28
L’appel du
devoir
Le vent soufflait, vif, sur les larges eaux du Masur Delaval alors qu’Elbryan, Pony et un Juraviel déguisé embarquaient sur le ferry de Palmaris. Bien que grimé, l’elfe s’attirait nombre de regards curieux. Pony le serrait tout contre elle, en le faisant passer pour son garçon souffrant, et la maladie étant un fait par trop commun et considérablement redouté à Honce-de-l’Ours, personne n’osait trop s’approcher.
En vérité, les gémissements de Juraviel étaient teintés d’une sérieuse touche de réalisme, car l’épaisse couverture qui l’emmitouflait lui pliait douloureusement une aile.
Les immenses voiles se déployèrent et le vaisseau au pont carré se glissa aisément hors du port de Palmaris dans le craquement du bois et le claquement sec des vagues contre ses flancs. Plus de cinquante passagers se tenaient sur le tillac large, tandis que les sept hommes d’équipage effectuaient, méthodiques, nonchalants, la tâche qui leur incombait deux fois par jour, si le temps le permettait, depuis plusieurs années.
— On dit que le ferry est un bon endroit pour obtenir des informations, murmura Juraviel. Les gens qui traversent le fleuve ont généralement peur, et les êtres soucieux expriment plus facilement leurs craintes dans l’espoir qu’un autre saura les rassurer.
— Je vais me glisser entre eux, proposa Elbryan en quittant sa « famille ».
La question fusa presque immédiatement alors qu’il s’approchait d’un groupe composé de trois hommes et deux femmes, des pêcheurs, apparemment.
— Votre petit est malade ?
— Nous étions dans le Nord, expliqua-t-il. Notre maison a été détruite, comme tout le village. Nous évitons les powries et les gobelins depuis plus d’un mois en essayant de grappiller la nourriture où nous le pouvons, mais le ventre vide, la plupart du temps. Mon fils, Belli… Belli, a dû manger quelque chose de mauvais, un champignon, je dirais. Il ne s’en est pas encore remis et ça ne se produira peut-être jamais.
Cela lui attira des hochements de tête compatissants, en particulier de la part des femmes.
— Où est-ce que vous allez ? demanda le même homme.
— Vers l’est, répondit Elbryan, énigmatique. Et vous ? s’empressa-t-il de demander avant que l’autre ait pu insister.
— Juste à Amvoy.
Il faisait référence à la destination du ferry, la ville qui se trouvait de l’autre côté de la rivière.
— Nous habitons tous là-bas, développa une femme.
— On profitait juste que tout ça se soit un peu calmé pour rendre visite à nos amis de Palmaris, ajouta le pêcheur.
Elbryan hocha la tête et tourna les yeux vers la vaste étendue aquatique et les docks de Palmaris, au-delà, qui s’éloignaient rapidement maintenant que le ferry balourd avait trouvé un vent favorable et puissant.
— Prenez garde à vous si vous poussez au-delà d’Amvoy, offrit une des femmes.
— C’est le cas, répondit Elbryan.
— Vous allez à Sainte-Mère-Abelle, comprit l’homme. (Elbryan lui lança un regard incrédule, mais il se ressaisit sagement. Il ne devait rien laisser transparaître.) C’est là que j’irais si mon p’tit était malade, continua l’autre. (Pas plus que ses compagnons il ne remarqua l’expression d’Elbryan.) On dit que ces moines ont des remèdes pour tout, même s’ils sont pas pressés de les partager !
Ses camarades se mirent à rire, à l’exception de la femme qui s’était adressée au rôdeur et qui le regardait d’un air insistant.
— Faites attention à vous si vous allez vers l’est, répéta-t-elle lentement. On dit que des bandes de powries rôdent là-bas. Et vous pouvez être sûr qu’ils n’en auront rien à faire que votre garçon soit malade.
— Et un groupe de gobelins, aussi, renchérit le pêcheur. La rumeur dit que les powries les ont laissé tomber et qu’ils vadrouillent tout seuls et terrifiés.
— Y’a rien de plus dangereux qu’un gobelin affolé, intervint un autre homme.
Le rôdeur adressa un sourire reconnaissant à la femme.
— Je vous assure que je suis loin d’être un novice en ce qui concerne les powries et les gobelins.
Sur ce, il s’inclina et s’éloigna sur le pont. Il entendit d’autres personnes s’inquiéter des bandes qui vagabondaient à l’est, mais n’apprit rien d’utile.
Il rejoignit alors Pony et Juraviel. L’elfe, emmailloté dans ses couvertures, s’était allongé tandis que la femme s’occupait des chevaux. En effet, Pépite surtout devenait de plus en plus nerveux sur ce ferry tanguant. Il tapait du pied, renâclait, hennissait sans trêve, et des perles de sueur commençaient à briller sur son col musculeux.
Elbryan s’en approcha et saisit fermement la bride, qu’il tira d’un coup sec vers le bas. Le cheval se calma un moment, mais se remit très vite à s’agiter en secouant la tête.
Entre-temps, Symphonie s’était pour sa part considérablement tranquillisé. Lorsque le rôdeur trouva le temps d’observer l’étalon, il comprit pourquoi. Pony, la joue collée à la turquoise magique, avait trouvé le moyen de communiquer avec le cheval fougueux et de lui faire comprendre qu’il devait impérativement se tenir tranquille.
Pépite eut un mouvement qui faillit lancer le rôdeur dans les airs. L’animal fit mine de se cabrer, mais Elbryan se campa plus fermement encore en tirant de plus belle.
Plusieurs personnes, dont un membre d’équipage, s’approchèrent pour tenter de l’aider à maîtriser la bête, car un cheval nerveux sur le pont d’un bateau pouvait devenir un compagnon bien dangereux.
Symphonie prit alors le contrôle de la situation. Poussant Elbryan, il alla poser la tête sur le cou de Pépite. Les deux animaux renâclèrent, hennirent, Pépite tapa du pied et tenta derechef de se cabrer, mais Symphonie l’en empêcha en accentuant la pression sur son col, avant de poser une jambe sur la croupe de son compagnon pour le maintenir en place.
Puis, à la stupéfaction de tous les observateurs, y compris Elbryan et Pony, Symphonie ôta sa jambe et se mit à donner à Pépite de petits coups de naseaux en renâclant et en secouant la tête. L’autre protesta encore un peu, mais sans enthousiasme.
Et les deux animaux se calmèrent.
— Bon cheval ! murmura un homme à Elbryan en s’éloignant.
Un autre lui demanda s’il voulait vendre Symphonie.
— La Pierre d’Avelyn se révèle parfois utile, commenta Pony lorsque les trois amis et leurs montures furent de nouveau seuls.
— Je comprends que tu aies pu t’entretenir avec Symphonie, car nous l’avons tous déjà fait, fit le rôdeur. Mais est-ce que je me trompe en disant qu’il est allé porter ton message à Pépite ?
— Ou quelque chose du genre, en tout cas, répondit Pony en secouant la tête.
— Humains, comme vous êtes arrogants ! remarqua Juraviel. Cela vous surprend donc tant que cela que des chevaux puissent communiquer entre eux, au moins d’une façon rudimentaire ? Comment auraient-ils pu survivre au fil des siècles si ce n’était pas le cas ?
