CHAPITRE XI
Une découverte passionnante
Ébahis à la vue de tant de statues qui tranchaient par leur blancheur sur la pénombre de la forêt, les enfants, en les contemplant les unes après les autres, avançaient sans s’en rendre compte. Bientôt, ils aperçurent, au milieu d’une clairière, un hangar spacieux. Ils jetèrent un coup d’œil circonspect à l’intérieur. Personne ne s’y trouvait.
« Dites donc ! s’écria Mick. Regardez, des grands coffres en fer ! Voyons ce que contiennent ces deux-là.»
Dans le premier coffre, une ravissante sculpture qui représentait un garçon reposait, enfouie dans une sorte de sciure. Le second semblait empli de copeaux de bois. Pourtant, quand Annie en eut gratté et soulevé une grande partie, ses efforts furent récompensés.
« C’est un petit ange de pierre ! s’exclama-t-elle en dégageant une tête aux traits étranges, surmontée d’une couronne minuscule, et deux ailes mignonnes. Qu’il est beau !… Pourquoi les statuettes sont-elles rangées ainsi ?
— Réfléchis un peu, répliqua Mick. Ce sont des œuvres d’art, sans doute très anciennes. On les a emballées pour les expédier en bateau dans un pays où elles pourront atteindre un bon prix.
— Crois-tu qu’elles proviennent du vieux château ? demanda Claude. Il n’est pas loin; je suppose que ce bâtiment en est une dépendance… Comment se fait-il que les gendarmes ne les aient pas découvertes au moment de leur inspection ? Ils ont pourtant dû perquisitionner partout !… Au fait, pourquoi les statues de la forêt ne sont-elles pas dans des caisses, elles aussi ?
— Elles sont sûrement trop grandes et trop lourdes, expliqua François. Un bateau moyen ne serait pas assez robuste pour les embarquer. En revanche, on peut transporter ces objets-ci avec facilité parce qu’ils sont beaucoup plus légers; de plus, comme ils ont dû rester à l’abri de la pluie, du soleil et du vent, aucune trace d’intempéries ne les marque. Ils sont en parfait état.
— Tu as raison, dit Annie. J’ai vu que les autres statues portaient plusieurs taches vertes; sur certaines, j’ai aussi remarqué que des morceaux manquaient… Je voudrais bien entrer dans le château pour admirer les trésors !
— Le fermier nous avait parlé de statues blanches comme neige qui ornaient la forêt, vous rappelez-vous ? dit Mick.
— Oui, répondit François. Elles y séjournent depuis longtemps. Je pense qu’elles ne sont pas très précieuses, sinon on aurait pris soin de les mettre à l’abri, dans un endroit couvert. Mais je parie que les merveilles, dans ce hangar, valent une fortune !
— Qui les a placées ici ? As-tu une idée ? demanda Annie.
— Il s’agit peut-être des individus à l’air si féroce, observa François. Même pour des statuettes comme celles-ci, il faut des hommes d’une force peu commune pour arriver à les amener jusqu’au hangar, puis à les emballer de cette façon. Par la suite, une barque les transportera sans doute à bord d’un bateau qui attend en haute mer… À mon avis, il y a quelqu’un qui commande ces deux hommes, un chef aux connaissances artistiques étendues. Après avoir appris la légende de l’île aux Quatre-Vents, il a voulu vérifier son exactitude. Je pense qu’il a fait bien des découvertes intéressantes !
— Où ? s’enquit Claude. Dans le château ?
— Sûrement. Au fond de cachettes choisies avec soin. Il est possible que beaucoup de trésors anciens, de grande valeur, restent encore dissimulés ici : l’épée à la poignée garnie de pierres précieuses, par exemple ! Et le lit en or, et…
— Dire qu’ils sont sur l’île, non loin de nous ! soupira Annie d’une voix rêveuse. Comme j’aimerais pouvoir raconter que j’ai dormi dans un lit d’or massif !
— Ce doit être assez dur ! » remarqua Mick d’un ton moqueur.
Dago interrompit la conversation d’un aboiement bref, ses yeux suppliants levés vers Claude. « Qu’est-ce que tu as ? interrogea-t-elle, inquiète.
— Je crois qu’il a faim, fit Annie.
— Il a plutôt soif, observa François. Voyez sa langue qui pend !
— Mon pauvre Dago ! s’écria Claude. Tu n’as rien bu depuis des heures. Où donc pourrions-nous trouver de l’eau ? Il faudra te contenter d’une flaque, j’en ai peur. Sortons maintenant ! »
Quittant le bâtiment où reposaient, dans leur sciure, les statuettes finement sculptées, les enfants clignèrent des yeux au soleil. En examinant la terre sèche, François se sentit soucieux.
« Bientôt, nous tirerons tous la langue comme Dago. Je me demande comment découvrir de l’eau.
— En nous approchant du château, nous trouverons peut-être un robinet fixé à l’extérieur du mur, dit Claude, prête à affronter les pires dangers pour permettre à son chien de se désaltérer.
— Non ! fit François, catégorique. Nous ne nous risquerons pas au voisinage des hommes armés. On leur a peut-être ordonné de tirer à vue !
— Regardez ! dit soudain Mick en montrant du doigt un point situé derrière le hangar. À quoi sert ce petit mur circulaire, là-bas ? »
Tandis que chacun se dirigeait vers l’endroit en question, Annie devina sans effort de quoi il s’agissait.
« Je parie que c’est un vieux puits ! s’écria-t-elle. J’aperçois la poulie qu’on utilise pour tirer de l’eau. Au fait, pourvu qu’il y ait un seau ! Nous n’aurons alors qu’à le remplir et Dago se régalera ! »
Dagobert bondit et posa ses pattes de devant sur le rebord du puits, les narines dilatées. De l’eau : son plus cher désir ! Il se mit à japper.
