CHAPITRE XVIII
 
L’évasion surprenante

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Ce ne fut pas un mince travail que de pousser le lourd coffre contre le mur de la cave. Les enfants s’attelèrent à cette tâche de toutes leurs forces.

« J’ai l’impression que nous faisons un bruit terrible, remarqua Mick, essoufflé. Pourvu qu’on ne nous entende pas ! »

Dagobert, voulant aider ses amis, ne cessait de sauter et d’appuyer ses pattes contre le coffre. Mick lui ordonna de se tenir tranquille :

« Tu nous gênes, mon vieux ! Va plutôt t’asseoir à côté de la porte pour nous avertir au cas où les hommes reviendraient déjà. »

Obéissant, Dagobert courut se poster à l’endroit indiqué, la tête penchée, aux aguets, tandis que garçons et filles poursuivaient leurs efforts.

Bientôt, le premier jalon vers la délivrance fut posé. Il fallut ensuite hisser une petite table en bois massif. François grimpa sur l’énorme coffre pour la saisir des mains de son frère. Mais elle était si pesante que, seul, il ne parvint pas à la soulever; Edmond le rejoignit alors et, à eux deux, ils purent installer la solide table rectangulaire au milieu du couvercle du coffre. En se redressant, François s’aperçut avec joie qu’il atteignait facilement la porte métallique qui donnait sur le puits.

Il la poussa. Si elle trembla un peu, elle ne s’ouvrit pas. Le garçon lui lança un coup de poing rageur.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Mick en arrivant auprès de François. Il n’y a pourtant plus de loquet : il est tombé au fond du puits ! Je pense que les bords de la porte sont coincés contre la maçonnerie. Allons-y, essayons de la forcer ensemble ! »

Claude, Annie et Edmond observaient avec anxiété François et Mick, redoutant de voir les bandits faire irruption d’un moment à l’autre. Sous les secousses répétées, la porte céda enfin en grinçant. Au vif soulagement des enfants, la corde pendait à portée de la main.

« Ça y est ! lança Mick aux filles. Venez, montez sur la table. »

Les cousines escaladèrent le coffre en hâte. Comme la table, trop exiguë, ne pouvait supporter tout le monde, les prisonniers se mirent à discuter de la suite des opérations.

« François, dit Mick, tu partiras le premier. Quand tu seras en haut, tu observeras bien les environs pour t’assurer qu’il n’y a personne. Ensuite, Edmond, ce sera ton tour de grimper dans le puits. Tu crois que tu y arriveras ?

— Bien sûr, répliqua Edmond d’un ton rogue. Je pourrai même tourner la manivelle avec François pour hisser Annie et Claude !

— Parfait, fit Mick. Pour l’instant, je reste ici : j’aiderai les filles à attraper la corde. Lorsque je serai passé en dernier, je repousserai la porte. Es-tu prêt, François ? Je t’éclaire avec ma torche. »

François acquiesça. Il se glissa dans l’ouverture, saisit la corde et la tira jusqu’à ce qu’elle fût complètement déroulée. Il se lança alors dans le vide et, après avoir oscillé deux ou trois fois, grimpa le long de la corde. Bientôt, il s’asseyait sur la margelle, hors d’haleine, mais ravi de respirer à pleins poumons l’air frais de la nuit. Grâce à la lune, il faisait clair; François promena autour de lui un regard circonspect.

« Tout va bien ! cria-t-il en se penchant. Aucun danger à l’horizon !

— À toi, Edmond, dit Mick. Tu sais grimper à la corde, je pense ! Je t’en prie, ne tombe pas dans l’eau !

— Ne t’inquiète pas pour moi, répliqua Edmond vexé. Je me suis entraîné à l’école. »

Agile comme un singe, il déboucha dehors au bout de quelques instants, dédaignant la main que lui offrait François pour se rétablir sur le sol.

La voix de François, étrangement répercutée par l’écho, retentit de nouveau à l’entrée de la salle souterraine :

« Edmond est bien arrivé ! Envoie Annie : nous la hisserons, elle n’aura qu’à bien se tenir. »

Après s’être faufilée dans l’ouverture, Annie s’assit sur le rebord.

« François, fais balancer la corde ! dit-elle d’un ton sonore. Je ne peux pas l’attraper, elle est trop loin !

— Pour l’amour du Ciel, s’écria François, inquiet, fais attention ! Demande à Mick de t’aider. »

Mais l’orifice, entièrement bouché par Annie, ne permettait même pas à son frère de voir ce qui se passait.

« Ne te lance surtout pas avant d’avoir la corde bien en main ! recommanda-t-il. Est-ce que tu la vois ? Il fait très sombre et la pile de ma lampe commence à s’user.

— Oui, je la vois, répondit Annie. Elle vient de heurter mes jambes, mais je l’ai manquée. La voilà… Je la tiens ! En avant ! »

En prononçant ces mots, elle se suspendit à bout de bras. Malgré son air décidé, elle ne se sentait vraiment pas rassurée au-dessus de l’eau noire.

« François, j’y suis ! » cria-t-elle en s’agrippant des quatre membres.

Les deux garçons la hissèrent. Lorsqu’elle disparut en haut, Mick poussa un soupir de soulagement. Passons à Claude ! Où se trouvait-elle donc ?

En deux bonds, Mick descendit de l’échafaudage improvisé. Il chercha sa cousine de tous côtés. À sa vive contrariété, il ne découvrit ni Claude ni Dagobert.

« Dago ! » appela-t-il à voix basse.

Un jappement étouffé lui répondit. Mick fronça les sourcils.