Elbryan et Pony, vaincus par la simple logique, se mirent à rire, et l’épisode s’acheva là. Cependant, l’expression du rôdeur redevint rapidement sérieuse.
— Les gens parlent de bandes de powries en divagation dans les parties orientales du royaume, annonça-t-il. Plus un groupe de gobelins particulièrement ennuyeux.
— Était-il possible de s’attendre à moins ? souligna Juraviel.
— D’après ce que j’ai pu entendre, il semblerait que la confusion règne également sur nos ennemis à l’est de la rivière, continua Elbryan. La rumeur dit que les powries ont abandonné les gobelins, qui sont en train de tout saccager parce que l’angoisse s’ajoute à leur nature perverse.
Juraviel hocha la tête, mais Pony s’empressa de prendre la parole.
— Tu veux dire qu’il semblerait que certains de nos adversaires soient plongés dans la panique. Or, j’estime que nos pires ennemis en ce moment ne sont ni les powries ni les gobelins.
Ce rappel douloureux de leur destination et du désastre potentiel qui les y attendait les réduisit au silence. Ils demeurèrent sombres pendant la dernière heure de traversée, qu’ils passèrent à s’occuper des chevaux en échangeant à peine quelques mots. Tous furent bien heureux que le ferry touche enfin la petite ville d’Amvoy.
Le capitaine du vaisseau se tint devant la passerelle en répétant à tous les passagers qui débarquaient de prendre garde aux powries et aux gobelins, et les pria d’être très prudents s’ils devaient quitter la cité.
N’ayant pas besoin de ravitaillement, les trois amis traversèrent directement la ville fortifiée jusqu’à la porte de l’est, où ils furent de nouveau mis en garde contre les éventuels dangers des terres extérieures. Nul ne tenta néanmoins de les empêcher de sortir, et ils quittèrent Amvoy l’après-midi même, les chevaux parcourant rapidement les kilomètres.
Les terres étaient ici nettement moins boisées qu’au nord de Palmaris. Elles consistaient majoritairement en champs sillonés de larges routes – recouvertes de graviers pour certaines –, bien que l’utilité de ces derniers ne soit pas des plus flagrantes, étant donné que les pacages verdoyants pouvaient être aisément traversés. Les trois compagnons, progressant parallèlement à la route en se tenant toutefois à bonne distance de celle-ci, croisèrent un autre hameau ce jour-là. Bien qu’il ne soit pas fortifié, ils virent que ses défenses, constituées d’archers sur les toits et d’une catapulte sur la place, étaient bien établies.
Des fermiers œuvrant, stoïques, dans les champs, s’arrêtèrent en les voyant passer pour leur adresser un salut amical de la main, voire pour certains leur offrir à dîner. Mais les amis continuèrent leur route et, tandis que le soleil descendait lentement dans le ciel, ils arrivèrent en vue d’un second village, bien plus petit que le précédent. En effet, plus ils s’éloignaient de la rivière, et moins la contrée devenait peuplée.
Ils contournèrent la localité et dressèrent le campement à distance, mais de sorte à pouvoir toujours voir les silhouettes sombres des bâtiments, en décidant de monter la garde à la porte des villageois cette nuit-là.
— Combien de temps de voyage nous reste-t-il ? demanda Juraviel alors qu’ils dînaient autour d’un petit feu.
Elbryan regarda Pony qui avait passé plusieurs années dans les environs.
— Un ou deux jours, pas plus, répondit-elle. (Elle tira une brindille du feu et dessina grossièrement une carte dans la poussière, indiquant le Masur Delaval et la baie de Tous-les-Saints.) Si je me souviens bien, Sainte-Mère-Abelle ne se situe qu’à quelque cent soixante kilomètres du fleuve. (Elle ajouta les terres vers l’est, dessinant le village de Macombre et enfin Pireth Tulme.) J’étais là, à Pireth Tulme. Quand j’ai rencontré Avelyn, nous sommes retournés vers la rivière, sans nous rapprocher de Sainte-Mère-Abelle bien sûr, mais en passant au sud de l’abbaye.
— Deux jours, marmonna Elbryan. Peut-être trois. Nous devrions commencer à préparer un plan.
— Il n’y a pas grand-chose à décider, remarqua Juraviel avec sa désinvolture innée. Nous allons marcher tout droit sur les portes du monastère et exiger qu’on nous rende nos amis. Et s’ils n’arrivent pas rapidement, nous démolirons tout simplement l’endroit !
La tentative d’humour amena quelques sourires, mais rien de plus, car les trois amis, Juraviel compris, commençaient à sentir à quel point leur quête était intimidante. Sainte-Mère-Abelle hébergeait plusieurs centaines de moines pour la plupart experts dans le maniement des Gemmes sacrées. Si Pony, surtout, était découverte et reconnue, la quête toucherait très rapidement à sa fin.
— Tu ne devrais pas emporter les Pierres à l’intérieur de l’abbaye, dit le rôdeur.
Pony tourna vers lui des yeux écarquillés. Ces Pierres faisaient partie des armes les plus puissantes dont ils disposaient, et elles constituaient également un outil très efficace pour l’infiltration et l’exploration.
— Les moines pourraient en détecter l’utilisation, précisa-t-il. Ils sont peut-être même capables de sentir leur simple présence.
— Notre seule chance est de frapper par surprise, acquiesça Juraviel.
Pony hocha la tête pour signifier son accord. Elle ne voulait pas entrer dans ce débat maintenant.
— Et si nous sommes découverts, continua le rôdeur d’un ton sinistre en adressant directement cette remarque à Pony, nous devrons nous rendre ouvertement en demandant un échange.
— Toi et moi contre Bradwarden et les Chilichunk.
— Alors Juraviel récupérera les Pierres d’Avelyn et partira vers l’ouest, avant de rentrer à Dundalis avec Bradwarden, continua Elbryan. (S’adressant alors à l’elfe, il reprit :) Tu emmèneras les Gemmes à Andur’Blough et prieras ta Dame Dasslerond de les garder pour toujours à l’abri.
Mais Juraviel secouait déjà la tête après les premiers mots.
— Les Touel’alfar ne seront pas associés à cette histoire de Pierres.
— Tu y es déjà mêlé ! objecta Pony.
— Non, répondit l’elfe. J’aide des amis, je rembourse mes dettes, rien de plus.
— Alors assiste-nous en cela ! insista la femme.
Mais Elbryan, qui comprenait mieux qu’elle les elfes de la forêt, avait déjà abandonné le combat.
— Tu nous demandes un engagement politique, expliqua Juraviel. C’est impossible.
— Je te demande de soutenir la mémoire d’Avelyn !
— C’est le problème de l’Église, repartit l’elfe. À eux de le régler.
— Il s’agit effectivement d’un sujet dont les humains doivent décider eux-mêmes, acquiesça Elbryan en posant une main sur le bras de Pony. (Elle le regarda droit dans les yeux. Le rôdeur secoua lentement la tête pour lui faire comprendre l’inutilité de ce débat.) Je te demanderai de récupérer les Pierres et de les confier à Bradwarden, dit-il à l’elfe. Qu’il les emporte très loin, et les enterre profondément.
Juraviel hocha la tête.
— Et moi de ramener Pépite à Roger, ajouta Pony. Et de rendre Symphonie à la forêt.
