CHAPITRE X

LE GRILLON ET LA SAUTERELLE

Le Grillon s’ouvrait non loin du cabaret de Gilles et lui faisait, pour un soir, une fameuse concurrence. A peu près toutes les voitures stationnées le long du trottoir de l’avenue de l’Opéra, et dans les rues adjacentes, appartenaient aux invités du nouvel établissement. J’avais tout du pedzouille, à m’amener à pinces, sous un sale petit crachin glacé. Ma seule excuse était que je venais en voisin. Sous l’abri précaire de l’auvent étroit d’une boutique proche, au rideau de fer baissé, un type fumait mélancoliquement une cigarette. Lorsque je parvins à sa hauteur, le type ricana et se détacha du mur. Je reconnus Chassard.

— Vous avez des regrets ? dis-je.

— Quels regrets ?

— Pour la carte.

— Je me fous de la carte. Je regardais le mouvement. Ça m’amuse.

— Beaucoup de vieilles, là-dedans ?

— Allez vous faire foutre.

— Faudra me donner une adresse, mon pote.

Il blêmit. La colère crispa son visage. Puis, il se domina, un sourire méchant lui tordit les lèvres, il haussa les épaules, releva le col de son pardessus et partit en essayant de siffloter.

J’entrai dans le cabaret, déposai mon vestiaire et descendis dans la salle du spectacle, où régnait une atmosphère satinée et luxueuse. Ça sentait le tabac blond, l’alcool et le parfum de prix. Un peu la peau, aussi, peut-être. Une minuscule scène se dressait dans le fond et le public s’entassait autour d’une minuscule piste de danse. Il n’y avait que les verres dans lesquels on buvait qui n’étaient pas minuscules. C’était parfait. Je réussis à me caser dans un coin et j’écoutai une sous-Damia chanter Feuilles d’automne et ensuite La Complainte de Jack l’Eventreur, musique de Christiane Verger.

... Catins, il n’est pas de meilleure façon de quitter le métier lorsque rôde dans le quartier le miché de la dernière heure.

Voici que passe le fantôme. La brume descend en nos cœurs. Voici que passe le fantôme le fantôme de Jack l’Eventreur.La chanteuse s’inclina, croulant sous les bravos et, entraînée par sa poitrine, qu’elle avait un peu abondante, parut ne plus pouvoir se redresser. Enfin, tout s’arrangea. Un type en smoking prit la place de la victime du sadique londonien et annonça que maintenant, mesdames et messieurs, on allait danser un petit peu grâce à l’or-ches-tre de Pas-cal Pas-cal, en un prénom bissé, deux mots et quatre syllabes. Les musiciens envahirent le plateau et commencèrent à faire du bruit.

Cette succession de numéros avait donné lieu à de savants jeux de lumière au cours desquels j’avais cherché Geneviève Levasseur du regard. A travers la fumée du tabac, je l’aperçus à une table fort éloignée de la mienne, en compagnie d’amis. D’amis à elle. Elle ne paraissait pas s’amuser follement. Le genre veuve obligée, de par sa profession, à parader coûte que coûte, ris donc Paillasse et tout le Saint-Frus- quin. Je me débrouillai pour cingler vers elle. Je stoppai devant sa table. Elle leva les yeux sur moi. Ses yeux en amande, un peu verts. Ils pétillèrent, mais elle me décocha un sourire triste :

— Oh ! Vous ici ? Par quel hasard ?

— Je lui rendis son sourire :

— Je suis une célébrité parisienne, voyons.

— Oh ! ça, vous pouvez le dire...

Elle s’excusa auprès de ses voisins de table et vint me rejoindre :

— ... Mon Dieu ! Quel homme affreux vous êtes, minauda-t-elle.

Sa robe du soir lui seyait à ravir. Le contraire eût été étonnant. Mannequin. Elle montrait plus de chair que quelques heures auparavant et ne devait pas avoir beaucoup de linge sous son fourreau noir. C’est très joli, ces robes sans épaulettes, mais c’est trompeur. Les épaules, les bras et une appréciable partie du dos sont découverts, toutefois le corsage minimum baleiné, je ne sais pas comment ça s’appelle, cette partie de la robe qui cache les seins, quoi, c’est un attrape-nigaud. Ça colle à la peau, ça y adhère, celle qui le porte peut se pencher, faire les pieds au mur sans crainte d’en montrer plus qu’il n’est permis. Une véritable escroquerie, si on veut mon avis.

