II— COMPLAINTE DE JACK L’ÉVENTREUR

Dans le chapitre IX du Soleil naît derrière le Louvre, Nestor Burma entend une «sous-Damia » chanter une Complainte de Jack l’Éventreur dont il cite une strophe. Nous donnons en entier cette complainte dont l’auteur n’est autre que Léo Malet. Écrite en 1940, elle a paru en juillet 1977 dans la revue belge “ Vocatif ».

 

COMPLAINTE DE JACK L’ÉVENTREUR

 

I

Prostituées des bas faubourgs

Putains aux lamentables restes

Filles maudites de l’Amour

Fuyez le brouillard comme peste

Craignez le jour, craignez la nuit

Voici que passe le fantôme

Aux yeux égarés et rêveurs

Voici que passe le fantôme

Le fantôme de Jack l’Éventreur.

 

II

Ne cherchez plus de sûreté

Scotland Yard s’avère incapable

Rien n’a jamais su arrêter

Celui qu’un instinct implacable

Pousse vers les mornes putains

Voici que passe le fantôme

En inoffensif promeneur

Voici que passe le fantôme

Le fantôme de Jack l’Éventreur.

 

III

Craignez le jour craignez la nuit

Craignez l’étrange personnage

Dont le soulier derrière lui

Laisse un pas sanglant dans la neige

Craignez le solitaire errant

Voici que passe le fantôme

De vertigineuse grandeur

Voici que passe le fantôme

Le fantôme de Jack l’Éventreur.

 

IV

Lèvres faites pour le baiser

Doigts fins créés pour les caresses

Malgré lui serrent à broyer

Le cou fragile des maîtresses

Bien éphémères des chômeurs

Voici que passe le fantôme

Dans un matin gris de malheur

Voici que passe le fantôme

Le fantôme de Jack l’Éventreur.

 

V

Catins revêtez vos dessous

Les plus fins et chaussez vos bottes

Faites-vous belles.

C’est pour vous

Qu’un inconnu frappe à la porte.

C’est votre ultime visiteur.

Voici que passe le fantôme

La brume descend en nos cœurs

Voici que passe le fantôme

Le fantôme de Jack l’Éventreur.

Marche

Marche

Dans la neige et la pluie

Dans le vent et dans la bourrasqueMarche

Fantôme

Marche Fantôme de Jack l’Éventreur

Vers le crime la sanglante

justification de ta vie

Marche

Dans le vent et dans la pluie.

 

(1940)