CHAPITRE VII

LA VIE PARISIENNE

Les pavés inégaux m’entraient dans le corps.

Mes mains meurtries les palpaient, cherchant à les saisir, je me demande bien dans quelle intention. Qu’avais-je à faire de ces pavés ? Je n’allais pas construire une barricade. C’est en été, qu’on construit des barricades. Venez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs par jour. Pour combien mourais-je, moi ? Trois millions, c’était une somme intéressante... si je l’empochais. Et si je l’empochais, elle servirait à me soigner. Les pavés étaient gluants d’humidité et je glissais dessus. J’aurais donné beaucoup, mais pas les trois millions, pour me mettre debout. Macache.

Je rampais.

J’avais reçu un fameux choc sur la calebasse. Deux, plutôt. Trois, en comptant bien. Autant que de millions. Le premier...

Je rampais.

Les pavés étaient pointus, humides et froids. Non loin, l’eau coulait. Doucement. Traîtreusement. Avec un bruit sale. Autour de moi, tout était noir.

Des lumières clignotaient bien, là-bas, au diable, couronnant une masse sombre, plus sombre que la nuit, qui me parut être un pont, mais autour de moi, régnait le noir absolu.

Je rampais.

L’eau coulait plus vite et plus près, ou c’étaient mes oreilles qui me jouaient des tours. Quelque chose d’infect, supérieurement malodorant, un paquet ignoble se posa presque contre ma joue.

— Pas plus loin, mon pote, grasseya une voix avinée.

Mes doigts gourds se refermèrent sur le paquet. C’était un pied. Une jambe y était adaptée et ainsi de suite. Au sommet de tout cela, il y avait la voix.

— Tu veux te foutre à la Seine, p’tit gars ?

— Sais pas, parvins-je à articuler avec effort.

— T’as des chagrins d’amour ?

— Sais pas.

— Je m’en vas t’emmener à l’abri. Je t’ai sauvé la vie, hein ? Tu t’en souviendras, hein ? Sans mézigue, tu piquais un plongeon dans le jus, c’est Bébert qui te le dit.

— Bébert ?... Le flambeur ?...

— Très peu pour mézigue. Le rouge est mis pour les courtines. Parle de ça à la Dussèche.

Il se pencha sur moi, m’enveloppa dans un parfum de futaille qui provoqua une révolte de mon estomac. Il passa ses mains sous mes aisselles et me tira jusque sous un pont.

— V’là de la visite pour toi, Dussèche. Un mec du monde. Un gars de la haute. Il est tombé de sa bagnole ou on l’a foutu par la portière...— C’est un coup de matraque, dis-je, péniblement.

— Peut-être les deux, fit le clochard. T’as peut- être écopé un coup de matraque, mais j’ai bien vu la bagnole et j’ai bien vu que t’en étais éjecté.

— Agression nocturne, fit une voix de femme, une voix cassée, brisée, en mille morceaux, sans âge et presque sans sexe. On va être emmerdés avec ce gars-là.

— Non, non, implorai-je. Pas d’emmerdements avec moi. Pas d’emmerdements.

Les emmerdements, c’était le rayon exclusif de Nestor Burma. Je les gardais jalousement. Je n’allais pas les partager.

— C’est mon pote, fit le clochard. J’y ai sauvé la vie. Il l’oubliera pas. Y va me filer une récompense.

Je le sentis qui entreprenait de me fouiller. Je laissai faire. Ce n’était pas la première fois qu’on me fouillait, cette nuit. C’était même la troisième, s’il y avait encore place pour des souvenirs dans mon cigare endolori.

Ça avait commencé chez l’oiseleur. A ce moment- là, je ne savais pas que c’était chez un oiseleur. Une riche idée que j’avais eue d’aller prendre le vent, quai de la Mégisserie. J’y avais pris le premier coup de matraque. J’aurais mieux fait d’aller au café. Les promeneurs étaient rares, sur les quais, mais il y en avait toujours un de trop : celui qui m’avait expédié dans les pommes, à la hauteur de la rue Bertin— Poirée. (Je me souvenais de l’endroit ; c’était déjà ça.) Lorsque j’étais sorti du cirage, un peu (ou beaucoup) plus tard, je me demandais encore comment ça s’était goupillé. Je n’avais rien de mieux à faire, évidemment... Entre-temps, malgré mon état comateux, il m’avait semblé qu’on me faisait les poches...

