aimerais éclaircir...
Il ricane en remontant sa mèche.
- Vous avez déjà beaucoup éclairci.
Elle sourit.
- Merci... Nous allons en tirer parti... Pourquoi avoir fait des retraits au centime près? Par exemple, le 7 avril 2000 : 18 674 francs et 69 centimes.
- Par dérision. Pour les narguer. Pour leur cracher à la figure. Ils voulaient 15 % des factures, ils les avaient. C'était pas 14,9 ou 15,1 ; c'était 15, pile poil.
Elle rit. Il rit aussi. Elle est belle.
- J'étais fier de leur montrer mon mépris. Mon luxe à moi.
- Je comprends.
- La deuxième chose, c'est quoi?
- Ah! oui... Il vole au-devant des aveux ! Il en redemande ! Vous avez pris un risque fiscal. Votre comptabilité ne tient pour recette que le résultat net de la facture diminuée du racket que vous subissiez...
Il s'insurge.
- J'allais pas, en plus, payer des impôts sur des fonds que ces salauds ne m'ont confiés que pour quelques heures!
- Pourquoi ne pas avoir dit stop tout de suite?
- Comme je vous ai expliqué... Pour les trois premières commandes, j'ai facturé à ma guise... Le préjudice était nul... Après, une fois que j'ai mordu à l'hameçon, ils ont fait jouer la concurrence, tiré les prix... Et ils tiraient fort!
- Qui ça « ils »?
- Hé ben euh... Qui vous savez... Et sa nana.
- Il n'ose pas prononcer son nom ! Vous croyez que Mme Moran était décisionnaire dans le chantage?
- Non, c'est une potiche... Et puis, elle est trop bête.
Réflexe féministe de Valérie.
- Vous-même n'avez pas été d'une grande clairvoyance.
- Je sais... J'avais besoin de chantiers pour faire tourner la boutique, payer les salaires... J'ai un peu confondu chiffre d'affaires et bénéfices. Il m'y encourageait! J'ai marché pour garder un job à mes ouvriers, et couvrir mes dettes. C'était la spirale infernale... Je suis sûr qu'il continue avec d'autres. D'ailleurs, moi, il m'a dit que j'y retournais quand je voulais. Il est très content de mon boulot... Je m'en suis sorti ruiné... Il appelle ça sa « dîme »... Il dit qu'autrefois, la dîme, c'était 10 %, mais que, comme tout augmente... Ça le fait beaucoup rire... Il compare ça à la marge arrière que les hypermarchés piquent aux négociants qu'ils mettent en rayon. Il dit que les rétro-commissions sont monnaie courante dans les affaires, et que son système, c'est pas autre chose. Une fois, il m'a dit en rigolant qu'il était l'inventeur de la « MAM » : la Marge arrière Moran.
- Vous savez s'il pratique de même avec tous les corps d'état?
- Pour ce qui est du gros œuvre, c'est Moran BTP qui s'en charge. Mais je suis sûr que, là aussi, il a trouvé une magouille quelconque pour détourner du pognon... Quant au second œuvre, je suis prêt à parier qu'il rackette tous les intervenants.
- S'il escamote 15 %...
- Pas toujours ! Vous avez pu voir, à la fin, moi, j'avais réussi à faire ramener à 10 %. Mais il ne m'attribuait quasiment plus de chantiers.
- Supposons que la moyenne des ponctions soit à 12 % du prix de revient par immeuble, vous imaginez la note ! On comprend les malfaçons d'EldoGaronne.
Laurent se réjouit.
- Ah ! vous avez vu, à la télé, la mémé qui lui cherche des poux?
- Elle est aussi truande que lui! Je l'ai vue.
- Si elle pouvait le foutre à genoux, ah ! je suis prêt à donner un an de ma vie !
- On peut l'y aider. Pourquoi je dis ça ? !
Réajustant sa mèche, il la regarde, incrédule.
- Vous en avez les moyens?
- Nous tenons ici les comptes de plusieurs entrepreneurs travaillant pour le groupe Moran. Je vais les interroger. Vous pourriez défendre vos intérêts en commun.
— Elle est formidable, cette fille... Mais compter sur les autres euh... elle est naïve. Je le sens pas bien, ça.
- Mon petit ordinateur, là, s'appelle Patouche...
Amusé, il a un signe de tête pour la machine.
- Enchanté.
- Je lui ai fourré dans le crâne une foule d'informations... Vendredi matin, je suis allée au cadastre.
Elle a baissé encore plus la voix.
Il s'approche et tend l'oreille. Qu'est-ce qu'elle va me sortir?
- Dans nos dossiers de crédits aux promoteurs, j'avais relevé toutes les opérations que nous avons financées pour Moran. Je peux en parler ouvertement, le nom de la banque Geoffroy-Dornan figurait sur les plaquettes publicitaires et les grands panneaux d'affichage des chantiers... À toutes les demandes de concours financiers étaient joint un prévisionnel des ventes mentionnant le prix des appartements dont le cadastre m'a permis d'obtenir la désignation lot par lot... Vous me suivez?
