Le mardi matin, sitôt arrivée, Valérie a remis au
directeur adjoint son analyse des bilans de Pharmalabo.
Après avoir survolé les subdivisions «
Environnement économique », « Produit et son marché », « Marché »,
« Étude des documents : structure, ressources permanentes, poids du
stock, trésorerie, activité, rentabilité », Michel Rey a accordé
toute son attention aux conclusions.
Pharmalabo ne réalise pas de bénéfices en rapport
avec le risque entrepreneurial.
Cette particularité dissuadera les investisseurs
étrangers au noyau dur des actionnaires fondateurs.
Ayant vite grandi, l'affaire a vieilli sans que
des additions substantielles de biens d'équipement modernes aient
été réalisées.
Aujourd'hui, elle doit faire face à des frais de
personnel élevés et se trouve « condamnée » au développement.
Sans produit de monopole, elle doit investir pour
pouvoir à la fois renouveler ses immobilisations et développer ses
exportations (marché porteur).
Son autofinancement de développement est
bon.
Ses possibilités d'endettement à long et moyen
terme sont amples.
L'utilisation d'emprunts à moyen et long terme
pallierait la faiblesse en fonds de roulement et permettrait la
réalisation des investissements devenus indispensables.
Compte tenu de la faiblesse des dividendes à
escompter avant un rajeunissement des structures et une reprise en
main de l'action commerciale, l'augmentation de capital conjecturée
ne paraît guère susceptible d'enthousiasmer notre clientèle de
niveau 1.
Le banquier a fait grise mine.
- Vous confirmez mon opinion. Je vais en parler à
M. Puymireau. Ce sera à lui de décider...
- Si nous ne soutenons pas leur projet, ils vont
en prendre ombrage.
- Nous avons une obligation de conseil. Je pense
que M. Puymireau saura les convaincre. Il est diplomate, et sait se
montrer persuasif.
- Il en aura besoin.
- Je vous félicite. Excellent travail. Vous avez
été très rapide.
- C'est dans ma nature.
Ils se sont souri. Il l'a remerciée.
Revenue à son bureau, Valérie s'est plongée avec
délectation dans les comptes de Laurent Dubreuil. Si quelqu'un lui soutire du fric, je dois le voir. Ça
ressort fatalement sous une forme quelconque dans sa compta. Il
faut que je sache.
Hugo dit vrai, il s'agit bien d'une enquête
policière... Elle savoure.
Sur l'écran, un peu avant 10 heures, elle a déjà
tout visualisé et enregistré dans un fichier intitulé « Cas
Dubreuil », ouvert expressément : les livrets de Monsieur et de
Madame, les CEL, les PEL, les assurances...
Elle a sauvegardé l'ensemble sur Patouche, son
dévoué assistant.
Chaque épargne a connu une existence abrégée
depuis l'arrivée du peintre à la BGD. Les versements contractuels
se sont peu à peu réduits au strict minimum pour finir par cesser
et les modestes fonds versés lors de l'entrée en relation ont été
épongés en moins d'un an, avant clôtures prématurées.
Un parcours alarmant, qui aurait dû susciter des
interrogations. Pourquoi lui a-t-on reconduit
son autorisation de découvert?
À ce jour, les liquidités disponibles de la
famille Dubreuil avoisinent zéro.
Le compte du ménage ne vaut guère mieux. Son solde
ne dépasse à peu près jamais les 1300 euros du salaire mensuel
d'Anita, aide-soignante au CHR. Il chute à moins d'une centaine
d'euros en fin de mois. Sauf les rares fois où survient une
prime.
Valérie décortique une multitude de débits... Rien
de particulier... Pas de sommes en chiffres ronds revenant
périodiquement... Pas de mouvements suspects.
Reste à dépiauter le compte
courant. Je vais en avoir pour des heures.
- Qu'est-ce que tu fabriques?
C'est Sophie Cazenave, quinqua sympa aux
permanentes sursaturées de bouclettes bigarrées sertissant un
visage large et rieur, criblé de taches de rousseur. Deux fois
divorcée, se définissant comme « actuellement en vacances de
partenaire », élevant seule Romain, son fils unique de dix-sept
ans, elle est la secrétaire de Léglise, le petit chef des « crédits
à court terme » qui se flatte de la faire courir à longueur de
journée en la submergeant d'ordres contradictoires.
