CHAPITRE XVII
La salle aux trésors
Les rayons de la torche de François se déplaçaient avec lenteur dans la salle immense qui ne paraissait pas avoir de limites. Curieux, Dagobert se précipita dans les jambes des enfants pour prendre sa part de la découverte.
Quel spectacle ! En réalité, ils contemplaient la pièce souterraine qu’ils avaient déjà aperçue de l’ouverture située dans le puits. Annie s’extasia sur la hauteur des plafonds, sur les dimensions extraordinaires de la salle. Un profond silence régnait.
« Ce sont les statues en or ! fit Mick en se dirigeant vers un groupe de sculptures. Je les trouve merveilleuses. Regardez comme leurs yeux en amande luisent dans la lumière de ma lampe ! On dirait qu’elles sont vivantes et qu’elles nous observent. »
En poussant un cri, Annie se précipita devant elle.
« Le lit en or ! Je voulais me coucher dessus : maintenant, je le peux ! »
Et, sans hésiter, elle grimpa sur le vaste lit à colonnes surmonté d’un grand baldaquin qui tombait en lambeaux. Dans un craquement retentissant, la couche céda, le baldaquin s’effondra et la fille disparut dans un nuage de poussière. Le lit fabuleux s’était littéralement écroulé… Pauvre Annie !
Pendant que les autres l’aidaient à se relever, Dagobert, intrigué, se demanda pourquoi elle faisait voler tant de poussière. Il éternua, éternua encore, bientôt imité par Annie qui se brossa d’un air digne.
Le lit fabuleux
s’était littéralement écroulé…
Pauvre Annie !
« La tête et les pieds sont en or sculpté, remarqua Mick. C’est un véritable monstre, ce lit : six personnes au moins pourraient y dormir à l’aise ! Dommage qu’on l’ait oublié ici depuis si longtemps. Dès qu’Annie est montée, les ressorts ont craqué. »
L’immense cave contenait des trésors inestimables.
Les jeunes explorateurs ne découvrirent ni l’épée à la poignée ciselée, ni le collier de rubis qui, ainsi que le supposa François, étaient probablement rangés dans une caisse. En revanche d’autres merveilles s’offrirent à leurs yeux.
« Venez voir ce qu’il y a dans ce beau coffre ! s’écria Edmond. Des coupes, des assiettes et des plats en or, encore propres et brillants !
— Et regardez ce que j’ai trouvé ici ! s’exclama Claude. C’est enveloppé dans un tissu qui se déchire dès que je le touche. »
Dans une boîte d’émail, chacun admira une série d’animaux, de forme parfaite, taillés dans une belle pierre verte. Lorsque Claude les posa sur leurs pattes, ils se tinrent debout, l’allure aussi fière qu’aux temps reculés où de petits princes s’en servaient pour leurs jeux.
« C’est du jade vert, dit François. Qu’ils sont beaux ! Ils valent sûrement une fortune… On devrait les exposer dans un musée au lieu de les laisser moisir dans cette cave !
— Cette fortune, les bandits que j’ai aperçus au bord de la mer comptent bien l’accaparer ! dit Edmond.
— À votre avis, les deux hommes qui descendaient le perron, dans la cour du château, font-ils partie de la bande ? demanda Claude.
— Certainement, répondit François. On leur a probablement ordonné de garder l’île pour que personne d’autre ne connaisse la salle aux trésors. Ces individus se moquent des bêtes de l’île ! La vieille dame, elle, employait de vrais gardes, comme le pêcheur, le père Lucas, qui nous a raconté des histoires sur l’île aux Quatre-Vents.
— Alors, tu penses qu’ils sont au service de quelqu’un qui veut voler les objets d’art, dit pensivement Mick.
— Oui, répliqua François. De plus, il est fort possible que le petit-neveu de la vieille dame, le véritable propriétaire, ne soit pas au courant du déménagement qui se prépare. Il vit peut-être en Amérique ou en Australie !
