CHAPITRE IV
 
L’installation

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Le club des cinq observait Edmond qui s’éloignait. Dagobert agitait la queue en geignant.

« Merci, mon vieux Dago ! dit Annie en caressant le museau du chien. Si tu n’avais pas apprivoisé Edmond, nous ne pourrions pas habiter dans cette maison pittoresque. C’est vraiment un drôle de garçon…

— Plutôt ! » s’écria Claude qui ne se remettait pas de la surprise que lui avait causée son chien lorsqu’il s’était couché aux pieds d’Edmond, malgré le poing menaçant. « Je crois qu’il ne me plaît pas.

— Comme il doit aimer les animaux ! observa Mick qu’impressionnait encore le spectacle du lièvre et de la pie accourant vers Edmond. Il faut qu’ils lui accordent une confiance aveugle pour s’approcher ainsi de lui. Quelqu’un qui comprend les bêtes à ce point ne peut qu’être « bien » !

— Je parie qu’elles viendraient aussi à moi si je me servais de son pipeau », répliqua Claude en décidant de faire son possible pour l’emprunter.

Annie retourna dans la chaumière qui la ravissait.

« Elle est très romantique, songeait-elle. Elle est emplie du souvenir des gens qui ont vécu ici, qui ont admiré ce paysage… Quel endroit paisible ! Même les nuages semblent heureux; ils se promènent, blancs dans le ciel si bleu. »

Après avoir exploré la maison méthodiquement, elle conclut que la chambre du premier étage, sous le chaume, conviendrait aux garçons. Elle avisa deux lits, l’un étroit, le second plus large…

« Edmond dormira sur le petit lit, pensa-t-elle, Mick et François sur l’autre. Claudine et moi nous installerons dans la salle à manger, avec Dago qui montera la garde. Je me demande où je pourrais trouver des matelas pour nous étendre… Oh ! voilà un lit-cage qui fera notre affaire. Parfait ! »

Annie passait des moments très agréables. Elle était dans son élément quand elle organisait le confort de ses compagnons. Elle découvrit un petit garde-manger, situé au nord, qui contenait quelques boîtes de conserves, deux miches de pain complètement rassis, du lait qui commençait de tourner et un paquet de gâteaux secs devenus mous.

« Mme Pichon ne semble pas être une excellente ménagère, se dit la fillette avec gravité. Il faudra que nous descendions au village pour nous constituer des réserves. On pourrait acheter un jambonneau : nous l’apprécierons tous… Ce sera amusant de nous installer !»

François, curieux de savoir ce que faisait sa sœur, s’arrêta sur le seuil :

« Tu joues à la maman, comme d’habitude, constata-t-il, attendri. Tu choisis la place où nous dormirons, tu décides qui fera ceci et qui fera cela : qui se chargera des courses, qui lavera le linge, etc. Ma vieille Annie, que deviendrions-nous sans toi ?

— Cela ne m’ennuie vraiment pas, répondit sa sœur, les yeux brillants d’animation. François, nous avons besoin de deux ou trois couvertures, d’un oreiller et de vivres. Et…

— Comme il faut que nous retournions à la maison pour en rapporter des vêtements, coupa François, nous achèterons tout ce qui est nécessaire en revenant. Sais-tu si la femme de ménage dont a parlé Mme Pichon viendra nous aider ?

— D’après Edmond, Mme Pichon lui a donné congé, fit Annie. Mais la maison est tellement petite qu’il sera sans doute plus agréable de s’en occuper tout seuls. Je pense que je pourrai faire un peu de cuisine sur le réchaud à pétrole qui se trouve dans le renfoncement; nous compléterons nos repas par des plats froids : du jambon, du pâté, de la salade, des fruits. Lorsque quelque chose nous manquera, il sera facile de descendre à bicyclette chez les commerçants.