Valérie lève le nez de son écran.
- Barrois veut la peau d'un type que j'aime bien.
Ne pas parler rançon. J'essaie de voir
s'il y a un moyen de lui éviter la liquidation.
- C'est le balaise qui est monté hier?
- Oui, je l'ai emmené prendre un café, pour le
déstresser.
- Pauvre chou ! Jusqu'à l'an dernier, il venait
souvent à la caisse. Je l'avais repéré. Une sacrée bête, hein! Vu
d'en haut, il me faisait penser à Noiret, au même âge.
- Oh c'est marrant, à moi aussi! Ça m'est arrivé
de l'apercevoir à la caisse, mais pas plus que d'autres.
- Parce que tu passes une bonne partie de tes
journées en clientèle.
- Tu sais pour quelles opérations il venait?
- Non. D'ici, je ne voyais pas.
- Souvent? Tu veux dire, euh... Une fois par mois?
Par semaine? Par jour?!
Sophie rit.
- Quand même pas ! Mais au moins tous les dix,
douze jours. J'ai pas compté... Il devait amener des chèques. T'as
des gens qui ont peur que la poste les perde.
Le téléphone de Valérie sonne. Elle
décroche.
- Valérie Lataste, à votre service.
- Bonjour, c'est moi.
Oh ! flûte ! Son
visage se crispe. Elle masque le micro et soupire.
- C'est Joël!
Il la lâchera jamais!
Sophie s'écarte en catimini, avec une mimique compatissante.
Le combiné gémit.
- Valy? Sois gentille... Dis-moi kek chose... Sois
mignonne.
Il a bu ! Valérie
baisse la voix.
- Je vais te dire ce que je t'ai déjà dit, Joël...
Ne m'appelle pas ici. Je suis en rendez-vous. Je dois
raccrocher.
- Ch'sais que tu me mens. J'ai beaucoup réfléchi à
nous deux. Depuis que la boîte a fermé, j'ai le temps.
- Pour me pourrir la vie
aussi ! Moi, je n'en ai pas. Excuse-moi, je raccroche. Au
revoir.
- Non!
Le cri a été déchirant. Il la met en
miettes.
- Cinq minutes, Valy ! Ch'te d'mande cinq
minutes.
- Tu as encore arrosé ton petit déjeuner,
Joël.
- Ça s'entend?
- Oui. Il y a deux jours, tu m'as dit que tu
allais arrêter.
- J'essaie mais...
Il rit lourdement.
- C'est mes déboir' qui m'font boir'.
Son jeu de mots le met en joie.
- Tu dois cesser de me harceler, Joël...
- Ch'te harcèl', moi ? !
- Tu n'arrêtes pas !
- Mais, non! C'est pas du harcèl'ment! C'est
d'l'amour, Valyyyy !
- Sûrement pas ! Il est
complètement ivre.
- T'es incapab' de reconnaît' l'amour, ma chatte!
Regard', combien d'fois tu m'as dit qu'tes parents n'avaient pas su
t'aimer?
- Change de sujet, sinon je raccroche.
- Sois honnête. Combien de fois? Ta mère, j'l'ai
pas connue, mais ton père, c'est évident qu'i't'aime.
Si je raccroche, il va
rappeler...
- Et tu sais pas l'reconnaît'. T'es aveug' devant
l'amour des aut's. C't une infirmité.
Joël,
psychanalyste!
- Ton père t'aime. Moi aussi, ch't'aime.
- Eh bien ! moi, non ! Tiens-le-toi pour
dit!
Elle raccroche bruyamment. Joël en docteur Freud! J'aurai tout vu! Elle se
tourne vers l'écran. Le téléphone sonne dans son dos. Oh, c'est pas vrai! Elle fait face, révulsée
d'hostilité, et laisse sonner.
En bout d'étagère, dans le seul bureau clos de la
zone, Marc Léglise, qui tient sa porte pratiquement toujours
ouverte pour surveiller ses souffre-douleur, pointe un nez
inquisiteur. Valérie fuit son regard. Il est
fichu de venir me demander ce qui se passe.
Elle décroche avec hargne et colle l'oreille au
combiné en gardant le silence. Une furtive expression chagrine de
Sophie Cazenave lui assure compréhension et solidarité.