— C’est drôle, murmura Annie. Si je possédais une terre comme celle-là, j’y habiterais, je n’en partirais jamais. Je protégerais les animaux de la même façon qu’avant et…
— Quel dommage qu’elle ne soit pas à toi ! s’écria François en lui ébouriffant les cheveux. Qu’est-ce qu’on va faire, maintenant ?… Retournons d’abord au canot. Nous en parlerons quand nous serons arrivés à la maison. Ma parole, il est tard !
— Allons-y ! » décida Mick en se mettant en marche.
Soudain, Dagobert poussa un grognement terrible. Effrayé, le garçon s’immobilisa. La porte, que les enfants avaient pris soin de fermer, s’ouvrait. Quelqu’un s’apprêtait à entrer dans la vaste salle souterraine… Qui était-ce ?
« Vite, cachons-nous ! » chuchota François en poussant les filles derrière un coffre volumineux.
Les garçons s’accroupirent à l’abri du lit près duquel ils se trouvaient. Ayant réussi à faire taire le chien, Mick tenait son collier d’une main ferme. Pourvu que Dagobert ne recommence pas à aboyer !
Un homme pénétra dans la cave. Retenant leur souffle, les enfants reconnurent l’un des deux individus de stature imposante. À son allure nonchalante et tranquille, tous devinèrent avec soulagement qu’il n’avait pas perçu le grondement de Dago. En sifflotant, il promena autour de lui un faisceau lumineux, puis il appela d’une voix de stentor :
« Emilio, Emilio ! »
Aucune réponse ne parvint. Il cria de nouveau. Cette fois, un bruit de pas pressés se fit entendre. Bientôt, le second individu fit irruption. Après avoir allumé une lampe à pétrole placée sur un coffre, il éteignit sa torche.
« Tu dors sans arrêt, Emilio, marmonna le premier. Tu es toujours en retard ! Tu sais pourtant que le bateau viendra cette nuit pour charger un nouveau lot de marchandises… As-tu la liste ? Il faut les emballer rapidement et les transporter sur la plage. Cette petite statue fait partie de l’expédition. »
Il se dirigea vers la représentation d’un garçon dont les yeux d’émeraude étincelaient.
« Alors, mon gars, tu vas faire ta rentrée dans le monde !… Ne me regarde pas comme cela ou je te tire les oreilles ! »
L’enfant en or, apparemment, ne changea pas d’expression car le brigand lui assena une claque sonore, tandis qu’Emilio déplaçait vers la sculpture une caisse longue et profonde. Il se mit à envelopper avec soin l’œuvre d’art de la tête aux pieds, dans des bandes de toile.
« À quelle heure arrive Rémi ? demanda-t-il. Est-ce que j’ai encore le temps d’en préparer une autre ?
— Oui, répondit son compagnon en tendant la main. Celle-ci. »
En se dirigeant vers l’endroit indiqué, Emilio passa devant le coffre qui dissimulait Claude et Annie. Craignant d’être découvertes, elles se recroquevillèrent sur le sol. Hélas ! L’homme avait l’œil perçant; il lui sembla voir bouger quelque chose. Il s’arrêta. Qu’est-ce donc qui venait de remuer ?… Un pied !
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Emilio fit le tour du coffre en allumant sa torche.
« Carlo ! s’exclama-t-il d’une voix stupéfaite. Il y a quelqu’un. Viens vite ! »
Laissant tomber ce qu’il examinait, Carlo s’élança vers son comparse qui forçait, sans douceur, les filles à se relever.
« Comment se fait-il que vous soyez là ? »
Aussitôt, François se précipita, suivi de Mick et d’Edmond. Claude avait toutes les peines du monde à retenir Dagobert, déjà sur le lieu du drame. Il assourdissait chacun de ses aboiements furieux et tentait de lui échapper. Elle redoutait de voir son chien se jeter sur Emilio qui n’hésiterait sûrement pas à tirer. Ébahis, les deux hommes observaient les enfants.
« Tenez bon ce chien, sinon je l’abats ! s’écria Emilio, menaçant, en brandissant son fusil. Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous arrivés dans cette cave ?