L’elfe leur signifia son assentiment. Un long silence s’ensuivit, qui fut brisé par un éclat de rire cristallin.
— Ah, mais voilà un groupe plein d’optimisme ! ironisa Juraviel. Regardez où nous en sommes ! Nous prévoyons la défaite au lieu de la victoire ! Est-ce ainsi que tu as été entraîné, Oiseau de Nuit ?
Un sourire, ombragé par une barbe de trois jours, s’étira sur le visage du rôdeur.
— J’ai été entraîné à gagner. Et nous allons trouver un moyen de pénétrer Sainte-Mère-Abelle et d’en ressortir avec nos amis avant même que les moines s’aperçoivent de notre passage !
Les trois compagnons levèrent leurs verres et leurs victuailles à ce projet. Puis ils terminèrent leur repas et entreprirent d’organiser le campement et ses défenses. Juraviel s’éloigna en éclaireur dans la nuit.
— J’ai peur, admit Pony quand ils furent seuls. J’ai le sentiment que la longue route que j’ai entamée en rencontrant Avelyn va s’achever ici.
Malgré l’optimisme dont il avait fait preuve un instant plus tôt, Elbryan ne pouvait pas la contredire.
Pony se rapprocha alors. Il l’enlaça. Elle leva les yeux vers lui, se mit sur la pointe des pieds, l’embrassa doucement. Puis elle recula sans le quitter des yeux, dans une tension croissante. Elle revint, et l’embrassa encore, avec plus d’urgence. Elbryan lui rendit son baiser, effleura ses lèvres des siennes en sentant sous ses bras le dos puissant de son aimée, lui massa les muscles.
— Que devient notre pacte ? murmura-t-il.
Mais Pony lui posa rapidement un doigt sur la bouche, puis l’embrassa, longuement, en l’entraînant vers le sol.
Elbryan eut le sentiment qu’ils étaient seuls dans le vaste monde sous les étoiles claires. Une brise d’été, délicate, soufflait sur leurs corps, venait lécher leurs peaux nues, les chatouiller, les rafraîchir.
Ils reprirent la route de bonne heure le lendemain matin et poussèrent leurs chevaux vers le ciel de l’est que l’aube peignait de rose. Toutes les discussions sur la façon dont ils pourraient entrer dans le monastère s’échafaudaient et s’effondraient secrètement dans l’esprit de chacun, car ils savaient que les réponses pratiques devraient attendre qu’ils aient vu la bâtisse, ses fortifications et son degré de préparation. Les portes étaient-elles grandes ouvertes pour accueillir les réfugiés de la région, ou au contraire fermées à double tour et gardées par des patrouilles de dizaines de moines en armes ?
Ils n’avaient aucun moyen de le savoir. Reportant donc cette importante conversation au moment où elle pourrait produire quelque chose de tangible, ils pressèrent le pas, bien décidés à atteindre l’abbaye au matin suivant.
C’est alors qu’ils distinguèrent de la fumée s’élevant comme des doigts démoniaques au-dessus d’une crête bordée d’arbres. Les trois amis avaient déjà vu des volutes semblables, et savaient qu’elles ne provenaient pas d’un feu de camp.
Malgré l’urgence de leur mission, malgré les enjeux, personne n’évoqua même la décision à prendre. Elbryan et Pony tournèrent d’un même mouvement leurs montures vers le sud et les poussèrent à toute allure sur la pente herbeuse jusqu’aux arbres. Dès qu’ils les eurent atteints, Juraviel, arc en main, s’éleva en voletant du dos de Pépite et grimpa vers les hauteurs pour mieux observer les environs.
Elbryan et Pony ralentirent et descendirent de cheval, puis s’approchèrent prudemment du bord de la ligne de crête. En bas, éparpillée autour de la route principale qui traversait une vallée en cuvette, se trouvait une caravane de chariots chargés de biens, qui avait adopté une formation défensive et grossièrement circulaire. Plusieurs voitures étaient en flammes. Les observateurs entendirent les hommes demander de l’eau, ou appeler à la préparation des défenses. Ils découvrirent également de nombreuses personnes gisant sur le sol, dont les hurlements de souffrance roulaient dans toute la cuvette et au-delà.
— Des marchands, constata le rôdeur.
— Nous devrions aller les voir, suggéra Pony. Ou du moins, je devrais y aller avec la Pierre d’âme.
Elbryan lui lança un regard dubitatif. Il ne souhaitait pas utiliser de Pierre si près de Sainte-Mère-Abelle.
— Attends le retour de Juraviel, la pria-t-il. Je ne vois pas de cadavre de monstre autour du cercle. Il semble donc que cette bataille ne fasse que commencer.
Pony y consentit, en dépit des gémissements des blessés qui la peinaient profondément.
Juraviel revint très bientôt se poser sur une branche juste au-dessus de leurs têtes.
— Le tableau est à la fois bon et mauvais, annonça-t-il. Avant toute chose, l’essentiel à savoir est que les attaquants sont des gobelins et non des powries, donc de moindres ennemis, et de loin. Mais ils sont quatre-vingts et préparent une seconde attaque. (Il désigna le versant méridional du vallon, ajoutant :) Derrière les arbres.
Elbryan, l’éternel tacticien qui comprenait en outre la façon de penser des gobelins, regarda tout autour de lui.
— Sont-ils confiants ? demanda-t-il.
L’elfe hocha la tête.
— Je n’ai vu que de rares blessés, et aucun ne semblait s’opposer à une autre attaque.
— Dans ce cas, ils arriveront par-dessus cette crête, et dévaleront la pente pour prendre de la vitesse et assaillir les marchands. Les gobelins ne s’inquiètent jamais de leurs morts. Ils ne prendront ni le temps ni la peine d’organiser une attaque plus réfléchie.
— Ils n’en auront pas besoin, de toute façon, commenta Juraviel en regardant les chariots et leur tentative de défense pitoyable. Les marchands et leurs gardes ne peuvent même pas espérer les contenir.
— À moins que nous les aidions, intervint vivement Pony.
Sa main glissa involontairement vers la pochette de Gemmes, mouvement qui n’échappa guère à Elbryan.
Il regarda sa compagne dans les yeux et secoua la tête.
— N’utilise pas les Pierres à moins que ce soit absolument nécessaire.
— Quatre-vingts, rappela Juraviel.
— Mais uniquement des gobelins, rétorqua le rôdeur. Si nous parvenons à en tuer un sur quatre, le reste s’enfuira très probablement. Allons préparer le champ de bataille.
— Je vais surveiller les monstres, lança Juraviel en disparaissant si vite qu’Elbryan et Pony eux-mêmes clignèrent des yeux, incrédules.
Le couple mena les chevaux de l’autre côté du vallon en restant hors de vue des chariots, puis remontèrent la pente du sud en direction des arbres.
— Ils ont faim, et ils sont terrifiés, constata Elbryan.
— Les marchands ou les gobelins ?
— Les deux, probablement. Mais je parlais des monstres. En plus de cela, ils sont désespérés, ce qui les rend deux fois plus dangereux.
— Alors ils ne s’enfuiront pas, finalement, si nous en tuons un sur quatre ?
Le rôdeur haussa les épaules.
— Ils sont trop loin de chez eux et n’ont aucun espoir de retour. Je pense que les rumeurs sont fondées et que les powries les ont abandonnés là, sur une terre remplie d’ennemis.
