CHAPITRE XIX
 
Annie fait face

img47.jpg

Pendant ce temps, Claude dévalait le souterrain secret creusé dans les falaises. Tantôt devant elle, tantôt derrière, Dago courait, les oreilles à l’affût, guettant un danger possible. Il n’entendit rien, si ce n’est, bientôt, le son cristallin et gai du petit cours d’eau qui serpentait vers la mer.

« J’aime bien ce ruisseau, chuchota Claude. Il est rassurant. »

Il leur arriva, deux ou trois fois, de glisser de la corniche mouillée dans l’eau glacée et Claude craignit qu’en tombant de nouveau, elle ne cassât sa torche.

« Ce ne serait pas amusant de marcher dans le noir ! » marmonna-t-elle.

Dagobert approuva d’un jappement bref.

« Quelle est cette lumière ? fit-elle soudain, effrayée, en s’arrêtant. Regarde, Dago, comme elle brille ! C’est peut-être un des bandits qui tient une lanterne ! »

Pourtant, Dago fit un bond en poussant un aboiement joyeux. Il connaissait fort bien cette lanterne : il la voyait souvent suspendue dans le ciel; Claude l’appelait la lune. Ne la reconnaissait-elle donc pas ? Naturellement, la petite fille la reconnut vite et, ravie, elle s’écria :

« J’avais oublié que c’était la pleine lune, cette nuit !… Je me demande où sont les autres. Il faudra que tu les cherches, Dago ! »

Le chien, qui avait déjà dépisté l’odeur des enfants, fouetta vivement l’air de sa queue. Il savait qu’ils n’étaient pas loin ! Dans peu de temps, tous seraient réunis.

En débouchant du tunnel, Claude et Dago sautèrent, avec quel sentiment de liberté ! sur les rochers que venaient lécher, en un va-et-vient rythmé, les vagues scintillantes sous les rayons de la lune.

Claude posa la main sur le collier de son compagnon; elle voyait quelque chose se déplacer au loin.

« Attention, Dago ! Je crois qu’on bouge là-bas. Reste près de moi ! »

Fait exceptionnel, Dago désobéit. Il se précipita d’un rocher à l’autre, bondissant par-dessus les pierres, retombant dans les flaques d’eau qui l’aspergeaient des pattes au museau sans qu’il s’en souciât.

« Dago ! s’exclama Claude qui ne savait pas qui se dirigeait de son côté. Dago, ici, tout de suite ! »

C’est alors qu’elle reconnut ses cousins et Edmond qui avançaient avec précaution sur les algues glissantes.

« Je suis là ! cria-t-elle en faisant des moulinets avec les bras. J’ai réussi à me sauver ! »

Enfin, tous se retrouvèrent, sains et saufs. Assis sur une plate-forme de pierre, ils se mirent à bavarder avec entrain, s’interrogeant les uns les autres sur les détails de leur évasion et s’amusant fort de la déconfiture des bandits.

Soudain, une lame les éclaboussa.

« La marée est en train de monter ! remarqua François. Allons, retournons dans les bois. »

Tout en marchant, Annie ne put réprimer un énorme bâillement.

« Quelle heure est-il ? demanda-t-elle. Il fait tellement clair que je ne saurais dire si c’est le jour ou la nuit. Mais je dors debout ! »

François consulta sa montre.

« Oui, il est tard. Il y a longtemps que nous devrions être au lit ! Que préférez-vous : camper sur l’île ou partir dans la barque d’Edmond pour traverser le bras de mer ? Nous pourrions ensuite nous reposer tranquillement dans la petite maison.

— Ne restons pas ici ! s’écria Annie. Je ne fermerais pas l’œil; j’aurais peur que les bandits ne nous rattrapent.

— Je n’ai vraiment pas envie, fit Claude, de ramer, puis de grimper la grande côte jusqu’à la chaumière. Je suis trop fatiguée.

— N’importe comment, observa François, c’est la marée montante et nous risquons de ne pas pouvoir nous éloigner de la côte.

— En effet, dit Annie. Alors, nous devrions monter la garde à tour de rôle.

— Ne t’inquiète pas, répliqua Claude. Dago nous réveillerait tout de suite en cas de danger.

— Bon », fit Annie en abandonnant la partie. Les enfants, exténués, s’arrêtèrent bientôt au milieu de buissons épais, à l’abri du vent, non loin de la petite plage où le bateau d’Edmond les attendait. Les garçons ramassèrent des brassées de fougères qu’ils étendirent sur l’herbe sèche.