— Ecoute ! murmura François en dressant la tête. Je crois qu’on nous appelle. »

En effet, après avoir fait quelques pas, François aperçut Mme Pichon à la porte blanche, non loin d’une voiture arrêtée. Il se dirigea vers elle et la salua.

« Je me suis attardée chez les commerçants, dit-elle. Que pensez-vous de ma maison ?

— Elle nous plaît beaucoup, répondit François. Si vous le permettez, nous aimerions emménager aujourd’hui. Le paysage nous semble magnifique ! J’aimerais bien pouvoir le peindre, mais je ne sais pas, du moins, pas très bien.

— Avez-vous déjà vu Edmond ? demanda Mme Pichon avec appréhension. Se conduit-il correctement ? Il montre quelquefois… heu !… un caractère assez difficile. Il lui arrive même d’être brutal. Voyez-vous, il n’a pas de frère à qui se frotter.

— Ne vous inquiétez pas pour lui, affirma gaiement François. Il faudra qu’il s’habitue à la vie en société ! Lorsque nous sommes ensemble, sans grande personne, nous prenons toutes nos responsabilités… Il a un pouvoir étonnant sur les animaux.

— En effet, approuva Mme Pichon. Pourtant, j’avoue que je n’apprécie pas tellement les petits serpents, les scarabées, ou les hiboux qui viennent ululer la nuit, dans la cheminée, et attendent qu’Edmond leur réponde !

— Les bêtes ne nous gênent pas, dit François en riant. Il s’est arrangé pour vaincre ce qui aurait pu devenir la plus grosse difficulté : il a conquis notre chien, Dago. En fait, Edmond a accepté que nous restions, à condition que Dago soit là !

— Cela lui ressemble bien, constata la vieille dame avec bonne humeur. Il est un peu bizarre. Ne vous laissez pas faire !

— N’ayez aucune crainte ! répondit joyeusement François. Je suis d’ailleurs surpris, qu’il veuille vivre avec nous. J’aurais cru qu’il préférerait retourner chez lui, plutôt que de demeurer auprès d’étrangers.

— Ce n’est pas possible, indiqua Mme Pichon, parce que sa sœur a la coqueluche. Sa mère ne voudrait pas qu’il l’attrape aussi.

— Il devra donc s’habituer à nous ! répliqua François. Je vous remercie de nous prêter votre maison, madame. Nous en prendrons soin.

— J’en suis persuadée. Au revoir, François. Amusez-vous bien. Je retourne maintenant à ma voiture pour partir chez ma cousine. J’espère qu’Edmond ne transformera pas la maison en arche de Noé !

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— Cela ne nous dérangera pas, affirma François.

— Où donc se trouve Edmond ?… Je suis déjà en retard : dites-lui que je l’embrasse. »

François attendit poliment de voir disparaître la vieille dame, puis le ronflement de l’auto qui démarrait lui parvint.

Revenu devant la maison, François s’arrêta pour contempler la mer. Quelques bateaux de pêche sortaient du port. Peut-être passeraient-ils au large une nuit, une semaine, ou même un mois.

Sa sœur le rejoignit.

« C’est magnifique ! s’écria-t-elle avec feu. On est si haut, ici, qu’on a l’impression d’admirer la moitié du monde à ses pieds. Penses-tu que ce soit une île, tout là-bas ?

— Oui. On dirait quelle est couverte de bois. Je me demande comment elle s’appelle, si elle est habitée. Je ne distingue aucune maison, et toi ? »

La voix de Mick interrompit la conversation.

« Annie ! Claude descend au village avec moi. Donne-nous ta liste. À part ton pyjama, ta brosse à dents, et des vêtements de rechange, François, que veux-tu que nous prenions pour toi ?

— Attends ! cria son frère. Je ne trouve plus la feuille où j’ai noté les objets nécessaires… Mais je crois que je ferais mieux de vous accompagner : il y aura les provisions et pas mal de choses à transporter. À moins que maman ne nous les apporte en voiture, cet après-midi !