Pony lui lança un regard en biais.
— Envisagerais-tu de faire preuve de pitié ?
Elbryan pouffa.
— Pas envers des gobelins, répondit-il avec fermeté. Pas après Dundalis. Je prie pour qu’ils ne s’enfuient pas, car leur survie ne servira qu’à causer plus de chagrin encore. Que quatre-vingts monstres passent cette crête, et que nos épées en déciment quatre-vingts.
Ils avaient alors atteint le sommet de la pente et les gobelins leur apparurent, blottis contre une arête à huit cents mètres au sud. Il n’y avait pas beaucoup de végétation entre les créatures et eux. Elbryan et Pony chassèrent rapidement l’espoir d’apercevoir Juraviel quand il redescendrait. Ils se concentrèrent plutôt sur la ligne d’arbres en se demandant quelle surprise ils pourraient mettre en place pour accueillir les monstres. Pony se dirigea vers les sous-bois à la recherche de jeunes arbres propres à être transformés en pièges, tandis que le rôdeur s’intéressait à un gros orme mort, perché de façon précaire au bord de la crête.
— Si nous pouvions leur jeter cet arbre, cela créerait une sympathique petite confusion, remarqua-t-il lorsque Pony vint le rejoindre.
— Si nous avions deux chevaux de traite à notre disposition, nous y parviendrions peut-être, répliqua-t-elle, sarcastique, car l’orme était effectivement démesuré.
Mais Elbryan avait la solution. Il plongea la main dans une pochette et en tira un paquet de gel rouge.
— C’est un cadeau des elfes. Et je pense que ce tronc est suffisamment pourri pour que cela fonctionne.
Pony hocha la tête. Elle l’avait vu utiliser ce produit à Aïda. Il avait si bien affaibli un barreau de fer qu’un seul coup d’épée l’avait découpé sans problème.
— J’ai déjà posé un piège, et j’en vois plusieurs autres possibles, annonça-t-elle. Et quelques pics bien aiguisés cachés dans les sous-bois pourraient faire quelques jolis dégâts.
Le rôdeur hocha la tête d’un air absent. Il était trop concentré sur son travail pour remarquer que sa compagne s’en retournait au sien.
Découvrant le point le plus faible du tronc, il en testa la profondeur et la souplesse. Il était convaincu que quelques bons coups puissants et bien placés lui permettraient de l’abattre. Toutefois, il ne trouverait jamais le temps de le faire au milieu d’une horde de monstres. Mais s’il parvenait à le préparer correctement maintenant…
Il saisit son arme et frappa légèrement le tronc, puis recula prudemment en entendant craquer le bois. Retrouvant le bon endroit, il abattit par deux fois son épée, ouvrit le paquet de gel d’un coup de dents et marqua le point d’une ligne rouge, en s’alignant sur deux arbres qui se situaient un peu plus bas sur la pente.
Alors qu’il finissait, Pony revint, juchée sur Pépite.
— Nous devrions les prévenir, dit-elle en désignant les marchands.
— Ils savent déjà qu’il y a quelqu’un là-haut.
— Mais ils devraient savoir que nous avons l’intention de les aider, insista-t-elle, afin de pouvoir préparer une défense complémentaire. Nous ne pouvons pas espérer arrêter la totalité des gobelins, tout efficaces que soient nos pièges et nos épées. (Elle lui indiqua une souche à peine visible dans les hautes herbes au bas de la pente.) La descente est abrupte ici, et les premiers monstres arriveront à toute vitesse dans le champ de tir des arcs que les marchands possèdent peut-être. Ce pourrait être un moment-clé. Si je pouvais tendre une corde, cela ralentirait leur progression et permettrait aux archers de placer plus de coups.
— Il y a quatre-vingt-dix mètres, estima le rôdeur en évaluant la distance entre la souche et l’abri le plus proche.
— Les marchands ont probablement au moins cette longueur de corde avec eux.
Dès qu’Elbryan eut hoché la tête, elle fit faire demi-tour à Pépite et descendit prudemment la côte. Aux deux tiers du chemin, alors qu’elle se trouvait bien en vue à moins de quarante-cinq mètres de la caravane, elle remarqua les multiples arcs levés vers elle, qui s’abaissèrent toutefois peu à peu à mesure que les archers se rendaient compte que ce n’était pas un gobelin.
Pony se dirigea droit vers les chariots pour s’adresser à un gros homme portant des vêtements coupés dans les tissus les plus fins, et qui semblait, par son attitude, être l’un des chefs de ce groupe embusqué.
— Bonjour. Je ne suis pas une ennemie, mais une alliée. (L’homme hocha prudemment la tête sans répondre.) Les gobelins ne sont pas loin et ils s’apprêtent à revenir. (Elle se tourna pour lui montrer la côte.) Par là. Mes amis et moi sommes en train de préparer quelques petits tours à leur intention, mais je crains que nous ne puissions pas les arrêter tous.
— Et depuis quand est-ce votre combat ? questionna le marchand d’un ton suspicieux.
— Nous faisons nôtres toutes les batailles contre les gobelins, répondit-elle sans hésiter. À moins que vous préfériez vous passer de notre aide, et que nous laissions les quatre-vingts gobelins vous submerger ?
L’homme perdit incontinent son air bravache.
— Comment pouvez-vous savoir qu’ils arriveront par le sud ? demanda-t-il.
— Parce que nous connaissons les gobelins et leurs tactiques – ou leur absence de tactique. Ils se sont rassemblés au sud et n’auront pas la patience d’organiser une attaque à plusieurs angles. Et encore moins s’ils pensent que leur proie est acculée et quasiment vaincue.
— On va leur montrer de quel bois on se chauffe ! déclara un archer en agitant son arme, mouvement qu’imitèrent sans entrain les quelque dix autres hommes pareillement équipés.
Maintenant que tous étaient prévenus, Pony jaugea rapidement la caravane. Elle compta moins de quarante personnes capables de combattre, et une vingtaine d’arcs seulement, probablement maniés, de surcroît, par des archers inexpérimentés, qui affaibliraient à peine les gobelins avant l’affrontement au corps à corps. Elbryan pouvait combattre trois gobelins à lui tout seul, voire quatre, avec des chances raisonnables de victoire, mais pour des gens ordinaires, même un seul de ces monstres pourrait se révéler un ennemi trop coriace.
Apparemment, le marchand pensait la même chose, car ses épaules s’affaissèrent.
— Que proposez-vous ? demanda-t-il.
— Auriez-vous de la corde ?
Le marchand fit signe à un homme qui se tenait à proximité. Celui-ci s’élança vers un chariot et repoussa la bâche, révélant des pelotes entières de corde fine et résistante de la meilleure qualité. Pony lui fit signe de lui en apporter.
— Nous allons tenter d’équilibrer les chances, expliqua-t-elle. Je vais ralentir leur assaut ici, sur une ligne partant de cette souche. Ils seront à portée de tir. Visez bien.
Elle posa la corde derrière elle sur la selle et fit tourner Pépite.
— Comment vous appelez-vous, femme ? demanda le marchand.
— Nous aurons le temps de discuter de ce genre de chose un peu plus tard, répondit-elle en lançant son cheval au galop vers la souche.