— Qu’est-ce que tu maquilles ? demanda la clocharde.

— A peut-être une adresse à prévenir en cas d’accident, répondit le clochard.

— Fais pas l’andouille, Bébert. Tu sais pas lire. Fauche rien au gars...

J’étendis les membres. C’était bon, de pouvoir s’étirer. Même si ça faisait un peu mal et si c’était dans le décor inhospitalier d’un pont, abrité du crachin mais pas des courants d’air. La première fois que j’étais revenu à moi... j’avais les chevilles, les jambes, les poignets et les bras liés et, pour se débarrasser de ces cordes, c’était aussi difficile que d’obtenir un délai de mon percepteur. D’ailleurs, je n’essayais pas. (Avec le percepteur, j’essaie.) J’étais dans un drôle d’endroit. Un endroit obscur, plein d’une étrange vie, de mouvements furtifs. Un endroit pas très chaud et qui fleurait le son, le maïs ou ce genre de céréales. Je ne sais pas pourquoi, j’avais voulu siffler, m’apercevant alors que j’étais bâillonné, en plus. Et je devais avoir aussi un bandeau sur les yeux. J’avais roulé sur moi-même. J’avais heurté quelque chose, provoquant un bruit assourdissant (qui m’avait paru assourdissant), de battements d’ailes. Puis, un canari avait déchiré le silence d’une roulade coléreuse et un ramier avait roucoulé. J’étais chez un oiseleur et c’était moi le joli z’oiseau, le bon pigeon, et en cage, comme tout le monde.

— Rebecte-le avec un coup de rouge et bon vent, conseilla la clocharde.

— C’est mon pote, dit le clochard.

— Il craqua une allumette.

Le bruit fait par les oiseaux dérangés dans leur sommeil n’avait attiré personne. C’était bien plus tard qu’un type était venu, un type que je n’avais pas vu, à cause du bandeau, que j’avais seulement senti, un type nerveux, agité. Il avait encore plongé ses mains dans mes poches, m’avait mis debout et... Et puis, plus rien. C’était le second coup de matraque de la soirée. Je m’étais retrouvé sur la berge, ensuite, désaucissonné, rampant vers le fleuve au risque de m’y engloutir, balancé d’une voiture, disait le clodo. J’avais dû rêver. Ça ne rimait à rien, tout ça. On m’avait assailli, matraqué, ligoté, laissé tout seul avec des oiseaux, puis remis en circulation. On ne m’avait pas posé de questions, rien. J’avais dû rêver. Et je devais rêver encore. Ça ne rimait à rien. A moins qu’on ne m’ait fauché le portefeuille. Mais, bon sang ! que d’embarras pour faucher un portefeuille. Et mon portefeuille...

Un vent coulis avait éteint la première allumette. Une seconde fut frottée. Une flamme jaune persista. On avait dû allumer une bougie.

Je vis, à travers une brume, le clochard brandir mon portefeuille, le tendre à sa compagne, une loqueteuse, comme lui :

— Tiens, Dussèche, puisque, toi, tu sais lire...

— C’est un flic, dit la clocharde, au bout d’un petit silence. Je t’ai dit qu’on aurait des emm...

— Flic ou pas flic, c’est mon pote. J’y ai sauvé la mise. Il s’en souviendra. Et puisqu’il est flic, il nous filera un coup de main...

— C’est pas un vrai flic. C’est un détective privé. Tu sais ce que c’est, Bébert ?

— Non. C’est un flic ou c’est pas un flic ?

— C’est un flic sans être un flic.

— Oh ! merde ! Refile-moi son crapaud que j’y refoute en fouille.

— Je connais cet homme, dit la Dussèche d’une voix changée. Lui et son frangin...

Le clochard, campé devant moi, me dominait. Il se pencha, mon portefeuille à la main :

— On t’a rien barboté, p’tit pote. On est pas des voleurs, nouzigues. Mais t’oublieras pas le service, hein ?

Il glissa le portefeuille dans ma poche. La lumière s’éteignit. J’entendis une bouteille en heurter une autre, puis un glouglou et un claquement de langue significatifs.

— Hé ! Dussèche, protesta le clochard, tu écluses en Suisse, à c’tte heure ?

— Elle cracha une injure, puis :

— Ça réchauffe.

