CHAPITRE XV
Des projets palpitants
LE REPAS n’empêcha pas les cinq enfants d’entretenir une conversation animée. « Avons-nous tous une lampe électrique ? interrogea François. Je pense que, cette nuit, la pleine lune nous éclairera, mais quand nous nous trouverons dans les cavernes, nous en aurons besoin. » Chacun brandit sa torche. Edmond, on ne sait pourquoi, disposait même de deux lampes qui, si elles étaient petites, n’en marchaient pas moins bien.
« Qu’est-ce que tu proposes de faire ? » demanda Claude.
Dago jappa comme pour ajouter :
« Vite, dis-le-nous ! »
Assis entre Claude et Edmond, il semblait écouter de ses deux oreilles pointées. De temps en temps, il reniflait le petit hérisson qui paraissait fort heureux dans la poche du garçon. Pour nourrir la bête aux piquants encore tendres, Edmond s’était employé à attraper des insectes sous le regard curieux de Dagobert.
« Nous nous rendrons d’abord à la falaise, commença François, puis nous la descendrons. À mon avis, il doit exister une sorte de sentier ou d’escalier naturel pour arriver sur la plage puisqu’elle est entourée de rochers sur trois côtés : c’est d’ailleurs une crique… Naturellement, je passerai devant. Annie et Edmond marcheront entre Mick et moi; Claude et Dago suivront.
— C’est d’accord ! s’écrièrent les autres membres de l’expédition avec enthousiasme.
— Il faudra nous déplacer aussi silencieusement que possible, reprit François. Essayez de ne pas faire rouler les cailloux, au cas où quelqu’un se tiendrait dans les environs. Une fois au pied de la falaise, ce sera Edmond qui nous guidera, puisqu’il a repéré l’endroit où entrent et sortent les hommes. »
Edmond se sentit gonflé d’importance il allait prendre part à une exploration ! Un détail lui revint en mémoire.
« J’espère que, les filles ne s’effrayeront pas du bruit du vent : il ressemble parfois à des gémissements.
— Qui aurait l’idée d’avoir peur du vent ? lança Claude.
— Peut-être Dago, répondit François en souriant. Nous pouvons nous expliquer ces rumeurs, mais le chien, lui, ne les comprendra pas. Si on les entend, Claude, tiens-le. Cela le rendra nerveux.
— Dago n’a peur de rien ! affirma Claude, péremptoire.
— Mais si, répliqua aussitôt Mick. Je sais même ce qui le ferait rentrer sous terre !
— Ce n’est pas vrai ! s’écria Claude avec colère.
— Tu ne l’as donc jamais regardé quand tu le grondes ? demanda Mick d’un air malicieux. Il se met à trembler à en faire pitié ! »
Tous éclatèrent de rire, sauf Claude, bien entendu.
« Il ne tremble pas ! Dago n’a peur de rien ni de personne, répéta-t-elle. Pas même de moi !
— Il vaudra sûrement mieux, poursuivit François en recouvrant son sérieux, n’être d’abord que deux à nous enfoncer dans les cavernes. Dans ce cas, les autres se cacheront en guettant mon signal. Je ne crois pas que nous rencontrerons qui que ce soit, mais on ne sait jamais. Si vraiment un passage dans la falaise mène à la salle souterraine, nous avons de la chance ! Nous connaîtrons alors le chemin pris pour apporter et faire sortir les trésors !
— Les apporter ? fit Mick. Je pensais qu’on les avait laissés là depuis très longtemps et qu’on ne les retirait que pour les vendre en contrebande !
— Il y a sans doute autre chose, dit François. L’île aux Quatre-Vents sert peut-être de repaire à une bande organisée de voleurs. Ils y cachent probablement un butin de grande valeur en attendant de se sentir en sécurité pour les proposer aux acheteurs. Ce n’est qu’une supposition !
— Moi, j’ai l’impression que quelqu’un a découvert la salle souterraine pleine des trésors du vieil homme riche, insista Mick, et que cet individu les enlève petit à petit. N’importe comment, c’est passionnant d’avoir percé ce secret !