Au sommet de la colline, Elbryan mettait les dernières touches à son piège. Il fit un lasso, lança habilement la boucle dans les hautes branches de l’arbre mort, puis attacha l’extrémité au pommeau de la selle de Symphonie. Il conduisit alors le cheval jusqu’à un bosquet dru plus loin sur le côté, et entreprit de dissimuler la corde.
— Nous avons de la compagnie, annonça la voix de Juraviel au-dessus de sa tête alors qu’il terminait. (Le rôdeur scruta intensément les branches jusqu’à discerner sa fine silhouette.) Une vingtaine de moines approchent prudemment par l’est.
— Arriveront-ils à temps pour la bataille ?
L’elfe coula un regard vers le sud.
— Les gobelins sont déjà en mouvement. Les frères pourraient nous prêter main-forte s’ils se dépêchaient, mais je n’ai rien vu qui l’indique. Il est impossible qu’ils n’aient pas aperçu la fumée, mais je ne sais pas à quel point ils ont hâte de se joindre au combat.
Elbryan pouffa, somme toute peu surpris.
— Va prévenir Pony. Dis-lui de garder les Pierres à l’abri et de ne pas s’en servir.
— Mais si la situation l’exige, elle ne se retiendra pas, et elle aura raison.
— Et si elle s’en sert, je crois bien qu’après nous être débarrassés des gobelins il nous restera encore une bande de moines à affronter, souligna sombrement le rôdeur.
L’elfe se déplaça rapidement le long de la crête en prenant soin de se cacher des marchands. Il fit passer le message à Pony, puis se hâta d’aller prendre position dans un arbre, voletant et grimpant à moitié (ses petites ailes fragiles se fatiguaient cruellement), tandis que le front gobelin approchait au pas de course. Il fut soulagé, mais guère surpris, de constater combien leur formation était chaotique. Ce n’était guère plus qu’une foule qui se précipitait vers le combat. Comme les trois amis l’avaient espéré, les gobelins ne s’arrêtèrent pas au sommet de la pente mais continuèrent à charger sans même prendre la peine d’évaluer un peu les défenses de leurs proies.
Ils ne remarquèrent pas plus les malheurs de certains de leurs camarades. L’un d’eux, ayant mis le pied dans l’un des pièges de Pony, poussa un cri strident qui se perdit dans les hurlements de bataille des autres quand l’arbrisseau fléchi se déploya et le jeta, tournoyant, dans les airs. Il retomba, toujours accroché, et resta bêtement là à pendouiller à un mètre du sol.
Plusieurs créatures passèrent en courant près de lui sans lui accorder la moindre attention, sauf pour le désigner en riant.
De l’autre côté, un deuxième monstre poussa un cri de surprise et de douleur subite en s’enfonçant dans l’une des petites tranchées perfides que la guerrière avait creusées à la hâte et camouflées. La jambe de la créature se raidit violemment, plia considérablement vers l’avant et explosa au niveau de la rotule. Le gobelin, hurlant de douleur, retomba en arrière en tenant son membre mutilé, mais une fois encore, aucun de ses camarades n’eut de temps à lui accorder.
Un troisième tomba alors en rugissant, le pied transpercé par un pieu soigneusement dissimulé.
Face à ce manque d’attention manifeste, Juraviel prit son petit arc et entreprit de choisir ses cibles. Un malheureux gobelin s’arrêta pile à la base de l’arbre dans lequel l’elfe se tenait, et s’appuya sur le tronc pour reprendre son souffle. Une flèche s’enfonça tout droit par le haut de son crâne, l’hébétant. Il tomba à genoux, la main toujours posée sur le tronc, et mourut dans cette position.
Cependant, malgré tous leurs efforts, seul un monstre sur vingt avait été ainsi ralenti, et ceux de tête dévalaient toujours la pente verdoyante. Juraviel libéra une seconde flèche, paralysant une créature qui s’était écartée de la ligne des arbres, puis il reporta son attention sur l’endroit où l’Oiseau de Nuit préparait la plus grosse surprise.
Le rôdeur, un genou au sol, attendait derrière le bouclier d’arbres en levant horizontalement son arc entre les troncs. Il laissa les premiers gobelins dépasser le piège, afin de viser le groupe principal. En plus de faire le maximum de dégâts, les créatures atteindraient probablement les marchands d’une façon plus éparse – par poignées, espérait-il.
Une dizaine de monstres traversa les arbres à ce moment, suivie d’une autre.
L’Oiseau de Nuit libéra sa flèche, mais elle fut interceptée au dernier moment par un gobelin qui la prit dans le flanc. Le guerrier, imperturbable, qui s’était plus ou moins douté qu’une telle chose pourrait se produire, lâcha sur-le-champ une seconde flèche qui se faufila dans la masse pour aller s’enfoncer en profondeur dans le tronc qu’il avait préparé.
Au même moment, il siffla son fidèle cheval, qui bondit en avant, tirant sur la corde.
L’arbre mort émit une série de craquements de protestation phénoménaux qui figèrent subitement plusieurs gobelins apeurés.
Puis il s’effondra sur eux, tonnes de bois parsemées de dizaines de longues branches pointues.
Les créatures plongèrent à gauche, à droite, crièrent, détalèrent, mais le rôdeur avait parfaitement minuté son coup. Trois monstres périrent immédiatement, et près de quinze autres furent sérieusement lacérés par des éclats d’échardes, aplatis, ou coincés entre les branchages. Près d’un quart des gobelins avait toutefois déjà dépassé le piège et chargeait toujours en direction des chariots. De ceux qui étaient pris derrière ou sous l’arbre, la plupart continuèrent leur progression en escaladant l’obstacle, trop assoiffés de sang pour envisager un instant qu’il ait pu s’agir d’une embuscade, tandis que les autres, confus et méfiants, tournaient en rond ou cherchaient à se mettre à couvert. Ce désordre, détruisant le peu de cohérence que les rangs pouvaient avoir, était exactement ce que l’Oiseau de Nuit avait espéré.
Loin de laisser passer l’occasion, le rôdeur reprit son arme. Une flèche alla se planter dans un gobelin qui s’était aventuré un peu trop près, l’autre faucha l’un de ceux qui tentaient de se dégager des ramures piquantes.
Au sommet de la colline, Symphonie reculait si bien que le morceau d’arbre retenu par la corde éclata. Un monstre, se proposant d’inspecter la source du vacarme, s’approchait des sous-bois dissimulant le puissant étalon lorsque l’Oiseau de Nuit l’abattit.
Le cheval s’extirpa du bosquet et vint rejoindre le rôdeur au pied de la colline. Plusieurs gobelins l’aperçurent et poussèrent de hauts cris.
Tempête en main, le guerrier s’élança à la rencontre de sa monture et trancha la corde d’un seul coup de lame magique. Il se hissa sur la selle, posa Tempête sur ses genoux, et prépara Aile de faucon.
Comme les gobelins s’essaimèrent en voyant cet arc se lever vers eux !
L’Oiseau de Nuit en transperça un. Sur un rugissement de défi, il lança Symphonie sur un terrain dégagé, tuant un autre en chemin.
Les créatures les plus proches dérapèrent avant de s’arrêter en lançant pour certaines des javelines. Mais l’humain était trop rapide pour elles. Il fit tournoyer Aile de faucon dans sa main, et, le tenant comme une massue, para et dévia tous les missiles, qui tombèrent, inoffensifs, autour de lui.