— Passe-moi le gorgeon.

— Je vais lui en offrir moi-même, chevrota la clocharde.

— Je la sentis qui s’approchait :

— Eclairez, Albert, que je voie la bobine de notre hôte.

— Voui, Dussèche.

Une allumette fut craquée.

— Buvez ça, dit-elle. C’est de la saloperie, mais j’ai pas les moyens d’acheter autre chose. Dans le temps, j’avais des caves pleines...

Faiblement, j’écartai la bouteille. Je ne crache pas sur le vin rouge, mais pour le moment, vraiment, je ne me sentais pas capable de le supporter.

— C’est pas du pinard, dit-elle, comme si elle avait deviné mes pensées.

— Pas du pinard ? hoqueta le clochard.

De surprise, il en laissa tomber l’allumette.

— Et quoi que c’est, alors ?

— Du rhum.

— Ah ! Madame a ses petites planquettes ?

— Voui, monsieur.

— Fais voir l’étiquette.

— Y a pas d’étiquette et laisse ta calbombe. On finira par se faire repérer... Bois, mon amour, ajouta-t-elle.

Cette dernière injonction s’adressait à moi. J’avalai une gorgée de rhum. Ça me fit du bien.

— Ça va mieux ?

— Oui.

— C’est cent balles.

— Oui.

— Tu casqueras quand tu te tireras.

— Oui.

Le clochard grogna :

— Et pour mi, c’est cent balles, aussi ?

— V’là la rouille, dit la vieille.

— C’est du bon, fit-il, avec une petite toux.

— C’est de la saloperie, dit l’autre.

Une espèce de nippe fut jetée sur mes jambes. Je restai étendu. Il faisait moins froid que je n’aurais cru, sous ce pont, ou alors c’était le rhum qui agissait. Lentement, je récupérais. Dés que je me sentirais mieux, je foncerais à l’Agence, m’allonger sur un lit bien propre et soigner ma cafetière. Les deux cloches, pelotonnées à côté de moi, parlaient à voix basse, donnant de temps à autre une accolade à la bouteille.

— Je connais cet homme, chuchota la clocharde. Ou c’est quelqu’un qui lui ressemble. Quelqu’un que j’ai connu, quand j’étais riche...

— Quand tu étais Dussèche, grinça son compagnon.

— Quand j’étais Aurélienne d’Arnetal...

— Tu nous brises les nougats. T’es pas Darnetal, t’es de Villedieu-les-Poêles.

— Espèce d’andouille. Alençon était déjà pris par Emilienne. Avant moi. Moi, je n’ai régné qu’en 1925...

— Régné !

Il cracha.

— Voui, monsieur le cornichon. C’est comme ça qu’on dit. Je pouvais pas non plus m’appeler de Villedieu-les-Poêles...

— Ça l’aurait foutu mal.

— Je me suis appelée d’Arnetal... Ils étaient deux et ils voulaient coucher avec moi... Ensemble, presque... C’était un truc à se paumer...

— Rien que deux ? Je croyais que tu les tombais tous, les rupins.

— Espèce d’andouille, répéta-t-elle. Tu comprendrais pas. T’as jamais entendu parler d’Aurélienne d’Arnetal ?— Nom de Dieu, si ! Depuis que je te connais, Dussèche, tu me casses les pinceaux avec ça.

— Et avant ?

— Oh …avant aussi, j’en ai entendu parler. C’était une cocotte. Une Reine de Paris.

— Voui, mon andouille. J’avais bagnoles, larbins, hôtel particulier avenue du Bois et maison à la campagne... C’est pas si vieux, nom de Dieu ! En 1925.

Il ricana :

— Maison de campagne... A Villedieu-les-Poêles.

— Pourquoi pas ? Passe-moi la bouteille...

— L’est vide.

— Sale cochon.

Ils commencèrent à se disputer, puis s’apaisèrent. Ma tête allait mieux. Ça tournait moins. Maintenant que ma tête allait mieux, il était inutile de rester là à attendre une pneumonie. Je me mis debout. Oui, ça pouvait aller.

— Où que tu vas, p’tit pote ? demanda le clochard.

— Je me tire, dis-je. J’ai un lit, quelque part.

— T’as de la veine, dit la femme.

— A revendre, dis-je.

— Moi aussi, j’en ai eu un, de plumard.