Bouche bée, Laurent secoue son lourd visage stupéfait.
- ... Avec ces éléments, je suis allée consulter la conservation des hypothèques. Je suis tombée sur une fille super sympa à qui j'ai résumé le but de ma petite enquête... Décidément, je pense comme un flic! Sans entrer dans les détails, bien sûr. Et sans citer notre ami. Elle m'a servi de guide et m'a dégoté le prix de vente déclaré de chacun des lots.
Il est fasciné. Elle est folle de jouer à ce jeu-là !
Valérie, rayonnante, pianote Alt, F, 3, Control P, Entrée.
- Ce week-end, j'ai travaillé pour vous.
- Je suis désolé... Pourquoi vous faites ça?
Elle lui sourit.
- Mon père me dit que je suis restée gamine... Il ne m'a pas vue grandir... J'ai horreur de l'injustice... Et mon sixième sens m'a prévenue que mes patrons étaient en train d'en commettre une. Je ne peux pas être leur complice. Pourquoi j'emploie ce mot? Ce serait tourner le dos à mes valeurs... Vous ne croyez pas?
Il est pantois.
- Vous êtes quelqu'un d'extraordinaire, mademoiselle.
Elle rit. Son regard croise celui de Marc Léglise, inquisitorial ; toute manifestation de joie à l'étage éveille sa défiance.
- J'ai établi un état rapprochant les prix de vente initialement prévus et les prix déclarés à l'enregistrement par les notaires rédacteurs des actes... Vous allez voir, le constat est édifiant.
L'imprimante ronronne sur le bahut-classeur adossé au mur qui longe le couloir fictif permettant de passer d'une alvéole de l'étagère à l'autre.
Elle est incroyable! J'aurais jamais cru qu'un banquier volerait un jour au secours d'un prolo couvert de dettes... C'est vrai qu'elle, c'est une banquière, hé!
Sophie Cazenave porte les yeux vers la machine - davantage « chez elle » que « chez Valérie ». Les feuillets s'empilent à seize par minute.
Peut-être qu'elle en veut personnellement à Moran... D'ici qu'elle ait été sa maîtresse et qu'il lui ait fait une des saloperies dont il a le secret.
Valérie quitte son siège. La sonnerie du téléphone l'immobilise. Elle prend la communication en lorgnant l'imprimante... Pour déchanter instantanément.
- Oh, je t'ai dit mille fois de ne pas m'appeler ici! Il est chiant !
- Ch'supporte p'us d'êt' sans nouvel' de toi, Valy.
- Je suis en rendez-vous.
— Tu v...
Elle a coupé, alarmée de voir Sophie, qui, voulant lui rendre service, se lève pour récupérer les feuilles envahissant le plateau d'éjection. Faut pas qu'elle voie ce que je tire! Elle y court... et, avec un ricanement niais façon cartoon, elle rafle la mise, sous le nez de son amie éberluée.
Le téléphone sonne à nouveau.
Valérie revient avec son butin, prestement remis en ordre... Elle décroche, raccroche et redécroche, en adressant un sourire malicieux à Dubreuil. Il est si étonné par tant de soudaine agitation qu'elle se croit obligée de la légitimer en se rasseyant.
- Un ex super-glu.
Il sourit, hochant sa bonne bouille d'un air entendu.
Il a réellement la bobine d'Alexandre le Bienheureux! Elle dépose sa liasse d'une vingtaine de feuilles devant son visiteur qui se penche pour la déchiffrer.
- Je suis parvenue à reconstituer les quinze dernières années; je n'ai pas de documents antérieurs... Là, c'est les noms des programmes... Là, les noms des acquéreurs avec leur numéro de lot... Ici, la colonne des prix de ventes... Ici, celle des prix prévus au départ... Là, les différences que j'ai constatées... Il y en a grosso modo dans un cas sur quatre. Elles varient, de la plus faible à la plus forte, entre 8 et 39 % du prix de base... Il est à noter que, depuis 1999, avec l'essor de la rive droite, il force la dose.
- C'est pas croyable... Comment il fait?
- Dans les cas qui nous occupent, il déclare avoir vendu « prêt à décorer » ou en « loft à achever soi-même ».
- Et ça, là en bas... c'est le total de la différence?
- Le sous-total... pour la page.
- Pour la page?! Et le total des sous-total... euh, des... sous-totaux?
Elle extrait la dernière page.
- Ici.
Laurent Dubreuil est sidéré.
- Près de 7 millions d'euros !
Amusée, Valérie atténue, avec une petite mimique plaidant pour l'indulgence.
- Sur quinze ans.
- Je m'en fous! C'est énorme! Ça fait quoi, ça, en francs?
- Je préfère le dire en vieux centimes, c'est encore plus scandaleux... En ne chipotant pas sur les chiffres après la virgule... quatre milliards cinq cents millions.