L’arc, fermement tenu de la main gauche par le centre tandis que la droite y montait une flèche, se redressa aussi vite. Un quart de seconde plus tard, une créature se tortillait de douleur dans la poussière.
Le rôdeur revint à la charge. Il abattit un autre gobelin, puis accrocha son arc sur le pommeau de la selle et reprit Tempête en fondant sur un groupe de trois. Au tout dernier moment, il fit virer Symphonie de côté, bondit, atterrit dans une roulade, se releva en courant, et utilisa cet élan pour transpercer d’un coup le gourdin qu’un monstre dressait pour se défendre, et la tête qu’il cherchait à protéger, également.
D’un mouvement de poignet, le rôdeur fit voler la créature et tournoyer Tempête au-dessus de sa main. Quand la lame revint en position initiale, il lança un coup piqué qui fit un deuxième mort, puis libéra son arme et parvint à bloquer à temps l’attaque verticale du troisième.
À un contre un, le gobelin n’était pas un adversaire à la hauteur de l’Oiseau de Nuit. L’humain para un deuxième coup, puis un troisième, et frappa cette fois si fort l’épée du monstre que le bras qui la tenait fut projeté en l’air. Profitant de l’ouverture, il s’avança en bloquant ce bras dressé à l’aide de Tempête, et referma la main autour du cou squelettique de la créature.
D’un bras où roulaient les muscles puissants, il la fit ployer vers l’arrière, et, dans un grognement et une poussée aussi soudaine que vicieuse, il lui brisa la nuque et la laissa tomber, morte, sur le sol.
D’autres gobelins arrivaient autour de lui. Le rôdeur les accueillit avec joie.
Le groupe de tête entendit les bruits de combat. Mais, focalisé sur la proie apparemment facile qu’était la caravane marchande, il ne prit pas la peine de regarder en arrière et continua à dévaler la pente à toute allure en poussant des ululements sauvages et affamés. Des flèches filèrent sur eux, un monstre tomba même, mais cela parvint à peine à ralentir la charge déchaînée.
Et soudain, les premiers rangs s’étalèrent tête la première sur le sol. Les suivants vinrent s’effondrer sur eux les uns après les autres, si bien que la totalité du groupe se retrouva enchevêtrée et embourbée.
Sur le côté, dans un buisson, Pony pressait Pépite d’avancer encore pour conserver la tension de la corde. La jeune femme avait noué une extrémité à la souche, puis l’avait déroulée sur le sol jusqu’à ces arbres en relevant soigneusement l’angle, de sorte qu’elle se dresse à la bonne hauteur, c’est-à-dire juste au-dessous d’un genou de gobelin, lorsque le cheval tirerait. Avant d’attacher l’autre bout à sa monture, elle avait fait passer le lien autour d’une racine exposée, pour éviter que les sursauts l’affectent directement chaque fois que les monstres s’y prendraient les pieds.
En bas, les quarante archers de la caravane avaient plus de temps pour choisir leurs cibles relativement stationnaires, et leur barrage suivant fut bien plus efficace. Pire encore pour les monstres, ceux qui avaient perdu leur élan devaient reprendre leur charge au point mort et à trente-cinq mètres à peine des humains.
Les marchands et leurs gardes, s’ils n’étaient pas de vrais guerriers, n’étaient pas pour autant des imbéciles, et nombre d’entre eux ne tiraient pas, attendant plutôt qu’un gobelin s’approche un peu trop. Les monstres attaquèrent justement les chariots sans ordre précis, à raison d’un ou deux à la fois, sans bien sûr causer la confusion et la panique d’une horde galopante. Les hommes furent donc capables de se concentrer, et la plupart de leurs coups portèrent.
Pony comprit que son travail ici était achevé. Assise sur Pépite, elle trancha la corde d’un coup d’épée et fit tourner le cheval dans l’intention de charger dans la masse de gobelins qui tentaient encore de se relever. Mais alors elle leva les yeux vers les hauteurs de la pente et aperçut son aimé au milieu d’un autre groupe. Résistant à l’envie brûlante de sortir ses Gemmes, elle lança le cheval au galop sur la colline.
La majeure partie des gobelins passait de nouveau la crête en laissant derrière elle les morts et les blessés. Juraviel fut donc plus à même de choisir ses victimes. Au début, il s’intéressa aux créatures qu’affrontait le rôdeur. Mais à mesure que les monstres prenaient conscience de l’étendue du désastre, nombre d’entre eux firent volte-face et tentèrent de fuir à toutes jambes vers le faîte de la colline, passant ainsi juste en dessous de l’elfe sans aucune intention de s’arrêter, ni même de ralentir.
L’arc elfique vrombissait sans relâche, éperonnant d’une flèche après l’autre les monstres en déroute et terrifiés. Le Touel’alfar frappa ainsi tous ceux qu’il voyait, et son carquois était presque vide quand l’un d’eux s’arrêta au pied de son arbre et se mit à bondir, surexcité, en le pointant du doigt.
Juraviel plongea promptement une flèche dans son vilain visage. La créature s’effondra juste à côté de son compagnon agenouillé, ainsi d’ailleurs que deux autres, venues voir pourquoi elle s’agitait autant.
L’elfe tendit mécaniquement la main vers son carquois et découvrit qu’il ne lui restait qu’une flèche. Haussant les épaules, il la décocha, puis accrocha son arme à une saillie du tronc, tira sa fine épée, et descendit plus bas dans les branchages en attendant le bon moment pour frapper un grand coup.
Il comprit toutefois que ce combat touchait déjà à sa fin. Plus d’une vingtaine de monstres gisaient sur la colline, autant étaient en train de mourir près de la caravane, plusieurs avaient passé la crête et un autre groupe substantiel dévalait la pente, mais en direction de l’est. Juraviel sentit l’espoir renaître en reconnaissant là les gobelins d’antan, les couards si faciles à dérouter qui ne parvenaient plus à tenir une formation dès qu’ils étaient confrontés à une résistance imprévue. C’étaient les gobelins qui, bien qu’ils soient nettement plus nombreux que les humains et les elfes de Corona, n’avaient jamais représenté une menace organisée de domination.
La hâte des créatures à atteindre le guerrier exposé s’estompa aussi vite qu’elles tombaient l’une après l’autre, embrochées par l’épée lumineuse.
Entouré par cinq monstres, le rôdeur chargea puissamment. Les ennemis reculèrent, mais sachant que ceux qui se trouvaient derrière lui allaient au contraire avancer, il fit brusquement volte-face dans un coup de taille qui repoussa à la fois un gourdin et une lance qui tentait de le perforer. Avec l’équilibre parfait conféré par de nombreuses années de bi’nelle dasada, ses pieds pivotèrent rapidement avant que les gobelins qui se trouvaient maintenant dans son dos puissent l’attaquer en traîtres. Ayant pris les deux par surprise avec son retournement subit, il plongea son épée dans le torse de celui qui portait le gourdin.
La créature tomba en arrière en pressant inutilement sa blessure pour tenter d’empêcher le sang de gicler. Son compagnon lança sa javeline.