— Avec des tas de michés dedans, fit le clochard.

Elle ricana, sans plus.

Je pris mon portefeuille et éprouvai une nouvelle surprise. Mon fric avait été respecté. Je sentais sous les doigts le papier caractéristique des billets de banque. Décidément, plus je m’interrogeais sur cette agression, plus elle m’apparaissait dépourvue de sens. Je choisis quelques billets et les glissai, en tâtonnant, dans la première main que je rencontrai sous la mienne.

Et puis, je m’en fus, en titubant.

***

Je titubai jusqu’à la rue des Petits-Champs et la distance me parut longue. Je rencontrai quelques noctambules, mais pas un flic. C’était aussi bien. Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il pouvait être. Ma montre était arrêtée. Il faisait nuit, c’est tout ce que je savais et je n’en demandais pas plus.

Gravir mes deux étages me prit un bon quart d’heure. A chaque marche, sous mes paupières closes pour cause d’abrutissement, c’était une véritable exposition de blanc : des draps frais, des taies d’oreillers propres, des matelas, un plumard, un excellent plumard, doux, mœlleux et chaud, tout cela dansait devant moi. Un plumard... Il y en avait un qui m’attendait derrière cette porte sur le panneau de laquelle on lisait : Agence Fiat Lux. Nestor Burma, directeur. Cette porte constituait le dernier obstacle, mais un obstacle de choix. Impossible de trouver mes clefs. Enfin, je mis la main dessus. Elles n’étaient pas dans la poche où je les mets d’habitude.

J’ouvris. J’entrai dans la salle d’attente. Puis, dans le bureau d’Hélène... Ne faites jamais de projets. Dans la pièce à côté, le divan me tendait les bras, mais quelque chose me disait que je n’allais pas pouvoir l’utiliser tout de suite... Il régnait une drôle de pagaille, dans le bureau d’Hélène. Des tiroirs mal fermés laissaient voir des traces de fouille. Des classeurs, descendus de leurs rayons, n’avaient pas été remis en place. Tout doucement, comme un détective de gabarit moyen, je commençais à entrevoir les raisons de mon agression. Je me dirigeai vers mon bureau personnel. J’ouvris la porte, mes doigts manœuvrèrent l’interrupteur et le plafonnier éclaira la pièce de toutes ses ampoules. J’étais resté sur le seuil pour bien jouir du spectacle, si on m’en avait réservé un. Je fus servi. Même désordre, même bouleversement, mêmes traces du passage de cambrioleurs. Pour le moment, il m’était difficile de dire s’ils avaient emporté quoi que ce fût. Mais ce qui crevait les yeux, c’est qu’ils avaient laissé quelque chose.

La chaussure, de luxueux cuir fauve, ne se tenait pas exactement comme doit se tenir une chaussure honnête, lorsqu’elle est vide. Mais elle n’était pas vide. Un pied l’habitait. Le début, en commençant par le bas, d’un corps humain normalement constitué et en assez bon état de conservation. L’homme était étendu, le visage enfoui dans les plis du tapis bousculé. Avec précaution, et surmontant ma fatigue, je lui soulevai la tête, par les tifs. La quarantaine, plus ou moins dépassée. Maintenant, il n’irait pas plus loin. Des yeux gris, une légère moustache, des lèvres minces, un menton lourd, des cheveux crêpelés. M. Birikos. Nick Birikos. Le Grec. Va te faire voir.

Je passai dans l’autre pièce, celle qui contient le divan, mais j’ignorai ce meuble tentateur. Je me tapai un vulnéraire additionné d’aspirine, me calai debout contre le mur et entrepris de récupérer. Lorsque je me sentis suffisamment d’attaque je revins auprès du macchabée.

Je le fouillai. On fouillait beaucoup, cette nuit-là. Ça ne me rapporta rien, sinon des nausées. Pas de passeport. Divers documents, dont un permis de conduire, tous au nom de Nicolas Birikos, Athénien fort atteint. Du fric. Un peu. Pas beaucoup. Assez, néanmoins, pour payer le nettoyage du tapis et même le remplacer par un neuf. Je pris le fric. A part ça, rien pour Nestor. Rien qui m’oriente sur une piste. Rien me permettant de comprendre ce qu’il était venu chercher dans mes bureaux. Il y avait trouvé la mort, ce qu’il n’espérait certainement pas.