Ils se regardent : elle, à la fois radieuse et révoltée; lui, atterré.
Elle tourne le couteau dans la plaie.
- Et je vais vous faire rire... Ses bilans - je ne trahis pas le secret professionnel, ils sont consultables sur www.societe.com - n'affichent que des pertes d'exploitation... Moran SA ne paie pas d'impôts sur ses profits ; elle n'en fait pas.
Le portable de Valérie sonne. Elle consulte l'écran... Il ne me lâchera jamais, cet ahuri ! Elle coupe la sonnerie.
- Je souligne que je n'ai pu faire mon topo que sur quinze ans, mais il exerce depuis plus du double.
- Il détourne tout ce pognon et c'est un cador de la bourgeoisie bordelaise, alors qu'il devrait croupir en taule... Et moi, on me pousse au suicide, pour une chiure de mouche comparée à ça ! En plus, là, vous ne comptez que les différences sur ventes. Il faut y ajouter tous les crétins dans mon genre qui doivent cracher au bassinet... Vous me les donnez, ces feuilles?
Valérie réajuste la liasse, la tasse. et la glisse dans un tiroir.
- Comprenez-moi, monsieur Dubreuil. Je ne peux pas. Si je fais ça, je suis virée... Allez demander à Moran de vous rembourser ce qu'il vous a volé...
- Vous rigolez! Sans vos chiffres, je n'ai aucun moyen de pression, il va me prendre pour un crétin des Alpes.
- Vous savez maintenant que les moyens de pression existent. Parlez-lui du cadastre, de l'enregistrement... Dites que vous menacez de tout déballer sur ces pratiques, que vous n'avez plus rien à perdre. Que vous allez aller chez Sud-Ouest. Ils l'ont dans le collimateur en ce moment. Ce matin, il y avait encore un article sur lui et son offre bidon de racheter les appartements des contestataires... Menacez-le ; il prendra peur... J'en sais fichtre rien! Soyez ferme. Il doit renflouer votre trésorerie. Il-vous-le-doit !
Dubreuil, navré, ballotte son gros crâne.
- Vous avez fait un truc colossal pour moi... Allez jusqu'au bout.
— Je ne peux pas me permettre de perdre mon boulot. Si je cède, je serai grillée; plus une banque ne voudra de moi... Je vous ai montré la méthode à employer... Je ne peux pas faire plus.
Il se fait suppliant.
- Soyez sympa... Gravez-moi une disquette de votre dossier... Ou donnez-moi juste les feuilles... Personne ne saura que c'est vous qui me les avez passées.
- Je suis désolée. Moran est tout sauf débile... Peu de personnes ont ces chiffres prévisionnels de vente remontant jusqu'à quinze ans... Il n'y a guère que sa banque qui puisse en disposer... Si je vous les donne, il comprendra que la trahison vient de là. Il lui faudra à peine une heure et quelques coups de fil pour remonter jusqu'à moi.
- Mais, je vous jure que je me tairai...
- Ça ne suffira pas. Il ne faut pas que je cède! Il ne faut pas que je cède!
- Vous avez peur? Comme je te comprends... Elle regrette d'avoir parlé. Vous vous êtes trop mouillée pour reculer. Je suis nul de dire ça.
- Pourquoi je me suis embarquée sur cette galère? Et voilà Rey qui s'amène !!! Faut que vous partiez, un de mes patrons arrive.
J'en tirerai plus rien! C'est trop con ! Le gaillard dépité s'arrache à sa chaise, marquant ouvertement son irritation.
- Vous m'avez fait venir pour quoi? Pour me faire baver d'envie? Je suis injuste! C'est minable! C'est toi le minable!
Sa lourde masse pivote et, sans un adieu, il part vers l'escalier, bousculant au passage Michel Rey qui franchit le claustra.
- Il a l'air furax... Ce n'est pas Dubreuil, le peintre?
— Si.
- Alexis Barrois m'a averti qu'il était en rouge incendie... Qu'est-ce qu'il vous voulait?
Sophie Cazenave ne perd pas une syllabe.
- Connaître la position de ses comptes... Il croit que je peux faire des miracles.
- Il faut qu'il voie ça avec Julien Baudry, c'est lui son gestionnaire.
- Oui, mais comme j'avais procédé à l'ouverture...
- Il est resté longtemps, j'ai regardé trois fois avant de monter.
- J'aurais dû m'en apercevoir ! On a bavardé.
- Je ne sais pas de quoi mais... Elle me cache quelque chose... Ça l'a mis en rogne, votre bla-bla... Vous avez terminé les analyses de Doproma, Chauffour SA, Bâtimer et MPA?
- Oui, oui, elles sont prêtes !
Elle se détourne vers une pile de dossiers.
- Parfait. Elle a l'air soulagée de s'en tirer aussi aisément. Qu'est-ce qu'elle nous bricole?
Rayonnante, elle tend une première chemise jaune.
- Bâtimer, c'est excellent. Vous verrez.