« Du calme, Dago ! ordonna Claude, essoufflée. Quelle chance ! Le seau se trouve encore sur son crochet; on va le faire descendre… François, la manivelle est tellement dure que je n’arrive pas à la tourner. »
François pesa de toutes ses forces, libérant d’un coup violent la corde qui se déroula si brusquement que le seau se décrocha. Heurtant à grand bruit la paroi, il tomba jusqu’au fond du puits. Un bruit d’éclaboussement salua sa chute dans l’eau.
Dagobert poussa une plainte.
« Zut ! grommela François en observant le seau perdu, maintenant couché, qui commençait à se remplir. Il va bientôt couler… Y a-t-il une échelle ? Dans ce cas, j’irais le chercher ! »
Mais il n’y en avait pas. Seuls demeuraient, scellés dans la maçonnerie, quelques crampons qui indiquaient qu’en des temps assez lointains un moyen d’accès intérieur avait été prévu.
« Que pouvons-nous faire ? demanda Annie. Est-il possible de rattraper le seau ?
— Je ne crois pas, répondit Mick. Oh ! J’ai une idée. Je vais descendre le long de la corde et je prendrai le seau ! Puis je remonterai sans difficulté parce que François et Claude me hisseront en tournant la manivelle !
— Bonne idée ! approuva son frère. Vas-y ! La corde est solide, en bon état; elle ne porte pas trace d’effilochure. »
Une fois assis sur la margelle, Mick agrippa la corde. Il se lança, les pieds dans le vide, et oscilla un instant en regardant sous lui le gouffre sombre et profond où gisait la nappe d’eau. Puis, ainsi qu’il l’avait fait bien souvent à l’école, au cours de gymnastique, il laissa filer la corde entre ses pieds, tandis que ses mains se posaient alternativement l’une au-dessous de l’autre. Quand il parvint en bas, il saisit l’anse du seau qui achevait de se remplir. L’eau lui sembla glacée.
« Allez-y ! cria-t-il. Tirez-moi ! »
Sa voix sonna creux dans le tunnel vertical. En dépit des efforts conjugués de François et de Claude, l’ascension ne fut pas rapide. Petit à petit, cependant, Mick approchait de l’orifice lumineux. À mi-hauteur ses compagnons l’entendirent pousser une exclamation et lancer quelques mots à leur adresse; ils n’en saisirent pas le sens et continuèrent d’enrouler la corde, lentement mais sûrement.
Dès que les épaules de Mick atteignirent la margelle, son frère se pencha, empoignant le seau. Ravi, Dago se précipita dessus et se mit à laper le liquide avec ardeur.
« Ne vous êtes-vous donc pas rendu compte que je vous criais d’arrêter ? fit Mick, encore suspendu à la corde. Ne lâchez pas la manivelle : tenez bon une minute !
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda François, surpris. Pourquoi as-tu appelé ? Je ne comprenais pas ce que tu disais. »
Mick se jeta de côté, s’assura une prise sur le rebord du puits, se hissa et, enfin, s’installa à califourchon sur la margelle.
« J’ai aperçu quelque chose de vraiment bizarre, répondit-il, et je voulais m’arrêter pour distinguer ce que c’était.
— Alors ? questionna François avec curiosité. Qu’as-tu vu ?
— Je ne sais pas exactement. On dirait une porte, une porte en fer… Hé ! là, ne laissez pas Dago avaler toute l’eau : il en tomberait malade ! Nous allons redescendre le seau pour pouvoir boire aussi.
— Continue ton histoire, réclama Claude. Pour quelle raison y aurait-il une porte à l’intérieur d’un puits qui s’enfonce dans la terre ?
— Pourtant, je te répète qu’elle existe ! reprit Mick. Regardez, Dago vient de renverser le seau ! Je vais le remplir comme tout à l’heure mais, cette fois, à la remontée, quand je vous crierai : « Stop », arrêtez de tourner !
— Voilà le seau accroché, annonça François. Tu es prêt ?»
Mick et le seau s’enfoncèrent. Puis, de nouveau, François et Claude tournèrent la manivelle. Au signal de Mick, ils immobilisèrent la corde.
Penchés sur la margelle, ils observèrent Mick qui examinait la paroi et tâtonnait du bout des doigts.
« Remontez-moi ! » fit-il enfin d’une voix sonore.
Lorsqu’il revint, fatigué, il se laissa tomber à terre, près des autres enfants.
« J’avais raison, dit-il. J’ai vu une sorte de panneau dans le mur… et c’est bien une porte ! J’ai essayé de l’ouvrir, mais le loquet est tellement dur que je n’ai pas réussi à le soulever avec la main. Il faudrait que je retourne le forcer à l’aide de mon canif.
— Une porte dans un puits ! s’écria François, stupéfait, où donc peut-elle conduire ?
— On le découvrira, avança Mick, plutôt content de lui. Quelle idée de poser une porte à cet endroit ! Pourtant, quelqu’un l’a fait; pourquoi ? C’est ingénieux, mystérieux…, et presque impossible à deviner ! J’ai envie d’aller voir tout de suite si je parviens à la débloquer.
— Oh ! oui, Mick ! s’exclama Claude. Si tu ne descends pas, j’y vais !
— Accrochez-vous à la manivelle. J’attrape la corde ! » décida Mick.
Et il reprit le chemin du fond, au grand étonnement de Dagobert. Annie, François et Claude, animés, se perdaient en suppositions. Mick arriverait-il à pousser la porte du puits ? Que dissimulait-elle ?… Vite, Mick, dépêche-toi ! Tes compagnons grillent de curiosité.