— Oui, c’est une bonne idée, approuva Mick. Allons d’abord chercher les affaires de Claude à la villa des Mouettes, puis nous passerons chez nous. Je laisserai à maman nos bagages et les vivres.

— Je reste ici pour nettoyer la maison à fond, annonça Annie, contente. Je vais vérifier le fonctionnement du réchaud à pétrole : j’espère qu’il marche bien. Tout sera irréprochable pour l’arrivée de maman. François, tu peux partir avec Claude et Mick. Je ne m’ennuierai pas !

— C’est entendu. À bientôt, Annie ! Nous emmenons Dago; il sera heureux de courir. »

Suivis de Dagobert qui bondissait joyeusement, les trois enfants s’éloignèrent. Lorsqu’ils se trouvèrent hors de vue, Annie se dirigea gaiement vers la chaumière. Elle n’avait pas atteint la porte qu’elle entendit quelqu’un l’appeler. En se retournant, elle aperçut une femme au visage inconnu qui lui adressait de grands signes.

« Je m’appelle Germaine ! cria-t-elle. Voulez-vous que je vous aide à faire le ménage et la cuisine ? Mme Pichon m’a demandé de ne pas revenir pour le moment mais, si vous avez besoin de moi, je suis à votre disposition.

— Je pense que nous pourrons nous tirer d’affaire, répondit Annie. Nous sommes nombreux : nous nous partagerons la besogne. Est-ce que vous dormiez ici ?

— Non, fit Germaine en s’approchant. Une fois mon travail fini, je retourne chez moi. Si vous changez d’avis, vous n’aurez qu’à m’appeler… Où est ce singe d’Edmond ? Ce matin, il m’a parlé d’une façon vraiment impolie; le méchant gamin ! Je le dirai à sa grand-mère… Ne vous laissez pas ennuyer par lui !

— Ne craignez rien ! s’exclama la fillette en riant. Où habitez-vous, pour le cas où nous aurions trop de travail ?

— De l’autre côté de la route, dans le petit bois, répondit Germaine. Du chemin forestier, vous pourrez voir ma maison qui se trouve à une centaine de mètres d’ici, à droite. »

Elle monta la pente, franchit la porte blanche et traversa la route. Annie se mit avec ardeur à ses tâches ménagères. Après avoir vidé le garde-manger, elle saisit un seau et se rendit au puits. Le seau, suspendu à l’extrémité de la corde par un crochet, descendait en se balançant pendant qu’elle tournait la manivelle. Floc ! Annie remonta le récipient rempli d’eau claire, pure et glacée. En se dirigeant vers la maison, elle se demanda cependant s’il fallait la faire bouillir !

Un garçon se glissa derrière elle à pas de loup et poussa un hurlement sauvage. Annie laissa tomber le seau en criant de surprise et de frayeur. Edmond dansait autour d’elle en riant.

« C’est malin ! s’exclama-t-elle, furieuse. Tu n’as plus qu’à me remonter de l’eau.

— Où est le gros chien ? demanda le garçon en regardant de tous côtés. Je ne le vois pas. Je veux bien que vous veniez habiter ici, mais à condition qu’il vienne aussi. Je l’aime beaucoup, ce Dago.

— Il est descendu au village avec les autres. Maintenant, s’il te plaît, ramasse le seau et va le remplir au puits !

— Non ! répliqua Edmond. Je ne suis pas ton domestique. Fais-le toi-même !

— Très bien, fit Annie en saisissant le seau. Je raconterai à Claude et à Dago comment tu t’es montré méchant; tu peux être sûr que Dago ne sera plus ton copain !

— Je vais tirer de l’eau ! Je vais tirer de l’eau ! s’écria Edmond en empoignant le récipient. Gare à toi si tu répètes quoi que ce soit à Claude et à Dago. Gare à toi !»

Il se rendit au puits. Eh bien ! On allait s’amuser avec un garçon si singulier ! Annie le détesta.