— Nous sommes venus dans une barque, répondit François, mais la mer l’a emportée. Nous campons dans l’île et… euh… nous avons abouti ici par erreur.
— Par erreur ! Je t’assure que c’est la plus grosse erreur de ta vie ! Vous resterez tous dans cette cave pendant un bon bout de temps; il faut que nous terminions notre travail !
— Quel travail ? demanda François de but en blanc.
— Ah ! Tu voudrais le savoir, hein ? fit Carlo. Nous gardons l’île et nous en éloignons les curieux. De plus, cette nuit et demain, nous devons nous occuper de certaines choses… Vous n’allez pas beaucoup vous amuser en attendant notre retour ! Il faudra que je parle de vous au patron. Je ne sais pas ce qu’il décidera à votre sujet. Il vous emmènera chez les gendarmes, à moins qu’il ne vous enferme dans cette vieille salle pendant un mois ou deux, au pain sec et à l’eau. »
Dago montrait les dents d’un air féroce et se débattait pour se dégager des mains de sa maîtresse. Il n’avait qu’un but : bondir sur l’odieux individu. Bien qu’elle se cramponnât au collier, Claude sentait une forte envie de le laisser sauter sur l’ennemi.
« Si on ne part pas à l’instant, Carlo, on manquera le bateau, déclara Emilio d’un ton renfrogné. On s’occupera des gosses en revenant. »
Après avoir calé sur son épaule la boîte qui contenait la statue, il se dirigea vers la sortie. Derrière lui, Carlo se retournait sans cesse pour s’assurer que Claude ne lançait pas le chien sur lui. Il claqua la porte, ferma le verrou.
« Ne dites rien pendant deux minutes, recommanda François. Ils nous espionnent peut-être. »
Les enfants restèrent immobiles et silencieux. Annie éprouva des faiblesses dans les jambes. Quelle malchance de s’être ainsi fait surprendre !
« Repos ! dit enfin François. Vous n’êtes pas obligés de rester figés !
— Qu’allons-nous faire ? demanda Mick. Je ne tiens pas à rester enfermé en attendant le bon vouloir de ces voleurs. Et si nous ne les revoyions jamais ? Nous resterions ici pour de bon…
— Non, Mick, fit Annie qui, à la surprise de chacun, éclata de rire. On peut facilement se sauver !
— En passant par la porte verrouillée ? Impossible !
— Je te répète qu’on peut se sauver ! » reprit Annie.
Le visage de Claude s’éclaira. Elle approuva de la tête.
« Bien sûr ! affirma-t-elle. Ne prends pas cet air solennel, Mick; regarde plutôt là-haut ! »
Mick obéit.
« Qu’est-ce que je dois regarder ? demanda-t-il. Le vieux mur de pierre ?
— Non, là ! répliqua Annie. Au-dessus du coffre. »
Un grand sourire sur le visage, Mick s’écria : « Je suis bête ! C’est la petite porte en fer du puits ! D’ici, on dirait un simple trou d’aération… Il faut le savoir pour y faire attention ! Je crois que personne d’autre ne la remarquerait. Je comprends où tu veux en venir, Annie !
— Naturellement ! s’écria Claude. Il n’y a qu’à atteindre l’ouverture, à ouvrir la porte, puis à remonter dans le puits… Et vive la liberté !
— Il n’y a qu’à… C’est vite dit ! observa François avec calme. Nous devrons d’abord attraper la corde, puis grimper jusqu’en haut : ce ne sera pas très facile !
— Pourvu que la corde ne soit pas entièrement enroulée sur le treuil, avec le seau suspendu au crochet ! lança Annie. Alors, nous n’aurions plus qu’à abandonner !
— Nous verrons bien, dit François, philosophe. N’importe comment, c’est notre seule chance… Aidez-moi à pousser cet énorme coffre contre le mur. Ensuite, nous placerons une table dessus; en voilà une qui paraît solide. Au travail ! Nous serons bientôt de l’autre côté de la porte et, si tout va bien, sur la margelle du puits. J’aimerais voir la tête de ces chers Emilio et Carlo quand ils découvriront que leurs prisonniers se sont envolés ! »