Il avait reçu une balle en plein cœur. D’après l’état des lieux et certaines traces que je relevai de-ci de-là, sur ses poignets notamment, il y avait eu lutte.

Tout douloureux que fût mon crâne, il se mit à fonctionner.

Ils étaient au moins deux — Nick Birikos et X... — qui cherchaient quelque chose dans mes dossiers. Bon. Quoi ? Ils avaient de la veine de le savoir, parce que, moi... Pour m’écarter, on m’attirait dans un guet-apens (entre parenthèses, j’avais foncé dans le panneau comme un novice. Je me consolai en songeant que si j’avais éventé la combine, un autre dispositif prévu aurait été mis en place)... donc, on m’attirait dans un piège pour se procurer mes clefs et s’assurer que je ne viendrais pas déranger les opérations.

Au cours de la visite domiciliaire, l’objet ( ?) recherché était découvert (mais quoi, sacré nom ?), et une bagarre s’ensuivait parce que les deux associés, à ce moment, désiraient plutôt faire chacun cavalier seul. L’avantageux Nick Birikos, qui avait sorti un pétard, tombait, victime de son inobservance des lois prohibant le port d’arme.

X... s’enfuyait, nerveux et agité (la mort d’homme ne devait pas être inscrite au programme), s’empressait de venir me restituer mon trousseau de clefs et, pour que je ne reprenne pas mes sens chez l’oiseleur (il valait mieux que je ne sache pas exactement où l’on m’avait entreposé), me jetait sur les berges comme un paquet de linge sale, en souhaitant que le froid finisse un travail si bien commencé, mais qu’il ne voulait pas terminer lui-même. X... ne devait pas être un tueur, sans cela je serais également passé à la casserole ; et Birikos était mort accidentellement.

Je retournai dans la chambre avaler une gorgée de vulnéraire, puis revins dans le bureau. Le mort y était toujours et je ne voyais pas comment m’en débarrasser. Le mieux était de le laisser sécher là et de m’arranger pour que ça m’attire le moins d’ennuis possible. Je furetai de droite et de gauche, cherchant ce qui avait bien pu motiver un cambriolage, une brusque rivalité et une rixe tragique. Rien. Evidemment, l’objet (si objet il y avait), n’était plus là, mais j’avais beau regarder, avec mes yeux et ma pensée, rien ne semblait avoir disparu. Rien, à part le morceau de papier perdu (tu parles !) par Birikos et la carte de visite du même, qui n’étaient plus dans le coin de cuir du sous-main où je les avais glissés quelques heures auparavant. Mais ce n’était tout de même pas pour cela qu’on s’était livré à Un pareil carnage. Je laissai tomber. A ce moment, je remarquai, prise dans le revers du pantalon du cadavre, une plume jaune, une plume de canari. La preuve que Birikos s’était bien trouvé chez l’oiseleur. Je m’emparai de la plume. Je jugeai inutile de laisser trop d’indices à la disposition des flics qui envahiraient bientôt mes bureaux. L’oiseleur, je m’en chargerais moi-même. Je fouinai ensuite dans le fond d’un placard et trouvai moi aussi ce que je cherchais. Une pince-monseigneur, oubliée un jour par un serrurier accompagnant un huissier et un commissaire de police, et que je conservais comme un trophée. La pince aux pinces, je m’en fus sur le palier. Tout dormait dans la maison. C’était une maison tranquille, dans un quartier tranquille, habitée par des citoyens tranquilles, et un peu sourds. Je fis entrer la pince en action et forçai ma porte pour que ce soit mis sur le compte de mes visiteurs. J’essuyai l’outil et le balançai dans un coin. Sur ce, je caltai.

Un peu plus tard, place de la Madeleine, je hélai un nuiteux. Le bahut me déposa bientôt à proximité de mon domicile.

Là aussi, on était venu farfouiller  – en première étape  –, mais sans laisser de cadavre à la traîne.

Je mis un semblant d’ordre et téléphonai à un toubib de mes amis qui demeurait de l’autre côté de la rue. Il ronchonna, mais se dérangea. Je le priai de m’administrer un remède énergique pour ne pas, après quelques heures de repos, me ressentir trop de ma nuit agitée. Il s’exécuta sans poser de questions et repartit se rendormir.

Je m’endormis à mon tour, sans le secours d’une berceuse.