— Affreux ? dis-je. Pourquoi ?

— Pour rien. Vous m’invitez à danser ?

Elle posa sa main sur mon bras. Son parfum domina tous les autres et me chatouilla les narines.

— Excusez-moi, bafouillai-je. Je ne sais pas.

— Vrai ?

— Vrai.

— Il faudra apprendre.

— C’est une idée. Quand j’aurai le temps...

— Oui...

Son regard se voila et elle frissonna :

— ... Quand vos cadavres vous laisseront quelques loisirs.

— Ah ! Vous avez appris ? C’est vrai. Les journaux. C’est pour cela que vous me traitiez d’homme affreux ? Vous savez, je n’y suis pour rien, moi, dans tout ça.

— Puisque vous ne dansez pas, offrez-moi une coupe de Champagne au bar, dit-elle, brusquement.

Le bar était installé dans une pièce attenante d’où on conservait une vue sur la salle et la scène par une ouverture en ogive. Nous prîmes place à une extrémité du comptoir :

— Et moi qui ai fait appel à vous pour ma tranquillité, soupira Geneviève. Moi qui vous prenais pour un homme tranquille. Et on trouve des morts dans vos bureaux...

— La tranquillité n’existe pas. Tenez, votre hôtel, il est célèbre et respectable, n’est-ce pas ? Eh bien...

Elle m’interrompit :

— Oui, je sais... Etienne y demeurait et... et ce... ce Birikos aussi...

— Le directeur doit être furieux ?

Il ne le manifeste pas, mais il doit l’être.

— Ecoutez, Geneviève... Je peux vous appeler Geneviève ?... Si ça vous déplaît, ne vous vengez pas en m’appelant Nestor, du moins à tue-tête... Je peux ?

Elle m’y autorisa avec un sourire.

— Eh bien, Geneviève... ne vous en prenez qu’à vous-même ; c’est vous qui amenez la conversation là-dessus... Je voudrais vous parler de ce Birikos.

— Pas ici, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Dites-moi seulement si vous le connaissiez.

Un tiers s’interposa, qui l’empêcha de répondre. Un fâcheux qui me tapa sur l’épaule, en proférant d’une voix titrant 45 degrés minimum :

— Sacré Nestor.

Je me retournai sur la face hilare et les yeux aqueux de Marc Covet, rédacteur au Crépuscule.

— Alors, on se cèle, me reprocha-t-il. On ne répond plus au téléphone, on est par monts et par vaux et on laisse sécher les copains ?

— Sécher ? Curieux verbe dans votre bouche.

— Que d’esprit !

— Excusez-moi, dit Geneviève. Je vais revenir.

Le journaliste la regarda avec intérêt.

— Belle poule, dit-il, cependant qu’elle s’éloignait.

— Vous l’avez fait fuir.

— Elle a promis de revenir. Bon. Je suis bien content de vous mettre le grappin dessus. Qu’est-ce que c’est que cette affaire Birikos ?

— Vous ne lisez donc pas les journaux ?

— Je les fais, nom de Dieu, et ce n’est pas toujours facile. C’est même très difficile, parce que je sens que vous ne voulez rien me dire, hein ?

— Vous avez bon odorat.

Il fronça les sourcils et sourit en même temps :

— Ça va. Je la bouclerai aussi.

— C’est ce que vous avez de mieux à faire. Vous me cassez les oreilles.

Tout en parlant, mes yeux fouillaient le bar et, en dépit de la lumière tamisée qui laissait de nombreux recoins dans l’ombre, j’aperçus Geneviève, à l’autre extrémité, en conversation avec un vieux beau à l’air grave. Ou plutôt en fin de conversation, car ils étaient en train de se séparer. Geneviève disparut vers les lavabos et je perdis de vue le vieux beau.

— Je me tire, dit Covet. Je vais essayer d’obtenir des tuyaux ailleurs.

Geneviève revenait. Je vis le journaliste l’accoster, échanger quelques mots avec elle. Puis, il se perdit dans la foule.

— Je n’ai pas été trop longtemps ? demanda Geneviève, en se hissant sur le tabouret voisin du mien.