« C’est confortable ! dit Claude en s’allongeant. Que je suis bien ! J’ai sommeil… »

Trois secondes après, elle entrait dans le domaine des rêves. Pelotonnés sur la couche odorante, les trois garçons la suivirent de près. Seule, Annie demeurait éveillée. Elle se sentait soucieuse.

« Je donnerais cher pour être sûre que les voleurs ne fouillent pas le bois à notre recherche, pensait-elle. Ils sont certainement furieux de notre évasion et se doutent bien que, dès notre retour sur le continent, nous raconterons nos découvertes aux gendarmes… Ils feront leur possible pour nous empêcher de quitter l’île. Et ils savent que nous avons une barque. »

Inquiète, elle demeurait à l’affût du moindre son suspect. Dago, qui la voyait se tourner et se retourner sans cesse, se glissa vers elle en silence pour ne pas troubler le repos de Claude. En se couchant à côté d’Annie, il lui donna un coup de langue affectueux qui semblait lui dire :

« Allons, dors maintenant. Ne crains rien, je fais attention. »

Cependant, elle ne s’endormit pas. Et soudain, comme pour confirmer ses craintes, des murmures s’élevèrent. Dago se dressa en poussant un grognement sourd.

Annie tendit l’oreille. Mais oui, à faible distance, des hommes parlaient d’un ton étouffé. Il était évident qu’ils ne voulaient pas être entendus. Cherchaient-ils le canot ? Une fois l’embarcation en possession des bandits, les enfants resteraient prisonniers dans l’île aux Quatre-Vents !

Dagobert s’éloigna des buissons, puis se retourna vers la fillette pour l’inviter à le suivre !

« Est-ce que tu viens avec moi ? » paraissait-il demander.

Sans bruit, Annie rejoignit Dago qui se mit à bondir devant elle. Il fallait absolument qu’elle sache ce qui se tramait. Si ses suppositions se confirmaient, elle se précipiterait vers ses compagnons pour donner l’alarme. En fait, Dagobert l’entraînait en direction de la plage d’accostage et, de nouveau, des voix se firent entendre, beaucoup plus proches.

Pour trouver la barque d’Edmond, les hommes s’étaient contentés de longer la côte en bateau jusqu’au moment où ils aperçurent la coque couchée sur le sable. À présent, sous les yeux d’Annie furieuse, ils la poussaient à la mer. Quand elle flotterait à la dérive, le Club des Cinq ne pourrait plus s’échapper de l’île… Le sang d’Annie ne fit qu’un tour et elle cria d’une voix aiguë :

« Arrêtez ! La barque est à nous ! »

Quant à Dago, il sautait autour des hommes et aboyait à tue-tête en montrant des crocs féroces. Claude et les garçons, tirés de leur sommeil par le vacarme, se levèrent d’un mouvement vif.

« C’est Dago ! s’exclama François. Venez vite, mais prenez garde ! »

S’élançant de toute la rapidité de leurs jambes, ils débouchèrent bientôt dans la crique. Dago poussait des grondements sauvages et quelqu’un hurlait d’une voix qui ressemblait à celle d’Annie.

« Annie,… pensa François, stupéfait. Non, impossible, je rêve… Ce n’est pas la tranquille petite Annie ! »

Et pourtant, c’était bien elle. À l’instant où les enfants arrivaient sur la plage, elle commandait à Dago, en trépignant de rage, de courir sus à l’ennemi.

« Vous n’avez pas le droit de prendre notre barque ! Je vais dire à Dago de vous mordre…

img48.jpg

Vas-y, Dago, mords-les ! Vous n’avez pas le droit !… Mords-les, Dago ! »

Dagobert ne se fit pas prier. Les deux voleurs qui, fort heureusement, ne paraissaient disposer d’aucune arme, regagnèrent leur bateau avec précipitation et, donnant force coups de rames, ils battirent en retraite. Annie ramassa un caillou et les visa si bien que le projectile heurta leur barque et les fit sursauter.

À son tour, Annie tressaillit lorsqu’elle aperçut François, Claude, Edmond et Mick qui la regardaient, bouche bée.

« Je suis contente que vous soyez là, fit-elle. Je crois, avec l’aide de Dago, avoir fait peur à ces bandits.