« Claude, où es-tu ? Allons, dépêche-toi de sortir de ta cachette ! Ce n’est pas le moment de t’amuser : les brigands vont arriver d’une minute à l’autre. Ne fais pas de sottises ! »

Sa tête brune et bouclée surgissant d’un bahut, Claude déclara d’un ton furieux :

« Tu sais bien que Dago ne peut pas se tenir à une corde ! Il tomberait dans l’eau et se noierait. Comme vous êtes méchants d’oublier qu’il ne sait pas grimper ! Je reste ici avec lui. Laisse-nous !

— Sûrement pas ! répliqua Mick sans hésiter. Je reste aussi. Il est inutile, je pense, de te demander de me laisser ta place et de te sauver.

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— Non. C’est mon chien, je ne le quitterai pas. Il ne m’abandonnerait pas, lui, j’en suis certaine ! »

Mick connaissait sa cousine depuis trop longtemps pour espérer qu’elle changerait d’avis. Rien, non, rien ne l’obligerait à revenir sur sa décision.

« Très bien, Claude. D’ailleurs, si Dago était à moi, je ferais comme toi. N’importe comment, je reste avec vous !

— Non ! s’écria encore Claude. Dago et moi, nous nous débrouillerons tout seuls. »

Il fallait avertir François. Mick s’élança vers le coffre surmonté de la table, les escalada en hâte et s’assit sur le rebord de l’ouverture.

« François ! appela-t-il. Claude ne veut pas laisser Dago parce qu’il ne peut pas grimper à la corde. Alors, je reste avec elle. »

Il finissait ces mots quand il entendit bouger la porte de la salle immense. Il éteignit sa torche. Dago se mit à grogner d’un ton si féroce que le cœur de Mick battit à grands coups. Pourvu que le chien ne se jette pas sur les hommes qui pourraient être armés d’un fusil !

En percevant le bruit du verrou qu’on tirait, Claude, vive comme l’éclair, se dissimula, en entraînant Dagobert, derrière un amoncellement de caisses.

« Dago, commanda-t-elle, saute dessus ! Fais-les tomber avant qu’ils aient le temps de te voir !

— Ouah ! » fit Dago qui comprit aussitôt le sens de l’ordre.

Les oreilles pointées, dressé sur ses pattes tendues, il montra les crocs.

Portant une lanterne, un homme pénétra dans la cave, avança à grandes enjambées.

« Je vous apporte de la lumière », commença-t-il…

Il ne put continuer. Sous le choc imprévu d’une masse fougueuse, il lâcha la lanterne qui se brisa, le laissant dans une obscurité totale, et tomba à la renverse en poussant des cris épouvantés. Sa tête heurta le coin d’une caisse. Il se tut brusquement et demeura immobile.

« J’ai l’impression qu’il s’est assommé », se dit Mick en promenant le rayon de sa torche.

En effet, le bandit, inanimé, gardait les yeux clos. Claude jeta un regard par la porte ouverte.

« Mick, je vais passer par le chemin secret. Avec Dago, je me sens en sécurité.

— C’est entendu; mais marche vite et fais attention ! »

Claude et le chien disparurent rapidement, sans le moindre bruit. Si elle avait peur, elle ne le montra pas.

« Elle est vraiment courageuse ! pensa Mick pour la centième fois. Elle ne bronche pas devant le danger… Maintenant, je ferais bien de dire aux autres que Claude et Dago sont partis par le souterrain. Heureusement que l’homme ne bouge pas ! »

Il n’eut qu’à se retourner pour apercevoir, en levant la tête, une lumière qui s’allumait et s’éteignait sans cesse comme pour lui adresser des signaux.

« François ! appela-t-il.

— Ah ! tu es là ! s’écria François d’un ton soulagé. Est-ce qu’il se passe quelque chose ?

— Oui, je te raconterai cela dans un instant. Donne du mouvement à la corde ! »

Après avoir saisi le filin qui se balançait à sa portée, il s’apprêtait à s’élancer quand il entendit un bruit. Il lança un coup d’œil dans la salle obscure.

Un homme entra avec précipitation.

« Qu’est-il arrivé ? Pourquoi n’as-tu pas… »

Lorsque le faisceau de sa lanterne accrocha son compagnon étendu sur les dalles, il s’interrompit brusquement en poussant une exclamation stupéfaite. Il s’agenouilla à côté de lui. Mick sourit en son for intérieur : il allait donner au voleur une émotion dont il se souviendrait… En se baissant, il appuya ses mains sur la table et, d’une poussée violente, la fit basculer du coffre sur le sol où elle s’abattit avec fracas. Mick s’agrippait déjà à la corde lorsqu’il perçut le cri effrayé du voleur. Pendant que François et Edmond le hissaient jusqu’en haut du puits, il continuait à s’amuser de l’excellent tour qu’il venait de jouer à l’ennemi.

« C’est un drôle de coup pour eux, pensa-t-il. Tous leurs prisonniers disparus comme par enchantement ! Vite, François, vite ! J’ai une bonne histoire à vous raconter ! »

Bientôt, assis sur la margelle, il relata à voix basse les événements récents. François, Annie et Edmond, ravis, s’esclaffaient à chaque détail.

« Brave Claude ! Brave Dago !

— Claude connaît le tunnel souterrain, remarqua François. Même s’il lui arrivait de se perdre, Dago la conduirait. On va descendre sur les rochers pour les retrouver. »

Ils s’élancèrent vers le bois. Pendant leur course, en songeant à la façon magistrale dont ils avaient mystifié leurs geôliers, un éclat de rire étouffé leur échappait de temps en temps.