Elle paraissait lasse, dégoûtée. Si c’était tout l’effet que lui produisait le rédacteur au Crépu... Je lui balançai un boniment galant, puis :

— ... Ce type a essayé de vous tirer les vers du nez ?

— Quel type ?

— Cet abruti de reporter, mon copain.

— Euh... peut-être... en tout cas, je ne lui ai pas dit grand-chose.

Elle vida son verre :

— Vous restez, monsieur Burma ?

— Je ne sais pas.

— Moi, je pars. J’en ai assez, de tout ce vacarme. Accompagnez-moi. Vous êtes mon garde du corps, pour ainsi dire.

— Cela me rappelle que Chassard rôdait dans le coin.

— Vous voyez ! J’ai besoin de vous...

Elle haussa les épaules :

— ... Ce pauvre Chassard ! Il est plus à plaindre qu’à blâmer.

— Vous vouliez que je le balance par la fenêtre de votre appartement.

— Oui, ce n’était pas une mauvaise idée.

A mon tour, je haussai les épaules.

— Précédez-moi en haut, dit-elle. Je vais prendre congé de mes amis.

Je payai, allai reprendre mes frusques et l’attendis près du vestiaire. Elle y vint récupérer bientôt une cape de fourrure et nous quittâmes le Grillon. Sa voiture était rangée rue des Pyramides, à deux pas du cabaret. C’était un petit cabriolet de forme élégante.

— Conduisez, voulez-vous, monsieur Burma.

Je me mis au volant :

— Où va-t-on ?

— Mais... Où voulez-vous qu’on aille ?

— Je ne sais pas.

— Chez vous, peut-être, gros malin ?

— Non, il y a trop de poussière.

— C’est bien ce que je pensais. Hôtel Transocéan, chauffeur. Et vite. J’ai soif.

— On peut s’arrêter dans un bistrot ou retourner au Grillon.

— Je veux boire chez moi.

— Bien, mademoiselle...

— ... Que fait-on de la voiture ? demandai-je, lorsque j’eus stoppé devant l’entrée du palace.

— Il y a des employés pour se charger de tout, ici, dit-elle, en descendant. Mais, peut-être... Vous demeurez loin ?

— J’étais toujours au volant :

— Assez.

— Vous voulez la prendre ?

— C’est-à-dire...

— On vous attend, chez vous ?

— Sans doute.

— Vous n’en êtes pas sûr ?

— Si. J’en suis sûr. Elle m’attend.

— Quel nom ?

— Facture.

Elle se mit à rire, nerveusement :

— Vous êtes impayable.

— Hélas !...

Je descendis de voiture et claquai la portière. C’était un très joli cabriolet.

— ... Vous n’auriez pas dû me faire parler ainsi. Ça m’a donné soif aussi. Je... je peux vous accompagner ?

Elle me regarda sans répondre et puis, elle pivota, et je m’engageai dans le sillage de son parfum. En passant devant la réception, elle donna des ordres pour qu’un maître d’hôtel apportât dans son appartement tout ce qu’il fallait pour se rafraîchir. En entrant chez elle, elle jeta sa cape de fourrure sur une chaise, à la volée, et se laissa tomber sur la bergère.

— Je suis rompue, dit-elle. Excusez-moi, monsieur Burma, mais... je vous demanderai de ne pas rester trop longtemps... Enlevez tout de même votre par-dessus... on étouffe, ici.

Je déposai pardessus et chapeau sur la cape de fourrure.

— Une cigarette ?

Je pris la cigarette à bout de carton et allumai les deux :

— Connaissiez-vous ce Birikos ? demandai-je.

Je n’avais pas de chance, avec cette question. A peine l’avais-je formulée que l’on frappa à la porte. C’étaient les rafraîchissements commandés, apportés par un larbin somnolent. Lorsqu’il fut parti se recoucher, je dis :

— Connaissiez-vous ce Birikos ?

Elle me regarda par-dessus son verre :

— Vous êtes vraiment un détective, n’est-ce pas ? Vous ne prenez pas le temps de souffler. Tout de suite les questions. Ce doit être un métier passionnant, que le vôtre, pour que vous y apportiez tant d’acharnement. Il faudra que vous me racontiez quelques-unes de vos enquêtes.

— Je ne satisferai pas vos goûts morbides.

