CHAPITRE I
Vacances de Pâques
« Les vacances : le plus joli mot que je connaisse ! s’écria Mick en prenant une grande cuillerée de confiture. Passe-moi une tartine, Annie. Maman, tu ne te sens pas trop découragée à l’idée de nos galopades à travers la maison ?
— Bien sûr que non ! » répondit sa mère.
Mme Gauthier, pour permettre à François, Mick et Annie de passer leur congé de Pâques en compagnie de leur cousine Claude, avait loué une villa à proximité de Kernach.
« La seule chose qui m’inquiète vraiment quand vous êtes là, c’est la question Provisions, avec un P majuscule ! On dirait qu’il n’y en a jamais assez… À propos, quelqu’un sait-il ce qu’est devenu le gros rôti qui se trouvait dans le réfrigérateur ?
— Le rôti… le rôti…, dit François en fronçant les sourcils. Voyons un peu… que je réfléchisse… »
Annie, qui connaissait le sort de la viande en question, pouffa de rire.
« Hier soir, maman, reprit François, comme tu devais sortir, tu nous as offert de manger ce que nous voudrions pour le dîner. Nous avons choisi le rôti.
— Très bien, approuva Mme Gauthier. Quand même, près de trois livres de rosbif ! Claude vous a bien tenu compagnie, mais enfin…
— Dagobert était avec elle, précisa Annie. Il aime beaucoup la viande saignante.
— Voilà maintenant que je cuisine pour un chien ! s’exclama sa mère, indignée… Et un chien de l’appétit de Dagobert… Je me proposais de garder ce plat pour notre déjeuner d’aujourd’hui.
— Nous aimerions aller passer la journée à la villa des Mouettes, avec Claude et Dago, fit Mick. Si tu n’as pas besoin de nous, maman…
— J’ai besoin de vous, affirma Mme Gauthier. Mme Pichon vient me rendre visite cet après-midi. Je crois qu’elle voudrait vous demander quelque chose. »
Les trois enfants baissèrent le nez sur leur assiette.
« Maman ! protesta Mick d’un ton suppliant. Pour le premier jour de vacances, il faudrait que nous restions enfermés à la maison ? Par ce beau soleil ?
— Nous serons là pour le goûter, décida François qui, en remarquant l’expression déçue de sa mère, lança sous la table un coup de pied à son cadet. Mme Pichon est très gentille : lorsque nous étions petits, elle nous apportait toujours des bonbons.
— Et elle n’oublie jamais notre anniversaire, ajouta Annie. Pouvons-nous inviter Claude… et Dago ?
— Certainement, répliqua sa mère. Appelle-la au téléphone… Tâchez d’être présentables pour quatre heures !
— Je m’occuperai de Mick et d’Annie, promit François avec un sourire.
— Maman, j’ai terminé mon petit déjeuner. Puis-je téléphoner tout de suite à Claude ? demanda Annie en se levant de table. J’aimerais la joindre avant qu’elle n’emmène Dago en promenade ou qu’elle n’aille faire des courses pour tante Cécile.
— Oncle Henri sera content d’être débarrassé de Claude, même pour un seul repas, fit Mick.
— Pauvre Claude ! dit Mme Gauthier en riant. Quel dommage qu’elle ait hérité du caractère « soupe au lait » de son père ! Sa mère doit se donner bien du mal pour faire régner la paix ! »
François et Mick racontèrent avec humour certains incidents survenus entre Claude et son père. Quelques instants plus tard, Annie pénétra de nouveau dans la salle à manger.
« As-tu parlé à Claude, Annie ? demanda sa mère.
— Oui. Elle est ravie. Elle dit qu’il vaut mieux ne pas nous rendre chez elle. Oncle Henri a égaré certains de ses documents et il met la maison sens dessus dessous. Il a même retourné la corbeille à ouvrage de tante Cécile pour s’assurer que les papiers ne s’y trouvaient pas !
— Ce bon Henri ! dit Mme Gauthier d’un ton pensif. Un savant si éminent, d’une si grande intelligence, qui se souvient de chacun des livres qu’il a lus, de chaque note qu’il a écrite, mais qui, au moins une fois par semaine, perd régulièrement quelque papier important !
— Et il perd aussi son sang-froid tous les jours, observa Mick en s’esclaffant.
— Claude est vraiment contente de venir ici, reprit Annie. En ce moment, elle pédale sur la route, suivie de Dago. Elle arrivera dans un petit moment. Cela peut-il aller, maman ?
— Bien entendu. Mais puisque vous avez dévoré hier soir le déjeuner d’aujourd’hui, il faut que vous me fassiez quelques courses. Que voulez-vous pour midi ?
— Un rosbif ! s’écrièrent-ils en chœur.