— Et tout ça, parce que le seau est tombé au fond du puits ! ajouta Annie.
— N’oublions pas nos chandails, conseilla François. Nous risquons d’être glacés par le vent qui souffle sur la falaise.
— Que j’ai hâte de partir ! s’exclama Claude. Ce sera une véritable aventure, tu entends, Dago ?
— François, que vois-tu encore à nous recommander ? » demanda Annie.
Lorsqu’il dressait un plan de campagne, François semblait posséder la méthode et l’esprit de décision d’un adulte. Annie se sentait très fière de son grand frère.
« C’est tout, répondit François. Comme c’est Edmond qui connaît le mieux le chemin jusqu’à la falaise, il nous conduira. Quand nous y arriverons, je passerai devant. Il ne faudrait pas que l’un de vous trébuche et tombe la tête la première en alertant les bandits !
— Tu entends, Dago ? » fit Claude.
Le chien posa une patte sur le genou de sa maîtresse en jappant de façon significative :
« Dommage que tu n’aies pas comme moi le pied sûr, avec un petit coussin en guise de semelle ! »
À partir du moment où le moindre détail fut réglé, les minutes parurent s’écouler avec une lenteur désespérante. Le soleil couchant embrasait une partie du ciel : il prenait bien son temps, ce soir-là, pour disparaître à l’horizon !
Lorsque François proposa à ses compagnons des gâteaux secs, seul Dagobert accepta le sien de bon cœur. Garçons et filles n’auraient rien pu avaler; ils attendaient avec trop d’intensité le moment du départ. Claude, en particulier, s’agitait, remuait, ne tenait pas en place.
Enfin, ils se mirent en route, Edmond en tête. En fait, celui-ci s’aperçut qu’il ne connaissait pas le chemin; seule, la voix puissante du vent, qui justifiait le nom de l’île, le guidait comme la première fois.
« On croirait vraiment entendre des gens qui parlent au loin », observa-t-il.
Ses amis l’approuvèrent.
À l’approche du but, le bruit se transforma peu à peu en hurlements sinistres.
« Quel vent ! s’écria Mick. Mes cheveux sont heureusement fixés solidement sur mon crâne ! J’ai l’impression qu’ils vont s’envoler. »
Dagobert dressait les oreilles avec nervosité. Il n’aimait pas les gémissements du vent, si lugubres qu’ils en donnaient le frisson. Claude le saisit par son collier et le caressa pour le rassurer. Calmé, le chien la gratifia d’un coup de langue reconnaissant.
Arrivés au bord de l’abîme, les enfants se penchèrent avec précaution, craignant d’être surpris si un garde se tenait au-dessous, sur les rochers ou sur la plage. Ils ne remarquèrent que des mouettes ébouriffant leurs plumes; c’était le seul signe de vie.
« Il n’y a pas de barque, pas de navire, rien ! constata Mick. La voie est libre ! »
François essayait de repérer un chemin praticable. Il ne semblait pas en exister de très commode…
« Il faudra aller jusque là-bas, annonça-t-il, puis grimper un peu; ensuite, nous marcherons sur cette corniche, vous la voyez ? Quand nous aurons descendu le gros rocher en pente, nous nous retrouverons sur des roches à peu près plates. D’accord ?
— Puisque Dago a le pied sûr, dit Claude, je le laisse passer devant. À toi, Dago, conduis-nous ! »
Dagobert bondit aussitôt dans la direction indiquée. Une fois franchie la corniche de pierre, il s’arrêta et attendit garçons et filles en poussant un jappement d’encouragement.
Les enfants suivirent, les uns plus prudents que les autres. Claude et Edmond se montrèrent fort hardis; le petit garçon s’élança même de façon si téméraire qu’il trébucha et dévala la pente sur le derrière. Il regarda ses compagnons d’un air ahuri et effrayé.