— Ce ne sont pas des goûts morbides.

— Si. Qu’avez-vous besoin de connaître d’autres drames ? Celui auquel vous êtes mêlée ne vous suffit pas ?

— Très bien, dit-elle, pincée. Je méritais cette leçon.

— Vous m’en voulez ?

— Non. Je suis une fille stupide.

— Vous êtes charmante. Et je vous raconterai des histoires de brigands, mais un autre jour. Aujourd’hui, ça prendrait trop de temps, et il n’en resterait plus assez pour que vous répondiez à ma question : connaissiez-vous Nick Birikos ?

— Vous êtes un homme terrible.

— Terrible et affreux.

— Moquez-vous de moi. Non, je ne le connaissais pas. Je sais qu’il demeurait ici, c’est tout. J’ai dû le croiser dans les couloirs et il a dû me saluer, comme tout le monde me salue... De moins en moins, d’ailleurs... (Elle soupira.)... C’est tout... Et maintenant, monsieur Burma, ajouta-t-elle, d’un ton brusquement railleur, me permettez-vous une question, à mon tour ? Vous me demandez si je connais Birikos, parce qu’il logeait au même hôtel que moi. C’est un peu comme si vous demandiez à un habitant de Rambouillet s’il connaît le président de la République, non ?

— C’est là votre question ?

— Non. Ma question est celle-ci : connaissiez-vous Birikos et que faisait-il dans vos bureaux ?... Car, enfin, ce n’est pas dans ma chambre qu’on a trouvé son... que... qu’il est mort, n’est-ce pas ?

— Je ne connaissais pas Birikos et j’ignore pourquoi il est venu me cambrioler. J’ignore également pourquoi il est mort. Mais j’ai tout lieu de croire qu’il connaissait votre amant.

— Dans ce cas, je ne puis vous être d’aucune utilité ! répliqua-t-elle, sèchement. Je ne m’occupais pas des... des affaires d’Etienne et j’ignorais leur... leur caractère. La police sait à quoi s’en tenir là- dessus.

— Vous voyez comme vous êtes, protestai-je. Nous sommes ^à, gentiment installés, et vous parlez de la police. C’est une incongruité.

— Vous avez raison. Parlons d’autre chose.

Je consultai ma montre :

— Il se fait tard.

— Vous n’êtes pas à une demi-heure près. Vous m’emprunterez la voiture. En attendant, videz votre verre...

Je le vidai et elle le remplit.

Elle profita de ce qu’elle était debout pour placer un microsillon sur le tourne-disque. Un langoureux air de danse, aussi ténu qu’un alibi, se mit à ramper dans la pièce.

Son verre à la main, elle alla se blottir sur sa bergère, son pied scandant la mesure.

— Comment un homme comme vous ne sait-il pas danser ? dit-elle. Ça me dépasse.

Je saisis mon verre et le vidai :

— C’est vers seize ou dix-sept ans, qu’on apprend à danser, dis-je. A cet âge, j’avais d’autres chats à fouetter.

Elle ôta son soulier gauche et entreprit de se caresser le pied, puis la cheville :

— C’est-à-dire ?

— Disons que je volais aux étalages pour bouffer.

— Mon Dieu ! Nestor Burma, le défenseur de la loi, voleur à l’étalage !

Elle se renversa en arrière et émit un prolongé rire de gorge.

— Je ne suis pas un défenseur de la loi, dis-je. En général, les lois sont mal foutues. Je me débrouille, c’est tout.

Elle se leva et vint vers moi en boitillant, à cause de la chaussure laissée en rideau :

— Vous devenez amer. Buvez un coup. Ça vous attendrira.

Nos doigts se touchèrent, lorsque je lui pris des mains le verre qu’elle me tendait. La musique rampait toujours.

— Et maintenant, je vais vous apprendre à danser, s’écria-t-elle, joyeuse comme une petite fille, en remettant son soulier à haut talon. On ne peut pas dédaigner un air si joli.

— Enfilez des bottes, alors, conseillai-je, en ricanant. Je vais vous aplatir les orteils.

— Je cours le risque.

Elle m’enlaça et nous fîmes quelques pas hésitants. Ce n’était pas fameux. La tête me tournait. Son parfum, ajouté à ce que j’avais déjà bu, achevait de me soûler. Je sentais son cœur battre à grands coups désordonnés contre ma poitrine. Je nous immobilisai, lui entourai de mes bras ses épaules nues et je la serrai à l’étouffer.

