Première partie

Les Wilderlands

 

J’ai peur, oncle Mather. Non pas pour moi-même, mais pour tous les braves gens de ces terres. En quittant les Barbanques, Pony et moi avions le cœur lourd de chagrin, mais plein d’espoir, également. Avelyn, Tuntun et Bradwarden se sont sacrifiés pour notre cause, mais en détruisant le dactyl nous avions, pensais-je, supprimé l’obscurité du monde.

Je me trompais.

Chaque kilomètre que Symphonie franchirait au grand galop vers le sud nous rapprocherait de terres plus hospitalières. C’est ce que je croyais, et ce que je dis à Pony, dont les doutes étaient plus profonds encore que les miens. Mais je ne peux même pas estimer le nombre de gobelins que nous avons vus ! Des milliers, oncle Mather ! Des dizaines de milliers ! Et des géants fomorians par vingtaines, ainsi que des centaines de cruels powries ! Il nous a fallu deux semaines et une dizaine de combats pour atteindre les alentours de Dundalis, où nous avons trouvé plus d’ennemis encore, fermement campés dans ce qui reste des trois villages qui leur servent à présent de camps de base pour continuer à semer le trouble à proximité. Belster O’Comely et le groupe de raid que nous avions mis en place avant de nous rendre aux Barbanques sont partis, comme convenu, vers le sud je l’espère. Mais l’obscurité qui recouvre les terres est si vaste que j’ai bien peur que nous ne soyons nulle part à l’abri.

J’ai peur, oncle Mather, mais je te fais ici le serment de ne pas perdre l’espoir, si lugubre que devienne la situation. C’est une chose que ni le démon dactyl, ni les gobelins, ni tout le mal du monde ne pourraient me prendre. L’espoir transmet sa force à mon bras, permet à Tempête de frapper juste. Il me pousse à continuer à tailler des flèches qui se perdent par vingtaines dans les cœurs des gobelins, dans une masse de monstres que tous mes efforts ne semblent en rien diminuer.

L’espoir, oncle Mather, voilà le secret. Je pense que mes ennemis ne connaissent pas ce sentiment. Ils sont trop égoïstes pour comprendre le sacrifice fait dans l’espérance qu’il apportera de meilleures choses pour tous ceux qui suivront. Et sans cet optimisme et cette prévoyance, ils se laissent souvent décourager et ils fuient la bataille.

J’ai appris que l’espoir était un prérequis à l’altruisme.

Alors je garderai confiance, et je combattrai encore, car chaque bataille me rappelle que ma gratitude n’est pas de la folie. Pony devient forte avec les Pierres, et les forces magiques qu’elle conjure sont vraiment incroyables. De plus, nos ennemis, malgré leur nombre, ne se battent plus de façon coordonnée. La force unificatrice, le démon dactyl, est parti, et j’ai même vu l’indice que les gobelins s’affrontaient entre eux.

C’est un jour bien sombre, oncle Mather. Mais il pourrait encore y avoir une percée entre les nuages.

Elbryan Wyndon