CHAPITRE XIII
 
Edmond disparaît

img34.jpg

« J’ai faim, maintenant ! annonça Claude dont l’appétit ne semblait jamais se démentir. Le jambon est terminé. Dago en a mangé un bon morceau; il le méritait bien ! Reste-t-il des sucres d’orge, Mick ?

— Oui, j’en ai encore dix, ce qui fait deux chacun, répondit Mick après avoir compté les bâtons. Mon vieux Dago, tu n’en auras pas, cette fois.

— J’ai oublié de vous dire, déclara Edmond en se servant, que j’ai embarqué des provisions. Je me suis bien douté que vous n’y auriez pas pensé !

— Edmond, tu es remarquable, proclama gravement François en s’interrogeant sur les raisons qui l’avaient poussé, au début, à trouver ce garçon détestable. Qu’est-ce que tu as apporté ?

— Viens voir ! » répliqua Edmond.

Tous se dirigèrent vers le bateau, Dago collé aux talons d’Edmond. Ils aperçurent pêle-mêle dans la barque des tomates, une grosse miche de pain, une quantité de boîtes de sardines et de thon, des bananes, un paquet de beurre ramolli, et d’autres victuailles plus alléchantes les unes que les autres.

« Mon Dieu ! s’écria Annie, ravie. Comment donc as-tu fait pour les transporter de la chaumière au bateau ? Regardez, Edmond a même pris des fourchettes et des cuillers !

— J’ai tout mis dans un sac, je l’ai lancé sur mon épaule, et en avant ! fit Edmond, très fier de l’agréable surprise qu’il causait à ses amis. Mais je suis tombé dans la côte qui conduit à la plage : si vous aviez vu la dégringolade des boîtes de conserves jusque sur le sable ! »

Les enfants éclatèrent de rire à cette évocation. Annie saisit la main d’Edmond qu’elle serra dans un élan d’affection.

« Tu t’es vraiment bien débrouillé ! » dit-elle d’un ton admiratif.

Rayonnant, Edmond lui sourit, heureux et pourtant un peu étonné de la chaude amitié que ses compagnons lui témoignaient. Comme pour les rappeler à l’ordre, Dago flaira le pain en aboyant. « Naturellement, Dago, tu as raison ! s’écria Edmond. Nous allons manger.

— As-tu un ouvre-boîte ? interrogea Claude.

— Misère ! Je n’y ai pas pensé ! Quel âne je fais !

— Ne t’inquiète pas, dit Mick. Sur mon canif, il y a une sorte de lame qui doit, en principe, nous rendre ce service. Je n’ai pas encore eu l’occasion de m’en servir; espérons qu’elle va marcher ! Edmond, passe-moi une boîte. »

Le garçon lui lança une boîte de thon. Sous le regard attentif de ses compagnons, y compris de Dagobert, Mick choisit un petit outil, en enfonça la pointe dans le couvercle métallique que, quelques secondes après, il souleva d’un air triomphant.

« Bravo pour l’inventeur du canif ! s’écria-t-il en humant l’odeur du poisson.

— Est-ce que Dago va pouvoir avaler quelque chose ? demanda Claude, inquiète. Sa gorge lui fait peut-être mal.

— Dago s’en rendra bien compte lui-même, répliqua François. Tel que je le connais, rien ne l’empêchera d’engloutir ce qu’on lui donnera, pas même une gorge douloureuse ! »

François ne se trompait pas. Lorsque Dago reçut sa part de pain tartiné de thon et de sardines, il la fit disparaître aussi vite que d’habitude.

« Nous n’avons pas besoin de ménager nos provisions, remarqua Claude, puisque nous pourrons partir dans le bateau d’Edmond dès que nous le voudrons.

— Je n’ai jamais aussi bien mangé, déclara Mick. Quel plaisir de dîner en plein air, au bord de la mer, et en bonne compagnie ! acheva-t-il en riant.

— Ouah ! fit Dago.

— Je traduis, annonça gaiement Annie : il est d’accord avec toi.

— Le soleil descend, observa Claude. Que faisons-nous ? Retournons-nous à la maison ou passons-nous la nuit sur l’île ?

img35.jpg

— Nous restons ici, décida François. Comme les gardes ne soupçonnent pas notre présence, j’ai envie de partir en exploration quand il fera noir. J’aimerais connaître la réponse à une foule de questions que je me pose. Par exemple, comment s’arrangent-ils pour expédier de l’île aux Quatre-Vents les statues emballées ? Je suppose qu’un navire assez important va venir les chercher. Je voudrais aussi savoir combien de personnes demeurent dans l’île; en plus des gardes armés de fusils que nous avons aperçus, je pense qu’il y a d’autres hommes, ceux qui ont trouvé la grotte souterraine où sont cachés les trésors. Ensuite, nous n’aurons plus qu’à aller raconter l’histoire de nos découvertes aux gendarmes !

— Est-ce qu’Edmond ne pourrait pas conduira les filles à la chaumière, puis revenir avec la barque ? demanda Mick. À mon avis, il faudrait leur éviter de courir des dangers. »

Avant que François pût ouvrir la bouche, Claude répondit d’un ton vif :

« Nous restons ici — à moins qu’Annie ne préfère s’en aller. En tout cas, moi je reste avec Dago et vous, les garçons. Voilà !