Il avait bien visé. L’arme de jet se dirigeait droit sur la tête du rôdeur. Mais il lui suffit de se baisser en se retournant légèrement, et de dresser Tempête à la diagonale, pour dévier l’arme qui passa, inoffensive, par-dessus son épaule. Enfin, inoffensive : pour l’Oiseau de Nuit. Car le vol de la javeline imposa aux monstres de derrière d’esquiver frénétiquement, ce qui ralentit leur progression et donna au rôdeur plus de temps pour pousser son attaque.
Le gobelin à présent désarmé jeta les bras en l’air pour tenter de se défendre. Tempête s’abattit trois fois de suite. Le premier coup repoussa un bras, le deuxième frappa l’épaule pour casser sa défense, le dernier courant droit vers la gorge.
Le guerrier pivota à temps pour contrer l’attaque des trois restants, et reprit une posture basse et défensive alors que deux monstres supplémentaires venaient prendre la place de leurs camarades tombés. Il était de nouveau encerclé. Mais cette fois, les monstres ne semblaient pas pressés d’attaquer.
L’Oiseau de Nuit continuait à pivoter, prêt à se défendre quel que soit l’angle. De temps à autre, il balançait Tempête dans un geste mesuré, non pas pour placer un coup mais pour inciter les gobelins à s’approcher. Il pensait jouer sur leurs erreurs, les pousser à passer à l’offensive et, immanquablement, à échouer, mais une meilleure idée lui vint, ainsi qu’un sourire qui déstabilisa grandement les monstres.
Ils en comprirent la raison un bref instant plus tard quand Pépite fit irruption dans leur masse en les forçant à se jeter de côté, tandis que l’épée de sa cavalière s’abattait, fendant un monstre, puis un autre. Elle pensait lancer sa monture jusqu’à son aimé, afin de l’aider à se hisser derrière elle.
Mais le rôdeur lui fit signe de venir se joindre à la partie.
Pony lança une jambe par-dessus la selle et fit rapidement passer ce pied à la place de l’autre dans l’étrier. Puis elle attendit que deux autres gobelins plongent au sol face à la charge féroce de Pépite, et bondit en frappant la croupe du cheval pour qu’il continue sa course. Dès qu’elle eut atterri, elle se lança à l’attaque.
Un gobelin se tenait, arme brandie, entre l’Oiseau de Nuit et elle.
Mais la guerrière arrivait trop vite. Elle se baissa et se releva vivement, son épée jetant celle de la créature, ainsi que quelques doigts, dans les airs, puis croisa le monstre sans s’arrêter, en lui transperçant au passage la poitrine d’un coup de lame.
Le gobelin poussa un cri strident. Pony libéra brutalement son arme et reprit sa charge en agitant farouchement la lame ensanglantée devant elle.
L’Oiseau de Nuit n’était pas resté inactif. Avec une fureur qui sidéra ses ennemis, il avait ouvert un chemin pour sa compagne. En quelques secondes, les amants se tenaient dos à dos.
— Je croyais que tu devais rester sur la colline pour veiller sur les marchands ! commenta le rôdeur, qui ne semblait pas enchanté de savoir Pony avec lui dans cette situation dangereuse.
— Et je croyais qu’il était temps que j’essaie cette danse de l’épée que tu m’as apprise, rétorqua-t-elle d’un ton décontracté.
— As-tu les Pierres à portée de main ?
— Nous n’en aurons pas besoin.
Le ton déterminé de sa compagne enhardit l’Oiseau de Nuit et amena un sourire sur son visage.
Les gobelins tournaient en cercle autour d’eux en tentant de les jauger. Les nombreux cadavres de leurs camarades leur rappelaient vivement les conséquences d’une attaque trop téméraire. Toutefois, ils dominaient Elbryan et Pony à plus de cinq contre un.
Une créature ulula et s’élança en jetant une javeline dans la direction de Pony. L’épée de la jeune femme se dressa en un éclair, et dévia l’arme de jet par-dessus son épaule, en absorbant une bonne partie de son élan. Pony n’eut pas le temps d’avertir son compagnon, mais ce ne fut pas nécessaire : l’Oiseau de Nuit sentit les muscles de sa compagne rouler contre son dos, et reconnut aussi clairement le mouvement que s’il l’avait effectué lui-même. Il se tourna à demi tandis que la javeline rasait l’épaule de la jeune femme, et, dans un geste vif et fluide, l’attrapa et la jeta avec force dans la poitrine d’un gobelin qui s’approchait un peu trop.
— Comment as-tu fait ? demanda la guerrière, bien qu’elle n’ait même pas lancé un regard en arrière pour observer le mouvement.
Le rôdeur se contenta de secouer la tête. Pony le sentit et se tut à son tour, tandis qu’ils s’installaient plus confortablement dans leur posture défensive. Ils sentaient grandir entre eux une symbiose stupéfiante, comme s’ils communiquaient par les muscles aussi aisément que par les mots. Chacun anticipait chaque soubresaut, chaque flexion dans la position de l’autre.
Elbryan fut ébahi par cette intimité. En dépit de ses craintes toutes logiques, il savait pouvoir se fier à cette étrange extension du bi’nelle dasada. L’espace d’un instant, il se demanda si les elfes savaient que la danse de l’épée pouvait être portée à cet extrême. Mais il cessa là ses réflexions car les gobelins commençaient à s’agiter. Certains se rapprochaient à petits pas, d’autres préparaient des javelines comme pour les lancer, bien que les monstres qui se trouvaient de l’autre côté, ayant observé la première tentative désastreuse, ne soient pas enchantés à cette idée.
Pony comprit que l’Oiseau de Nuit voulait qu’elle parte sur la gauche. Un rapide coup d’œil dans cette direction lui en indiqua la raison : une créature particulièrement audacieuse avait grand besoin qu’on lui donne une leçon rapide et douloureuse. Elle respira profondément, chassant les doutes, car elle savait que ceux-ci généraient l’hésitation, qui elle-même n’apportait que le désastre. La jeune femme comprit soudain que c’était là le véritable sens de leur rituel matinal, de cette danse aussi intime que l’amour. Leur confiance mutuelle était ici testée. Son aimé voulait qu’elle aille vers la gauche.
Le guerrier sentit la tension dans le dos de sa compagne, puis sa fente subite. Quand elle bougea, il se mut, pivotant autour du pied de la jeune femme pour faire face aux deux gobelins qui s’élançaient vers l’ouverture apparente, et qu’il prit ainsi totalement par surprise. Le premier prétendait frapper Pony de sa lance lorsque Tempête s’abattit en lui sectionnant les deux avant-bras.
Le second parvint au moins à glisser son gourdin jusqu’au couple. Mais l’Oiseau de Nuit se contenta de repousser l’arme et de lui plonger sa lame dans le ventre.
Ce fut alors au tour de Pony de contourner la jambe tendue du rôdeur. Une fois encore, les monstres qui s’élançaient vers la brèche de surface causée par le mouvement furent accueillis par une épée. L’un s’effondra en serrant sa gorge lacérée, tandis que les autres reculaient précipitamment d’un bond pour battre en retraite.
Pony et l’Oiseau de Nuit se retrouvèrent derechef dos à dos, accroupis, dans une défense et une harmonie parfaites.
De la ligne des arbres, Juraviel, satisfait, regardait Symphonie conduire Pépite à l’abri. L’elfe avait souvent été témoin de l’incroyable intelligence de l’étalon, et maintenant comme chaque fois, ce spectacle l’émerveillait et le transportait de joie.