- Allô! Valy?... Allô!... T'es là, Valy?... T'es
persuadée d'pas avoir été aimée par tes parents, alors, du coup, tu
refus' de l'êt' par qui que ce soit.
Elle s'énerve, sans se départir de son
chuchotis.
- Mais qu'est-ce qui te permet de sortir une
connerie pareille? Ton brevet d'électronicien? Je suis méchante. Je devrais pas.
Joël reste interloqué. Pas longtemps. Quelques
secondes.
- Ch'sais bien qu'j'ai pas ton niveau
intellectuel...
- Arrête de te lamenter. C'est horripilant.
- J'ai besoin de toi, Valy... Depuis la fermeture
d'EPCOS, ch'perds la boul'... T'imagines? Le transfert d'la
production de Lormont vers la Républiqu' tchèqu'!
Et il
recommence!
- Pour affronter la concurrenc' de la Chin'!
Il va me parler de
l'Égypte.
- J'essaie d'piger, j'pige rien...
- C'est parce que tu refuses de comprendre. Je
t'ai expliqué mille fois les mécanismes économiques engagés.
- Tu crois qu'la France va fair' comm' l'Égypt'
antiqu'?
Et voilà!
- Dans deux mille ans, on sera une
ex-puissance?
- Je l'ignore, Joël. Je ne lis toujours pas dans
les astres. Et je n'ai pas le temps d'épiloguer sur le sujet... En
revanche, ce que je sais, c'est que tu bois beaucoup trop.
- T'as raison. Ch'te l'dis sincèrement, t'as
raison... Ch'support' pas qu'tu sois partie. D'abord, ton départ,
et puis après, le chômage... Tu réalises, le choc?
- Nous en avons discuté cent fois.
Il rit.
- Ça fait dix fois moins que pour le mécano
d'l'économie... C'est pour toi que j'picole, ma chatt'.
- Je t'en prie, arrête ! T'as toujours forcé la
dose !
- Tu m'as ach'vé. Ton départ m'rend dingue.
- Ça fait plus de six mois, Joël.
- Sept mois et dix-neuf jours. Pour moi, c'est
comme si c'était hier. Tu veux pas revenir?
- Je suis très occupée, Joël, je raccroche.
- Attends ! T'as raison, Valy ! J'le reconnais,
ch'picolais d'jà trop quand j't'ai connue... Mais maintenant,
j't'préviens... Ça pourrait d'venir meurtrier... Aussi bien pour
moi qu'pour toi.
Valérie s'alarme.
- Dis donc, tu... tu me menaces, là?
Il raccroche. Elle reste pantoise. Il menace de me tuer, cet ahuri !
Là-bas, Léglise ne l'a pas quittée des yeux. Elle
lui tourne le dos et se plonge dans l'historique du compte courant
de Laurent Dubreuil. Il m'a menacée de mort,
bon sang!
À dire vrai, elle ne distingue pas grand-chose de
ce qui défile sur le moniteur. Avec tout ce
qu'il avale, il peut devenir hyper dangereux... Je vais pas aller
le dénoncer à Hugo! Ce serait du plus mauvais goût.
- Madame Cazenave !
C'est Léglise.
- Oui, monsieur.
- Venez là !
Sophie se lève illico
et trottine rejoindre son tortionnaire.
- Fermez la porte !
À tous les coups, il va lui
demander si elle sait qui m'a appelée. Et il va essayer de la faire
parler. Sale con!
Sur l'écran, les données enregistrées remontent le
temps. La vie bancaire de l'entreprise Dubreuil défile par sections
cadencées.
Tiens! c'est drôle, ça ! Le
29 mai 2003, il reçoit un virement de 6 986,24 euros et le 2 juin,
il retire en espèces 698,62 euros... 10 % du virement... On retire
jamais une somme aussi mal fichue... Bizarre... Virement reçu de...
Sobotrapp... Est-ce qu'il en a eu d'autres?
Elle frappe : Control F, Sobotrapp, suivant.
L'ordinateur sélectionne une opération effectuée
début avril 2000. Il n'y en a pas eu, après
celui de mai 2003... Le premier lui arrive en avril 2000. Il était
installé depuis un mois... Le 3, il reçoit 122 498 francs... Et...
Le 7, il retire en espèces 18 674,69... En espèces! C'est barjot !
Qui irait retirer une somme aussi mal ficelée? C'est juste pour
enquiquiner le caissier... Et le même jour, il fait un virement sur
le compte du ménage...