— Très bien, très bien, ce n’est pas la peine de crier, répliqua Mick en faisant semblant de se boucher les oreilles. Et toi, Annie ? Tu es petite et…

— J’y suis, j’y reste ! déclara Annie d’un air décidé. N’importe comment, je ne pourrais pas dormir de la nuit en vous sachant dans l’île. Et je n’ai pas l’intention de manquer une aventure passionnante !

— Bon, conclut François. C’est entendu. » Assis entre Claude et Edmond qui le caressaient, lui grattaient les oreilles et lui faisaient mille câlineries en même temps, Dago se sentait le plus heureux des chiens.

« Je vais me promener, annonça soudain Edmond. Tu viens avec moi, Dago ? »

C’était un appel auquel Dago ne pouvait résister. Il bondit sans hésiter; Claude le tira immédiatement en arrière.

« Non, Edmond, dit-elle. Dago a déjà reçu une balle, je ne tiens pas à ce qu’il en attrape une autre. De plus, il ne faut pas que les gardes sachent que nous sommes ici.

— Je serai très prudent, affirma Edmond. Je ne me ferai sûrement pas repérer. D’ailleurs, ils ne m’ont pas aperçu dans là barque. »

François se leva d’un mouvement brusque.

« Au fait, qu’en savons-nous ? fit-il. Je n’y ai pas pensé ! Ils ont peut-être une longue-vue; ils nous surveillent peut-être sans arrêt… Il est même possible qu’ils nous aient vus arriver dans notre bateau ! Comme ils ne veulent pas être surpris, ils se tiennent aux aguets !

— Je ne crois pas qu’ils soient au courant de notre présence, avança Mick. Ils auraient organisé une battue.

— Moi, je suis certain qu’ils ne m’ont pas vu ! s’écria Edmond. Sinon, je serais déjà prisonnier. »

Il promena autour de lui un coup d’œil satisfait.

« Bon, reprit-il, je vais faire un tour.

— Il n’en est pas question ! s’exclama François en s’allongeant sur le sable chaud. Tu ne bougeras pas d’ici.»

Bien que sur son déclin, le soleil dardait encore des rayons ardents. Mick songeait à la nuit qui suivrait et à la façon dont il s’y prendrait, avec François, pour s’introduire dans la grotte souterraine qui enfermait les statues d’or, immobiles dans l’obscurité.

Bientôt, il s’endormit d’un sommeil profond dont il ne fut tiré que par une bourrade affectueuse d’Annie. Il se mit à bavarder à bâtons rompus avec sa sœur. Au bout d’un moment, la fillette regarda de tous côtés.

« Où est donc Edmond ? » demanda-t-elle.

François et Claude, qui venaient de se réveiller, se montrèrent stupéfaits. Edmond avait disparu !

« Il a dû s’échapper sans bruit, remarqua Mick d’un air furieux. C’est ridicule ! Il y a peut-être longtemps qu’il est parti. Il va sûrement se faire prendre ! Heureusement que Dago est resté, on aurait pu tirer sur lui ! »

Effrayée, Claude entoura son chien de ses bras.

« Dago ne se sauvera jamais avec Edmond si je ne l’accompagne pas, affirma-t-elle. Quel entêté !… Dites donc, les gardes devineront qu’Edmond ne se trouve pas tout seul dans l’île ! Ils pourront même le forcer à raconter ce qu’il sait, sur nous, sur la barque…

img36.jpg
Effrayée, Claude entoura son chien de ses bras.

— Que faut-il faire ? interrogea Annie, inquiète. Nous devrions essayer de le rejoindre.

— Dago suivra sa trace, dit Claude. Viens, Dago, Cherche, cherche le vilain, le désobéissant Edmond ! »

Le chien comprit immédiatement ce qu’on attendait de lui. Le nez à terre, il reconnut l’odeur du petit garçon et se mit à trotter.

« Pas trop vite, Dago ! » recommanda Claude.

Il ralentit aussitôt. Claude se retourna vers l’endroit que les enfants venaient de quitter.

« Si nous emportions quelques fruits et quelques boîtes de conserves ? proposa-t-elle.

— C’est une bonne idée, approuva François. On ne sait jamais ! »

Mick et son frère gonflèrent les poches de leur short de provisions. Cet Edmond, tout de même !

« Il a dû partir par là, indiqua Mick en voyant la direction que prenait Dagobert. Je ne me doutais vraiment pas qu’il oserait s’en aller. C’est étonnant que Dago n’ait pas bougé… Va, Dago, cherche-le !

— Ecoutez ! fit soudain Annie en s’arrêtant. Ecoutez ! »

Chacun tendit l’oreille. Ce qu’ils entendirent ne leur plut pas, niais pas du tout ! Ils reconnaissaient la voix d’Edmond qui criait d’un ton terrifié :

« Lâchez-moi, lâchez-moi ! »

Une voix d’homme, sévère, menaçante, s’éleva alors :

« Qui es-tu ? Où sont les autres ? Tu n’es pas seul, j’en mettrais la main au feu ! »

« Vite, cachons-nous ! chuchota François, effrayé. Mick, tâche de trouver un buisson épais.

— Ça ne servira à rien, répondit Mick. Ils examineront tous les fourrés. Nous ferions mieux de grimper sur un arbre.

— Tu as raison, approuva son frère. Annie, viens avec moi, je t’aiderai à monter. Dépêchons-nous !»