« Fais donc attention ! commanda François. La lune nous éclaire, c’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour sauter par-dessus les obstacles au lieu de les contourner ! Je n’ai pas envie de ramasser tes morceaux en bas de la falaise. »
Bientôt, les enfants arrivèrent sur les rochers faciles à parcourir qui longeaient la plage. La marée était basse, aussi ne se firent-ils pas asperger par les vagues. Soudain, Annie glissa dans une flaque d’eau. Ses souliers furent trempés. Comme ils étaient en matière plastique, cela n’avait aucune importance ! Elle en fut quitte pour la peur.
« Dis-moi, Edmond, à quel endroit se trouvaient exactement les individus ce matin ? » demanda François en s’immobilisant.
Edmond sauta pour le rejoindre et tendit le bras :
« Regarde la falaise, à une vingtaine de mètres. Vois-tu ce drôle de rocher en forme d’ours. C’est de là qu’ils sortaient les caisses. Ils ont disparu derrière lui.
— Bon, dit François. Et maintenant, malgré le vent qui couvrirait sans doute n’importe quel bruit, il vaut mieux se taire. En avant ! »
La petite troupe se dirigea vers la forme de pierre qui rappelait un ours de manière étonnante. Pleine d’animation, Annie saisit la main d’Edmond :
« Cela devient de plus en plus passionnant », murmura-t-elle.
Le garçon approuva d’un signe de tête enthousiaste. Il savait que, seul, il se sentirait terrorisé; mais, en compagnie de ses amis, quelle aventure palpitante !
Ayant contourné le rocher désigné par Edmond, les enfants remarquèrent un endroit sombre dans la falaise.
« Les hommes venaient de là, dit Edmond à voix basse. Est-ce que nous y pénétrons ?
— Oui, répondit François sur le même ton. J’y entre d’abord tout seul. Je m’arrêterai quand je n’entendrai plus le bruit du vent et de la mer. S’il n’y a aucun son suspect, je sifflerai; à ce moment, vous pourrez approcher.
— C’est entendu ! » chuchotèrent les enfants avec vivacité.
François se glissa dans l’ouverture sombre et s’immobilisa. Un coup d’œil jeté devant lui ne lui donna pas la moindre indication sur la disposition de la grotte. L’obscurité la plus totale régnait. Il alluma sa torche en se réjouissant de l’avoir emportée. Le faisceau lumineux éclaira un fossé qui montait en pente douce et, de part et d’autre, une corniche de pierre surplombant le mince cours d’eau qui ruisselait à ses pieds et se jetait dans la mer.
« Attendez-moi, recommanda-t-il de nouveau. Je reviens dans un instant. »
Et il disparut dans le tunnel souterrain.
Mick, Claude, Edmond et Annie ne se résignaient qu’avec peine à la patience. Soudain, une mouette fondit au-dessus de leurs têtes et les évita de peu en poussant un cri perçant qui les fit tressaillir. Edmond faillit tomber de son rocher, se raccrocha de justesse à Claude. En grondant, Dago suivit d’un regard furieux l’oiseau qui s’éloignait à tire-d’aile.
Un petit sifflement retentit. François se trouva bientôt auprès de ses compagnons.
« Tout va bien, déclara-t-il. Je me suis avancé assez loin : on n’entend absolument rien. Le chemin est facile. Un ruisseau coule entre deux rebords rocheux sur lesquels on peut marcher. C’est très commode ! Maintenant, ne parlez plus et chuchotez même le moins possible : on dirait que dans ce tunnel le moindre bruit est terriblement amplifié. »
Lorsque Claude entraîna Dago, il protesta d’un faible grognement de surprise que l’écho s’empressa de répercuter autour des enfants. Tous sursautèrent. Quant à Dago, l’endroit n’eut pas l’heur de lui plaire…
« Il faut que tu restes à côté de moi, lui dit Claude à voix basse. Et surtout, tais-toi ! On est en pleine aventure, Dago… Et quelle aventure ! Allez, viens ! »
À la file indienne, les jeunes explorateurs suivirent le sombre passage souterrain. Que découvriront-ils au bout de ce tunnel mystérieux ?… Rien d’étonnant à ce que les cœurs battent à un rythme accéléré !