— Tellement que tu les as fait fuir ! s’exclama François en embrassant sa sœur. Tu m’as effrayé moi-même ! Ma parole, la souris s’est changée en tigre ! J’ai l’impression, tigresse, de voir la fumée sortir de tes naseaux…

— Ai-je vraiment l’air terrible ? demanda Annie. Tant mieux. À partir de maintenant, faites attention ! »

Et elle partit d’un grand éclat de rire. Les hommes hors de vue, Dago poussa une série d’aboiements triomphants. Qui pourrait lutter contre un chien et un tigre ? Ouah ! …

« François, il est temps de rentrer à la maison, reprit Annie. Il n’y a plus rien à manger et j’ai une faim de loup ! J’ai envie, aussi, de dormir dans un vrai lit. N’importe comment, que vous veniez ou non avec moi, je suis décidée à prendre le bateau d’Edmond !»

François s’amusait beaucoup des nouvelles façons de sa sœur.

« À mon avis, il serait dangereux de refuser quoi que ce soit à un fauve, remarqua-t-il en l’entourant de son bras. D’ailleurs, tu n’es pas seule à être affamée. »

Cinq minutes plus tard, les évadés voguaient sur la mer. La barque roulait au rythme du « flic-floc » des rames que maniaient François et Mick.

« En nous voyant nous éloigner, je parie que la bande ne va pas se sentir à l’aise, lança François. Ils savent sûrement que notre premier soin sera, dès cette nuit, d’aller avertir les gendarmes-Quelle aventure ! À présent, j’aimerais bien rester un peu tranquille. »

Quelques minutes plus tard, ils sautaient à terre et couraient à la gendarmerie. Le gendarme de service regarda avec étonnement cette bande d’enfants. Mais, aux premiers mots de François et de Mick, il comprit qu’il ne s’agissait pas d’une farce et se hâta de réveiller le brigadier. Celui-ci écouta avec intérêt le récit de l’équipée des enfants.

« C’est une affaire grave, dit-il en hochant la tête. Grâce à vous, cette bande de malfaiteurs va être arrêtée. Vous allez nous accompagner là-bas.

— Réveille-toi, Annie ! dit François à sa sœur qui somnolait sur sa chaise.

— Qu’il me tarde d’être dans mon lit ! » soupira Annie.

Avant que ce désir fût réalisé, les enfants, toute fatigue oubliée, montèrent dans la vedette des gendarmes qui découvrirent avec stupéfaction le vieux puits, l’immense salle aux trésors, le souterrain secret.

Encerclés, les voleurs durent se rendre sans grande résistance. Bientôt, on les poussa, hors d’haleine, dans le bateau rapide où ils eurent le loisir de s’étonner en se voyant vaincus par le Club des Cinq.

Au moment de quitter les enfants, le brigadier, souriant, les félicita de leur courage et de leur perspicacité.

Enfin, le lendemain, garçons et filles purent s’installer sur la falaise, au soleil, devant la chaumière, et profiter d’un repos bien gagné.

« Je ne bouge plus ! déclara Annie. Edmond, ne voudrais-tu pas nous jouer un air sur ton pipeau ?

— Tu l’as donc retrouvé ? demanda Mick à Edmond.

— Oui, répondit celui-ci. Tout à l’heure, j’ai pris le seau dans la chaumière pour aller au puits et, en marchant, j’entendais un drôle de bruit. J’ai regardé : mon pipeau était au fond ! Je pense qu’il a dû tomber hier, quand j’ai tiré de l’eau !

— Je suis bien contente ! s’écria Claude. Veux-tu nous faire entendre un morceau ?

— Mais oui, répliqua Edmond, ravi. Voyons si mes amis se souviennent de moi ! »

S’asseyant un peu à l’écart des autres, il se mit à souffler dans son instrument insolite; de nouveau, les notes étranges s’élevèrent. Aussitôt, la pie voleta au-dessus de sa tête, le lièvre accourut.

Edmond ne bougeait pas. La musique ensorcelante se poursuivait. Dago s’élança vers le petit garçon, se frotta contre lui, puis retourna auprès de Claude.

Allongé, François contemplait le ciel, étonnamment bleu pour un mois d’avril, heureux à la pensée que l’aventure se fût bien terminée. Mick laissait errer son regard sur la mer, sur l’île aux Quatre-Vents, en songeant, lui aussi, aux périls courus. Quant à Annie, redevenue la douce, la paisible fillette que chacun connaissait, elle gardait les yeux fermés et s’assoupissait au son du pipeau.

Le bras passé autour du cou de son chien, Claude, en le caressant, lui murmurait qu’il méritait une médaille de brave et loyal compagnon du Club des Cinq.

Au revoir, Club des Cinq ! Reposez-vous… Qui sait si une nouvelle aventure ne vous attend pas ?

 

 

FIN