Changement de fichier.
Compte ménage Dubreuil.
Control F, 7 avril 2000, suivant.
Voilà le virement reçu de
l'entreprise... Et, aussitôt, il retire 3 000 en espèces. Deux
retraits, le même jour. Un, sur le compte affaires ; un, sur le
compte perso... Qu'est-ce qu'il fabrique avec toute cette
monnaie?
Défilé de chiffres...
Chaque début de mois, il sort
3 000 francs... Les besoins du couple, à tous les coups... Mais
alors, le reste, où ça va ?
Retour au compte artisanal. Mai 2000.
Le 3, le 12, le 22, le 30, la
Sobotrapp lui a viré entre 118 000 et 127 000 francs... Tout de
suite après, il a effectué ses retraits excentriques. Mais ceux-là
ne font pas 10 %, ils n'ont aucun rapport avec les virements
reçus... Quoique...
Elle fait apparaître la calculette à l'écran, y
pianote divers chiffres, et tire un
résultat... Bingo ! Autres divisions... Autres quotients...
T'es géniale! 15 % ! Tous les retraits de mai
2000 correspondent exactement à 15 % des virements Sobotrapp. Au
centime près!
Le principe assimilé, elle visite les mois
suivants... Puis les années... Le constat est le même. Mais, au fil
des ans, les virements s'espacent et le ratio de ponction en
numéraire passe de 15 % à 12, puis à 10. Toujours avec une
précision rigoureuse.
Jusqu'à la fin des paiements, en mai 2003.
Et, en juin, Alexis Barrois commençait à sonner le
glas.
Sur les quarante-cinq mois d'activité, Valérie
sélectionne plus de cent coïncidences.
Elle les copie puis les transfère dans les
fichiers « Cas Dubreuil », celui du réseau BGD et celui de
Patouche.
Voyons s'il fait pareil avec
toutes ses entrées de fonds.
Elle recherche les virements ou les chèques venus
de clients autres que la Sobotrapp.
Elle n'en trouve que trois, en 2000...
La Sobotrapp a quasiment été son unique
fournisseur d'ouvrage... Il y en a sept, en 2001... Neuf, en
2002... Au fur et à mesure que les chantiers
exécutés pour la Sobotrapp se réduisent, il travaille pour divers
clients, mais ses rentrées fondent... Douze en 2003... Et il
n'a jamais retiré d'espèces farfelues après
les versements venant d'ailleurs que chez Sobotrapp... Il se peut
qu'il ait une autre banque que nous... Ça devrait se voir à
son chiffre d'affaires de 2000; dans ce cas, il serait supérieur
aux montants encaissés par notre intermédiaire.
Elle additionne tous les virements reçus cette
année-là.
Trois clics de souris...
Fichier Dubreuil. Copies des bilans. Année
2000.
Ah, le petit malin! Il a
déclaré beaucoup moins que ce qu'il a reçu... Il fraude le fisc, le
grand Dubreuil... Attends, attends...
Les doigts courent sur le pavé numérique du
clavier.
La calculette crépite.
C'est pas vrai! Son chiffre
d'affaires déclaré est égal au total des virements arrivés, moins
les retraits d'espèces foldingues effectués après ceux de la
Sobotrapp... Il considère que ces sommes ne sont pas des recettes!
C'est dément! Ça veut dire qu'il les restitue. C'EST LA SOBOTRAPP
QUI L'A RANÇONNÉ.
Sans en avoir réelle conscience, Valérie vient de
dactylographier cette conclusion, juste au beau milieu de son amas
de notes consignées au fil de ses pensées, sous les multiples
chiffres collectés. Elle sauvegarde le tout sur ses deux disques
durs.
Qu'est-ce que c'est que cette
boîte? Elle se connecte à Internet. www.societe.com. Elle
frappe le nom de l'établissement recherché.
Une seule entreprise correspond à sa
requête.
Un clic de souris.
La Société bordelaise de travaux publics et
particuliers, siégeant à Libourne, est inscrite au registre du
commerce de Bordeaux. Il s'agit d'une SARL au capital de 8 000
euros. Une bagatelle. Chiffre
d'affaires au 31.12.02 : 2,9 à 3 millions d'euros. Celui de 2003 n'a pas été communiqué. Effectif :
dix personnes.