— J’aurais cru que vous n’en mangeriez pas de sitôt, remarqua Mme Gauthier en riant. Entendu pour le rosbif. Mais Dago n’aura droit qu’à un os : un bel os, avec un peu de viande autour.
— Devrons-nous également acheter des gâteaux pour le goûter, en l’honneur de Mme Pichon ? demanda Annie. Ou bien vas-tu en faire toi-même, maman ?
— Je me charge de la tarte aux cerises, répondit sa mère. Pour le reste, vous pourrez choisir ce qui vous plaira; n’allez tout de même pas dévaliser la pâtisserie ! »
Les trois enfants, perchés sur leurs bicyclettes, suivaient maintenant la petite route qui conduisait au village. C’était une belle journée de printemps. Les fossés emplis de grandes herbes folles s’émaillaient de fleurettes jaunes. Les marguerites aux longues tiges droites étalaient sous le soleil leurs pétales blancs. Quand Mick entonna une chanson, les vaches qui broutaient dans un pré levèrent un instant la tête comme pour écouter. Annie se mit à rire.
La petite fille était ravie. Quel plaisir de se retrouver avec ses frères ! À l’école où elle était pensionnaire, ils lui manquaient beaucoup. Et ils allaient passer trois semaines ensemble !
Une bouffée de joie l’envahit soudain. Sa voix s’éleva, se mêlant à celle de Mick. Les garçons la regardèrent avec affection.
« Ma vieille Annie ! s’écria Mick, attendri. Je suis content de t’entendre chanter si fort : tu as toujours l’air d’une petite souris tranquille.
— Moi, une petite souris ! protesta Annie, stupéfaite et plutôt vexée. Qu’est-ce qui te fait dire cela ? Attends un peu : tu pourrais avoir des surprises, un jour !
— C’est possible… mais j’en doute, dit François. Une souris ne se transforme pas tout d’un coup en tigre ! D’ailleurs, Claude est le fauve de la famille : c’est bien suffisant. Il faut la voir sortir ses griffes, et crier, et gronder ! »
Cette description de leur cousine mit les trois enfants en gaieté. Des éclats de rire secouèrent tant Mick que, en zigzaguant, il vint heurter la roue arrière du vélo d’Annie, Elle se retourna, l’air furieux :
« Fais donc attention, maladroit ! Tu as manqué me renverser. Tu ne peux pas regarder où tu roules ?
— Hé là, Annie ! Que t’arrive-t-il ? demanda François, ébahi de l’explosion de sa sœur.
— C’est fini, répondit Annie en riant. Je faisais le tigre, je sortais mes griffes. Avez-vous apprécié ma démonstration ?
— Ma parole ! s’exclama Mick. Jamais je ne t’ai entendue crier de cette façon. J’avoue que l’effet était inattendu, mais drôle !
— Assez plaisanté ! coupa Annie. Voilà le boucher; allez acheter la viande. Je m’occupe du goûter. »
À la devanture de la boulangerie, toutes sortes de gâteaux plus appétissants les uns que les autres s’offraient à la vue. Annie s’employa joyeusement à choisir de nombreuses pâtisseries.
« Voyons, songeait-elle, nous serons sept, en comptant Dago. Si nous avons faim, les gâteaux disparaîtront vite. »
Les garçons furent ravis de constater que plusieurs paquets encombraient la bicyclette de leur sœur. Ils le furent plus encore lorsqu’elle leur demanda d’aller chercher le complément dans la boutique : ses sacoches n’auraient rien pu contenir de plus.
« Il paraît que nous mangerons bien aujourd’hui, remarqua Mick avec satisfaction. J’espère que Mme Pichon a bon appétit ! Je me demande ce qu’elle veut nous dire.
— Avez-vous pensé à prendre un bel os pour Dago ?
— Il est tellement beau que maman, j’en ai peur, voudra s’en servir pour préparer une soupe, répondit Mick en riant. Je ferais mieux de le garder jusqu’à l’arrivée de Dago. Il le mérite, ce brave chien.
— Il a partagé presque toutes nos aventures, renchérit Annie qui, la route étant déserte et peu fréquentée à l’ordinaire, roulait à côté des garçons. Elles semblaient même lui plaire !
— En effet, approuva Mick. Nous aussi, nous nous sommes bien amusés… Qui sait ? Une nouvelle aventure nous attend peut-être. J’ai l’impression d’en sentir une dans l’air !
— Ce n’est pas vrai ! protesta Annie. Tu te moques de moi. J’aimerais me reposer après ce trimestre scolaire tellement fatigant. J’ai beaucoup travaillé, vous savez.
— Comme tu es la première de ta classe, tu as droit à des vacances à ton goût, décida François, fier de sa petite sœur. C’est dit : pas d’aventures ! Tu entends, Mick ? On les évitera soigneusement.
— Vraiment, François ? interrogea Annie d’un ton dubitatif. Nous verrons bien. »