— Monsieur Burma ! chuchota-t-elle, avec reproche.

— Laisse tomber le monsieur, dis-je, la voix rauque.

— Laissez tomber la femme, plutôt. Vous me faites mal.

Je ne répondis pas.

Je la serrai encore plus violemment, je la soudai à moi, je lui écrasai mes lèvres sur la bouche, sa bouche qui sentait la framboise. Elle ne me rendit pas mon baiser. Je la sentis se raidir, comme en un mouvement de répulsion.

Je la lâchai.

— Excusez-moi, dis-je. C’est votre faute.

Elle se dirigea en titubant vers la bergère, s’y écroula en sanglotant dans ses bras repliés. Je la regardai un instant en silence, puis j’attrapai mon pardingue, l’endossai, et pris mon chapeau :

— Bonsoir, dis-je. Bonsoir... Geneviève.

Elle leva vers moi un visage baigné de larmes, se tamponna le bout du nez avec un mouchoir péché je ne sais où, me lança un regard apeuré.

Elle me rattrapa à la porte. Ce fut elle qui m’emprisonna dans ses bras parfumés et si elle ne m’avait pas rendu mon baiser, tout à l’heure, elle m’en donna un, à ce moment, qui comptait pour plusieurs. La musique rampait toujours, douce, insinuante, suggestive. Il me semblait tenir contre mon corps tressaillant l’album de Vogue tout entier.

***

Je me réveillai, nanti d’un léger mal aux cheveux. J’étais étendu dans un lit qui me parut étranger. Je connais mon plumard. Il a des bosses, par-ci par-là. Celui-ci n’en présentait aucune. Par les interstices d’un rideau mal joint, un jour pâle pénétrait, éclairant faiblement une chambre parfumée qui n’était pas la mienne. Je sentis un corps chaud allongé contre le mien. Je me tournai vers lui... Geneviève... Elle émit un doux balbutiement, remua un peu, sans cesser de dormir. Eh bien, ça y était ! Ils avaient gagné, Faroux, Chassard, tous les prophètes ! Faroux ! Il s’était quand même gouré sur un point, Florimond. Trente ans, il avait dit. Peut-être. Mais il y en avait qui comptaient double, dans le tas. Elle restait belle, mais, sans le secours de fards ou d’éclairages complices, le visage montrait... son vrai visage. Et la poitrine avait perdu beaucoup de son orgueil. Je m’injuriai. Qu’est-ce que c’était que cet esprit critique, en pareilles circonstances ? Ah ! oui. M. Nestor Burma, détective. Un beau salaud, s’il persévérait dans cette voie. Je sortis du lit, enfilai mon falzar et passai dans le petit salon. Je fis la lumière et une glace me renvoya mon image. M. Nestor Burma, détective. Ouais. Sans bruit, avec méthode et souplesse, j’entrepris de fouiller un peu partout. Le salon, la chambre, la salle de bains, une penderie, les vêtements, je visitai tout. Je ne savais pas exactement ce que je cherchais, et d’ailleurs je ne trouvai rien, mais j’accomplissais mon boulot de dégueulasse. Si ça pouvait me consoler, je n’étais pas seul. Je m’aperçus à certains détails imperceptibles, sauf pour un œil exercé, que des fouineurs étaient passés par là, les jours précédents. Peut-être les flics. Peut-être d’autres types. J’étais de retour dans le salon, lorsque je m’entendis appeler par Geneviève. Je la rejoignis.

— Mademoiselle désire-t-elle que j’écarte les rideaux et fasse avancer le jardin des Tuileries pour elle ? demandai-je.

— Mon Dieu ! roucoula-t-elle. Que de poésie pour un... un détective. Non, mon chéri. Ne touche surtout pas aux rideaux. Je suis affreuse, au réveil.

Elle ne paraissait pas dire ça pour se rendre intéressante. Ça devait la travailler vraiment.

Je passai au salon. Je tirai les rideaux, ouvris les fenêtres et m’aventurai sur le balcon. L’air était glacial. Un brouillard jaunâtre stagnait sur Paris. Mais il serait bientôt dissipé. Le soleil naissait derrière le Louvre.