Mais une image plus impressionnante encore l’accueillit lorsqu’il tourna les yeux vers ses compagnons humains. Il fut frappé par la grâce de leurs mouvements. Ces deux êtres se complétaient avec une perfection absolue. Aux yeux des Touel’alfar, le bi’nelle dasada était une danse individuelle, la méditation personnelle du guerrier. Mais en observant ceci, Juraviel comprit pourquoi l’Oiseau de Nuit l’avait enseignée à Pony, et pourquoi ils dansaient ensemble.
En effet, à ce moment, sur la pente verdoyante que rougissait rapidement le sang versé des gobelins, Jilseponie et Elbryan ne faisaient plus qu’un.
L’elfe songea soudain que son arc ne devrait pas demeurer inutile, qu’il devrait être en train d’assister ses amis. Mais à vrai dire, ils ne semblaient pas vraiment en avoir besoin. Chacun réagissait si bien, et avec tant de fluidité, aux mouvements de l’autre, que le cercle de monstres s’élargissait peu à peu au lieu de se fermer. Les monstres cédaient du terrain.
Juraviel parvint à détacher d’eux son regard fasciné juste assez longtemps pour retrouver une flèche, qui frappa un gobelin dans la nuque, à la base du crâne.
Les rangs ennemis s’affinaient considérablement autour de l’Oiseau de Nuit et de Pony. Les gobelins étaient de plus en plus nombreux à choisir la fuite plutôt que de périr dans la danse harmonieuse de ces deux-là. Pony en abattit un, tandis que le rôdeur en découpait un autre, qui avait été assez stupide pour tenter d’attaquer la jeune femme par-derrière alors qu’elle se tournait. Les choses semblèrent alors passer au point mort. Plus un monstre n’osait s’aventurer assez près pour placer une attaque.
Le rôdeur sentit grandir la peur et la tension des gobelins, qui regardaient maintenant aussi souvent par-dessus leur épaule que devant eux. Ils avaient tous envie de rompre les rangs et de détaler. La bataille allait entrer dans sa phase critique. Il entreprit de l’expliquer à sa compagne, mais elle l’interrompit presque immédiatement d’un simple : « Je sais. »
Et l’Oiseau de Nuit comprit que c’était vrai au mouvement subtil des muscles de la jeune femme, qui positionnait les jambes de sorte à pouvoir changer rapidement de position.
Les javelines arrivèrent sans aucune coordination. Le premier gobelin lança son arme, se tourna et s’enfuit. Une pluie de missiles suivit, leur permettant à tous de couvrir leur retraite.
Les deux guerriers pivotèrent, plongèrent, et se relevèrent ensemble, parant et déviant. Dès que le danger fut passé, ils s’élancèrent vers les créatures les plus proches, et progressèrent en laissant derrière eux un sillage de cadavres. Ils ne fonctionnaient plus de concert à présent, mais les monstres non plus. Chaque combat était individuel. Pony maniait somptueusement son arme, traçant des cercles autour de ses adversaires jusqu’à ce qu’elle trouve une faille, et, frappant juste alors, finissait généralement la tâche au bout du deuxième, voire du troisième coup mesuré.
Le rôdeur, plus fort et plus habile, faisait moins dans la finesse que dans la puissance pure. Alors que l’adversaire levait son gourdin pour parer, il pulvérisait simplement sa défense, et lui avec, d’une même frappe mortelle. Il s’élançait, de-ci, de-là, se retournait brusquement en changeant complètement de direction, faisait, en somme, tout ce qu’il fallait pour atteindre l’ennemi suivant. Les monstres auraient dû se calmer et organiser une défense cohérente, mais ils étaient stupides, et terrifiés.
Ils périrent promptement.
Les rares à atteindre la ligne des arbres se trouvèrent confrontés à un autre ennemi, une créature petite et fine, à peine aussi haute qu’eux, portant une lame si mince que sa place semblait plus se trouver sur une table que sur un champ de bataille.
Le gobelin de tête fit un écart pour aller attaquer ce nouveau venu, qu’il pensait être un enfant humain, et une proie facile.
L’épée de Juraviel claqua à trois reprises contre la lame ennemie, en succession si rapide que l’autre n’eut pas le temps de réagir. Chaque fois, l’elfe se rapprochait un peu, si bien qu’au moment où la quatrième parade résonna dans les airs, il n’était plus qu’à trente centimètres du gobelin stupéfait.
Son arme frappa encore en un éclair, une, deux, trois fois, laissant autant de trous béants dans le torse du monstre.
Il chargea la créature suivante, désarmée celle-là, car elle était de celles qui avaient jeté leur javeline au rôdeur. Elle leva les mains.
Mais Belli’mar Juraviel des Touel’alfar n’avait pas de pitié pour les gobelins.
La déroute sur la pente s’acheva presque en même temps que celle qui se tenait autour des chariots. Les monstres tombèrent jusqu’au dernier sans qu’aucun soit parvenu à pénétrer le cercle.
Un groupe substantiel demeurait toutefois, qui s’enfuit sur la route en direction de l’est, et quitta le vallon.
Pony trouva Juraviel, tranquillement assis sur une branche basse au sommet de la colline, occupé à nettoyer son arme à l’aide d’un morceau de guenille.
— J’en ai vu quatre passer la crête à toute vitesse et dévaler l’autre versant, appela-t-il.
L’Oiseau de Nuit prétendit siffler Symphonie, mais le cheval fut près de lui avant même que le son ait passé ses lèvres.
— Il n’y aura donc aucun survivant pour porter la légende de l’Oiseau de Nuit ? lança Pony, taquine, alors que le rôdeur tendait la main vers la selle.
Durant la guerre, sur les terres du Nord, il avait souvent laissé s’échapper un ou deux monstres pour qu’ils répandent les murmures effrayés à son sujet.
— Ceux-là ne feront que causer plus de ravages encore, répondit l’Oiseau de Nuit en se hissant sur son cheval. Il y a trop d’innocents par ici. Ils pourraient les blesser. (Pony lui lança un coup d’œil interrogateur, puis regarda Pépite, en se demandant si elle devait l’accompagner. À cette question muette, son compagnon répondit :) Retourne auprès des marchands. Ils ont sûrement besoin de tes talents de guérisseuse.
— Si j’en vois un à l’article de la mort, j’utiliserai la Pierre d’âme, le prévint-elle. (Il acquiesça.) Que fait-on d’eux ? demanda-t-elle alors en indiquant la trentaine de monstres qui s’enfuyaient vers l’est.
Le rôdeur réfléchit et se mit à rire.
— Apparemment, ces moines vont tout de même être mêlés au combat. Dans le cas contraire, nous traquerons cette bande quand nous en aurons terminé ici. Notre route va vers l’est, de toute façon.
Il lança Symphonie au galop avant même que la jeune femme ait pu hocher la tête, et dévala l’autre versant du vallon en préparant Aile de faucon. Distinguant le gobelin de tête qui courait dans l’herbe, il réduisit rapidement la distance dans l’intention de le dépasser et d’utiliser Tempête. Mais il en aperçut alors un second, qui filait dans une tout autre direction. Le groupe s’était éparpillé.
Pas le temps d’utiliser Tempête, décida le rôdeur en levant son arc.
Plus que trois.