Un clic...
Gérante : Berthe Vigouroux. Connais pas.
Autres clics...
Chiffres clés 2000, 2001, 2002... Pas de frais financiers. Elle ne déclare que des pertes
très faibles. Capacité d'autofinancement négative. Fonds de
roulement, idem... Forte masse salariale.
Retour à la page wanadoo. www.google.fr
Elle tape : Berthe
Vigouroux...
Dans les trois secondes, la réponse arrive.
Il ne connaît pas, lui non plus. La banque qui
a émis les virements pour payer Dubreuil devrait
savoir.
Valérie revient au compte entreprise...
Elle retrouve le virement de 122 498 francs, le 3
avril 2000, et celui de 6 986,24 euros, le 29 mai 2003. Nantie de
ces indices, elle va farfouiller dans les journaux de caisse de la
BGD... En quelques slaloms de souris, elle obtient l'information :
la banque émettrice des paiements est la BNP Paribas de
Cenon.
Clics... www.pagesjaunes.fr... Pianotage... Le
numéro de l'agence ne tarde pas à s'afficher. Flûte! Zéro huit cent vingt! Une centrale d'appel, ils ne
vont rien vouloir dire.
Elle se met en communication. Sans illusion.
Une voix féminine suave lui répond. Valérie se
présente, et énonce le numéro du compte Sobotrapp...
- Pourrais-je parler à la personne qui assure son
suivi?
- Je suis désolée, mademoiselle Lataste...
Elle a noté mon nom
!
- La BNP Paribas tient au respect de la
confidentialité...
Gnagnagni,
gnagnagna.
- ... nous ne fournissons strictement aucun
renseignement.
- Je vous rappelle que je suis une consœur.
- Cela ne change rien.
- Ce n'est pas avec vous que je souhaite en
débattre, je vous demande de me passer le gestionnaire du
compte.
Le ton reste d'une urbanité insupportable.
- Désolée, mademoiselle Lataste, je n'ai pas à
vous dire si cette société est notre cliente.
- Mais, elle l'est, puisque vous effectuez des
virements chez nous.
- Je suis navrée, mademoiselle. Puisque vous êtes
du métier, je suis sûre que vous me comprenez. Nous sommes
astreints au secret bancaire.
Inutile d'insister. Et
pourtant, c'est plus fort qu'elle, elle insiste.
- Ça ne vous gêne pas que ce secret serve,
peut-être, des intérêts criminels? Comme j'y
vais!
- Désolée, mademoiselle Lataste.
- Vous ne savez dire que ça?
- Je vais être obligée de raccroch...
Valérie, très énervée, a devancé l'intention de sa
correspondante.
- T'étais toujours avec Joël?
Penché sur elle, le visage éclaboussé d'éphélides
de Sophie Cazenave s'inquiète des symptômes d'une exaspération
croissante.
- Non. J'étais avec un perroquet de centrale
d'appels...
- Ça devient une calamité, ce truc-là.
- T'as l'impression de parler à un robot. Comment
on peut faire un boulot pareil ? ! Au fait, ça te dit quelque
chose, Sobotrapp?
- Non.
- Et Berthe Vigouroux ?
- Ah, oui ! C'est le nom de jeune fille de la
quatre ou cinquième épouse... Je m'y perds un peu. Je ne sais même
pas si elle est toujours d'actualité, comme ça fait cinq, six
ans...
- L'épouse de qui ? Accouche !
- Jean-Denis Moran.
- La bête noire de Dubreuil
! Je croyais qu'elle s'appelait Cécily. Comme le grand amour
de Chéri-Bibi.
- Le marié a dû penser que Cécily était plus
érotique que Berthe... Tu sais qu'on dit qu'il est très... très
attentif à ce genre de détails. Elle a trente ou quarante ans de
moins que lui, Cécily.
— Elle lui sert de
prête-nom. Je comprends.
- Tu comprends quoi?
Valérie brutalise trois touches du téléphone : le
numéro de l'assistante du directeur.
- Je ne peux pas t'expliquer pour l'instant...
Madame Ravaud? Bonjour, Valérie Lataste. M. Puymireau peut-il me
recevoir dans la journée? Il faut que je le voie d'urgence.
Qu'est-ce qui lui arrive ?
! Sophie explore les yeux enfiévrés de son amie avec
stupeur.